Premiers pas en politique de Robespierre
Né le 6 mai 1758 dans une famille de robins et de marchands, Maximilien de Robespierre, orphelin de mère et tôt délaissé par son père, connaît d’abord la réussite scolaire - il obtient une bourse pour étudier au lycée Louis-le-Grand, à Paris, où il fréquente Camille Desmoulins - puis la réussite sociale dans sa ville d’origine. Avocat à partir de 1781, il y gagne des procès et y devient membre de l’Académie des belles-lettres (secrétaire perpétuel, puis directeur élu en 1786). Cette ascension, somme toute modeste, se heurte cependant à un ostracisme local, qu’il provoque par ses dénonciations abruptes des travers de ses contemporains. Il accentue sa mise à l’écart de la société par des écrits où il critique le clientélisme des métiers de justice puis, en 1788, la volonté des notables d’Arras de protéger leurs privilèges aux états d’Artois.
Idées et principes
Au lendemain de la prise de la bastille le 14 juillet 1789, Robespierre estima que les aristocrates n’avaient capitulé qu’en apparence face à la poussée populaire et faisaient semblant d’applaudir pour en récolter les fruits. La défense des mouvements populaires fut le leitmotiv de ses discours qui suscitèrent l’enthousiasme dans les journaux les plus révolutionnaires. Isolé à la Constituante, il prit à témoin le Peuple et resta en contact continuel avec lui en publiant ses discours. La postérité a retenu de ses nombreuses interventions l’application qu’il avait à combattre la vieille société aristocratique et à en libérer tous les opprimés, par exemple les esclaves des colonies contre la constitutionnalisation de la traite : « Périssent donc vos colonies si vous les conservez à ce prix », même si des débats continuent autour de l’ambiguïté qu’il a pu avoir à certains moments sur ce sujet.
Il apparut également comme le défenseur des droits naturels du peuple : contre la peine de mort, sur l’organisation du clergé, l’organisation judiciaire, sur l’organisation des gardes nationales, discours dans lequel on trouve la devise de la république d’aujourd’hui : « Elles porteront sur leur poitrine ces mots gravés : Le Peuple français, et au dessous : Liberté Egalité Fraternité ». Surtout, Robespierre combattit le régime censitaire qui après le privilège de la naissance introduisait le privilège de l’argent dans la société. Pour contrebalancer cette société des riches il opposa invariablement le suffrage universel.
Il eut également un attachement invariable aux principes d’Egalité : « Peuple souviens toi que si dans la République, la justice ne règne pas avec un empire absolu, et si le mot ne signifie pas l’amour de l’égalité et de la patrie, la liberté n’est qu’un vain mot » (discours du 8 thermidor an II). C’est ainsi qu’il était déterminé à borner le droit de propriété à l’utilité commune, différenciant le vital du superflu.
Robespierre faisait de ces principes intangibles plus qu’un combat politique, un combat moral. Il avait ainsi attaché à ces lois universelles le principe de Vertu publique si cher à Montesquieu. « Quel est le principe fondamental du gouvernement démocratique et populaire, c'est-à-dire, le ressort essentiel qui le soutient et le fait mouvoir ? C’est la vertu ; je parle de la vertu publique qui opéra tant de prodiges dans la Grèce et dans Rome et qui doit en produire de bien plus étonnants dans la France républicaine ; de cette vertu qui n’est autre chose que l’amour de la patrie et de ses lois » (discours du 17 pluviôse an II).
L’Incorruptible
Robespierre devint de plus en plus populaire auprès des sans culottes parisiens. L’ensemble de l’opposition démocratique, sociétés et patriotes, furent ainsi réunis autour du club des Jacobins de Paris tout en apportant à son artisan le prestige considérable des sans culottes de la France entière. Quand il fut temps pour la Constituante de se séparer, il avait arraché à cette assemblée le décret qui interdisait à ses membres de se représenter à la législature suivante. Il se refusait à ce que les députés conservent indéfiniment leurs mandats.
