La conquête de la Gaule par César
L'implantation romaine en Gaule remonte à la fin du IIe siècle avant notre ère. Celle-ci est alors occupée par une myriade de peuples gaulois réputés belliqueux. Répondant à un appel à l'aide de la colonie grecque de Massalia, les romains l'occupent en -121 et progressent le long de la côte en direction de leur province ibérique et le long de la vallée du Rhône. Ils fondent la colonie de Narbonne, qui deviendra le centre de la nouvelle et très prospère province romaine du même nom. Pour sécuriser cette dernière et pour consolider son pouvoir à Rome, le général romain Jules César entreprend en -58 la conquête de la Gaule dite "chevelue", qui s'étend des Pyrénées à la Manche et au Rhin. Les gaulois, unifiés autour du chef arverne Vercingétorix, sont finalement défaits lors du siège d'Alésia, à l'issue d'une guerre qui aura duré sept ans.
La Gaule se relève lentement de l’épreuve de la guerre et de la conquête romaine ; César oriente alors sa politique dans deux directions : d’une part, il prévoit, en Gaule du Sud surtout, l’installation d’anciens soldats, des vétérans, dans des colonies militaires qui doivent assurer le contrôle du pays et constituer des foyers de romanisation : c’est le cas de Narbonne, de Fréjus, de Béziers, d’Arles et d’Orange ; d’autre part, il s’assure l’appui des notables gaulois. Certains l’avaient aidé pendant la conquête, d’autres l’ont soutenu au cours de la guerre civile qui l’a opposé à Pompée ; il en fait des citoyens romains à qui il donne son nom, Caius Julius. Ainsi se constitue ce qu’on a pu appeler “une noblesse des Julii “, sur laquelle prend appui son successeur, Auguste.
Pax Romana dans la Gaule romaine
L’action du nouvel empereur se manifeste en de nombreux domaines. Il importe tout d’abord de pacifier, ce qui veut dire, en réalité, éteindre par la force les ultimes foyers de résistance qui, sporadiquement, se rallument. L’empereur fait intervenir son gendre Agrippa, qui, en quelques batailles, élimine les opposants, en Aquitaine notamment. A plusieurs reprises, Auguste vient lui-même en Gaule apaiser les troubles, fréquents encore, dans les zones limitrophes.
L’empreinte d’Auguste
Le territoire est divisé en provinces réparties en deux ensembles. D’un côté, l’ancienne province de la Gaule Transalpine, délimitée par les Pyrénées, les Cévennes, les Alpes, la Méditerranée, et dont la vallée du Rhône constitue l’axe médian ; désormais appelée Gaule narbonnaise, elle est placée, comme à l’époque républicaine, sous le contrôle du sénat. De l’autre, l’ensemble des Trois Gaules, formé de trois provinces gouvernées par des légats nommés directement par l’empereur : l’Aquitaine, dont la frontière septentrionale est portée jusqu’à la Loire ; la Lyonnaise, entre Seine, Loire et Marne ; et la Gaule belgique, qui occupe tout le nord du pays. Chacune de ces provinces est divisée en cités.
Mais c’est à l’empereur Auguste que Lyon doit l’importance de son rôle politique. La cité est promue capitale des Trois Gaules. Elle devient le lieu de rassemblement annuel des délégués de toutes les cités gauloises, qui y traitent de l’ensemble des problèmes provinciaux. Ces assemblées, sous une autre forme, préexistaient d’ailleurs à la romanisation.
Ainsi, avec un sens politique remarquable, Auguste investi au profit de sa politique et de celle de Rome, les anciens organes de pouvoir de la Gaule indépendante. Il fait en outre de la ville un pôle centralisateur dont témoigne, de manière magistrale, le réseau routier conçu par Agrippa : de Lyon partent en étoile les grandes voies vers le Nord, le Nord-Est et la frontière rhénane, vers l’Est et les cols alpins, vers le Sud et la Méditerranée, vers l’Ouest et le Massif central. Enfin, Lyon est la capitale du culte officiel rendu à Rome et à Auguste.
