Le petit Monsieur, duc d'Anjou
Philippe d’Orléans, frère unique de Louis XIV, nait le 21 septembre 1640, à vingt deux heures au château de Saint Germain, accompagné du canon et d’un Te Deum à Notre Dame. Louis XIII est particulièrement heureux, d’autant que son premier enfant Louis hurle chaque fois qu’ils se voient. Philippe profite peu de son père qui meurt en 1643, il a trente deux mois alors et devient le Petit Monsieur.
Sa mère l’appelle souvent « ma petite fille » et reste à ses côtés lors de sa première rougeole et sa première dysenterie, mais doit intervenir lors des fréquentes disputes des deux frères, comme le raconte dans ses Mémoires le valet de chambre de la reine «le roi voulut que Monsieur couchât dans sa chambre, qui était si petite qu’il n’y avait que le passage d’une personne. Le matin, lorsqu’ils furent réveillés, le roi sans y penser cracha aussitôt sur le lit de Monsieur ; qui cracha tout exprès sur le lit du roi, qui, un peu en colère, lui cracha au nez ; Monsieur sauta sur le lit du roi et pissa dessus ; le roi en fit autant sur le lit de Monsieur. Comme ils n’avaient plus de quoi ni cracher ni pisser, ils se mirent à tirer les draps l’un de l’autre dans la place et peu après, ils se mirent à se battre ».
Malgré la Fronde, l’éducation de Philippe se poursuit grâce à Hardouin de Beaumont, au comte Duplessis-Praslin, à Millet de Jeure, avec littérature, latin, calcul, sciences, leçons de maintien, équitation et escrime.
En septembre 1648, Louis devient officiellement majeur et roi. Lors de la cérémonie en septembre 1651, Philippe se rend compte que désormais ce frère avec qui il jouait, avec qui il avait passé de durs mois sur les routes de France, est le Maître. Il le ressent aussi le jour du sacre en juin 1654, lorsqu’il reçoit de ses mains l’ordre de Saint Esprit et encore plus lors des premières guerres auxquelles il ne peut participer, selon la volonté du Roi. Il se rattrapera en 1656 au siège de Montmédy et sous la responsabilité du maréchal Duplessis-Praslin, il fait ses preuves, avec courage et vaillance.
Quand son oncle Gaston disparaît en février 1660, Philippe s’imagine portant le titre de Duc d’Orléans et héritant de tout l’apanage : le duché d’Orléans et de Chartres regroupant mille neuf cent soixante douze paroisses, vingt huit abbayes, deux cent prieurés ; le comté de Blois sur cinquante lieues d’est en ouest et quarante du nord au sud ; Chambord. Mais le duc d’Anjou prend le nom de Monsieur lors de son mariage en 1661 avec Henriette d’Angleterre, devient duc d’Orléans et de Chartres, récupère le duché de Valois, la seigneurie de Montargis, puis Sèvres, Nemours, Dourdan, Romorantin et le château de Villers-Cotterêts.
Philippe, duc d'Orléans
Henriette d’Angleterre, appelée « les os des Saints Innocents » par Louis XIV, la « princesse la plus aimable du monde » éprise de culture, s’adaptant très facilement à la Cour, devenue gracieuse, souriante et sûre d’elle, épouse donc Philippe par un contrat signé le 30 mars 1661. Les fiançailles ont lieu le soir même et le mariage religieux le lendemain, dans la chapelle du Palais Royal qui sera leur résidence.
De retour à Paris pour la naissance de leur première fille en mars 1662, malgré les intrigues et les complots (affaire Vardès), ils font « bonne figure » en janvier 1663 lors de la première représentation de « l’Ecole des Femmes » de Molière. Monsieur reste extrêmement jaloux et inquiet, l’atmosphère est tendue, mais chacun fait un effort pour tolérer les caprices de l’autre. Pour garder son épouse, il accomplit son devoir et Madame se retrouve enceinte chaque année. Un peu tranquillisé de ce côté, et plus maître de ses émotions que son frère, il passe ses journées auprès de sa mère malade, qui en profite pour réconcilier les deux frères. Il l’assiste jusqu’à son dernier souffle, tandis que Louis s’évanouit…Nous sommes le 20 janvier 1666.
La vie doit continuer, malgré la guerre avec l’Angleterre, malgré l’apparition du chevalier de Lorraine (qui restera dans l’entourage du duc d’Orléans pendant plus de trente ans et qui mènera Monsieur « le bâton haut »), malgré les rumeurs et complots entre les favoris (Lorraine, Guiche). Son fidèle ami de Cosnac lui inculque sa philosophie « plaire au roi, ne jamais le décevoir, anticiper ses désirs, prudence et sagesse, faire fi des ragots de cour, se protéger des ministres, leur assurer une solide amitié ». Toujours présent, il l’aide aussi lors des démêlés avec le chevalier, pour une histoire de lettres compromettantes impliquant Madame, jusqu’au jour où il est démit de ses fonctions…le duc d’Orléans se retrouve seul, triste, extrêmement jaloux comme l’était son père Louis XIII. Sans compter la mort du petit duc de Valois en décembre 1666, il avait juste deux ans.
