Jérusalem entre légende, mémoire et histoire
Peu de villes suscitent autant de passions que Jérusalem, à travers légendes et histoire. Ce mot passion est d’ailleurs tiré du latin passio signifiant « la souffrance ». Quant aux légendes, elles comportent le plus souvent des prophètes issus de la Bible, de la tradition juive, chrétienne mais également de l’islam. Au sens étymologique, ces légendes ont le sens de « ce qui doit être lu ». Peu de villes comportent autant de lieux où s'accumulent des sédiments de la mémoire collective évolutive s'appuyant beaucoup sur les médias et sur les noms.
A Jérusalem, la moindre rue voire la moindre pierre, raconte quelque chose. Tout ou presque est une trace laissée par un événement historique ou légendaire. La mémoire vient en permanence métamorphoser le passé. Illustrons ceci par un exemple :
Au début du XXe siècle, un archéologue identifie le site originel de la cité de Jérusalem qui se trouve au sud des remparts de la ville médiévale. Cet archéologue était un religieux, un frère de l'ordre des dominicains : le père Vincent membre de l'école biblique de Jérusalem. Cette école est une institution fondée dans le deuxième tiers du XIXe siècle où l'on travaille l'exégèse et l'archéologie de la Terre Sainte. Cet érudit recherchait les traces de la Jérusalem biblique. Il appelle la cité originelle « la cité de David ».
David aurait unifié les tribus israélites sur la terre des Cananéens. David a conquis Jérusalem en 1010 avant la naissance du Christ d'après la chronologie biblique. Mais est-on sûr de l'existence de David ? On ne sait sur lui que ce qu'en dit la Bible. Les témoignages extérieurs sont assez ambigus : des stèles gravées en araméen qui font mention de rois issus de la « maison de David ». Ce témoignage confirme que David est l'ancêtre fondateur d'une dynastie ayant régnée sur Jérusalem, mais rien n'indique qu'il ait existé, et nous n'en savons pas plus.
Préhistoire
En Égypte ou en Mésopotamie, on remarque un déplacement des sites urbains au fil du temps : Babylone n'est pas très loin de Ctésiphon qui fût la capitale des Empereurs perses jusqu'au Ier siècle avant notre ère, et Bagdad n'est pas très loin non plus de ces dernières et il n'y a pas de continuité entre ces trois capitales. Similairement en Égypte, Memphis n'est pas très éloignée de Fustat qui est elle-même proche du Caire fondée plus tard, on observe là un déplacement qu’il n’y a pas dans le Bilad Al-Sham où c'est tout le contraire : les sites urbains sont très rarement abandonnés malgré les périodes de destruction.
Ces derniers ont donc une continuité matérielle. Des vestiges du passés peuvent être plus ou moins visibles et plus ou moins contraignants pour la vie. Dans la ville de Damas, les Omeyyades fondent en 710 la mosquée des Omeyyades. Cette dernière s'élève à l'emplacement de l'ancienne cathédrale Saint Jean Baptiste, c’est cette continuité que l'on retrouve à Jérusalem.
Des origines jusqu’à la destruction du premier temple (586 av JC)
On estime que la fin du IVe millénaire avant notre ère marque le début de l'occupation du sol de Jérusalem. La construction d'une première forteresse sur le site remonte, elle, aux années 1700 av JC à une époque qui se situe avant l'avènement du royaume d'Israël, mais dès avant cette époque, Jérusalem a une importance politique dans la région, que l'on peut mesurer car le nom de cette ville est attesté dans la documentation égyptienne, plus précisément dans les tablettes retrouvées sur le site de Tel El-Amarna mais la ville ne connaît un essor urbain significatif qu'à partir du VIIIe siècle avant notre ère.
Cela fait environ deux siècles que la ville est la capitale d'un royaume fondé par un groupe qui se désigne sous le nom d' « hébreux » ou d' « israélites ». Ce groupe, fixe ses origines en Mésopotamie mais il est plutôt vraisemblable qu’il soit originaire du pays de Canaen attirant du monde de Mésopotamie et d'Egypte. Il est mentionné pour la première fois en 1207 avant notre ère sur la stèle de Merneptah, il a donc une existence politique ancienne. Israël est en fait deux royaumes : le royaume d'Israël dans la partie Nord et le royaume de Juda au Sud.
Il n'y a aucune trace archéologique du premier temple mentionné dans le Livres des rois mais c'est un temple modeste avec un vestibule que l’on appelle le « Saint des Saints » où repose l'arche de l'alliance avec les tablettes du mont Sinaï. Seul le grand prêtre peut y rentrer et uniquement le jour du Kippur. A l'époque il s'agit d'un religion sacrificielle comme partout au Moyen Orient non pas d’un monothéisme mais d'une monolâtrie. Cette monolâtrie tend progressivement vers le monothéisme dans un monde fondamentalement polythéiste.
La Bible vient du nom de la cité Byblos où l'on fabriquait des papyrus (ce qui donnera le mot grec biblio). Les cinq premiers livres de la Bible, la Torah, sont série de règles générales de la vie quotidienne, c'est la loi, révélée par Dieu. Cette dimension est importante car c'est l'un des principaux héritages que reprendra l'islam. Le caractère central du temple de Jérusalem s’exprime dans la volonté de centraliser le culte à Jérusalem malgré quelques exceptions comme le temple d'Elephantine en Égypte (Aswan).
