Le chaudron de Tcherkassy-Korsun. (J. Lopez)

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Après ses ouvrages sur Stalingrad, Koursk et Berlin, le journaliste et historien Jean Lopez aborde cette fois ci un épisode moins célèbre de la guerre germano-soviétique, à savoir la bataille pour le « chaudron » de Tcherkassy-Korsun, remise dans le contexte plus large de l’offensive soviétique visant à s’emparer du contrôle du Dniepr (septembre 1943-février 1944). Souvent reléguée au second plan par les autres conflagrations majeures de 1944 et notamment Bagration, la bataille de Tcherkassy-Korsun n’en reste pas moins intéressante à plusieurs titres.

 

 

C’est un des derniers affrontements de la guerre à l’est à peu près équilibrés en termes de matériels et de formations alignées. Revendiquée comme une victoire par les deux camps elle illustre les forces et faiblesses de leurs doctrines et fonctionnement respectifs. Finalement elle est révélatrice de l’impasse stratégique et opérationnelle dans laquelle se sont retrouvés les allemands sur le front de l’est depuis la fin de l’opération Citadelle (bataille de Koursk).

La course au Dniepr

A partir d’août 1943, Joseph Staline fait préparer une course au Dniepr qui constitue pour lui la grande priorité du moment. Le leader soviétique entend bien capitaliser sur les succès de l’été pour remettre la main sur l’Ukraine et ce pour plusieurs raisons à la fois militaires et politiques. S’il s’agit notamment d’empêcher les allemands d’établir une ligne défensive fortifiée (ce fameux Ostwall auquel Hitler se refuse en réalité…) sur le grand fleuve ukrainien, Staline entrevoit déjà cette opération comme un prélude à un déferlement de l’armée rouge sur les Carpates et le sud est de l’Europe. D’autre part dans une Union Soviétique frappée par les pénuries où la famine est une réalité, il apparait comme essentiel de remettre la main sur l’Ukraine riche en ressources alimentaires et énergétiques. Finalement le leader soviétique s’inquiète du développement du nationalisme ukrainien qui (re)prend une importance considérable sous l’occupation allemande.

A la volonté sans faille de Staline, s’oppose celle d’Hitler qui entend lui, conserver le contrôle de l’Ukraine et du Dniepr. Malgré les recommandations du commandement du groupe d’armée Sud, le maréchal Von Manstein, le maitre du IIIe Reich se refuse à jouer de l’espace pour gagner du temps. Pour Hitler, renoncer à cette terre prévue comme future région de colonisation germanique, c’est renoncer à la grande entreprise de conquête et d’extermination débutée le 22 juin 1941. Ainsi, si les allemands défendront pied à pied l’Ukraine, c’est plus pour des considérations idéologiques que matérielles.

A partir de septembre 1943 l’armée rouge lance trois fronts (Groupes d’armées) dans la bataille qui doit l’amener d’Ukraine orientale, jusqu’aux rives du Dniepr, de Kiev au nord à Dniepropetrovsk au sud. Pour cette offensive l’armée rouge aligne initialement près d’un million et demi d’hommes et quelques 60 brigades blindées et mécanisées. On doit cependant relativiser l’importance des ces chiffres en soulignant (et ce sera là une des données majeures de la bataille pour le « chaudron » de Korsun) que ces formations mécaniques souffrent d’un déficit important de blindés qui s’expliquent par les saignées de l’été. Certes les soviétiques disposent de vastes réserves de chars dans leurs dépôts (résultat d’une production de guerre impressionnante), mais ils peinent à les doter d’équipages formés.

Face à cet ensemble soviétique principalement manié par Vatoutine et Koniev (sous la supervisation de Joukov), le groupe d’armées sud allemand de Von Manstein regroupe trois armées comprenant certaines des meilleures unités blindées de la Wehrmacht. Cependant elles aussi alignent des effectifs incomplets (ce qui sera le lot de la plupart des unités allemandes jusqu’à la fin de la guerre) et malgré le talent de manœuvrier de leur chef, elles ne peuvent que se retrouver submergées. On constate une fois de plus l’opposition de style et de pensée entre un commandement allemand l’œil rivé sur l’échelon tactique et celui des soviétiques qui envisagent des opérations dans la profondeur, répondant à des buts d’ordres opératifs. A la souplesse et au sens de l’improvisation de la Ostheer, répond l’impitoyable planification de l’armée rouge.

L’ombre de Stalingrad

Début 1944, les attaques menées par les troupes de Vatoutine et Koniev ont finalement repoussé les forces de Manstein et notamment la 8e armée du général Wöhler sur la ligne Panther-Wotan, le long du Dniepr. Si les allemands ont du céder Kiev début novembre aux soviétiques, Hitler entend bien utiliser le saillant qu’occupe la 8éme armée dit saillant de Kanev (comparé à un « balcon sur le Dniepr » ) comme tremplin pour une future contre offensive visant à reprendre le contrôle de l’Ukraine. Malgré leur finesse tactique les officiers allemands, plein de mépris pour leurs adversaires, considèrent les soviétiques trop épuisés pour réussir un encerclement du saillant.

C’est pourtant à cet encerclement que l’armée rouge se prépare avec détermination. Il s’agit là d’une opération d’opportunité, opportunité fournie par l’entêtement d’Hitler à tenir une position sur le Dniepr. Staline sait qu’il tient peut être là un second Stalingrad, un puissant outil de propagande pour regonfler une armée rouge éreintée par des mois ininterrompus d’offensive mais aussi pour en imposer à des alliés occidentaux qui peinent alors en Italie.