Très tôt, le culte impérial s’est mis en place dans le cadre municipal, comme le montre la Maison Carrée de Nîmes ou le temple d’Auguste et de Livie à Vienne. Ce culte renforce le pouvoir de l’empereur en même temps qu’il favorise l’intégration des provinciaux.
L’action d’Auguste se porte aussi sur la Gaule méridionale. L’urbanisation, déjà bien avancée au Ier siècle av. J.-C., s’accélère grâce à des mesures nombreuses : fondations et renforcement des colonies, octroi d’un statut juridique plus favorable (le droit latin), financement de travaux édilitaires : il offre un rempart aux cités de Vienne et de Nîmes et subventionne la construction des théâtres d’Arles, d’Orange et de Vienne.
Résistance et intégration
Pourtant, la Gaule, au cours du Ier siècle apr. J.-C., est secouée par des révoltes dont il n’est pas aisé, faute de sources, de comprendre les finalités. Les premières éclatent sous Tibère en 21, et ébranlent la Pax Romana. Elles sont relatées par Tacite, qui met en évidence une question particulièrement grave, celle des dettes. C’est parce qu’elles sont écrasées par des impôts trop lourds et parce qu’elles sont obligées de s’endetter que les populations de la vallée de la Loire, les Trévires et les Éduens prennent les armes. Leur mécontentement est d’autant plus grand qu’ils bénéficiaient auparavant d’immunités fiscales que l’empereur Tibère, confronté à une grave crise financière, a dû lever. Ces révoltes, dirigées par des nobles gaulois romanisés, éclatent surtout dans le Nord et le Nord-Est ; elles sont fortement réprimées par les légions romaines, venues de la frontière rhénane.
Une autre révolte est fomentée, près de cinquante ans plus tard, en 69-70, dans des conditions très différentes puisqu’elle est due, à l’origine du moins, à la crise qui affecte le régime impérial lui-même, affaibli sous le règne de Néron. Il est possible, toutefois, de repérer au sein de ce mouvement complexe l’expression de sentiments anti-romains nettement affirmés. On sait que des paysans éduens (huit mille, disent les sources) suivent un Celte Boïen, Mariccus, qui, évoquant l’oppression des Romains, se présente comme le « libérateur des Gaules ». L’entreprise est sans suite, puisque, arrêté par les magistrats d’Autun, Mariccus est exécuté. Elle n’en est pas moins significative par l’écho qu’elle a rencontré dans les milieux ruraux. Malgré ces résistances sporadiques, le sentiment dominant est celui d’un attachement à Rome, plus particulièrement dans les classes dirigeantes.
Transformation du paysage rural gaulois
Les auteurs anciens ont tendance à assimiler le développement de la campagne gallo-romaine avec la Pax romana : c’est grâce à la paix établie par les Romains que la Gaule, féconde par nature, peut s’adonner à l’agriculture. La vision est partielle. L’agriculture avait atteint un niveau de développement remarquable bien avant la conquête. Mais il ne cesse de croître à l’époque romaine grâce à une exploitation plus rationnelle du sol, à l’accroissement de la productivité, à une insertion plus intense de la production dans les échanges.
Les Romains exercent leur emprise sur la population rurale de deux manières : d’une part, ils accaparent des terres afin de les attribuer à d’anciens soldats, citoyens romains propriétaires de plein droit dans le cadre des colonies ; d’autre part, ils exigent des provinciaux non citoyens un impôt foncier, le tribut, marque évidente de leur sujétion. Pour mettre en place les colonies, recenser la population et fixer l’assiette fiscale, les Romains entreprennent un vaste quadrillage des terroirs dont certaines formes fossilisées sont encore repérables dans le paysage actuel.
Sur des centaines et des centaines d’hectares, ils ont tracé de grands carrés de 710 mètres de côté, limités par des chemins, des sentiers ou des bornes. Les propriétés, à l’intérieur de ces grands carrés — des centuries —, sont délimitées, identifiées, attribuées ; toutes les informations sont ensuite notées et archivées par des services administratifs spécialisés, comme en témoignent encore les fragments du cadastre de la colonie d’Orange.
