L’ouverture de la route de la Soie
La route de la soie désigne l’ensemble des routes caravanières qui ont relié la Chine à l’Occident (l’Inde, la Perse et l'Empire romain) pendant deux millénaires, mais également la voie maritime utilisée à partir du Ier siècle de notre ère pour rejoindre la Chine et qui contourne soit l’Arabie (par la mer Rouge et le golfe d’Aden), soit l’Iran et le Pakistan (par le golfe Persique et le détroit d’Ormuz), et passe par l’océan Indien.
L'ancienne route de la Soie tire son nom du commerce de la soie (du latin classique serica « étoffes, vêtements de soie originaires de Chine »). De toutes les marchandises convoyées à l’époque romaine, la soie est alors la plus précieuse, la plus onéreuse et la plus mystérieuse, objet d’un engouement démesuré dans les quartiers élégants de Rome. À cette époque, le secret de la sériciculture (culture des vers à soie) — qui remonte au néolithique — n’a pu encore être percé, comme en témoignent les Géorgiques (36-29 av. J.-C.) de Virgile, qui célèbrent « les laines que le Sère cueille délicatement aux feuilles des arbres à soie » ; cet art n’est en effet divulgué qu’au VIe siècle.
La route de la Soie est empruntée pour la première fois au Ier siècle av. J.-C., après que l’empereur chinois Wudi, las des harcèlements aux frontières des nomades Xiongnu (une peuplade du Nord), est parvenu à assurer sa suzeraineté et à affermir les marches occidentales de l’Empire. Une fois les Xiongnu défaits, la dynastie Han se lance dans la pacification de la région et la construction de pistes, ainsi que dans l’établissement de lignes de défense et de garnisons.
De l’Ouest, la route partait d’Antioche en Syrie, passait par Séleucie du Tigre, traversait l’Empire parthe par Ecbatane, Rages (Ragaï), Hecatompylos, gagnait ensuite Antioche de Margiane (Merv), puis, de Bactres (Balkh), en Sogdiane, elle aboutissait au double chapelet d’oasis qui, de Kachgar à l’Ouest au Lobnor à l’Est, entoure le bassin du Tarim (sud du Xinjiang). Deux itinéraires étaient donc empruntés à partir de Kachgar : l’un, au Nord, passait par Axou, Koutcha et Karachar; l’autre, au Sud du Tarim, passait par Yarkand et Khotan. Les deux branches se rejoignaient ensuite pour gagner Loyang, capitale de l’empire des Han.
Le contrôle du Tarim représentait ainsi une importance capitale pour l’Empire chinois, qui y avait établi son protectorat vers 100 av. J.-C., puis avait dû abandonner cette région aux Hiong-nou peu avant le début de notre ère. La reconquête du Tarim par l’empire des Han fut entreprise dans le dernier quart du Ier siècle apr. J.-C. par le général Pan Tch’ao et achevée vers 123-127. Au milieu du VIIe siècle, la dynastie Tang défait les tibétains et les turcs qui menaçaient de couper la précieuse voie de communication.
Un commerce limité aux marchandises précieuses
Grâce à ce contrôle partiel des routes commerciales, les échanges entre l’Extrême-Orient et le bassin de la Méditerranée sont favorisés — même s’ils restent périlleux, compte tenu des rudes conditions climatiques, des difficultés du terrain, des tributs à payer, des paiements inopinés d’octrois et des inévitables embuscades de pillards. La route terrestre de la Soie s’étend sur quelque 14 000 km aller-retour.
Afin de ne pas avoir à effectuer la totalité du parcours, les caravanes monnayent ou troquent généralement leurs marchandises de campements en caravansérails tout au long du chemin, dans les comptoirs ou dans les oasis où sont déployées les étoffes sous les palmes, ou dans la pénombre des bivouacs des chameliers : à Purusapura (l’actuelle Peshawar, au nord-ouest du Pakistan), capitale du Gandhara ; à Taxila, capitale du Gandhara oriental, ou, plus au nord, dans la région du Pamir, à Tach-kurgan, en un lieu dit « la Tour de Pierre » (mentionné par Martin de Tyr, d’après le récit de Maès Titianos, à travers la Géographie de Ptolémée), dans la haute vallée de l’Amu-Daria.
Les croisades et Marco Polo
Les croisades vont relancer le commerce international entre l’Occident et l’Orient et faire de Gênes et de Venise de grandes puissances économiques. Les commerçants italiens transportent les marchandises vers la Terre sainte et créent des comptoirs commerciaux sur les pourtours de la Méditerranée. Vu leur succès, les Vénitiens cherchent à s’ouvrir davantage de marchés. C’est ainsi que la famille Polo part vers l’Est.
En trois ans, ils arrivent en Chine par le biais de la Mongolie et sont accueillis par Kubilaï à Cambaluc (actuelle Pékin) vers 1275. Le souverain mongol propose à Marco, alors âgé d’une vingtaine d’années, d’entrer à son service. De cette façon, Marco découvre l’Inde, la Perse et les contrées qui forment l’actuel Viêt Nam. De retour à Venise, vers 1295, il est emprisonné à Gênes et rencontre Rusticello de Pise. Son compagnon tire un manuscrit de la narration de ses découvertes, Le Livre des merveilles du monde, qui rencontre un accueil mitigé auprès de ses contemporains.
Les nouvelles routes de la Soie
Le déclin de la route de la Soie débute au milieu du XIVe siècle, alors que s’effondre l’Empire mongol (la dynastie Yuan chinoise) et que progresse l’islam en Asie centrale, déclin qui s’accentue sous la dynastie Ming, la Chine entrant dès lors dans une longue période d’autarcie, conséquence de la fermeture des frontières. Les routes maritimes et les zones côtières restent cependant très fréquentées.
De nos jours, la Chine cherche désormais à ouvrir de nouvelles routes de la Soie pour faciliter le commerce avec l’Europe et conforter son hégémonie commerciale et politique. Elle investit des milliards de dollars pour la construction de nouvelles infrastructures portuaires et ferroviaires et s'intéresse de près à la possibilité de l'ouverture d'une nouvelle route maritime via l'Arctique, rendue possible du fait du réchauffement climatique.
Pour aller plus loin
- La route de la soie : Ou les empires du mirage. Payot, 2017
- Les routes de la soie : L'histoire au coeur du monde, de Peter Frankopan. Champs Histoire, 2019.