La Gaule avant le règne de Clovis
La fin de l'Empire romain d’Occident en 476 a longtemps marqué le début du Moyen Âge dans l’historiographie. Or, on sait aujourd’hui que la transition a été bien plus longue, et les mutations complexes, loin du cliché des « invasions barbares » qui auraient balayé Rome en quelques décennies.
Puis, ce sont les Burgondes qui s’installent autour de Lyon et Genève. Ceux que l’on commence seulement à la fin du siècle à appeler « Francs » (en particulier les futurs « Saliens »), quant à eux, traversent le Rhin et apparaissent en Gaule un peu plus tardivement, malgré la prise éphémère de Cambrai par le roi Clodion ; ils sont ainsi repoussés par le maître de la milice Aetius et le futur empereur Majorien en 448. Cela permet tout de même de faire un peu connaissance avec les Francs, leur roi Clodion donc, son fils Mérovée et le fils de ce dernier Childéric Ier. Toutefois, il semblerait qu’il y ait eu bien d’autres rois francs et qu’aucun d’entre eux n’ait réussi à unifier les différents peuples francs, jusqu’à Clovis. Cela les empêche longtemps de progresser vers le Sud.
Il faut insister sur le fait que ces peuples finissent par s’installer durablement, et que leurs rapports avec les Gallo-romains sont loin d’être mauvais. De plus, leurs chefs signent des traités avec Rome, ou avec les généraux romains locaux, de plus en plus indépendants du pouvoir central impérial. Tous, Gallo-romains et Barbares "fédérés", défendent la Gaule contre la menace des Huns d’Attila, défaits en 451 aux Champs Catalauniques.
Vingt-cinq plus tard, la chute de Romulus Augustule n’a finalement que peu de conséquences directes sur la Gaule. Elle est alors divisée entre, au Sud, le puissant royaume Wisigoth qui s’étend de l’Espagne jusqu’à la Loire ; à l’Est, le long du Rhône, les Burgondes ; tout au Nord, de chaque côté de la Meuse, Francs saliens et Francs rhénans. Enfin, coincé au milieu, entre la Loire et Soissons, une « royauté romaine » menée par Syagrius. C’est ce dernier que Clovis va affronter.
Les premières conquêtes de Clovis
Clovis est le fils de Childéric et d’une princesse thuringienne, Basina. Quand il succède à son père en 482 (ou 481), le roi des francs saliens doit s’affirmer comme tout chef barbare face à ses rivaux. Le meilleur moyen est évidemment la conquête. Il n’est pas gêné par les Rhénans, trop occupés avec les Alamans, mais en revanche on ne sait pas vraiment comment le roi franc écarte les autres, en particulier les puissants Saliens établis près de Cambrai. Clovis parvient en tout cas à s’organiser pour attaquer la vallée de la Somme assez rapidement après son avènement.
Syagrius descend d’une illustre famille de Gaule. Vers 480, son royaume comprend les pays entre la Loire et la Somme, et englobe la ville de Soissons. Il est fortement romanisé, ce qui gêne Clovis qui souhaite le supprimer. Appuyé par les Romains, Syagrius lève quelques troupes afin de repousser les Francs saliens. Mais Clovis défait Syagrius à Soissons vers 486, et le chef romain doit se réfugier auprès des Wisigoths d’Alaric II (qui le livre au Franc peu après). C’est lors du fameux épisode du « vase de Soissons » que Clovis affirme son autorité, mais aussi annonce son futur rapprochement avec l’Eglise gauloise.
L'épisode du vase de Soissons
Après sa victoire à Soissons, Clovis ne peut empêcher ses troupes de piller les alentours et les églises. Le butin est rassemblé avant d’être distribué à l’ensemble des guerriers. Le partage doit être égal, chacun recevant la même chose, qu’il soit chef ou simple soldat. Chacune des parts est tirée au sort, y compris celle du roi. Une délégation de l’évêque de Soissons vient demander la récupération d’un magnifique vase d’argent, provenant d’une des églises dévastées. Cet objet s’avère lourd et d’une grande beauté. Clovis aurait espéré l’obtenir mais n’y parvient pas. Le partage ne lui ayant pas attribué le vase, Clovis le demande au soldat qui l’a reçu. Celui-ci refuse et frappe le vase avec sa hache.
Cet événement présente Clovis comme un homme rancunier, furieux d’avoir été humilié lors du partage à Soissons. Cependant, son statut de chef de guerre est mis en avant par la revue des troupes. La tenue des soldats est importante pour les Francs, mais aussi pour les Romains, c’est pourquoi les troupes sont revues une fois par an. De plus, sur base des règles romaines de son armée, Clovis a droit de vie et de mort sur ses hommes. Il doit éliminer les guerriers indisciplinés afin que les autres lui soient entièrement dévoués.
