Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon
Fils de Claude de Rouvroy élevé duc et pair par Louis XIII, Louis nait à Paris en janvier 1675. Baptisé à Versailles en 1677, filleul de Louis XIV et de Marie Thérèse d’Autriche, il est vidame de Chartres et va profiter de sa grande parenté avec la duchesse d’Angoulême, la future princesse des Ursins, Mme de Montespan, le duc de Lauzun et bien d’autres encore.
Il entre aux Mousquetaires à dix-sept ans, participe au siège de Namur en 1692 et à la bataille de Neerwinden en 1693 puis achète un régiment de cavalerie en cette même fin d’année.
Devenu Duc de Saint Simon en 1693 et pair de France, gouverneur de Blaye, grand bailli de Senlis, comte de Rasse, marquis de Ruffec, il épouse en 1695 une des filles du maréchal de Lorges, à laquelle il restera fidèle toute sa vie. Un gazetier de l’époque fait un joli portrait de la mariée « qui est blonde et d'une taille des plus belles ; qu'elle a le teint d'une finesse extraordinaire et d'une blancheur à éblouir ; les yeux doux, assez grands et bien fendus, le nez un peu long et qui relève sa physionomie, une bouche gracieuse, les joues pleines, le visage ovale, et une gorge qui ne peut être ni mieux taillée ni plus belle. Tout cela ensemble forme un air modeste et de grandeur qui imprime du respect : elle a d'ailleurs toute la beauté d'âme qu'une personne de qualité doit avoir, et elle ira de pair en mérite avec M. le duc de Saint-Simon son époux, l'un des plus sages et des plus accomplis seigneurs de la Cour ».
Ses relations avec Louis XIV
Le duc devient encore plus assidu, accomplit son office de représentation avec brio, se mêle aux manifestations, commence à enregistrer dans sa tête quantité de scènes, d’anecdotes et de portraits « Je me suis donc trouvé instruit journellement, de toutes choses par des canaux purs, directs et certains, et de toutes choses grandes et petites. Ma curiosité, indépendamment d'autres raisons, y trouvait fort son compte; et il faut avouer que, personnage ou nul, ce n'est que de cette sorte de nourriture que l'on vit dans les Cours, sans laquelle on n'y fait que languir ».
Avec son caractère indépendant et sa liberté de parole, Saint Simon fait des envieux, on veut lui nuire, on le considère comme dangereux et il s’en plaint au roi qui répond « Mais aussi, monsieur, c'est que vous parlez et que vous blâmez, voilà ce qui fait qu'on parle contre vous, il faut tenir votre langue ».
Malgré l’aversion du roi, le duc et la duchesse sont souvent invités à Marly entre 1710 et 1714, disposant également d’un appartement au château ; la duchesse devient dame d’honneur de la jeune duchesse de Berry. Saint Simon se régale, il peut « épier, voir, écouter aux portes », en participant aussi à plusieurs scandales comme « l’affaire des Bonnets » et « la constitution Unigenitus », jusqu’en 1715 où le roi meurt.
Son ami Philippe d’Orléans
Ami d’enfance de Philippe, Saint-Simon lui demeure attaché malgré son côté néfaste. Il veut faire ressortir la « moitié noble » du Régent, il s’attache à l’extraire de certaines situations critiques où il risque de tomber. Membre du conseil de Régence, donnant souvent son avis même si l’on n’en tient que rarement compte, Saint Simon ne veut pas s’embarrasser des Sceaux et des Finances, c’est ainsi que l’abbé Dubois prend une place importante au gouvernement.
Les Mémoires de Saint-Simon
Ayant pris un grand plaisir à lire les Mémoires du maréchal de Bassompierre, il mettra soixante ans pour réaliser les siens, tout en demandant conseil au début, à l’abbé de Rancé, sur la manière de procéder et les mesures à respecter pour de tels écrits.
Dès l’âge de dix neuf ans, alors qu’il est capitaine dans le Royal-Roussillon, il commence à écrire, au lendemain de la bataille de Neerwinden en juillet 1693 où il relate les faits de façon ferme et nette, dans un bulletin détaillé pour sa mère et ses amis.
Entre ses campagnes militaires et des travaux généalogiques sur les pairies et les ordres royaux, il ne reprend ses Mémoires qu’à partir de 1739, après que le duc de Luynes lui ait donné le « Fade Journal » du marquis de Dangeau, rédigé entre 1684 et 1720, journal qui va être très utile. En dix ans, entre 1739 et 1749, il écrit 2 800 grandes pages de lignes serrées ainsi qu’un « Parallèle des trois premiers rois Bourbons » où il place Louis XIII sur un piédestal en le déclarant plus grand roi que son père Henri IV et que son fils Louis XIV.
A la différence des précédents auteurs de Mémoires, il écoute tous les jours, il écrit tous les soirs ; il est au courant de tout et tient de suite un registre ; ce n’est que lorsqu’il se retirera sur ses terres, qu’il coordonnera cette masse de renseignements qu’il mettra en forme.
Bien sûr, il y a quelques erreurs. On peut le lui pardonner. Ses Mémoires ne sont pas un Livre d’Histoire basé sur des sources comme les courriers diplomatiques, les correspondances des ambassadeurs, les rapports militaires, les documents originaux. Ses Mémoires sont une histoire morale relatée par des témoins : on vit à la Cour, on écoute, on tend l’oreille et on entend dire beaucoup de choses ; on regarde, on épie ; on consulte des anciens et des valets ; on ne fait alors que répéter ce qu’on a entendu.
A la mort de Saint Simon, craignant que ses Mémoires ne soient utilisés par des gens mal intentionnés, Choiseul ministre de Louis XV, fait transférer en 1760 tous les papiers du duc au Dépôt des Archives ; malgré tout, il y a eu quelques parutions d’extraits compilés et tronqués entre 1788 et 1791. Il faut attendre la première édition complète de ses Mémoires en 1829 pour obtenir un résultat inattendu : un immense succès, comme si on découvrait la belle époque monarchique, comme si on y était, comme si on y vivait. Ses écrits sont conservés à la Bibliothèque Nationale « sous les plus sûres serrures ».
La disparition du duc de Saint-Simon
Il meurt en mars 1755. Son hôtel particulier de la rue de Grenelle est démoli à la fin du XVIIIe siècle, son château de la Ferté vendu à un financier ; mais il reste heureusement de nos jours ses deux hôtels parisiens boulevard Saint Germain et rue du Cherche Midi.
Reconnu comme Grand parmi les Plus Grands mémorialistes, André Gide notait «chaque phrase, chaque mot vit, tressaille, s’émancipe, en gardant la marque de son esprit impétueux » ; Emile Zola écrivait « chez nos plus illustres auteurs, on sent la rhétorique, l’apprêt de la phrase, une odeur d’encre se dégage des pages. Chez lui, rien de ces choses, la phrase n’est qu’une palpitation de la vie, la passion a séché l’encre, l’œuvre est un cri humain, le long monologue d’un homme qui vit tout haut ».
Bibliographie
- Anthologie des Mémoires de Saint-Simon. Le livre de Poche, 2007.
- Saint-Simon ou Le système de la cour, par Emmanuel Le Roy Ladurie. Fayard, 1998.
- Saint-Simon, par Denis Lorieux. Perrin, 2001.