L’opération Korsun–Shevchenkovsky débute le 18 janvier 1944. Menée par le 1er ( Vatoutine) et 2ème Front d’Ukraine (Koniev), elle répond aux méthodes de double encerclement (avec anneau extérieur et intérieur) mises au point lors de la bataille de Stalingrad. Chaque front attaque un côté du saillant de Kanev le tout dans une région agricole marquée par une forte densité de l’habitat, de nombreux dénivelés et par un manque de routes modernes. Les allemands pris de court, défendent du mieux qu’ils le peuvent mais le 29 janvier, il leur faut constater que les soviétiques viennent de réussir l’encerclement. Koniev promet à Staline qu’il restera hermétique jusqu’au bout...

Ce que l’on va appeler le « chaudron » de Tcherkassy, regroupe environ 60 000 soldats allemands, de six divisions et deux corps différents dont des unités Waffen SS comme la Wiking ou la brigade de volontaires Wallonie. Le tout représente un ensemble disparate dont l’unité de commandement restera problématique. Le chaudron ne doit son ravitaillement qu’à un couteux pont aérien mis en place par la Luftwaffe se basant sur l’aérodrome de Korsun.

Alors que les soviétiques consolident les anneaux de l’encerclement, Manstein réagit avec sa vivacité habituelle. Déterminé à ne pas être associé à un second Stalingrad (n’oublions pas qu’il avait été chargé de secourir la 6e armée de Paulus) il va mettre tout en œuvre pour défaire l’encerclement, quitte à contrevenir (pour une fois) aux ordres d’Hitler qui souhaiterait que les troupes encerclées s’accrochent. L’opération de secours va être menée par les IIIe et XXXXVIIe corps blindés. Ces formations redoutables sur le papier, diminuées en réalité (malgré de beaux restes, comme un régiment blindé lourd associant chars Panthers et Tigres), doivent mener un plan ambitieux devant aboutir non seulement à restaurer les liaisons avec la poche de Korsun, mais aussi à contre encercler les forces soviétiques (sic.).

Cette opération par trop ambitieuse, se confronte à une défense acharnée des unités de Vatoutine mais aussi à une météo marquée par un redoux exceptionnellement précoce qui transforme le champ de bataille en champ de boue… Au final seul le IIIe corps blindé allemand parvient à quelques kilomètres du flanc sud ouest du Kessel. Les troupes encerclées en pleine « Kesselpsychose » et regroupées en un Gruppe Stemmerman vont devoir rejoindre le corps blindé dans des conditions abominables. Pataugeant dans la boue, abandonnant au fur et à mesure l’essentiel de leur matériel et les blessés graves, bombardés sans cesse et partout par l’artillerie soviétique, un peu plus de 45 000 hommes vont percer, au prix de sacrifices inouïs.

Lorsque la bataille cesse le 19 février, les deux camps revendiquent la victoire. La propagande soviétique parle du « Stalingrad sur le Dniepr » et de 10 divisions anéanties. Les allemands eux louent l’audace d’un Manstein (qu’Hitler aura l’occasion de lui reprocher) qui aurait infligé une sévère correction aux troupes adverses. Le bilan est malgré tout largement en faveur des soviétiques. Des 45 000 rescapés allemands de Korsun bien peu reprendront le combat, les deux corps blindés envoyés à leur secours totalement consumés dans la bataille, ne pourront empêcher les soviétiques de continuer d’avancer vers l’ouest et le sud. Manstein a en définitive perdu son dernier combat et il sera d’ailleurs limogé le 30 mars suivant. Pour l’Ostheer, le temps des opérations grand style est révolu, commence celui d’une défensive sans esprit de recul et sans espoir…

Notre Avis

Avec cet ouvrage, Jean Lopez nous offre une fois de plus un portrait saisissant et sans concession de la guerre germano-soviétique. Il y oppose et y compare avec force détails les deux forces en présence. Qu’il s’agisse des facteurs politiques (et notamment les nombreuses interventions tant de Staline que d’Hitler dans le déroulement des opérations), doctrinaux, psychologiques, logistiques et matériels, l’éventail est complet.

Des réflexions et rivalités propres aux états majors, aux souffrances des simples troupiers (on appréciera d’ailleurs les extraits de témoignages de soldats des deux camps) l’ensemble concilie la simplicité de lecture et la hauteur de vue quant à l’analyse stratégique et opérationnelle des faits. Aux inévitables moments de bravoure, répondent des considérations plus intellectuelles qui devraient permettre à ce Korsun d’attirer des lecteurs aux profils assez différents.

Peut être moins fourni en digression théoriques quant à la doctrine militaire soviétique que son précédent opus (Berlin), cet ouvrage de Jean Lopez n’en présente pas moins des développements intéressants sur deux points souvent négligés du conflit germano-soviétique : les opérations aéroportées de l’armée rouge et la problématique du transport aérien dans la Luftwaffe. Enfin avec son chapitre 5 (L’armée rouge sait-elle encercler ?) nous est proposé un petit essai sur ce type de manœuvre plus favorisée par les allemands que par les soviétiques.

On remarquera aussi la patte de l’auteur dans ses portraits soignés et intransigeants des différents commandants d’unités et plus précisément celui d’Erich Von Manstein dont le mythe de général génial quasi opposant à Hitler, n’en finit pas d’être démoli.

Au final, Le Chaudron de Tcherkassy-Korsun, ne dépareille pas dans la série que Jean Lopez consacre aux grandes batailles de la guerre germano-soviétique. Parce qu’il aborde un épisode relativement peu traité de ce terrible conflit, il mérite de figurer en bonne place dans les bibliographies ayant trait à cette période.

J LOPEZ, Le chaudron de Tcherkassy-Korsun (Et la bataille pour le Dniepr, septembre 1943-février 1944), Economica, Paris, Mai 2011.

 

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