L'Italie à la fin du Moyen Age et la paix de Lodi

Histoire Universelle | Moyen Age

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L'Italie de la fin du Moyen Age est connue en France pour nous avoir transmis la Renaissance, suite aux guerres d'Italie de Charles VIII, Louis XII et surtout François Ier. Mais dans le détail, on ignore trop souvent une situation complexe, issue du système des communes et de la division de l'Italie, mais aussi des influences étrangères comme l'Empire et l'Espagne. Pour comprendre les guerres d'Italie et les enjeux politiques du XVIè siècle, il faut donc remonter un peu en arrière dans le temps.

 

L’évolution du système des communes

Il est important de ne jamais oublier le contexte de tensions (et souvent de guerres) entre l’Italie et le Saint Empire Germanique, mais aussi la papauté, entre plus globalement guelfes (partisans du pape, et opposants à la présence impériale en Italie) et gibelins (favorables à l’empereur germanique). Mais également, il ne faut pas perdre de vue au sein des cités italiennes les rivalités entre nobles et popolo (citoyens non nobles de la ville, divisés entre « riches » et « pauvres »), entre bourgeoisie et noblesse du moyen-âge.

Tous ces éléments amènent à une évolution du système des communes dans les débuts du XIIIè siècle, système qui se complexifie à mesure que les cités prospèrent. Les collèges de consuls laissent la place à des assemblées plus importantes, et à l’émergence de la podestatie (un magistrat étranger à la cité dispose d’un mandat limité pour exercer le pouvoir, judiciaire en particulier) censée favoriser un popolo souvent idéalisé (car en fait très divisé). La deuxième moitié du XIIIè siècle voit ensuite la prise de pouvoir progressive du popolo sur le système consulaire, et même sur la podestatie.

La politique de Frédéric II en Italie

La première moitié du XIIIè siècle est, en Italie et dans l’Empire, celle de Frédéric II Hohenstaufen. Laissons de côté la Sicile autrefois normande pour nous concentrer sur l’Italie péninsulaire. L’empereur, alors qu’il bénéficiait du soutien de l’Eglise, se retrouve condamné (et même excommunié) par celle-ci, en dépit de la réussite de sa croisade certes originale.

Les tensions, de plus ou moins grande intensité, perdurent malgré les changements de pape (Honorius III, Grégoire IX, Innocent IV) et le conflit reprend avec les communes lombardes. Frédéric II doit autant régler ses problèmes dans l’Empire que dans l’Italie du Nord (où il bat la Ligue lombarde en 1237), et les luttes se radicalisent. L’élection comme pape d’Innocent IV n’arrange pas les choses, tant il refuse le compromis avec Frédéric II, et le conflit perdure durant les années 1240. La mort de l’empereur en 1250 est loin de résoudre les choses.

La perte d’influence de l’Empire et du pape en Italie aux XIIIè et XIVè siècles

L’empereur Frédéric II décédé, le gibelinisme n’est pas pour autant perdu en Italie. Ce sont plutôt les divisions entre les héritiers de Frédéric II, ainsi que les querelles pour le titre impérial, qui affaiblissent le parti de l’Empire. Pourtant, Manfred (l’un des fils de Frédéric II) tente un moment de s’opposer à Rome, mais il est défait quand la papauté obtient le soutien de Charles d’Anjou et des banquiers toscans. Il meurt à la bataille de Bénévent en 1266, et avec lui l’influence impériale sur l’Italie diminue fortement, tout comme celle les gibelins qui se dispersent. Les tentatives d’Henri VII et de Louis de Bavière au XIVè siècle ne changent guère les choses, et ajoutent plutôt à la confusion et à l’instabilité.

Ce n’est pas pour autant que la papauté en ressort plus forte ; en effet, Charles d’Anjou a bien l’intention de profiter de l’aubaine et se fait gourmand ; les papes doivent alors faire appel à des soutiens comme celui de l’empereur Rodolphe de Habsbourg, sans réel succès. Si en 1282, le danger angevin disparaît suite aux Vêpres siciliennes, la papauté ne parvient pas à réaffirmer son autorité, comme l’attestent l’attentat contre Boniface VIII (7 septembre 1303) et surtout le départ de Clément V pour Avignon en 1309. Le soutien de Robert d’Anjou dans les débuts du XIVè siècle est lui passager, et devient même plutôt gênant.

L’émergence de la seigneurie urbaine (XIIIè-XIVè)

Les bénéficiaires de l’affaiblissement simultané des influences impériale et pontificale en Italie sont les seigneurs des cités, principalement urbaines. L’apparition de ces seigneuries urbaines remonte au milieu du XIIIè siècle, dans l’Italie du Centre et du Nord, principalement à cause de l’instabilité des cités italiennes pendant cette période. Cette instabilité est essentiellement due à des conflits sociaux et économiques, aggravés par l’accroissement de la population dans les villes et territoires de ces communes. Les tensions sont visibles au sein des communes, mais aussi entre cités italiennes (sans oublier le toujours présent contexte de l’opposition guelfes/gibelins).