Les armées de Nabuchodonosor s'emparent de Jérusalem et détruisent le premier temple en 586. La destruction de la ville est partielle, une partie de la population tombe en captivité à Babylone (Irak actuelle). C'est l'acte de naissance de la communauté israélite la plus importante hors de Judée.
Jérusalem à l'époque du second temple (538 av JC. – 70 JC)
Intervient un changement de domination au Proche Orient au profit d'un nouvel Empire : la Perse. Cet empire étend sa domination sur le Bilad Al-Sham. En 538 av JC, Cyrus II donne l'autorisation de reconstruire leur temple aux habitants de Jérusalem, cette construction prendra plusieurs années où il s'agit de restaurer le rôle religieux de Jérusalem. Sous la dynastie des Achéménides (culture Perse), puis après la conquête d'Alexandre sous la dynastie des Séleucides (culture hellénique), Jérusalem connaît sous la tutelle de puissances extérieures le second temple, mais malgré cette culture hellénique, la ville garde une originalité. En 167 av JC, Antiochos IV prend des mesures forcées d'hellénisation dont la plus brutale est celle de l'introduction du culte de Zeus Olympien dans le temple de Yahvé.
Ce sera l'étincelle d'une révolte qui va durer jusqu'en 141 av JC et portera le nom de « révolte des Maccabées ». En 164 av JC, le culte de Yahvé est rétabli dans le temple et donnera une fête, le Hannuka, commémorant cette reconquête du culte. En 141 av JC, cette révolte aboutit à la restauration d'un royaume indépendant avec Jérusalem comme capitale et Yahvé comme Dieu unique. A sa tête, une dynastie : les asmonéens, qui prend le pouvoir après la révolte. C'est une dynastie à caractère religieux où le souverain est le Grand prêtre mais malgré la nature de ce pouvoir, les asmonéens s'hellénisent et cela se traduit par l'édification de monuments funéraires de type hellénistique.
Le bâtisseur le plus fastueux est le roi Hérode qui règne de 40 av JC à 4 av JC : il initie des travaux colossaux à Jérusalem, notamment sur le mont du temple. Il va niveler le mont du temple, en faire une esplanade, séparer nettement le temple du reste de la ville. Seuls les adeptes du culture de Yahvé peuvent entrer dans l'enceinte du temple et les Gentils sont limités dans leur accès, et doivent se limiter au Pavis des Gentils.
Les travaux initiés par Hérode en 19 av JC se poursuivent jusqu'en 63. Le temple est profané par Pompée en 64 av JC, ce qui inaugure mal les relations entre Jérusalem et la tutelle romaine. Les Romains qui ont un rapport à la religion essentiellement public et apaisé s'étonnent de la nature exclusive de la religion juive. Le temple de Jérusalem s'adapte à l'influence grandissante de Rome car des sacrifices y sont faits. Le culte impérial y est présent. En 44, Rome décide d'imposer son administration directe à Jérusalem ce qui marque la fin du royaume asmonéen. Cette administration directe ne résout par les profanations, ce qui pousse à une révolte des judéens en 66 très durement réprimée par les légions romaines.
En 70, les armées romaines assiègent Jérusalem, les révoltés se réfugient dans le temple et à la fin de l'été 70, à l'issue de combat féroce, les romains s'emparent de Jérusalem et les incendies détruisent le second temple, la ville est mise à sac.
Jérusalem à l'époque romaine
Car les Romains vont prendre des mesures d'exclusion à l'encontre des fidèles à l'issue d'une ultime révolte qui éclate en 132 et menée par Bar Jokhba et ses hommes jusqu'en 135. Cette révolte est écrasée par les légions romaines, mais pour écarter définitivement le risque de révolte, les Romains prennent des mesures radicales : interdiction de la circoncision en Judée, interdiction du Shabbat en Judée, interdiction l'étude la Torah en Judée (en Judée uniquement, et pas dans tout l'Empire), interdiction aux fidèles d'entrer dans Jérusalem sauf une fois par an. C'est la seule ville de l'Empire romain qui devient interdite aux juifs.
Cette autorisation devient un rite connu aujourd'hui avec le mur des lamentations où les juifs se rendaient pour pleurer la perte du temple et de Jérusalem. Ce mur se situe au Sud-Est du temple hérodien. Depuis 135, avec l'empereur Hadrien, Israël n'existe plus comme royaume indépendant et le mot par lequel les fidèles se désignaient (yehudim servant à désigner les premiers judéens) devient un ethnonyme de peuple en exil. Dès lors yehudim se traduit non plus par « judéen » mais « juif ».
Seule l'esplanade, les citernes souterraines, le mur d'enceinte avec ses entrées, restent. Le mont du temple, au Moyen Age est un vrai « réservoir » à matériaux, notamment des pierres et la pratique du remploi, la réutilisation des matériaux-vestiges sera très développée au Moyen Age, et notamment au Caire comme dans la plupart des villes ayant un lourd passé historique.
Bibliographie
- Dictionnaire de la Bible, André-Marie Gérard. Robert Laffont, 1989.
- Histoire de Jérusalem, de Michael Jasmin. Que-sais-je, 2018.