Monsieur mène grand train
Monsieur s’occupe de récupérer la pension annuelle versée par le roi à son neveu car leur Maison est bien grande : mille cent personnes, huit cent mille livres de gages par an, trois cent mille livres annuels pour les frais de bouche…la collection de tableaux hollandais, de pierreries, de tapisseries, l’agrandissement et l’embellissement de son domaine de Saint Cloud, sans oublier les gratifications à ses favoris…En manque d’argent, il n’a qu’une solution : obtenir la gloire à la guerre ! La guerre de Dévolution tombe à pic, il accompagne le roi, se montre brave, dévoué en aidant ses soldats, vaillant, intrépide même ; le roi reconnaissant, l’intègre au Conseil de Guerre et à celui des Dépêches en admettant même le retour du chevalier de Lorraine, détaché auprès du maréchal d’Aumont. Et Philippe, tout heureux, combat moins, néglige ses responsabilités, s’enferme sous sa tente avec le chevalier, se promettant fidélité et exclusivité !
Les d’Orléans rentrent finalement à Paris, Lorraine quitte sa prison, mais est invité à partir à l’étranger (il passera du bon temps auprès d’une Mancini à Rome). D’une tristesse affligeante, Monsieur poursuit Madame afin qu’elle intercède auprès du roi ; les scènes sont régulières et quotidiennes jusqu’au départ d’Henriette chargée d’une mission diplomatique en Angleterre auprès de son frère Charles, en mai 1670. Elle rentre en juin avec un engagement d’alliance entre les deux pays dans le conflit des Provinces Unies, mais elle ne va pas bien « Madame a la mort peinte sur son visage », elle meurt le 30 juin 1670.
On ne parle plus que de poison, Monsieur n’est pas mis en cause, mais ses favoris oui ! Les cérémonies de deuil sont à peine achevées que le roi propose un mariage avec la Grande Mademoiselle…c’est un bon parti (elle est riche et a du caractère) et cela éviterait à Philippe de se servir dans les caisses de l’Etat…Mais Mlle de Montpensier ne veut pas d’un débauché, homosexuel, soumis à ses mignons…Pourtant, il faut le remarier…pour le bien de la France !
Le mariage avec la princesse palatine
Le « bien de la France » se présente sous les traits d’une bavaroise : Elisabeth Charlotte de Bavière, Liselotte de son petit nom. Leur première rencontre en 1671 reste dans la mémoire de tous : Monsieur prononce ces mots « comment pourrais-je coucher avec elle ? » et la deuxième Madame de dire « sans avoir l’air ignoble, Monsieur était petit et rondouillet, avec des cheveux et des sourcils très noirs, de grands yeux de couleur foncée ». Pourtant, c’est un couple uni grâce au comportement de Madame : elle ne s’occupe ni de beauté, ni de mode, ni d’intrigues. Grâce à ce mariage, Monsieur reçoit des biens supplémentaires : le duché de Nemours, le comté de Romorantin et de Dourdan, la seigneurie de Coucy et celle de Folombray, toujours pour rester sous la coupe du roi. Au Palais Royal, il s’occupe de la gestion de son apanage, des questions financières et des affaires religieuses ainsi que de l’étiquette à la Cour qui lui tient très à coeur.
Tout va bien dans ce drôle de couple, Madame accepte même la présence du chevalier de Lorraine, Monsieur reprend ses activités (fêtes, danses, jeu) jusqu’ à la déclaration de la Guerre de Hollande en avril 1672. Il rejoint le roi et peut prouver sa vraie valeur en faisant capituler Orsoy, Rhimberg, Zutphen en quatre jours…mais la gloire revient au roi, bien que son frère soit accueilli avec des festivités en tout genre (concerts, violons, souper, bal, comédie) lorsqu’il rentre à Saint Cloud.
Le duc d’Orléans profite de ces évènements pour faire chambre à part, et reprend sa liberté, ses plaisirs, ses activités…avec ses favoris. Mais lorsque la guerre a lieu au Mont Cassel en 1677, il est prêt, affronte à nouveau l’ennemi, sort vainqueur en faisant six mille prisonniers, et loué par le maréchal de Luxembourg « Monsieur a gagné une des plus complètes batailles qui se soient données de nos jours ». Le peuple est enthousiaste en criant « vive le roi et Monsieur qui a gagné la bataille ». Le roi est mécontent, jaloux, la gloire doit lui revenir…il se lance dans la prise de Gand début 1678, le succès est total, son frère n’est pas là, il n’a pas eu de commandements, il en sera ainsi à l’avenir. Le roi l’a décidé !
