À l’instar de la Bourgogne ducale, véritable terre du monachisme médiéval occidental, la Bourgogne transjurane se présente également comme une terre de prédilection où se développèrent de nombreuses fondations monastiques dès l’époque du royaume burgonde. C’est aussi dans ces terres qu’il faut chercher les sources historiques de Cluny « phare de l’Occident médiéval » avec son premier abbé Bernon emmenant au début du Xe siècle un petit groupe de moines provenant de deux abbayes du Jura. Les célébrations des 1100 ans de la fondation de Cluny nous donnent l’occasion de revenir aux sources avec un tour d’horizon non exhaustif du riche et important patrimoine clunisien du Jura.
L’abbaye de Baume-les-Messieurs
Des abbayes clunisiennes du Jura, la plus connue est certainement celle de Baume-les-Messieurs. Classé parmi les « plus beaux villages de France », le site doit son charme avant tout à sa situation topographique. Situé dans une reculée, véritable et pittoresque bout du monde, nous pouvons comprendre sans peine le choix d’un tel lieu pour une édification monastique qui fut avec Gigny, la « mère » de Cluny. En effet, de cette abbaye partent en 909 six moines avec six autres de Gigny sous la direction de Bernon pour fonder Cluny donnant ainsi naissance à un ordre qui joua un rôle prépondérant dans le renouveau monastique des Xe et XIe siècle de l’Occident médiéval. C’est ainsi de ce lieu que naquit en quelque sorte le puissant ordre clunisien qui au début du XIIe siècle – son apogée – comptait plus de 1100 monastères à travers l’Europe.
Pour autant l’intérêt de Baume ne réside pas simplement dans son titre de « mère » de Cluny, ni ne se limite à son magnifique site naturel mais passe aussi par son architecture allant de l'art roman jusqu’à un retable flamand du XVIe siècle, récemment restauré et qu’il convient vraiment de ne pas manquer. Sécularisée en 1759, puis vendue comme bien national, l’abbaye appartient aujourd’hui à une quinzaine de propriétaires dont le Conseil général du Jura qui organise dans le logis abbatial des expositions mêlant art et histoire pour offrir un appréciable regard nouveau et croisé du site et de son histoire.
L’église abbatiale de Gigny-sur-Suran
Souvent éclipsée par Baume « la majestueuse », la discrète et modeste abbaye de Gigny dont il ne reste aujourd’hui que l’église abbatiale est la véritable origine de Cluny. C’est sur ce site qu’en 890, l’abbé Bernon décide d’appliquer une réforme de la vie bénédictine tout en se soustrayant au pouvoir temporel plaçant l’abbaye sous la protection des apôtres saint Pierre et saint Paul. Les moines de Gigny n’ont de comptes à rendre qu’à leur successeur sur le saint Siège, à savoir le pape. L’expérience sera ensuite renouvelée avec succès à Baume-les-Messieurs et surtout à Cluny.
Quelque peu isolé des circuits touristiques, le site n’est pourtant pas à négliger. Bien au contraire, chargée de l’histoire de l’ordre clunisien, l’église est un précieux témoignage du premier art roman comme les piliers octogonaux de la nef. Si certaines modifications ont naturellement eu lieu au cours des siècles, le monument demeure un très bel et intéressant exemple de l’architecture du début du XIe siècle, expliquée par des panneaux à l’intérieur de l’église.
Mièges et Nozeroy
Si les églises clunisiennes des villages voisins de Mièges et Nozeroy n’ont a priori aucun intérêt par leur aspect extérieur – perte de leurs clochers suite à des incendies –, ce serait une gageure que de manquer la visite de leurs intérieurs ayant bénéficié de l’influence artistique de la cour des ducs de Bourgogne des XIV et XVe siècles.
