Le commerce des épices a acquis dès l’Antiquité une valeur considérable (cannelier, cassier, poivre). Pendant des siècles, les marchands arabes contrôlèrent les routes terrestres de ce commerce vers l'Inde. Du XIIIe au XVe siècle, c'est Venise qui exerça le monopole du commerce des épices avec le Moyen-Orient. Mais les prix exigés par la Sérénissime étaient si élevés que le Portugal et l'Espagne envisagèrent de se rendre aux Moluques par l'est en contournant le cap de Bonne-Espérance, puis poussèrent leur exploration vers l'ouest, avec les voyages de Christophe Colomb. Bien que nombre de ces premiers explorateurs aient surtout compté trouver de l'or, leurs expéditions furent essentiellement financées par le commerce des épices.
Les épices, des plantes aromatiques très prisées
Le terme épice désigne généralement les produits de plantes piquantes, essentiellement des plantes originaires d'Asie tropicale et des Moluques, archipel indonésien. Ce terme désigne aussi couramment des plantes herbacées, ou plutôt les feuilles parfumées de ces plantes, dites herbes aromatiques, dont la majorité sont originaires des régions tempérées. À de rares exceptions près, les épices et herbes aromatiques connues aujourd'hui sont utilisées depuis l'aube de l'humanité.
Les premiers hommes étaient attirés par les effluves aromatiques de ce qu'on nomme aujourd'hui huiles essentielles, présentes dans différentes parties de ces végétaux. Le commerce des épices avec l'Orient était florissant bien avant notre ère.
En dehors de leur utilisation séculaire dans la conservation des aliments et comme assaisonnement, les épices et les herbes aromatiques jouèrent un rôle important en médecine. Avant que les médicaments de fabrication industrielle n'existent, des préparations à base de plantes étaient couramment prescrites. Elles sont parfois à la base des médicaments actuels.
La quête des épices
Des relations maritimes avaient existé entre le monde méditerranéen et l’Asie sous l’Empire romain, comme le révèle le Périple de la mer Érythrée, un texte grec datant du Ier siècle de notre ère. Interrompues à partir du Ve siècle, les relations commerciales entre l’Europe et l’Asie reprirent au xne, du fait d’une demande européenne croissante pour les épices, le poivre en particulier, produites en Inde, à Ceylan et dans l’archipel indonésien (Moluques).
Il n’y avait cependant pas de relations maritimes directes : les épices gagnaient, par un itinéraire combinant voie maritime et voie terrestre, les ports du Levant, Beyrouth et Alexandrie, où les flottes italiennes, génoise et surtout vénitienne, venaient les chercher pour les acheminer vers les marchés européens. Cet itinéraire était dominé par des marchands arabes, persans et indiens. L’État mamelouk d’Égypte le contrôlait largement. Les Vénitiens ne tentèrent pas d’établir une route directe, car leurs profits étaient élevés.
Une nouvelle route maritime
Ce furent les navigateurs portugais, progressant le long des côtes d’Afrique à partir de 1440, et ayant doublé en 1488 le cap de Bonne-Espérance, qui découvrirent une nouvelle route maritime directe entre Europe et Asie. Leurs motivations étaient doubles : atteindre directement les zones productrices en court-circuitant les Mamelouks, et du même coup affaiblir la principale puissance musulmane, grâce à une alliance avec le royaume du prêtre Jean, qu’on croyait situé en Inde (c’était en fait le royaume chrétien d’Éthiopie).
En 1498, Vasco de Gama atteignit Calicut, après une traversée de l’océan Indien depuis l’Afrique. Mais les Portugais ne purent guère se procurer d’épices, les marchands musulmans qui en contrôlaient localement le commerce ayant refusé de leur en vendre. Pourtant les Portugais persévérèrent dans leur projet : une deuxième flotte, commandée par Cabral, qui, en chemin, découvrit le Brésil, arriva en 1500, et put ramener à Lisbonne une cargaison d’épices.
Les Portugais créèrent des comptoirs fortifiés sur la côte de l’Inde. Certains s’installèrent en Inde et épousèrent des femmes locales : connus comme casados (hommes mariés), ils formèrent l’embryon d’une communauté luso-indienne. En 1511, les Portugais prirent Malacca, capitale d’un sultanat musulman, et purent ainsi avoir accès aux Moluques, principale zone productrice du clou de girofle et de la noix muscade. Ils s’y heurtèrent cependant aux Espagnols, arrivés par le Pacifique, qui, à partir de 1560, s’installèrent aux Philippines. L’archipel devint le terminus d’une route maritime transpacifique depuis le Mexique.
De leur côté, les Portugais, après avoir été battus deux fois par les flottes de garde-côtes chinois, purent établir en 1555 une tête de pont en Chine du Sud à Macao. Grâce à la constitution d’un réseau de places fortifiées et à leur supériorité navale, ils réussirent à s’insérer par la force dans le réseau du commerce des épices et à imposer aux navires asiatiques de prendre un sauf-conduit, un cartaz, s’ils voulaient éviter d’être attaqués. Ainsi s’affirmait le double visage des Européens en Asie, à la fois marchands et guerriers.
Une lutte acharnée pour le contrôle du commerce des épices
Les Portugais ne réussirent cependant pas à établir un monopole sur ce commerce : la route méditerranéenne, après avoir connu une éclipse relative au début du xvie siècle, connut une reprise après 1550. Leur position dominante fut définitivement mise à mal au début du XVIIe siècle par les Hollandais : ces derniers créèrent une puissante compagnie des Indes, la VOC, qui réussit à établir un véritable monopole sur les épices des Moluques, chassant tant les Portugais que les Anglais qui avaient fondé en 1600 l’East India Company.
Évincés du commerce des épices, les Anglais se reconvertirent dans celui des cotonnades, les « indiennes ». Ayant créé des comptoirs à Madras, Bombay et Calcutta, ils réussirent, à la fin du XVIIe siècle, à pénétrer le marché européen des textiles. En 1664 surgit un nouvel acteur, la Compagnie française des Indes, créée à l’initiative de Colbert, et le XVIIIème siècle vit s’engager en Inde une lutte entre Français et Anglais.
L’East India Company, de compagnie de commerce, se transforma en pouvoir territorial souverain et établit progressivement sa mainmise sur l’Inde. Mais, en 1858, suite à la révolte des troupes indigènes, les cipayes, la compagnie fut abolie, et l’Inde passa sous la domination directe de la Couronne britannique, la reine Victoria étant proclamée en 1877 « impératrice des Indes ». A partir de l'Inde. les Anglais conquirent aussi la Birmanie et la Malaisie, tandis que les Pays-Bas prenaient le contrôle ce l’Indonésie, et la France de l'Indochine.
Bibliographie
- Sur les routes des epices, d' Eric Birlouez. Ouest-France, 2013.
- Les Coureurs d'épices, d' Edith Huygue et François-Bernard. Payot, 2002.