Le contexte de la huitième et dernière croisade
Le départ de Frédéric II a laissé les Etats latins dans un état d’instabilité préoccupant, malgré le traité de Jaffa et la restitution de Jérusalem et de quelques autres territoires, qui ont redonné au royaume un semblant de cohésion. Les bonnes relations de l’empereur avec les Ayyûbides ne sont pas du goût des barons locaux, et encore moins des Ordres religieux militaires, Templiers en tête. Les tensions s’exacerbent alors entre les barons syriens, alliés au régent de Chypre Jean d’Ibelin, et les hommes de Frédéric II, comme Ricardo Falengieri ; ce dernier doit quitter Tyr en 1243. De nouveaux croisés arrivent en 1239 ; en effet, la croisade de Frédéric II n’étant pas légitime puisqu’il était excommunié, et qu’en plus il avait récupéré Jérusalem sans combattre, l’appel d’Honorius III était toujours d’actualité. D
D’abord menée par le comte de Champagne, Thibaud IV, puis par Richard de Cornouailles, cette nouvelle croisade est un échec. Le premier, soutenu par les Templiers, combat puis tente de négocier avec Damas la restitution de certaines places de Galilée, en échange d’une alliance contre le sultan d’Egypte ; puis il négocie avec ce dernier pour le retour de prisonniers francs ! Il fait son pèlerinage à Jérusalem, puis embarque à nouveau d’Acre le 15 septembre 1240. Le second, parent de Frédéric II, suit sa politique en parlementant avec le sultan ayyûbide pour renouveler la trêve signée en 1229…Les Latins ont récupéré quelques régions supplémentaires, mais la situation n’est pas forcément meilleure et la sauvegarde du « nouveau » royaume de Jérusalem pas assurée.
La perte de la Ville Sainte
Les problèmes internes continuent à ronger la dynastie ayyûbide, de plus en plus menacée, y compris à l’extérieur. En effet, un nouveau péril s’annonce venant de l’Est, les Mongols ! Ces derniers poussent des peuples à la fuite vers la Méditerranée, avec parmi eux les Khwarezmiens (ou Korasmiens), originaires de la région de la Mer Caspienne. Le sultan al-Salîh décide alors de les utiliser contre ses ennemis, en particulier les croisés. Il les envoie sur Jérusalem, laissée pratiquement sans défense par Frédéric II et ses successeurs ; la ville tombe le 23 août 1244 !
Pire peut-être, l’essentiel de l’armée franque est détruit le 17 octobre de la même année par une force conjointe des Egyptiens et des Khwarezmiens. Le sultan, sur sa lancée, se débarrasse de son rival de Damas, et récupère l’essentiel des régions cédées aux Francs les années précédentes : Acre est directement menacée, et les divisions au sein des Etats latins pires que jamais.
Louis IX décide de prendre la croix
Le roi capétien aurait décidé de se croiser en 1244, s’il survivait à la maladie. Mais, en Europe, les problèmes de l’Orient et l’idéal de croisade semblent bien éloignés ! La lutte entre l’Empire et le pape a repris de plus belle, l’Angleterre est aussi frappée par des divisions et des contestations contre Henri III. Certes, Innocent IV lance un appel à la croisade en 1245, mais le choix de Louis IX a déjà été fait de son propre chef, contre l’avis de sa mère Blanche de Castille.
Il s’agit pour le futur roi saint de respecter son idéal de chevalerie et de piété, et rien ne saurait l’empêcher de tenir sa promesse. Saint Louis réhabilite l’esprit de croisade en tant que pèlerinage pénitentiel, loin des dérives « impérialistes » qui ont marqué la plupart des expéditions précédentes. Il bénéficie aussi de la bonne santé de son royaume, apaisé et riche, et sa préparation se fait sans encombres. Cette croisade sera uniquement française.
Louis IX en Terre Sainte
Mais comme lors de la Ve croisade, les croisés refusent les propositions, malgré l’une d’elle qui aurait été de restituer à nouveau Jérusalem ! L’armée française se dirige alors vers Mansourah à la fin de l’année 1249, et éprouve des difficultés à traverser le Nil ; commencent de violents combats, dont ceux de Mansourah où Robert d’Artois, frère de Louis IX, est massacré avec ses chevaliers le 8 février 1250 par les Mamelouks, commandés par un certain Baybars. Les Egyptiens ont reconstitué leurs forces autour du sultan Turân Shah, et ils coupent l’armée croisée de Damiette. Le roi doit ordonner la retraite, et finalement capituler le 6 avril 1250 ; il est fait prisonnier.
