Origines de la Franc-maçonnerie
La franc-maçonnerie a pour origine, au-delà de profondes racines au Moyen-Age (certains parlent même des Templiers), l’Angleterre du XVIIIè siècle. Elle naît dans les années 1712-1718, et son acte fondateur est la Constitution dite « d’Anderson » qui date de 1723 et qui a été en grande partie rédigée par Jean-Théophile Désaguliers ; celui-ci, émigré de la Rochelle depuis 1685, grand scientifique et ami de Newton est le Grand Maître de la Loge de Londres.
Elle a tout d’abord des influences religieuses : Réforme, judaïsme, et même catholicisme en France, et surtout déisme. Les athées sont refusés. Ensuite, elle est influencée par les milieux scientifiques, philosophiques, en particulier la « philosophie naturelle » de Newton.
Très rapidement mal vue par la papauté, elle est condamnée par la bulle « In Eminenti » du pape Clément XII en 1738, qui excommunie tout Franc-maçon. Mais cette décision papale n’est guère reprise, la Maçonnerie a déjà de l’influence et en France et surtout on refuse de prendre le risque d’une autre crise janséniste…
La Franc-maçonnerie en France : une vision d’ensemble
La Maçonnerie est arrivée en France probablement par le biais des Jacobites, les partisans de Jacques II d’Angleterre. La légende va même jusqu’à parler d’une Loge en France dès 1688 : « la Parfaite Egalité » à St Germain-en-Laye. Les premiers Maçons en France sont écossais, anglais, irlandais.
La première Loge officielle date de 1731, c’est celle de Saint Thomas, menée par Charles Radcliffe ; mais dès 1737, le lieutenant de police Hérault s’intéresse aux pratiques secrètes des Maçons et apparaissent les premières tensions avec le cardinal de Fleury. La Franc-maçonnerie est moins tolérée en France (où le droit d’association n’existe pas) qu’en Angleterre. Pourtant, la pression est relative à cause des leçons de la crise janséniste et Fleury ne pousse pas les Parlements à imposer la bulle In Eminenti. Et, surtout, les Loges sont fréquentées autant par les protestants, les juifs que les catholiques…
De 1744 à 1751, la Franc-maçonnerie devient une « affaire publique », son existence est connue même si ses pratiques restent toujours secrètes, et se développe une littérature et des chansons sur le sujet, très souvent moqueuses. En 1771, Louis Philippe d’Orléans (1747-1793), futur Philippe Egalité, devient Grand Maître ; en 1773 est fondé le Grand Orient de France pour tenter de résoudre les premières dissensions qui apparaissent au sein de la Maçonnerie française.
Celle-ci se développe dans tout le pays dès 1760, même dans des lieux ignorés des Lumières, et en 1787 est présente dans tous les rouages de la société, y compris le clergé. C’est une diffusion « au hasard », même s’il y a une certaine concentration dans les grandes villes et que l’Ouest est quasi déserté. En 1789, il y a cependant beaucoup moins de Loges actives.
La Franc-maçonnerie, des Lumières...
On doit maintenant se demander si Maçonnerie et Lumières ont des idées, des principes en commun. Selon Ramsay, les vertus du franc-maçon seraient entre autres : la philanthropie, l’humanité, le secret, le goût pour les Beaux Arts, savoir vaincre ses passions, étudier les sciences,…On doit aussi respecter autrui et garantir l’égalité au sein de la Loge, en reconnaissant les talents de chacun. La Maçonnerie est influencée par le déisme mais aussi la Révolution américaine, par l’intermédiaire de Benjamin Franklin, qui serait une sorte de lien (et avec lui la Franc-maçonnerie) entre Rousseau et Voltaire.
Justement, les rapports entre la Franc-maçonnerie et les Philosophes sont complexes et ambigus. Montesquieu semble avoir été initié dès 1730, et une légende veut que Ramsay soit à l’origine de l’Encyclopédie. Mais il est avéré que ni Diderot ni d’Alembert n’étaient franc-maçons, et que seul l’éditeur de l’Encyclopédie, Le Breton, l’était. C’est la Loge des Neuf Sœurs qui s’évertue à rassembler Maçons et philosophes ; cette Loge créée en 1776 par Helvétius et Lalande est un vrai lieu de bouillonnement intellectuel et philosophique, fréquenté par la crème des élites française et européenne.