C’est ainsi qu’émergent des personnages auxquels les cités commencent à avoir recours pour résoudre les problèmes et remédier aux faiblesses du système trop « démocratique » (et donc faible et instable) des communes. Leur influence est d’abord politique, mais aussi économique, car ces hommes s’appuient souvent sur une richesse foncière conséquente. Petit à petit, les chefs de ces véritables dynasties obtiennent des charges communales (comme le podestat) et transforment le système des cités. Parmi ces familles qui donnent naissance à des seigneuries urbaines, on peut citer les Este de Ferrare, les Della Scala de Vérone, les Visconti de Milan, toutes vers la fin du XIIIè, ou encore les Gonzague de Mantoue dans la première moitié du XIVè siècle. Bientôt, la charge communale est attribuée à vie et héréditaire…

L’évolution des seigneuries italiennes (XIVè-XVè)

Ces seigneurs recherchent néanmoins une légitimité supplémentaire et se tournent logiquement vers le pape ou l’empereur. Certains d’entre eux obtiennent alors le titre de vicaire (impérial ou pontifical), comme Cangrande I della Scala de Vérone, en 1311 (vicaire impérial). Puis à la fin du XIVè siècle et au XVè siècle, ce sont les titres vraiment seigneuriaux de duc et de marquis qui sont réclamés, soit à l’empereur, soit au pape toujours : ainsi, en 1395, Gian Galeazzo Visconti achète à Venceslas la transformation du vicariat milanais en duché pour 100 000 florins ; Borso d’Este est duc de Ferrare en 1471 grâce au pape Paul II ; Federico de Montefeltro est fait duc d’Urbino par Sixte IV en 1475…

Les seigneuries sont avant tout présentes en Italie centrale et dans la plaine du Pô. Au départ relativement nombreuses, elles voient l’influence des plus puissants des seigneurs commencer à s’imposer aux plus petites. Les familles qui parviennent à tirer leur épingle du jeu pendant le XIVè siècle pour rester encore, pour la plupart, actives au XVè, sont celles des Visconti, des Gonzague ou des Este.

L’apparition des oligarchies urbaines

L’affaiblissement du système communal et de l’influence germanique et romaine n’amène pas seulement à l’apparition de seigneuries urbaines. En effet, dans certaines communes, le système républicain résiste un peu plus longtemps, pour se transformer en oligarchie. C’est le cas à Venise, Gênes, et à Florence par exemple, malgré le cas de la « crypto-seigneurie » des Médicis au XVè siècle.

Ce sont en fait les intérêts d’une part des marchands (à Gênes et Venise), et d’autre part du pape (dans les communes de l’Etat pontifical, telles Lucques, Sienne ou Bologne) qui permettent de limiter l’influence de grandes familles ou d’hommes « providentiels », et de conserver un temps un système non seigneurial. Cela n’empêche pas pour autant l’émergence d’oligarchies (dont la plus célèbre reste celle de Venise) et la fin des républiques communales.

Les conflits du XIVè siècle et l’expansion des seigneuries

Le XIVè siècle est décisif dans la mutation politique de l’Italie : la perte d’influence de la papauté (avec le schisme) et de l’Empire, la consolidation interne des seigneuries, les difficultés angevines en Italie du Sud et en Sicile, les rivalités entre Venise et Gênes provoquent une instabilité et des ambitions. Il faut ajouter à cela les difficultés économiques, en particulier pour Florence.

 

Le premier exemple de cette politique d’expansion des seigneuries concerne les Visconti. Ils prennent le pouvoir à Milan en 1329 avec Azzone (fils de Galeazzo Visconti et de Béatrice d’Este), soumettent les Scaliger avec la paix de Venise en 1339, puis sous Giovanni pratiquent une politique plus habile et moins frontale, avec des alliances matrimoniales et commerciales, tout en augmentant toujours le territoire de la seigneurie et n’hésitant pas à s’opposer au pape. En 1378 arrive au pouvoir Gian Galeazzo (marié à la fille du roi de France Jean II le Bon, Isabelle) qui, à la fin des années 1380, s’attaque à la Vénétie et affronte Florence. Il est alors considéré comme un « tyran » (surtout par les Florentins), contre lequel on tente de monter ligues et alliances hétéroclites. Gian Galeazzo Visconti, devenu duc de Milan, semble tout puissant jusqu’au début du XVè siècle : il bénéficie du soutien du pape et du roi de Naples, et seule Florence tente vraiment (et vainement) de résister.

 Cette dernière vit aussi une période de mutation dans la transition entre le XIVè et le XVè siècle. La crise économique des années 1360 a affaibli l’oligarchie qui avait mis la main sur la cité dans le courant du XIVè siècle, après l’échec de la seigneurie de Gautier de Brienne. De plus, le conflit est ouvert avec le pape dix ans plus tard (la guerre des « Huit Saints »), ce qui affaiblit encore plus la cité et accroît l’instabilité ; commence alors la révolte des Ciompi (salariés et ouvriers de la laine) entre 1378 et 1382, qui culmine ensuite avec la rivalité entre les Albizzi et les Médicis, les premiers sortant vainqueurs –un temps- à l’orée du XVè siècle. 

