La jeunesse de Jeanne Poisson, future marquise de Pompadour
Jeanne Antoinette Poisson nait le 29 décembre 1721, tendrement aimée par sa famille. Cette petite fille enjouée, bienveillante et amie de tout le monde, reçoit une excellente éducation au couvent des ursulines de Poissy, qu’elle quitte définitivement à 8 ans, suite à un gros rhume. De cet endroit, elle conserve un surnom « Reinette » signifiant petite reine. Elle grandit entourée de son père homme de confiance des frères Pâris, grands financiers de la Couronne, de sa mère aux mœurs légères et de son oncle Lenormant de Tournehem futur Directeur des Bâtiments du roi. Elevée ainsi, elle va acquérir la ténacité et l’ambition propres au milieu de la haute finance. Ayant le don de plaire et des dons artistiques, son oncle lui procure des maîtres renommés de danse, de chant et de dessin.
Avec un tel bagage et une telle éducation, elle est recherchée dans les salons et endroits mondains : à l’hôtel d’Angervilliers, chez Madame de Tencin ; elle rencontre Fontenelle, Montesquieu et Voltaire, ce qui lui permet d’obtenir une préparation à la vie, des principes moraux, de l’aisance dans ses manières et dans la conversation, une connaissance du monde, une liberté de jugement tout en fréquentant des gens de la cour. Elle s’intéresse à tout : à l’art, aux artistes, aux philosophes, trouve toujours une jolie réplique pleine d’esprit et fait « un tabac » comme actrice dans quelques représentations de théâtre.
En été au château d’Etiolles, elle reçoit du monde, s’adonne au théâtre, chante et joue la comédie devant Crébillon, Louis de Cahusac (parolier de Rameau) et devient rapidement la Reine de ce monde de la bourgeoisie, grâce à sa gaité, ses talents et son bon cœur. Admise à suivre les équipages de chasse de la Cour, elle rencontre parfois le roi… nous sommes en 1744.
A la Cour, beaucoup de personnes parlent d’elle, heureusement elle se fait des amis comme l’abbé de Bernis, le marquis de Valfons, le président Hénault ; elle rencontre aussi le duc de Nivernois, le duc de Duras, M. de Richelieu…bien évidemment Mme de Châteauroux la favorite du moment s’inquiète !
Repensant aux prédictions d’une diseuse de bonne aventure lui promettant l’amour du roi, elle s’est peu à peu forgée à cette idée. La future marquise de Pompadour commence à aimer le roi, sincèrement et sans intérêt : lors de la maladie du roi en 1744, elle en est tout à fait retournée et « prise d’une révolution dont elle pensait mourir ».
Son entourage (Binet lointain cousin de sa mère et Premier valet de chambre du dauphin ; ses proches ; Le Bel Premier valet de chambre du roi, car le roi avait remarqué la demoiselle en 1743 lors des chasses) la pousse à s’approcher du roi afin qu’elle occupe la place laissée libre par la disparition de Mme de Châteauroux.
Les premiers pas de Jeanne à la Cour
Leur premier « entretien galant » a lieu à l’occasion des noces du dauphin et de l’infante d’Espagne en février 1745. Le roi déguisé en if danse avec elle…on murmure partout le nom de Madame Lenormant d’Etiolles…le roi l’installe dans l’ancien appartement de Madame de Mailly. Deux mois plus tard, Louis XV la présente à ses amis intimes (le duc de Boufflers, le duc d’Ayen, le marquis de Meuse) lors d’un souper dans les Cabinets puis part guerroyer en Flandres. Elle a cinq mois pour parfaire son éducation à la Cour et comprendre tous les us et coutumes, aidée par l’abbé de Bernis et le duc de Gontaut, ami intime du roi. Bernis lui apprend les mœurs de la cour, le langage, les façons de faire pour éviter les faux pas et l’aide à mieux connaitre les idées du roi.
En juillet, elle se sépare officiellement de son mari ; le roi est si heureux qu’il lui offre un domaine, elle devient Marquise de Pompadour ; la favorite est déclarée officiellement et on rafraichit l’appartement de Madame de Châteauroux.