Elle tente de recruter Voltaire, mais celui-ci a toute sa vie une relation paradoxale avec les Frères : dans le Dictionnaire philosophique, il fustige les « grands mystères » et les appellent « les pauvres Franc-maçons » avec un ton souvent ironique et moqueur. Pourtant, il semble avoir été initié à la toute fin de sa vie, peut-être par Franklin voire Lalande ; il est reçu en mars 1778 et admis en avril, alors qu’il décède en mai 1778 ! Le fameux « Eloge de Voltaire », interdit par le Roi, sert d’apothéose au philosophe et permet qu’il soit « récupéré » par la Franc-maçonnerie…
... à l’aube de la Révolution
Le paradoxe autour de la Maçonnerie apparaît chez la Haute aristocratie de la France d’Ancien Régime : en 1789, quarante-huit grands seigneurs sont Maçons dont le duc d’Orléans, le duc de la Rochefoucauld, la famille Noailles, La Fayette, presque tout le corps diplomatique,…bref la crème de la noblesse française ! Elle va jusqu’à « maçonniser » l’armée par le biais des Loges militaires et contribue certainement à l’affaiblissement du pouvoir royal en son sein. Le problème est que cette présence tranche avec les principes d’égalité et de refus des privilèges que véhicule la Maçonnerie ! Se pose la question de la loyauté au pouvoir royal, qui divise les Maçons et qui est illustrée par la tentative de Ramsay de se rapprocher de Fleury pour monter un projet aristocratique respectueux de la monarchie et de la religion.
Le pouvoir royal est tout de même contesté par des Franc-maçons, et pas des moindres. On peut prendre pour exemple l’influence de Franklin qui relaie en France l’affaire de la Société de Cincinnatus (volonté de créer en Amérique une noblesse héréditaire et militaire), en 1784, par Mirabeau avec le pamphlet « Considérations sur l’ordre de Cincinnatus » qui attaque le principe de la noblesse héréditaire, socle du pouvoir royal d’Ancien Régime !
Les idées libérales, parlementaires, déistes et la défense de l’égalité sont par essence opposées à la Société des Ordres. La Franc-maçonnerie véhicule des règles et des principes parallèles et concurrents à la royauté et veut amener à une société horizontale et pas verticale. Il ne faut pas non plus idéaliser le concept maçonnique : une partie est fidèle au Roi, et l’égalité est appliquée au sein d’une Loge mais pas entre les Loges (il y a des Loges de riches et des Loges de pauvres). La Franc-maçonnerie est donc née en Angleterre, d’inspiration trouble mais qu’on peut qualifier de déiste ; elle arrive en France à la moitié du siècle et devient rapidement populaire, en particulier chez une partie de la Haute noblesse et des milieux philosophiques et scientifiques.
Elle sert à socialiser les pensées et devient une « contre-société » sans le vouloir. Elle contribue à échanger et à faire circuler les idées nouvelles comme le progrès, la liberté, l’égalité, la tolérance, à « socialiser les Lumières ». Mais on ne peut pas parler d’un complot conscient pour influencer la Révolution ; elle se tient même en retrait politiquement lors des événements de 1789, et est même très divisée à ce moment : Joseph de Maistre sera contre-révolutionnaire, Philippe Egalité guillotiné.
Les obédiences maçonniques en France
Comme dans le reste de l’Europe, la franc-maçonnerie s’implante en France, vers 1725, sous l’impulsion d’aristocrates anglais. En 1735, s’organise la première obédience française, la Grande Loge de France, qui se dote en 1738 d’un Grand Maître, le duc d’Antin. De nombreux membres, ou frères, cherchent à démocratiser l’institution en instaurant une élection des représentants. Cette scission engendre, en 1773, la création d’une obédience rivale — le Grand Orient de France (GODF) — présidée par le duc de Chartres, futur Philippe Égalité. Au XIXe siècle, les deux grandes obédiences sont le Grand Orient et le Suprême Conseil du Rite écossais ancien et accepté, créé en 1804.
En 1913, une franc-maçonnerie régulière se constitue sous le nom de «Grande Loge nationale indépendante et régulière» puis, à partir de 1948, sous celui de «Grande Loge nationale française (GLNF)»; elle est, en France, la seule obédience reconnue de la Grande Loge d’Angleterre.