La villa gallo-romaine
A l’ancien domaine agricole de la Gaule préromaine se substituent de grands établissements ruraux, les villae, qui se maintiennent en autarcie mais entretiennent aussi des échanges, attestés en particulier par la vaisselle, les bijoux trouvés au cours des fouilles. La villa est une unité de production formée d’un domaine agricole, de la résidence du maître, la villa proprement dite, et de dépendances et ateliers : forge, menuiserie, meunerie, brasserie, atelier de tissage et, pour les domaines du Sud, installation vinicole.
Dans de telles conditions, l’exploitation prend des formes très diversifiées. A côté d’une production vivrière se développe, surtout dans le cadre des villae, une production spéculative qui bénéficie des améliorations techniques mises au point par les Gaulois : araire à soc métallique, araire à roues, moissonneuse, diverses pratiques d’assolement et de fumure. On assiste à un net accroissement de la productivité, qui permet le dégagement d’un surplus commercialisable.
Le Nord se consacre aux céréales (blé, millet, orge) et aux plantes textiles (lin, chanvre), écoulées vers la région rhénane. Le Midi oriente de plus en plus sa production vers l’olivier et surtout la vigne. Cette dernière a pris un grand essor au cours du Ier siècle et se propage jusqu’en Bourgogne et sur les bords de la Moselle. Grâce à des plants bien adaptés, à des procédés de vinification au point, les vins gaulois circulent à l’intérieur du pays et dans le Bassin méditerranéen. Ce développement des campagnes n’est pas sans lien avec l’extraordinaire essor de l’urbanisation.
Les villes, centres politiques et culturels
La mise en place par les Romains de structures municipales s’accompagne d’une expansion considérable de l’urbanisation. L’effort s’est porté surtout sur les Trois Gaules, où la ville était pratiquement inexistante. Les sites retenus sont le plus souvent dans la plaine à proximité des oppidums : c’est le cas de Clermont-Ferrand au pied de Gergovie, comme celui d’Autun à proximité de Bibracte.
Ces centres politiques, avec leurs forums à portiques, comme à Ruscino, leurs temples à colonnades, comme à Nîmes ou à Vienne, ont un caractère à la fois imposant et théâtral auquel paraissent attachées ces petites cités provinciales. À côté de ces centres de la vie publique qui, partout, rappellent l’emprise de Rome, les nombreux bâtiments destinés aux loisirs et à la détente témoignent de l’importance de la vie collective.
Parmi ces édifices, les thermes, les théâtres et les amphithéâtres surprennent toujours par la dimension des installations et l’importance de leur capacité d’accueil : le théâtre d’Autun peut recevoir 38 000 spectateurs ; dans l’amphithéâtre d’Arles, 28.000 personnes peuvent se rassembler, et dans celui de Nîmes 24000. La densité et l’ampleur de ces monuments conçus pour agrémenter la vie urbaine et favoriser les rencontres prouvent qu’ils drainent non seulement la population des villes, tout au plus peuplées de 8000 à 10.000 habitants, mais aussi celle de toute la région avoisinante.
Religions et christianisation de la Gaule romaine
L’univers religieux est, en Gaule romaine, d’une exceptionnelle richesse. Le culte de l’empereur, associé à celui de Rome, n’a, semble-t-il, pas eu d’impact réel sur les Gaulois : croyances et pratiques gauloises se sont maintenues dans de nombreux cas ; les grandes divinités celtiques sont toujours vénérées, les sanctuaires indigènes perdurent. Mais, au contact des Romains, le panthéon s’élargit, l’iconographie s’enrichit et se diversifie, et des syncrétismes originaux se développent. En outre, à partir du Ier siècle, des cultes venus d’Orient, tels le culte de Cybèle, le culte de Mithra et le christianisme, s’installent en Gaule sur les voies de passage, dans les villes, dans les régions frontières. Le développement de ces religions de salut au fort contenu spirituel et affectif révèle la montée des inquiétudes et des angoisses en des temps difficiles.
