Charles VI et les Grands
Le roi Charles VI succède à son père Charles V en 1380. Ce dernier a connu des succès importants face aux Anglais, et il a renforcé le pouvoir royal. Son successeur ne peut cependant pas profiter réellement de la situation : à son arrivée sur le trône il est jeune et le pouvoir est exercé par Jean de Berry et Philippe le Hardi, duc de Bourgogne. Mais les autres Grands du royaume, dont le duc d’Anjou, réclament leur part.
La rivalité entre armagnacs et bourguignons
La folie de Charles VI ramène Philippe le Hardi au gouvernement, qu’il contrôle bientôt entièrement. Le duc de Bourgogne en profite alors pour négocier des trêves avec une Angleterre elle-aussi divisée après les luttes entre Richard II et Henri de Lancastre. Il contracte également des alliances avec l’Autriche, la Bavière et le Luxembourg. Enfin, il finance une croisade menée par son fils Jean pour venir en aide aux Hongrois menacés par les Ottomans dans les Balkans. C’est un échec suite au désastre de Nicopolis en septembre 1396, Jean est fait prisonnier. A partir des années 1400-1402, le duc de Bourgogne trouve face à lui un nouveau rival, Louis, duc d’Orléans et frère du roi. La tension ne cesse de monter, sans toutefois atteindre une grande violence, à l’exception de quelques échauffourées.
La situation change avec l’arrivée au pouvoir en Bourgogne du fils de Philippe le Hardi, Jean sans Peur. Celui-ci, libéré des geôles turques en 1398, succède à son père en 1404. L’année suivante, il hérite de sa mère les comtés de Flandre et d’Artois. Jean prête certes hommage à Charles VI, mais il s’oppose rapidement à Louis d’Orléans, qui a succédé à Philippe le Hardi auprès du roi fou. Réduit à sa principauté, coupé de son commerce avec les Anglais, Jean sans Peur décide de régler le problème par la violence.
23 novembre 1407 : l’assassinat du duc d’Orléans
Le duc de Bourgogne ordonne l’assassinat de son rival. Louis d’Orléans, qui doit venir rencontrer la reine Isabeau, est attiré dans un piège rue Vieille-du-Temple, et son escorte se révèle incapable d’arrêter la quinzaine de tueurs qui les attaquent. Jean sans Peur n’est pas sûr du soutien de la population parisienne et, dans un premier temps, il fuit la capitale. Cependant, il revient dès le début de 1408, et fait même valider son meurtre par le théologien Jean Petit. Il s’installe à l’hôtel de Bourgogne, fortifié en 1409, avec entre autres la tour qui porte aujourd’hui son nom. Le soutien de Paris et l’acte de tyrannicide de Jean Petit lui permettent d’avouer son crime au roi, qui finit par le soutenir.
L’assassinat du duc de Bourgogne Jean sans Peur le 10 septembre 1419 a déclenché la guerre civile en France, entre Armagnacs et Bourguignons. Quatre ans auparavant, le roi d’Angleterre Henri V a débarqué et infligé une sévère défaite aux Français à la bataille d’Azincourt. Le conflit qui déchire le royaume tombe bien mal, alors que la Guerre de Cent Ans a repris de la pire des façons. Ses racines sont profondes, et ses conséquences décisives.
Armagnacs et Bourguignons, deux partis que tout oppose
La guerre civile qui éclate vraiment avec l’assassinat de Jean sans Peur a des ramifications anciennes.
Depuis Philippe le Hardi (à ne pas confondre avec le roi du même nom) et le mariage de ce dernier avec Marguerite de Flandre, le duché de Bourgogne est agrandi de la Flandre, de l’Artois, de la Franche-Comté et du comté de Nevers, puis du Charolais en 1390 ; tous ces territoires ayant été réunis sous l’autorité de Jean sans Peur à la mort de sa mère. Ce dernier a ensuite conquis d’autres régions, comme l’Auxerrois ou « les Villes de la Somme » (Amiens, Corbie, Doullens, Saint-Quentin). De plus, le duché exerce une influence sur des territoires proches, comme le Hainaut, le comté de Hollande ou le duché de Brabant. En revanche, le territoire bourguignon n’est pas homogène, et l’action de Louis d’Orléans menaçant de séparer définitivement les deux parties principales du duché explique en partie la décision de Jean sans Peur.