Sa présentation à la Cour a lieu en septembre « la fille Poisson, épouse séparée du fermier général Lenormant d’Etiolles fait son entrée officielle dans le sanctuaire de la monarchie, où seuls ont droit de cité les aristocrates capables de prouver, pièces à l’appui, une noblesse remontant à l’an 1400 » ; la vieille princesse de Conti, petite fille du roi Soleil, percluse de dettes accepte d’être sa marraine ; le discours entre la reine et la marquise est « fort long de 12 phrases » ; les courtisans se moquent, le roi est gêné, les médisances vont bon train…mais Louis XV ne quitte plus sa favorite, il l’invite à la chasse, au théâtre et à la comédie ; elle préside aux Petits Soupers, parait au cercle de la Reine ; le duc d’Ayen prend sa défense, le prince de Soubise devient un ami. Jeanne Antoinette tient sa place sans grand effort, de manière naturelle et se conduit sagement. Il n’y a que le dauphin qui lui « batte froid » ne supportant pas les dérives de son père, ne comprenant pas l’acceptation de sa mère !
Pour le roi, c’est un air frais et nouveau qui arrive à la Cour, à l’opposé des dames nobles, bourrées d’orgueil, obsédées par leur rang ; Jeanne Antoinette a de la spontanéité ; malgré tout elle est disciplinée, tenace, prudente, mesurée, respectueuse de la hiérarchie et constante dans ses amitiés ; elle veut surtout redonner confiance au roi qui est toujours dans le doute : Dufort de Cheverny écrit « elle avait le grand art de distraire l’homme du royaume le plus difficile à amuser, qui aimait le particulier par goût, de sorte que dès qu’il pouvait se dérober à la représentation, il descendait chez elle par un escalier et y déposait le caractère de roi ».
Grâce à la marquise, le roi est détendu, apaisé, déchargé des obligations pour un moment. Il peut se reposer sur elle pour les multiples besognes de la vie quotidienne et souhaite une vraie passion sincère.
Les meilleures années de Madame de Pompadour
A partir de 1746, la marquise s’affirme. Elle aspire à la respectabilité et veut s’intégrer. Elle pense à introduire ses connaissances et amis, mais seuls ceux qui en valent la peine comme les frères Pâris et son frère au poste de Directeur des Bâtiments du Roi ; elle écoute et intervient auprès du roi, le pousse à des décisions. Comme le rôle d’une favorite est de satisfaire les exigences charnelles du roi et de le divertir, se sachant d’un tempérament peu fougueux et d’une santé précaire, elle use de toute son intelligence pour le divertir en devenant la directrice et l’ordonnatrice des plaisirs : tous les spectacles de carnaval, les représentations, les ballets passent par elle ; elle organise les soupers des retours de chasse dans ses appartements privés ; elle s’occupe avec tact et réussite du second mariage du dauphin avec la fille du roi de Saxe, des premières négociations jusqu’à la cérémonie et les fêtes y afférant début 1747.
Malgré quelques médisances, Madame de Pompadour est en bon terme avec la reine : la favorite est douce, humble, prévenante, remplie de tout le respect possible, s’inquiétant sincèrement de sa santé, s’excusant de ne pouvoir assister à une œuvre de charité si elle est souffrante. Elle a bon cœur et veut plaire à la Reine, parce que la Reine n’est pas méchante avec elle et qu’elle ne la traite pas mal. Elle pousse le roi à s’occuper et à prévenir les désirs de son épouse comme de refaire son appartement ou de payer ses dettes. Le roi est heureux et plus humain, il plaisante même et l’atmosphère se détend entre les époux ; mais en voulant trop bien faire, la marquise fait des bourdes comme offrir des roses à la reine, chose inconcevable : « un sujet n’offre pas de cadeau à son roi ».
La cour de Versailles lui est hostile pour son rang de bourgeoise, on la hait pour ce qu’elle est et non ce qu’elle fait. M. de Richelieu, premier gentilhomme de la chambre, tente de faire chasser « la maitresse roturière et tyrannique de la cour ». Il est remercié. La famille royale et le parti des dévots se liguent contre elle, le dauphin l’a surnomme « maman putain », et les « poissonnades » apparaissent. Maurepas responsable de la Maison royale, est le premier à faire étaler ses problèmes intimes de santé aux yeux de tous.
Tous les jours des pamphlets, des libelles que la Cour et la rue chantent contre la marquise ; puis ce sont des dessins contre le roi « enchainé par la marquise et fouetté par les étrangers », à tel point que Madame de Pompadour ne mange plus grand-chose, qu’elle a peur du poison, qu’un médecin dort à ses côtés avec du contrepoison. Même si le roi se lasse et n’y croit pas, après réflexions il penche pour Maurepas, l’ennemi juré de la marquise jusqu’à lui demander de démissionner en avril 1749.
