« Le présent est le temps du cinéma »
C’est sur le conseil d’Antoine de Baecque que Benoît Jacquot a lu le roman de Chantal Thomas, alors qu’il venait de finir Adolphe (d’après Benjamin Constant), avec Isabelle Adjani. A sa grande surprise, il pense très rapidement pouvoir en faire un film. En revanche, il décida de ne pas faire comme le livre, d’éviter le flashback, procédé pourtant très cinématographique. Pour différentes raisons, notamment financières, le film met plusieurs années à se monter et le cinéaste, avec son complice scénariste Gilles Taurand, écrit plusieurs versions de l’adaptation.
Le premier choix radical a été de rajeunir le personnage principal, Sidonie, qui a la bonne quarantaine dans le livre de Chantal Thomas, et les vingt-six ans de Léa Seydoux dans le film. Pour Benoît Jacquot, c’était nécessaire pour « rendre sensible la fragilité, la vulnérabilité et la potentialité d’aveuglement du personnage ». En ce qui concerne le flashback, le metteur en scène a décidé de le rejeter car, selon lui, « le présent est le temps du cinéma ». Le choix a également été fait de rester en permanence avec Sidonie, « de ne rien voir d’autre que ce qu’elle voit, ou ne peut voir ».
Quant au casting, si Benoît Jacquot a de suite pensé à Léa Seydoux pour Sidonie, c’est Diane Kruger qui l’a persuadé de lui donner le rôle de Marie-Antoinette, tout comme Xavier Beauvois pour Louis XVI.
« Marie-Antoinette me fascine, mais je ne l’aime pas »
L’autre personnage fondamental du roman et du film est évidemment Marie-Antoinette, personnage si controversé et le plus souvent détesté par les Français. Benoît Jacquot lui-même avoue : « ce personnage me fascine, m’intéresse énormément, mais je ne l’aime pas ». Ce qui a motivé le réalisateur, c’est justement ce moment, décisif, où la reine passe d’un « personnage de music-hall, à celui d’héroïne martyre et tragique ». Il estime même que Marie-Antoinette a « posé une couronne authentique sur sa tête » dans les jours que narre le film, après le 14 juillet 1789, « tout en gardant ses réflexes de reine ̋ Sofiacoppolesque ̋ (sic) ».
« Comment faire du passé un présent ? »
Le problème d’un film, comme d’un roman historique, est de ne pas « trahir » l’histoire au sens large. Pour Benoît Jacquot, la question fondamentale a donc été : « comment faire du passé un présent, comment donner au passé la présence du présent le temps du film ? ». Il lui a fallu ainsi « éviter le minimalisme et le tout off, mais aussi l’illustration et l’imagerie ». Le problème s’est également posé pour la langue, « naturalisée, mais tout de même vraisemblable pour l’époque, tout en étant directement accessible au spectateur ».
Enfin les décors, essentiels pour un film se déroulant uniquement à Versailles. Le tournage dans le château s’est déroulé le lundi (jour de fermeture) et la nuit, puis dans d’autres lieux. Benoît Jacquot a insisté pour tourner dans de vrais décors, et pas en studio, même si certains lieux n’existent plus à Versailles même, comme les combles ou les étages de domestique, très importants dans l’intrigue.
L’avis d’Histoire pour tous sur Les Adieux à la reine
Résumons tout d’abord l’intrigue : nous sommes en juillet 1789, et la jeune Sidonie Laborde (Léa Seydoux), tout comme Versailles, est loin d’imaginer que la Révolution est sur le point d’éclater. Lectrice de la reine Marie-Antoinette (Diane Kruger), elle éprouve une passion secrète pour cette dernière de plus en plus difficile à supporter quand éclatent les troubles, mais surtout quand surgit dans la vie de la reine sa favorite, Gabrielle de Polignac (Virginie Ledoyen). La jeune fille est alors témoin et actrice de cette passion interdite, tout comme de la façon avec laquelle Versailles réagit aux événements de l’extérieur, entre incompréhension et panique.
Nous suivons ainsi durant tout le film le personnage interprété par Léa Seydoux, souvent filmée de derrière, non loin de la nuque. Elle doit écouter les confessions intimes de Marie-Antoinette, puis supporter ses caprices et ses changements d’humeur, et enfin être humiliée par amour en prenant la place de sa rivale pour la sauver, sur demande de la reine. Pour être honnête, ce triangle amoureux (chaste) n’est pas ce qu’il y a de plus passionnant dans le film de Benoît Jacquot, qui sait pourtant toujours aussi bien filmer les femmes. Les actrices ne sont pas en cause, bien au contraire (même si l’on voit finalement très peu Virginie Ledoyen), mais l’essentiel de l’intérêt du film est ailleurs. On préfère en effet suivre Sidonie dans les combles et les chambres des servantes, voir vivre la fourmilière Versailles, jusque dans les appartements de nobles pathétiques, qui prient pour un simple passage du roi, mais vivent presqu’avec les serviteurs, et ne savent plus quoi faire quand ils apprennent avec stupeur la tournure des événements (la scène de la liste des nobles à décapiter est savoureuse). Le film passe régulièrement entre ses deux mondes, aux frontières plus poreuses qu’on ne le pense, même si celui du roi n’est presque pas présent. On est en revanche souvent dans les appartements de la reine, et il faut d’ailleurs rendre hommage aux décors et aux costumes, somptueux.
Par touches habiles, Benoît Jacquot montre la déconnection de la cour dans son ensemble (nobles et serviteurs) par rapport à l’Histoire qui s’écrit en dehors de Versailles. L’histoire passionnelle entre Marie-Antoinette et Gabrielle, ainsi que l’amour contrarié de Sidonie, sont presqu’accessoires même si on sent que le réalisateur veut faire le lien, notamment en montrant l’attitude très changeante de la reine vis-à-vis de sa lectrice, et l’humiliation qu’elle lui fait subir, marquant alors une vraie différence sociale, presque « de classe », malgré une certaine intimité partagée.
Un beau film, que l’on conseillera donc pour sa peinture subtile d’un Versailles au tournant de l’Histoire, et ses actrices, plus que pour son intrigue amoureuse.
- Les Adieux à la reine, de Benoît Jacquot (2012), avec Léa Seydoux, Diane Kruger, Virginie Ledoyen. En salle le 21 mars 2012.