Les négociations amènent à sa libération un mois plus tard, contre une forte rançon. Entre-temps, les Ayyûbides ont été renversés par les Mamelouks (en Egypte, ils gardent la Syrie), leurs anciens esclaves soldats ! Les Francs doivent évacuer Damiette, mais le sultan leur accorde en Terre Sainte les frontières de 1248. Louis IX ne retourne pas dans son royaume à sa libération, mais à Acre, bien décidé à accomplir son devoir de croisé. Pour cela, il s’emploie à stabiliser la situation politique dans les Etats latins et à fortifier certaines places affaiblies. En revanche, le Capétien est moins habile en négociations internationales : il ne parvient pas à profiter des divisions entre Ayyûbides de Syrie et Mamelouks d’Egypte, et ne peut empêcher leur rapprochement demandé par le calife de Bagdad face à la menace mongole. Il quitte Acre le 24 avril 1254, considérant qu’il a fait de son mieux pour la Terre Sainte.
Le « saint roi » meurt en Croisade
C’est peut-être pour cela, et pour laver l’échec de sa tentative précédente, que Louis IX prend à nouveau la croix en 1267, contre une fois de plus l’avis de son entourage. Cette fois il dispose d’un soutien, certes limité, de certains de ses voisins comme le prince Edouard d’Angleterre ou Jacques Ier d’Aragon ; on évoque même un éventuel appui des Mongols de Perse…
Le départ se fait le 2 juillet 1270, toujours d’Aigues-Mortes. Mais l’objectif a déjà changé, ce n’est plus l’Egypte ! On explique ce détournement par les relations complexes entre Louis IX et son frère Charles d’Anjou ; ce dernier, roi de Sicile, a des vues sur l’Empire byzantin, et une expédition sur l’Egypte pourrait contrecarrer ses plans. Il semblerait alors y avoir eu compromis entre les deux, une expédition contre les Hafsides pouvant être considérée comme une croisade, et ne remettant pas en cause foncièrement une attaque plus tard contre l’Egypte. De plus, l’émir de Tunis lui-même aurait réclamé le baptême !
Dès le 18 juillet, l’armée débarque sans encombre dans la région de l’ancienne Carthage, mais une épidémie la décime. Le roi lui-même est l’une des victimes, il décède le 25 août ! Le siège de Tunis ne peut continuer, on entend parler de renforts mamelouks envoyés par Baybars, et même si le camp musulman est pris le 24 septembre, Charles d’Anjou –qui a pris le commandement- décide de repartir pour la Sicile dès novembre, après un traité signé avec l’émir (qui ne s’est pas converti).
La fin des grandes croisades
Ce n’est pourtant pas la fin de la croisade : d’abord Jacques Ier d’Aragon envoie une flotte à Aigues-Mortes, puis vers Acre, mais ses croisés sont battus par Baybars près d’Acre. Le prince d’Angleterre a envoyé une armée à Tunis juste avant la signature du traité entre Charles et l’émir, mais il ne renonce pas malgré le départ de Tunisie et se rend à Acre. C’est à nouveau un échec, malgré quelques chevauchées, et il doit retourner en Angleterre en 1272…
Le bilan des croisades de Saint Louis est donc un échec, du point de vue militaire et politique. Cet échec signe la fin des « grandes » croisades, celles menées par les souverains d’Occident ou sur ordre formel du pape. L’idéal de croisade n’est plus qu’un souvenir…En revanche, pour le Capétien, et malgré le désastre, c’est l’occasion de prouver sa foi sincère et sa dévotion, ce qui sera pour beaucoup dans sa rapide canonisation dès 1297.
Bibliographie
- Les Latins en Orient (XIe-XVe siècle), de Michel Balard. PUF, 2006.
- La dernière croisade, de Xavier Hélary. Perrin, 2016
- Histoires de croisades, d'Allessandra barbero. Champs histoire, 2010.