L’église saint Germain de Mièges, devenue à la fin du XIe siècle un prieuré dépendant de Cluny, apparaît d’une taille relativement impressionnante pour son très modeste village d’autant qu’elle est couverte d’ornements principalement du gothique flamboyant avec notamment de nombreuses feuilles de vigne ou encore à l’extérieur de l’édifice de sirènes mais également de pieds de colonne de style début renaissance. Le véritable joyau se trouve être la petite chapelle dite des Chalon située à droite du chœur avec ces clés de voutes pendantes représentant le Christ au centre, entouré des quatre Évangélistes.
Ce petit prieuré quitta toutefois l’ordre clunisien à la fin du Moyen Âge, arraché par la collégiale du bourg voisin de Nozeroy, aujourd’hui classé parmi les « plus beaux villages de France », autrefois forteresse et siège des puissants seigneurs de Chalon. Ces derniers firent construire début XVe, sur l’emplacement d’une chapelle du XIIIe, ancienne dépendance du prieuré de Mièges, la collégiale saint Antoine dont l’intérieur présente d’intéressants éléments du gothique flamboyant. Mais l’intérêt principal de cette église réside avant tout dans trois broderies de paille du XVIIe siècle, situées sur des antependia (devant-d’autel). Pour remplacer l’or, les religieuses brodaient à « l’orfroi », de la paille de froment sur soie, constituant ainsi une œuvre assez unique en Europe et assurément une curiosité valant le détour.
Romainmôtier, la plus ancienne église romane de Suisse
Dans le Jura suisse – région d’Yverdon les Bains – se situe très certainement le plus ancien monastère du pays, fondé vers 450. Au VIIe siècle, il est placé sous la règle de saint Colomban, il s’agit alors d’une construction modeste qui passe au IXe siècle sous la propriété de l’éphémère royaume de Bourgogne transjurane. Vers 928-929, le monastère est donné à l’ordre de Cluny. Débute une phase d’essor se traduisant notamment par un développement architectural jusqu’au XVIe siècle et la Réforme. L’abbatial subit alors l’iconoclasme des Bernois et voit la destruction de son cloître dont subsistent les fondations.
L’abbatial demeure néanmoins un formidable site avant tout pour son église romane, édifiée selon un plan identique à l’église (détruite) de Cluny alors qu’un incendie pendant la période médiévale a permis le passage de l’art roman à l’art gothique donnant ainsi naissance à de magnifiques voûtes colorés, des peintures murales ou encore l’étrange décoration murale rose et verte du chœur ressemblant à des « empreintes » de pouce.
La grange de la dîme, bâtiment du XVIIIe siècle tient lieu aujourd’hui de musée et accueille une exposition dans la mouvance des 1100 ans de Cluny. Cette exposition présente deux principaux sujets : le premier aborde l’iconoclasme à travers des fragments de statues représentatives de l’art clunisien ayant subies les effets de la Réforme (destruction des visages ou des têtes) ; le second thème s’intéresse aux monuments funéraires des grands prieurs de Romainmôtier. Un très intéressant film en images de synthèse retrace l’histoire du site depuis le Ve siècle, expliquant les différentes étapes de la construction de ce haut lieu du patrimoine clunisien.
Le patrimoine clunisien du Jura
Les différents sites clunisiens ont marqué l’architecture et la vie du Jura. À travers des églises du rare premier style roman comme Gigny ou Baume-les-Messieurs, des églises gothiques représentatives du développement artistique de la cour des ducs de Bourgogne comme Mièges ou encore des abbatiales mêlant roman et gothique comme Romainmôtier, le Jura tant français que suisse conserve un important et considérable patrimoine dont nous n’avons fait qu’un bref aperçu.
D’autres sites comme la chapelle funéraire et le grand cloître de l’abbaye de saint Claude, le prieuré saint Christophe de Ruffey sur Seille (privé mais visitable pendant les journées du patrimoine ou sur rendez-vous), l’église de Mouthier-Vieillard à Poligny, le prieuré de Vaux sur Poligny ou encore le collège saint Jérôme de Dole sont autant d’autres édifices d’art et d’histoire.