C’est donc à tort qu’on prête à Clovis une image de roi omnipotent car même quand il exerce sa vengeance, il respecte la discipline militaire. Cette histoire montre aussi les relations entre Clovis et le clergé. Le soin que prend Clovis à remettre le vase à la délégation et son mécontentement face aux pillages exercés sur les églises expriment son besoin de s’assurer les bonnes grâces de l’Église.
Clovis, diplomate et guerrier
Clovis entame une grande politique d’alliance avec les puissances de la région, en particulier l’Ostrogoth Théodoric, auquel il marie sa sœur Audoflède. Il va même plus loin en nouant des liens avec les empereurs romains d’Orient Zénon, puis Anastase, dont il se veut un représentant légitime. C’est à la même époque qu’il épouse en secondes noces Clotilde, nièce du roi des Burgondes.
Vers 500, des querelles dynastiques lui donne l'occasion d'intervenir dans le royaume burgonde voisin. Le roi burgonde Gondebaud a éliminé toute la famille de la reine Clotilde. Vaincu près de Dijon, assiegé à Avignon, il doit se résigner à payer un tribut à Clovis et devient son vassal. Le souverain franc continue ses conquêtes : au tournant du VIe siècle, il écarte les Alamans à la bataille de Tolbiac, et en profite pour soumettre les Francs rhénans.
Puis, il se tourne vers ses grands rivaux du Sud, les Wisigoths ; il doit alors calmer ses ardeurs devant les menaces de Théodoric, récemment allié à Alaric II. Ce n’est que partie remise : en 507, allié avec les Burgondes, il attaque le royaume wisigoth et bat Alaric II à Vouillé. Cette victoire décisive, où son rival trouve la mort, lui permet d’atteindre Toulouse. par la suite, Clovis s'empare de l’Aquitaine. Parallèlement, pour contrer l’expansion du Franc, l’Ostrogoth Théodoric met la main sur la Provence. En 508, Clovis est reconnu officiellement par l’empereur Anastase qui le fait consul, preuve supplémentaire des liens étroits entre les Barbares et l’Empire…
La consolidation du royaume franc
Son territoire s’étant considérablement étendu, Clovis se doit de l’organiser pour mieux le contrôler. Il s’installe à Paris, dont il fait sa capitale (vers 508), en particulier à cause des liens entre sainte Geneviève et son père Childéric. Cela n’empêche pas ce que l’on n’appelle pas encore la cour de rester itinérante bien longtemps après. De façon autoritaire, voire violente, Clovis écarte tous ses rivaux, y compris au sein de sa famille. Il fait excécuter le roi des Francs ripuaires, puis celui de Cambrai, unifiant toutes les tribus franques. Vers la fin de son règne, il contrôle les trois quarts de la Gaule, et seuls échappent à son contrôle la vallée du Rhône et la facade méditéranéenne.
En ce qui concerne les populations, il laisse aux Gallo-romains leur législation tandis que les peuples germaniques présents sur place gardent eux aussi les règles imposées par Rome à leurs alliés en Gaule. Dans la même logique, les Francs, qu’ils soient Saliens ou Rhénans, conservent également la loi salique et leurs traditions.
Le baptême de Clovis et de ses guerriers par l'évêque de Reims Remi un 25 décembre (sans doute postérieur à 500) lui permet de se voir confirmer le soutien des évêques de Gaule. Dans ce domaine, Clovis respecte la tradition impériale, et convoque un concile à Orléans peu avant sa mort. L’empereur, dans la lignée de Constantin, reste celui qui dicte les canons de l’Eglise. En revanche, l’épiscopat franc commence déjà à revendiquer une relative autonomie dans certains domaines.
Les fils de Clovis, premiers « rois des Francs »
La mort de Clovis survient le 27 novembre 511. Le premier "rex francorum", un titre repris par ses successeurs, est enterré dans l'abbaye de Sainte-Geneviève à Paris (sur l'emplacement actuel du lycée Henri-IV). La succession n’est en tout cas pas de tout repos. Sous la pression de Clotilde, qui refuse que Thierry, qui n’est pas son fils, soit le seul successeur de Clovis, l’immense royaume de ce dernier est partagé entre Childebert (l’actuelle Normandie, jusqu’à Paris), Clotaire (le Nord de la Gaule), Clodomir (la vallée de la Loire) et donc Thierry (la région du Rhin). Le sort de l’Aquitaine est plus flou, car sa situation s’est rapidement compliqué après sa conquête.
Cette division n’entame pas pour autant le pouvoir franc sur la Gaule. Au contraire, l’expansion des mérovingiens va continuer…
Bibliographie
- De georges Bordonove, Clovis et les Mérovingiens. Pygmalion, 2009
- Le Baptême de Clovis: 24 décembre 505 ? de Bruno Dumézil. NRF, 2019.
- L'Histoire des rois francs, de Saint Grégoire de Tours. Folio Histoire, 2011.