La marquise de Pompadour, bienfaitrice pour les arts
Aimant les belles choses, son ambition est d’instaurer le « style français » partout en Europe. Elle soutient les jeunes artistes, et propulse l’artisanat de luxe. Elle transfère la manufacture de porcelaine de Vincennes à Sèvres ; elle convainc le roi d’en devenir le principal actionnaire afin de concurrencer la porcelaine de Saxe ; elle organise des ventes au château pour en faire la promotion. Sèvres et son « rose Pompadour » deviendra la porcelaine la plus réputée d’Europe dès 1760.
Amatrice de théâtre, elle fonde le « théâtre des cabinets », une petite compagnie de comédiens amateurs, mettant en scène une quarantaine de spectacles. Elle s’entoure de favoris et amis, comme les ducs de Nivernois et de Duras, le duc de la Vallière. Aimant les lettres, elle favorise les écrivains comme Malesherbes, Crébillon père, Marmontel, Voltaire qui obtient le fauteuil à l’Académie ; ses goûts et ses amitiés la portent vers un esprit nouveau, ce que le parti des dévots ne supporte pas. Enfin elle favorise la publication des deux premiers volumes de l' encyclopédie de Diderot.
Oui, elle a dépensé, mais en partie pour le roi et l’honneur ; elle n’a jamais rien demandé pour elle, et malgré la somptuosité des châteaux, elle n’a rien à elle, pas de fortune. Le roi d’ailleurs est très pingre, les dons d’argent pour la marquise sont rares, elle ne reçoit des étrennes qu’au début de leur liaison, sa pension de 4000 livres mensuel passant à 3000 pendant les années de guerre ; elle doit jouer ou vendre ses bijoux ou maisons afin d’équilibrer ses recettes et tenir son rang !
Lorsqu’elle revend certaines de ses propriétés, l’argent sert à en acheter une autre ou revient à la Couronne. Dans le domaine des bâtiments, elle ressemble aussi un peu à Mme de Maintenon et son institut de Saint Cyr : Madame de Pompadour fonde l’Ecole royale militaire, qui devra éduquer gratuitement 500 jeunes héritiers de la noblesse destinés au métier des armes.
L’amie sincère devient "Premier Ministre"
La fin de leur relation intime a lieu en 1750, cinq ans seulement après leur première liaison. Elle n’a plus la santé du début, elle se rend compte du peu d’empressement du roi, et malgré les stimulants, d’un commun accord, ils stoppent leur liaison charnelle.
Officiellement en début d’année 1752, la passion se transforme en amitié. La marquise reste à ses côtés, il peut lui parler de tout et de rien, comme à une amie loyale, affectueuse, tendre, une complice de presque tous les instants à laquelle il ne manquera jamais de respect. Toutes les requêtes des uns, les grâces, les nominations, les faveurs des autres passent par elle, le roi lui reconnait un « statut officieux de conseiller et de Premier ministre » comme le mentionne le duc de Croÿ « son crédit ne cesse d’augmenter, les grandes affaires mais même les détails passent par ses mains ; elle savait qu’il fallait qu’elle se rende nécessaire au roi de France par ses intérêts les plus importants pour suppléer au besoin qu’il n’avait plus si fortement de sa personne ».
La marquise fait aussi le maximum pour « rabibocher » la famille royale ; même le dauphin commence à être agréable avec elle ; la reine est fort contente de la marquise. Leurs relations à tous deviennent calmes, sereines et cordiales. On le voit lors de la naissance du petit fils du roi, la marquise s’étant évanouie, la famille royale demande des nouvelles de sa santé !
Mais 1751 est l’année du jubilé et la question religieuse revient régulièrement. Et même si le roi entend les sermons, même s’il ne découche plus de la guerre de Sept Ans et se permet quelques rares soupers à Bellevue, Madame de Pompadour n’est pas en sécurité : si les gens d’église arrivent à convaincre le roi de retourner vers la vie chrétienne, ils seraient capables de le convaincre également de renvoyer purement et simplement la marquise…et de manière publique !