Robespierre et la guerre
Brissot et ses compagnons, qu’on connaît depuis Lamartine sous le nom de Girondins, constituaient une grande bourgeoisie de banquiers, de négociants et d’armateurs de Bordeaux dont la différence d’intérêts avec la bourgeoisie des structures d’Ancien régime en fit l’aile gauche de la nouvelle assemblée. Et lorsqu’ils proposèrent de déclencher le conflit avec les puissances européennes, Robespierre s’éleva depuis les Jacobins contre un conflit qui engendrerait « la mort du corps politique ». Sachant que les Girondins lorgnaient avant tout sur la prochaine exploitation des ports de la mer du nord, il dénonça leurs manœuvres : une guerre « est bonne pour les officiers militaires, pour les ambitieux, pour les agioteurs qui spéculent sur ces sortes d’évènements ».
Repoussant d’un revers de main l’espoir de voir les populations européennes se jeter dans les bras de leurs envahisseurs, Robespierre mit surtout en garde contre l’avènement d’une France réduite à des mesures d’exception pour se défendre risquant de sombrer dans une dictature militaire : « personne n’aime les missionnaires armés […] Dans les temps de troubles et de factions, les chefs des armées deviennent les arbitres du sort de leurs pays, et font pencher la balance en faveur du parti qu’ils ont embrassé. Si ce sont des César ou des Cromwell, ils s’emparent eux-mêmes de l’autorité » (discours du 18 décembre 1791).
Peine perdue, les adversaires de la guerre ne purent indéfiniment affronter des auditoires hostiles et une opinion publique gagnée à cette éventualité. La guerre fut déclarée par la France révolutionnaire « au Roi de Bohème et de Hongrie » le 20 avril 1792. La Révolution était menacée de toute part par ses ennemis intérieurs ligués avec les puissances étrangères, les émigrés avec les Prussiens, les Vendéens attendant l’aide des Anglais, les royalistes leur livrant Toulon…
La fin de la monarchie
Le combat de Robespierre contre la guerre l’avait révélé intransigeant, c’est avec la même vigueur qu’il prépara l’opinion publique à renverser la monarchie. En revanche, il avait conscience de ne pas être un meneur d’insurrection et il préféra encourager les insurgés en faisant appel aux Fédérés réunis à Paris par la voix des Jacobins et en leur faisant rencontrer les Sans culottes parisiens chez le menuisier Duplay. Il contribua, tout comme Marat, non seulement à préparer les esprits à cette insurrection mais à lui donner un caractère national.
Après le 10 août 1792 il fut élu au Conseil général de la Commune, mandat durant lequel il refusa de condamner les massacres de Septembre estimant que la responsabilité en incombait à une Assemblée Législative incapable de faire face à l’invasion étrangère aux portes de Paris (armées qui avaient d’ailleurs promis de mettre la capitale à feu et à sang à leur arrivée).
Les Girondins changèrent leur statut d’aile gauche de l’Assemblée pour celui de l’aile droite. Ils furent alors en opposition avec les députés qui siégeaient en haut des gradins, surnommés la Montagne. Parmi eux, Danton, Desmoulins, Marat, Robespierre, tous nouvellement élus. Le sursaut de la bataille de Valmy en septembre avait offert un répit de courte durée à la Révolution. A une situation extrêmement grave malgré tout, la Gironde se fit l’espoir d’une partie de la riche bourgeoisie qui se rangeait auparavant derrière les Feuillants et qui espérait désormais que la majorité de la Convention allait lui offrir une paix bancale avec l’ennemi, prétexte pour achever la Révolution à leur profit.
Robespierre et les Montagnards se firent alors l’écho du peuple à la Convention. C’est une étape décisive de la Révolution. Les classes populaires se trouvèrent désormais liées au salut de la République. Il put entrevoir enfin l’application de sa politique sociale, selon lui indéfectiblement lié à ce salut. La situation de la Gironde est absolument intenable face aux sans culottes de toute la France qui sentent que leur victoire du 10 août leur est confisquée. Méfiance à l’égard du peuple, répugnant aux mesures de salut public, les Girondins furent renversés par les dénonciations de la Montagne et la journée populaire nationale du 2 juin. Comme l’a résumé Albert Mathiez, « les Girondins furent vaincus parce que en un mot, ils négligèrent le salut public et qu’ils s’enfermèrent dans une politique de classe au profit de la seule bourgeoisie ».