La rivalité entre Armagnacs et Bourguignons est aussi à chercher dans les influences sur certaines clientèles aristocratiques. Si les Bourguignons sont plutôt proches des nobles du Nord et de la bourgeoisie marchande, les Armagnacs le sont des nobles du Centre et du Sud et des milieux financiers. Là encore, le duc d’Orléans tente de nouer des relations au cœur des zones d’influence bourguignonne, ou de celles qu’ils visent, comme dans l’Empire. Cette division et cette concurrence entre clientèles se voit jusque dans l’entourage du roi Charles VI, les partisans des Bourguignons se distinguant par certains symboles (croix de saint André, rabot,…), les Armagnacs par d’autres (un bâton noueux avec la devise « Je l’ennuie »).
A cela, il faut ajouter l’influence sur l’opinion publique, elle aussi divisée, et qui choisit le camp des uns ou des autres, comme Paris qui prête serment à Jean sans Peur. « Bourguignon » ou « Armagnac » deviennent des injures, apparaît une propagande faite de rumeurs et d’accusations de sorcellerie.
L’opposition est également politique et même religieuse. Les Bourguignons ne soutiennent pas le pape d’Avignon, au contraire des Armagnacs. Mais c’est surtout face aux Anglais que se voient les plus grandes divergences : le duc de Bourgogne, en raison de sa place stratégique en Flandre, préfère négocier avec eux, alors que le duc d’Orléans est bien plus offensif à leur encontre. Enfin, leur conception de l’Etat diffère, chacune défendue par des théoriciens (Christine de Pizan par exemple, pour les Armagnacs) : si pour les Bourguignons le modèle est plutôt à trouver du côté de Saint Louis, certes idéalisé, les Armagnacs développent un programme moins populaire, avec une fiscalité importante et une justice radicale ; c’est l’Etat fort, inspiré par l’expérience des Marmousets, et un pouvoir royal plus fort face aux féodaux. Le parti armagnac est donc celui du roi.
L’épisode cabochien
On doit, sur ce dernier point, citer l’exemple de « l’épisode cabochien » : en 1413, sur l’insistance de Jean sans Peur, le roi réunit à Paris les états généraux de Languedoïl. La ville est sous tension, mais en faveur des Bourguignons, et des « milices » menées par un boucher, Caboche, parcourent les rues et menacent d’une révolte générale. C’est dans cette ambiance qu’une ordonnance de réforme, de forte influence bourguignonne et appelée « cabochienne », est promulguée fin mai 1413. Cela ne calme pourtant pas la révolte : les Bourguignons sont dépassés, et certains des soutiens de la réforme, spécialement parmi les universitaires, passent aux Armagnacs. Le mouvement cabochien est un échec et ses principaux responsables décapités ; les Bourguignons doivent quitter un temps Paris.
Cet « épisode cabochien » est symptomatique des luttes entre les deux partis alors que Jean sans Peur est encore vivant. Son assassinat change-t-il les choses ?
Philippe le Bon succède à Jean sans Peur
C’est dans ce contexte que se déroule l’entrevue de Montereau en 1419, au cours de laquelle Jean sans Peur est tué dans des conditions suspectes, en présence du dauphin. Le duc de Bourgogne est assassiné au moment même où, s’inquiétant du danger anglais, il tentait de se rapprocher du Dauphin. Cela a pour conséquence de jeter la Bourgogne dans le camp ennemi de la France.
C’est le fils de Jean sans Peur, Philippe, qui lui succède. Il est né à Dijon en 1396 et est le seul fils du duc et de Marguerite de Bavière. Comte de Charolais, il commence son action politique à partir de 1411, puis combat avec son père en Flandre en 1414. Philippe est justement en Flandre quand son père est assassiné à Montereau. Il devint alors duc de Bourgogne et continue la politique de Jean, tout en s’alliant aux Anglais. La France voit alors sa guerre civile entrer dans une nouvelle phase, bien plus dangereuse à cause de la présence anglaise suite à Azincourt. Des Anglais bien décidés à jouer des divisions pour récupérer la couronne de France.
