La fondation de l’abbaye de Cluny
C’est le 11 septembre 910 (on parle aussi de 909) que Guillaume, duc d’Aquitaine et comte de Mâcon, fait don à l’abbé Bernon d’établissements monastiques dans le Berry et le Jura, et d’une villa près de Mâcon, dans laquelle il lui demande de fonder un monastère placé sous le patronage des apôtres Paul et Pierre.
Guillaume III d’Aquitaine appartient à une riche et puissante famille carolingienne, il est vassal du comte de Paris, Odon (ou Eudes), qui en 888 a pris le titre de « roi des Francs ». A la mort de celui-ci en 898, le duc d’Aquitaine prend encore plus d’importance, s’appuyant sur un territoire considérable, bien que fragmenté. Il décide de fonder ce lieu pour différentes raisons : c’est d’abord un acte pieux, puis un moyen de créer un lien entre la communauté monastique, son territoire et sa famille ; le duc est payé de sa générosité par la prière des moines, qui honorent sa mémoire bien après sa mort.
Le premier abbé de Cluny, le seul désigné par Guillaume, est Bernon, abbé de Baume, né vers 860 en Bourgogne dans une famille de rang comtal, et qui dirige déjà d’autres monastères avant Cluny. L’abbaye est donc très proche, dès sa fondation, des milieux aristocratiques (et des réseaux qui vont avec), même si elle est indépendante des laïcs. Les abbés de Cluny peuvent être considérés comme des seigneurs.
Expansion de l'édifice religieux
Cluny se renforce avant tout localement et accroît sans discontinuer son patrimoine foncier, et avec sa richesse. De même, l’abbaye reçoit nombre de donations, et voit sa notoriété augmenter. D’autres monastères viennent alors s’agréger à Cluny, sous l’autorité de l’abbé : c’est le début du réseau clunisien. Au sein de ce réseau se diffuse la règle de saint Benoît et la réforme clunisienne, dont l’influence s’étend peu à peu bien au-delà du Mâconnais. Les abbés n’en sont pas moins des seigneurs temporels, gérant un territoire et un patrimoine importants, exerçant sur leurs terres le droit de ban.
L’apogée de l'odre de Cluny
Cette fois élu, Hugues de Semur succède à Odilon en 1049. Cluny III atteint alors son apogée, malgré de plus en plus de critiques (dont celles d’Adalbéron de Laon, sous Odilon). Les abbés sont des seigneurs souverains qui défendent leur liberté par des voies spirituelles, tels les concepts de Paix de Dieu et de Trêve de Dieu, jusqu’à la création du ban sacré clunisien sous le pape Urbain II, lui-même moine de Cluny.
L’abbatiat d’Hugues de Semur voit le réseau clunisien s’étendre à toute l’Europe, puis à la Terre Sainte suite à la Croisade lancée par Urbain II. Dans le royaume capétien, les clunisiens s’installent au prieuré de Saint-Martin-des-Champs, et ils aident Guillaume le Conquérant à la réforme monastique suite à sa conquête de l’Angleterre ; en échange, les souverains anglais deviennent des soutiens financiers de Cluny. En revanche, les clunisiens ne parviennent quasiment pas à étendre leur réseau dans l’Empire, dans lequel l’empereur exerce une influence et un contrôle sur le clergé que l’indépendance des moines de Cluny ne peut tolérer. L’Espagne en pleine Reconquista est quant à elle plus réceptive, et Cluny participe à la réforme de l’Eglise dans la péninsule Ibérique, au détriment du christianisme mozarabe.
Toutefois, il ne faut pas oublier que Cluny est aussi au cœur de la grande réforme dite « grégorienne » et des luttes entre le pape et l’empereur, qui culminent avec la Querelle des Investitures en 1076. Hugues de Semur est ainsi actif, y compris diplomatiquement, pour servir de lien entre le pape Grégoire VII et l’empereur Henri IV, et les clunisiens intègrent la curie à Saint Pierre de Rome, le cardinalat et la papauté avec Urbain II. La relation entre Cluny et Rome est alors à son plus haut niveau, et il n’est pas rare de voir le pape intervenir pour régler des litiges entre Cluny et des monastères « rebelles » de son réseau.
Un lent affaiblissement
Le pouvoir grandissant de Cluny provoque évidemment des tensions, y compris au sein de l’Ecclesia cluniacensis. Sous l’abbé Pons de Melgueil (1109-1122), le réseau connaît un véritable schisme, peut-être provoqué par des rivalités au sein des familles châtelaines du réseau clunisien. Pour des raisons encore floues et qui divisent les historiens, l’abbé Pons quitte Cluny pour partir en pèlerinage à Jérusalem, puis tente de récupérer l’abbatiat à son retour ; il est alors condamné par le pape.
Ce schisme est en fait le résultat à la fois de tensions au sein du réseau clunisien, mais également de l’émergence de « concurrents », critiques envers Cluny, comme les Cisterciens. Cela n’empêche pas Cluny de se relever, grâce à l’abbatiat de Pierre le Vénérable (1122-1156), qui tente de rationaliser l’économie du monastère et de la rendre moins dépendante des dons. Il agit aussi au niveau doctrinal, s’attaquant aux juifs et à l’islam, et décrit Cluny comme une Eglise universelle, liant les laïcs et les différents ordres de l’Eglise. Cela l’amène en 1132 à convoquer un chapitre général, premier pas vers la création d’un véritable ordre de Cluny, entériné réellement bien plus tard, avec les statuts d’Hugues V (1199-1207).
A ce moment, Cluny a déjà perdu de son influence et on peut considérer Pierre le Vénérable comme le dernier grand abbé clunisien. L’ordre subit principalement la concurrence de l’ordre cistercien, et se replie sur le royaume de France, tombant même sous la tutelle du roi à la fin du XIIIe siècle. Et dès le XIVe siècle, c’est le pape qui nomme les abbés de Cluny. Sous la double tutelle du roi et du pape, l’ordre de Cluny est bien loin de son indépendance passée…
Seul vestige de l'abbaye de Cluny, il ne reste de nos jours que la grande église. De nombreux vestiges ont été rassemblés au musée du palais Jean de Bourbon.
Bibliographie
- D. Riche - L'ordre de Cluny à la fin du moyen âge: le vieux pays clunisien, XIIe-XVe - Presses de l'université de Saint-Étienne (C.E.R.C.O.R. Travaux et recherches), 2000.
- M. Pacaut, L'Ordre de Cluny (909-1789), Paris, 1994 (2e éd.).
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