La démocratie sociale de Robespierre
Robespierre put, au sein du gouvernement révolutionnaire, mener la politique sociale tirée de ses convictions et principes. Avec le jeune conventionnel Saint-Just, il fut l’un des protagonistes de la démocratie sociale. Proposant une nouvelle déclaration des droits de l’Homme préambule de la future Constitution de l’An I, il y déclara que la propriété n’était plus un droit naturel et imprescriptible mais un fait social défini par la loi : « le droit de propriété est borné comme tous les autres par l’obligation de respecter les droits d’autrui ». Parlant de la déclaration de 1789 : « votre déclaration parait faite non pour les hommes mais pour les riches, pour les accapareurs, pour les agioteurs et pour les tyrans ».
Toutefois, les inégalités et le privilège de la richesse demeuraient à cause du jeu des lois économiques. Dans ce contexte, Robespierre fut à l’origine de l’entrée de la notion de droit social dans la construction de la République. La Nation devenait responsable du contrôle du droit de propriété et responsable de l’instauration d’une égalité relative avec la reconstitution de la petite propriété. La loi assura un partage égal des successions pour diviser les fortunes. Surtout, Robespierre fut le défenseur des lois de Ventôse An II présentées par Saint-Just qui donnaient aux indigents les biens confisqués aux suspects.
L’Incorruptible était un des artisans d’une société nouvelle reconnaissant sa dette envers le peuple. Le devoir qu’elle avait était d’éduquer ses citoyens. En ce sens, le 29 juillet 1793, Robespierre présenta à la Convention le projet d’éducation composé par Saint-Fargeau. Un siècle avant Jules Ferry, ce projet permettait l’accès de tous à un socle commun d’instruction, gratuite, obligatoire, libéré du carcan de l’Eglise. La loi du 22 Floréal (11 mai 1794) organisait « la bienfaisance nationale » et appliquait la déclaration de 1793 à la lettre : assistance médicale gratuite, aide à domicile pour les personnes âgées, allocation pour les accidentés du travail, pour les familles des morts pour la patrie. C’était une application de ce premier article de la Déclaration des droits de 1793 proposés par Robespierre : « Le but de la société est le bonheur commun ». Saint-Just lui aussi voulait « donner à tous les Français les moyens d’obtenir les premières nécessités de la vie sans dépendre d’autre chose que des lois ».
Enfin, l’esclavage fut aboli une première fois en France, le 16 pluviôse An II.
La « Terreur »
Pendant qu’une société entièrement nouvelle était créée, les membres du Comité de Salut public, que Robespierre a rejoint le 27 juillet 1793, devaient mener la France révolutionnaire vers la victoire dans la guerre civile et la guerre étrangère, tout en atténuant les effets de cette guerre ressentis par les populations. A cette fin fut instaurée, la dictature de salut public du gouvernement révolutionnaire. Comme beaucoup de conventionnels, il ne voyait qu’une solution pour porter la Révolution et ses acquis à la victoire, des mesures d’exception ; mesures d’exception que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de « Terreur ».
Pour nourrir le peuple, ce gouvernement eut recours à des réquisitions, et détermina un maximum général des prix des produits de première nécessité. Il assura son indépendance en nationalisant les fabrications de guerre. Ajoutons que les différentes mesures d’emprisonnement des suspects, de jugement des ennemis de la Révolution par le tribunal révolutionnaire furent un substitut à la violence populaire désorganisée et fragile. Cette terreur légale s’accompagnait d’ailleurs souvent de discours dont les accents étaient plus véhéments que leurs applications.