Commerce et artisanat au temps de la Pax romana
Dans les villes, tous les corps de métiers et toutes les activités artisanales sont représentés. Les traditionnels métiers du bois : menuisiers, charpentiers, tonneliers, sont connus par leurs importantes corporations, organismes d’entraide a caractère religieux ; les métiers du métal on: laissé suffisamment de vestiges : armes, vases bijoux, monnaies, pour porter témoignage de l'habileté des fondeurs, des forgerons, des bronziers. Les métiers de la pierre sont, en revanche, plus récents : les Gaulois n’avaient pas ou peu d'architecture de pierre ; ils se révèlent très vite d’excellents constructeurs : carriers, tailleurs de pierre, maçons s’activent dans les nombreux chantiers ouverts en Gaule.
Mais c’est peut-être dans le travail de la céramique et dans la verrerie que les Gallo-Romains atteignent la plus grande maîtrise. En effet, les potiers gaulois, nombreux et habiles à l’époque de l’indépendance, adoptent très rapidement les techniques de fabrication venues d’Italie, et particulièrement d’Arezzo. Ils fabriquent une céramique à pâte rouge appelée sigillée, de sigillum, nom du poinçon avec lequel ils signent leurs vases. Les centres de fabrication de céramique sigillée se multiplient : dans le Sud-Ouest, à la Graufesenque, Montans et Banassac ; dans le Centre, avec les ateliers de Lezoux ; dans le Nord-Est. Cette céramique alimente un commerce fructueux en Gaule, en Italie et dans les provinces.
Cette production artisanale alimente, avec la production agricole, un commerce local, régional et international. Lyon, Narbonne, Arles et, dans une moindre mesure, Bordeaux deviennent des centres commerciaux de premier plan, mais toutes les villes pratiquent le commerce de matières premières (plomb, cuivre, étain), de produits agricoles (blé, vin, huile), de textiles, de produits manufacturés (céramiques, verrerie).
Les courants d’échanges ont définitivement perdu le caractère colonial qu’ils pouvaient avoir à l’époque républicaine. La clientèle manifeste une diversité dans les besoins ; elle bénéficie d’une relative souplesse du marché, d’une hausse globale, sinon générale, du niveau de vie. L’exemple du commerce du vin est très significatif : alors que la Gaule exporte, nous l’avons vu, du vin en quantité, et notamment vers l’Italie, on observe que simultanément elle continue à importer précisément du vin italien !
Pourquoi ? Il s’agit de vins de qualités très différentes : le vin gaulois est un vin ordinaire, destiné pour l’essentiel à la population de Rome, très grande consommatrice ; le vin italien livré en Gaule est d’une qualité réservée à une clientèle riche. Les mêmes observations peuvent être faites pour le commerce de l’huile. Ces activités lucratives sont gérées par des spécialistes, les negotiatores, bien connus à Lyon et à Narbonne. Dans le cadre de leurs puissantes corporations, liées aux transporteurs et aux armateurs, ils font figure de notables.
La fin de la Pax Romana en Gaule
De la vie en Gaule aux deux premiers siècles apr. Jésus-Christ se dégage une impression de paix et de prospérité. Dans tous les secteurs de la vie économique, l’activité est intense et, à la fin du IIe siècle, les résistances paraissent définitivement réduites. La Gaule, protégée par de solides fortifications le long du Rhin, semble capable de résister aux redoutables incursions des Germains. Pourtant déjà quelques fissures apparaissent : les budgets des cités sont de plus en plus déficitaires ; les paysans s’agitent face aux processus de concentration foncière qui semblent s’accélérer ; l’État lui-même, sous les règnes de Marc-Aurèle et de Commode, est ébranlé.
Dès le IIIe siècle, la Gaule doit faire face conjointement à l’anarchie militaire qui ébranle l’Empire et aux premières invasions barbares. Malgré quelques périodes de répit, l’Empire romain s’effondre au Ve siècle, et avec lui la Pax Romana. La Gaule romaine survivra dans les nouveaux royaumes fondés, notamment celui des francs.
Pour aller plus loin
- Voyage en Gaule romaine, de Jean-Claude Golvin. Errance, 2016.
- Histoire des Gaules, de Christine Delaplace et Jérôme France. Armand Colin, 2020.
- Comment les Gaules devinrent romaines. La Découverte, 2010.