Parallèlement, le conflit s’intensifie entre Gênes et Venise, et cette dernière met en place sa politique d’expansion et de « Terre ferme ».

La situation au XVè siècle, jusqu’à la paix de Lodi (1454)

Il faut la mort du « tyran » Gian Galeazzo Visconti en 1402 pour que la situation se stabilise un temps. C’est de bon augure pour Florence, qui en profite dans les premières années du XVè siècle (Pise conquise en 1406 par exemple). La cité florentine tombe ensuite, durant les années 1430, dans les mains des Médicis qui installent une « crypto-seigneurie » avec Cosme Ier (ou Côme).

Le duché de Milan se relève quant à lui assez rapidement de la mort de Gian Galeazzo Visconti, et ce malgré la prise de pouvoir des Sforza à partir de 1450. Florence et Venise doivent alors s’allier pour contrer Milan, et la guerre est sans merci, tant contre les Visconti que contre les Sforza ensuite. Gênes, quant à elle, voit son pouvoir diminuer et fait appel désormais à l’aide extérieure, celle du roi de France en particulier. Plus au Sud, dans le royaume de Naples, le conflit entre Aragonais et Angevins signe la victoire des premiers durant les années 1440.

Le début des années 1450 amène une redéfinition des alliances : Venise s’allie à l’Aragon, au marquis de Montferrat et à la Savoie ; le Milan des Sforza s’accorde avec la Florence des Médicis, le marquis de Mantoue et Bologne. C’est Cosme de Médicis le leader de cette ligue, et il obtient même le soutien du roi de France Charles VII en 1452, prémices des interventions étrangères dans la péninsule. Malgré les tentatives de médiation de l’empereur et du pape, le conflit éclate et culmine en 1453, année où Venise est encore plus affaiblie par l’avancée ottomane en Méditerranée orientale (prise de Constantinople).

C’est finalement le danger grandissant pesant sur Venise et sur l’Occident chrétien (les Turcs), et celui des interventions étrangères qui amènent la cité du Pô et sa rivale milanaise à signer la paix de Lodi le 9 avril 1454. L’année suivante, Florence et les Etats pontificaux signent à leur tour le traité, pour la création d’une Ligue italienne pour la paix, la tranquillité de l’Italie et la défense de la sainte foi chrétienne.

L’échec de la paix de Lodi : vers les guerres d’Italie

La tranquillité est de bien courte durée dans la péninsule ; il existe un état de guerre endémique, favorisé par le pouvoir des condottieres (seigneurs de la guerre), très ambitieux comme Sigismondo Malatesta, qui combat Alphonse Ier de Naples et Federico da Montefeltro (qui devient duc d’Urbino, comme nous l’avons vu plus haut, en 1475).

Les Etats italiens connaissent durant la deuxième moitié du XVè siècle des mutations internes, comme à Milan (avec l’avènement de Ludovic le More en 1480) et à Florence (avec la révolte des Pazzi contre les Médicis en 1478), alors que les Este de Ferrare ou les Gonzague de Mantoue parviennent à se maintenir au moins jusqu’aux années 1480.

C’est justement cette décennie qui marque le tournant le plus important, malgré les problèmes récurrents à Naples dans les années 1450-1460 entre Angevins et Aragonais. Avec Laurent le Magnifique, Florence maintient son alliance avec Milan et se rapproche du pape après avoir écrasé les Pazzi. Mais c’est surtout la guerre de Ferrare (1482-1484) qui montre le caractère caduque de la paix de Lodi : neveu de Sixte IV, Girolamo Riario veut agrandir ses possessions au détriment du duché de Ferrare ; il est appuyé par le pape et Venise, ce qui brise de fait l’accord de 1455. La Ligue porte secours à Hercule Ier d’Este, et le pape doit conclure la trêve (sous la pression de l’empereur), alors que Venise se retrouve seule contre Milan, Florence, Mantoue, Bologne, Urbino et Naples. La paix est finalement signée à Bagnolo en août 1484, mais le rêve de Lodi a fait long feu.

Alors que les années 1490 débutent, l’équilibre précaire institué par la paix de Lodi n’existe plus. Si les cités italiennes ont réussi à se constituer en Etats régionaux puissants, elles demeurent tout de même à la merci des ambitions étrangères, et en particulier françaises comme vont le montrer les guerres d’Italie.  

Bibliographie

-          JP. Delumeau, I. Heullant-Donat, L’Italie du Moyen Age (Vè-XVè siècle), Hachette-Carré Histoire, 2005.

-          F. Brizay, L’Italie à l’époque moderne, Belin, 2007.

-          F. Menant, L’Italie des communes (1100-1350), Belin, 2005

-          E. Crouzet-Pavan, Renaissances italiennes (1380-1500), A. Colin, 2007.

 

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