Pour rasséréner la marquise face aux jeunes et belles dames de la cour, le roi offre à sa chère et indispensable amie le tabouret de duchesse lors de la cérémonie du 17 octobre 1752 à 6h15 « très haute et très puissante Dame, duchesse marquise de Pompadour pourra être assise au grand couvert du roi, chez la reine et les enfants de France ; placée sur le même pied que les épouses des ducs et pairs, elle précédera celles des grands officiers de la couronne ». Elle assiste en plus à la toilette, aux audiences et aux cercles, entre en carrosse dans la cour du Louvre ainsi que dans les maisons royales. Le tabouret « la consécration la plus rare dont le roi de France puisse honorer les services d’une sujette et les mérites d’une grande dame » est une réelle distinction.
Les reproches ne cessent pas, les dévots la considèrent comme ennemie, bien qu’elle ne le soit pas. Les enfants du roi font bloc contre elle, elle ne souhaite que leur reconnaissance, elle veut se faire accepter, afin que le roi vive mieux aussi avec ses enfants qui lui « battent souvent froid ». Sur les conseils de Madame de Pompadour, il les fait participer à sa vie, ses loisirs, les emmènent à la chasse, les invitent au spectacle, aux petits soupers. Peine perdue ! Pour « ne pas faire de vagues », elle se met à la religion, va régulièrement aux offices, fait maigre les jours prescrits, s’habille sobrement, multiplie les œuvres de charité, d’autant plus qu’elle vient de perdre sa fille Alexandrine, enlevée en quelques jours en 1754.
La marquise de Pompadour accusée à tort d’erreurs politiques ?
L’attentat de Damiens en 1757 va déclencher une haine manifeste de l’Eglise envers la nouvelle duchesse. Se croyant perdu, le roi se confesse, demande pardon à toute sa famille qui n’est pas capable de l’aider, ni de lui dire les mots qu’il faut pour le rasséréner, la blessure du roi étant surtout morale, « sa santé n’était rien en comparaison du salut de son âme » ; les hommes d’église prennent le pas sur les médecins et le pressent de chasser la marquise, de renoncer aux plaisirs…elle dans son appartement d’en dessous vit dans l’angoisse permanente, jusqu’au rétablissement complet du roi, qui reprend l’escalier pour lui rendre visite. Quelques heures plus tard il remonte l’esprit guéri, avec un regard agréable, le sourire aux lèvres. Le lendemain, ils reprennent leurs habitudes et sont encore plus attachés l’un à l’autre.
D’Argenson toujours opposé à la favorite relance les pamphlets contre elle, jusqu’à les faire lire au roi qui lui demande de démissionner. Encore l’œuvre de la marquise ? Non, le roi ne supporte plus d’Argenson, l’œil du parti dévot, confident de la reine, ami de l’archevêque, adversaire de l’alliance autrichienne, qui au lieu de stopper les libelles les a favorisés.
Accusée de se lancer en politique, elle ne veut qu’aider le roi. Bernis, ministre des affaires étrangères n’est pas à la hauteur et la défaite de Rossbach en 1757 est imputée à la duchesse marquise. Elle a pourtant la main heureuse avec la nomination du comte de Stainville, futur duc de Choiseul qui va assurer sa sécurité et être en parfait accord avec le roi et donc la politique menée. Accusée d’erreurs grossières lors de la guerre de Sept Ans, elle a servi d’intermédiaire heureuse entre Marie Thérèse d’Autriche et le roi de France, d’où un pacte d’alliance est sorti.
Critiquée lorsqu’elle subvient aux besoins charnels du roi, en lui trouvant de petites jeunes filles installées pour certaines au Parc aux Cerfs, Pierre de Nolhac la défend « la solution du Parc-aux-Cerfs était discrète, ignoble et décente, si le roi avait continué à honorer les dames de la cour, cet endroit n’aurait jamais existé ».
Presque à bout de force, attaquée sur tous les fronts, la santé de Mme de Pompadour s’altère beaucoup, ses forces s’amenuisent, minée par la tuberculose. Elle s’éteint à Versailles d'une congestion pulmonaire le 15 avril 1764 dans sa 43è année. Sa dépouille est recouverte d’un drap blanc. Le roi lui adresse un ultime hommage en regardant passer, du haut de sa terrasse, le cortège funèbre composé de 42 domestiques et 72 pauvres portants des flambeaux. Elle est à l’apogée de sa gloire.
Bibliographie
- Madame de Pompadour, par Evelyne Lever. Tempus, 2003.
- Madame de Pompadour, l'amie nécessaire, d' Hortense Dufour. Flammarion, 2015.
- Lettres de Madame de Pompadour: Portrait d'une favorite royale, de Cécile Berly. Perrin, 2014.