Le traité de Troyes (21 mai 1420)
L’influence anglaise, profitant des divisions entre Bourguignons et Armagnacs et de la folie de Charles VI, s’est déjà manifestée depuis les années 1413-1415 et l’avènement d’Henri V. L’assassinat de Jean sans Peur et le « ralliement » de Philippe le Bon accélèrent les choses. Le roi d’Angleterre est en position de force, capable d’imposer ses exigences, y compris à ses nouveaux alliés bourguignons. A partir de mars 1420, Philippe le Bon et Isabeau de Bavière travaillent sur un traité, et ils sont rejoints en mai par Henri V, qui affiche ostensiblement sa satisfaction. Le 21 mai, le traité de Troyes stipule que Charles VI fait d’Henri V son héritier à la couronne de France, en le mariant à sa fille Catherine de Valois ; le dauphin Charles est déchu de tous ses droits. A la mort de Charles VI, c’est donc Henri V, roi d’Angleterre, qui sera roi de France…
La résistance des Armagnacs
Evidemment, le parti du dauphin n’accepte pas ce traité. Les Anglais et leurs alliés bourguignons tentent de le faire appliquer durant les années 1420-1422. Les Armagnacs, avec le dauphin réfugié à Bourges, contrôlent une bonne partie du territoire français et disposent de ressources importantes ; Henri V doit donc s’activer, même s’il a été reconnu légitime jusqu’à Paris. Il prend Montereau (où Jean sans Peur a été assassiné) en juin 1420, puis assiège Melun pendant plusieurs mois (elle capitule en novembre).
Son attitude commence à agacer jusqu’à ses alliés bourguignons, et il lui devient presque impossible d’appliquer le traité de Troyes. De plus, même au sein de ses terres françaises, en Normandie par exemple, on critique sa façon de mener la guerre, et surtout ses taxes pour le faire. Henri V ne change pas pour autant de politique et de méthode, et fait le siège de Meaux en mai 1422…
La mort des rois, et la fin de la guerre civile
C’est durant le siège de Meaux que le roi d’Angleterre contracte la dysenterie. La ville capitule, mais Henri V est affaibli physiquement. L’été qui arrive, caniculaire, finit par l’achever : il meurt au château de Vincennes le 31 août. Son fils de neuf mois, Henri VI, est proclamé roi d’Angleterre, pas encore roi de France. La situation se complique un peu plus quand, le 21 octobre 1422, le roi Charles VI meurt à son tour. Philippe le Bon pense alors, en tant qu’allié, pouvoir se poser en régent ; mais devant la pression anglaise, c’est le duc de Bedford qui assume cette charge, pendant que le petit Henri VI est proclamé roi de France. Quelques jours plus tard, Charles VII se fait à son tour proclamer roi de France : la Guerre de Cent Ans reprend de plus belle.
Les années suivantes sont indécises : les Anglais tentent de garder le duc de Bourgogne comme allié ; pour cela, le duc de Bedford épouse la soeur de Philippe le Bon, puis avec lui se rapproche de Jean V de Bretagne, au traité d’Amiens (1423). Le duc de Bourgogne veut en fait profiter de son alliance avec l’Angleterre pour étendre ses possessions dans le Nord, comme le Hainaut ou le comté de Namur. Mais il se heurte à ses alliés dans ces régions, et les crises se multiplient entre Anglais et Bourguignons jusqu’aux débuts des années 1430. L’alliance a fait long feu…
La guerre continue mais, du côté bourguignon, un « parti de la paix » se développe autour de Nicolas Rolin, chancelier de Philippe le Bon. Le rapprochement avec le parti de Charles VII peut alors commencer, le traité de Troyes est même jugé caduc. Cela débouche à la signature du traité d’Arras, le 20 septembre 1435. Les conditions de cette paix sont sujettes à débat (Philippe le Bon a-t-il été dupé ?), mais les conséquences sont claires : la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons est terminée. Charles VII peut continuer à combattre les Anglais, pendant que le duc de Bourgogne se tourne vers le Nord. Pourtant, la situation reste confuse encore de nombreuses années, au moins jusqu’à la victoire contre les Anglais en 1453.
Et la défiance entre le roi de France et la Bourgogne va reprendre de plus belle avec la lutte entre Louis XI et Charles le Téméraire, tous les deux fils turbulents de Charles VII et Philippe le Bon…
Bibliographie non exhaustive
- G. Minois, La guerre de Cent Ans, Tempus, 2010.
- J. Favier, La guerre de Cent Ans, Fayard, 2005.
- C. Gauvard, La France au Moyen Âge du Ve au XVe siècle, PUF, 2005.
- B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons. La maudite guerre, Perrin, 1988.