Organisation, rites et principes
Le concept de hiérarchie n’existe pas en maçonnerie. Les maçons optent pour l’égalité absolue entre frères, et les différentes structures ne servent qu’à une coordination de la pensée maçonnique. Certes, pour la gestion administrative, il existe des fonctions à différents niveaux : un vénérable préside chaque loge, assisté d’un collège d’officiers (orateur, surveillants, secrétaire, trésorier, etc.).
L’obédience, présidée par un grand maître, n’est en définitive qu’une fédération de loges, cellules de base en franc-maçonnerie qui réunissent les frères des trois premiers grades (apprentis, compagnons et maîtres). Cette franc-maçonnerie est communément appelée maçonnerie bleue. Il existe aussi des ateliers de perfectionnement qui sont réservés aux hauts grades, différents selon les rites, et nettement plus empreints d’ésotérisme.
Des symboles servent à la préparation des travaux de réflexion et comme signe de reconnaissance entre ses membres, la maçonnerie restant une société secrète ou discrète selon les périodes. Les outils des constructeurs de cathédrales (équerre, compas, niveau, truelle, etc.) constituent le premier support auquel viennent s’ajouter les formes (triangle, étoile), les nombres (trois, cinq, sept) et les lettres. Des objets sont aussi utilisés pour une reconnaissance interne : des vêtements tels que les tabliers graduels ou des objets comme le maillet, symbole d’autorité, utilisé lors de l’ouverture et de la fermeture des travaux.
Les obligations des franc-maçons
La maçonnerie est, avant tout, une société qui vise à enseigner une philosophie morale à ses membres. En cela, malgré l’observance du secret, le franc-maçon doit subordonner ses obligations fraternelles à ses devoirs envers Dieu (pour les maçonneries se référant au Grand Architecte de l’Univers), à son pays, à sa famille et à l’humanité.
Dans la plupart des pays, le caractère charitable et le principe de fraternité se traduisent par la création de foyers maçonniques pour les maçons âgés ou pour leurs veuves, ainsi que des orphelinats et écoles pour les enfants des membres de l’ordre. Cette fraternité diffère toutefois radicalement d’autres sociétés de bienfaisance privées, car l’aide ou la charité entre membres reste purement volontaire : aucun contrat ou autre forme d’accord ne stipule l’obligation de soutenir financièrement et matériellement un frère dans la détresse. La franc-maçonnerie s’investit aussi dans des causes humanitaires et n’hésite pas à collecter des fonds à l’occasion de grandes catastrophes, comme celle de la mine de Courrières, en 1906.
Mais le travail véritable en loge est une réflexion progressiste, tant pour le maçon lui-même que pour la société dans laquelle il évolue. C’est ainsi que les maçons français ont œuvré, entre autres, pour la laïcisation de l’enseignement, la séparation de l’Église et de l’État (sous le ministère d’Émile Combes), l’extension du vote aux femmes ou l’interruption volontaire de grossesse.
Influence de la franc-maçonnerie en France
L’influence de la franc-maçonnerie s’étend considérablement après la Révolution française : bourgeoise et libérale, elle s’accommode de la succession des régimes. Son rôle politique s’accroît sous la IIIe République, et les francs-maçons œuvrent grandement à l’affermissement du régime républicain : l’évocation des noms d’Émile Littré et de Jules Ferry suffit à démontrer les liens établis entre républicains et francs-maçons, notamment dans le combat que représente la laïcité. D’ailleurs, n’a-t-on pas parlé de la maçonnerie de cette période comme de la «République à couvert»?
La franc-maçonnerie moderne s’est fortement éloignée des passions politiques pour se préoccuper de son action citoyenne et humanitaire : elle se manifeste par diverses prises de position publiques sur des questions de société ou d’éthique comme l’Appel à la fraternité lancé en 1985 avec des associations humanitaires et des représentants de diverses religions, revendiquant le droit à la justice, à la liberté et à l’égalité pour les immigrés. Régulièrement suspectée de favoritisme, de conflits d’intérêts et de pratiques douteuses, la franc-maçonnerie est devenue un vaste réseau social, oscillant entre humanisme et affairisme.
Bibliographie
- La Saga des francs maçons de Frédéric Lenoir. Robert Laffont, 2009.
- Alain Bauer et Edouard Boeglin, Le Grand-Orient de France, PUF, coll. « Que sais-je? », 2006
- Roger Dachez, Histoire de la Franc-maçonnerie Française, PUF, coll. « Que sais-je? », 2009
- Collectif, Encyclopédie de la franc-maçonnerie, Le Livre de Poche, 2008