Contradictions et ruptures
L’approche de la victoire en avril 1794, révéla des divergences au sein du gouvernement révolutionnaire et mit Robespierre devant les contradictions de sa politique. Au printemps de l’an II, la Révolution vit l’émergence de factions qui furent victimes de la vigilance du gouvernement révolutionnaire. Le bouillant journaliste Hébert, rédacteur du Père Duchesne, très proche des milieux populaires, avait combattu le gouvernement révolutionnaire jugé trop compromis avec la bourgeoisie. Il fut guillotiné avec ses compagnons. Danton, que Robespierre défendit jusque la veille de son arrestation, tomba aussi pour avoir endossé un rôle de chef d’une faction hétéroclite de corrompus, réclamant un comité de clémence, surtout pour eux…« La Révolution est glacée », écrivit Saint-Just.
Ces sections commencèrent à gronder contre une loi qui imposait le Maximum des salaires. La guerre s’éloignant, la bourgeoisie fit pression pour briser certains acquis des salariés, ce qu’elle obtint. Malgré un certain aveuglement des robespierristes, la révolution demeurait bourgeoise. Dans le prélude de cette chute, il faut ajouter la bureaucratisation des instances révolutionnaires qui les éloignèrent de leur militantisme originel et les menèrent vers un fonctionnariat détaché du mouvement populaire. Tout cela ralentit la démocratie dans les sections et accentua une lassitude des masses pour leurs institutions. C’est la contradiction fondamentale qui prépara la chute de Thermidor.
9 Thermidor : la chute et la mort de Robespierre
Dans les institutions mêmes, aux tentatives d’attentats s’ajoutaient les médisances et les calomnies. Les deux Comités s’accusaient d’empiètements mutuels. La loi de Prairial an II (juin 1794), dite de « grande Terreur » fut, à dessein détournée, de son but initial, à savoir limiter le recours au gouvernement révolutionnaire, pour décrédibiliser Robespierre et Couthon qui en étaient à l’origine. Lors d’une séance et d’une énième dispute au sein du Comité de Salut public, il claqua la porte pour s’enfoncer dans une maladie tant physique que psychologique qui le maintint alité. Fouché et Tallien, qui avaient de bonnes raisons de croire que leur survie dépendait de la chute de Robespierre, profitèrent de son absence pour galvaniser les députés de droite, la majorité des députés ni montagnards ni girondins.
Se refusant à prendre la tête d’une insurrection contre la représentation nationale, les robespierristes virent leur maigre défense se disperser au long de la soirée, à la fin de laquelle Robespierre tenta de se suicider et fut arrêter avec ses compagnons. Les vainqueurs ne s’embarrassèrent pas longtemps de ces encombrants accusés et les firent guillotiner le lendemain 28 juillet 1794, sous les acclamations des sections les plus bourgeoises de l’ouest de Paris.
Une anecdote de Michelet, qu’on ne peut accuser de robespierrisme, a été maintes fois reprise : « Peu de jours après Thermidor, un garçon de dix ans fut mené par ses parents au théâtre […] Des gens en veste, chapeau bas disaient aux spectateurs sortants « Faut-il une voiture mon maître ? » L’enfant ne comprit pas ces termes nouveaux. On lui dit seulement qu’il y avait eu un grand changement depuis la mort de Robespierre ».
Robespierre, malgré ses contradictions, malgré ses erreurs et ses errements, a été considéré par beaucoup et souvent les plus pauvres comme une tour de garde de la démocratie. Face au pragmatisme de la bourgeoisie libérale, il a posé les bases d’une société hors de leurs cadres utilitaristes et profanes en incluant la Révolution dans une Légitimité universelle de justice, de raison et de morale. Et c’est cette légitimité qu'il désignait par l’Etre suprême. Là est tout le sens, le combat, la véritable constante, la vie de Robespierre. Une vision qui donne son but à la Révolution. Une foi invariable en la démocratie comme il la décrira la veille de sa mort dans son dernier discours.
Bibliographie
- Maximilien Robespierre: L'homme derrière les légendes, d' Hervé Leuwers. PUF, 2019.
- Robespierre, de Jean-Clément Martin. Tempus, 2018.
- Robespierre: Une vie révolutionnaire, de Peter McPhee. Garnier, 2022.