De l'ombre au Roi Soleil
Contraint à l’inactivité, Monsieur agrandit, modifie son domaine, fait des acquisitions de terrains, fait creuser des canaux, s’occupe des bois et forêts, afin de donner au domaine la grandeur et le faste qui lui ressemble. Il appelle les artistes travaillant à Versailles et son château est habitable en 1678, bien avant que ne le soit Versailles. La galerie d’Apollon ressemble à la galerie des Glaces, Monsieur décore les murs avec ses quelques sept cent cinquante tableaux, trois cent tapisseries et la centaine de miroirs ; domaine qu’il présente au roi en octobre 1678 !
Peu content, jaloux de cette magnificence et cette grandeur, le roi marie la fille ainée de Monsieur avec le roi d’Espagne, elle s’en ira en pleurs, malheureuse et contrainte. Cette petite « guéguerre » entre les deux frères s’accentue après la disparition de la reine et l’ascension de Madame de Maintenon. Réussissant à influencer le roi dans ses sympathies à l’égard de son frère et sa belle sœur, elle s’en prend ensuite aux favoris…
Ces tracasseries altèrent la santé de Monsieur qui est près de mourir en 1684. D’autres soucis surgissent également : sa fille ainée meurt en février 1689, la cadette est mal mariée avec le duc de Savoie, l’éducation du petit duc de Chartres n’est pas facile (cinq précepteurs se succèdent en dix ans !) jusqu’à ce que Guillaume Dubois apparaisse. Apprenant rapidement, le petit Philippe est reçu à douze ans Chevalier de l’Ordre de Saint-Esprit avec le rang de « Petit Fils de France ». Louis XIV apprécie les deux petits derniers…afin de les marier à ses enfants. Monsieur n’apprécie guère ce procédé, ses enfants sont nés, alors que les autres ne sont que des bâtards !
Pour ennuyer un peu plus son frère, le roi emmène le duc de Chartes, le duc du Maine et le comte de Toulouse à Mons en avril 1691. Chartres est le plus vaillant, le plus combatif, l’envie de batailler, l’envie de vivre pleinement la guerre…mais le roi estime que « Maine doit être mis en valeur au détriment de Chartres qui doit être traité uniquement en simple volontaire ». Finalement, après la bataille de septembre, le roi lui donne un régiment d’infanterie…mais exige le mariage avec sa fille dont la bénédiction a lieu en février 1692.
Le père et le fils, évincés des campagnes militaires, se laissent aller, mènent une vie dissolue, passent leur temps à faire de gros repas et des excès en tout genre…jusqu’à la première attaque de Monsieur en septembre 1699. Ayant eu peur, il va suivre les conseils des médecins mais pour peu de temps.
La mort de Philippe d'Orléans
Une nouvelle altercation entre les deux frères va être à l’origine du dernier malaise de Monsieur : Chartres n’a toujours pas de commandements. Lors de l’entretien entre les deux frères, le ton monte, les paroles désobligeantes fusent. Pour « compenser » sa colère, Monsieur se jette sur la nourriture et la boisson. Lors d’un repas, au moment de servir une liqueur à sa voisine la duchesse de Bouillon, il s’écroule sur l’épaule de son fils. Son frère ne se déplacera que bien plus tard, trop tard. Le 9 juin 1701, Monsieur quitte ce monde, dans son château qu’il aimait tant. Il souhaite reposer à Saint Denis, son cœur au Val de Grace.
Philippe était aimé de tous, la gazette hollandaise écrit « un prince rempli de mérite et de qualités aimables ; affable et bien faisant ; il a fait du bien à une infinité de gens ». Louis organise le service funèbre et règle personnellement toutes les dépenses. Philippe de Chartres devient légataire universel de son père et nouveau Duc d’Orléans. Le roi lui accorde toutes les pensions, toutes les maisons, tous les domestiques, tous les gardes, le chancelier, les régiments de cavalerie et la compagnie des gendarmes dont son père était détenteur. Les enfants et petits-enfants sont durement éprouvés perdant un père et un grand père aimant. Les ambassadeurs sont stupéfaits perdant un allié et un interlocuteur précieux. Versailles, Saint Cloud et le Palais Royal perdent « leurs belles heures, leurs fêtes éblouissantes, tout semble sans vie, sans joie et sans action avec la mort de Monsieur ».
Louis se sent très seul : « le frère de Louis XIV était la seule créature humaine vivant auprès de lui sur un certain plan d’humanité et même de camaraderie ».
Bibliographie
- Le duc d’Orléans de Christian Bouyer. Pygmalion, 2003.
- Mémoires d’Anne Marie de Montpensier.
- Mémoires de Saint Simon – tome 3. NRF, 1984.