Une vision globale de la guerre du Pacifique
Quand on parle de la deuxième guerre mondiale, en Europe et plus singulièrement en France, le théâtre de la Guerre du Pacifique est souvent peu connu, voire ignoré. On pourrait l’expliquer par le fait que cette guerre a concerné plus spécifiquement les Japonais et les Américains, mais ce serait oublier aussi la présence des colonies européennes, directement touchées par le conflit, ainsi que la participation active anglaise évidemment, mais aussi française, de ces mêmes Européens.
De plus, il est bien dommage de méconnaître un conflit d’une telle ampleur, d’un tel impact, avec de telles conséquences, une véritable « guerre mondiale dans la guerre mondiale » ! Jugeons plutôt : des millions de combattants, sur un théâtre d’opérations allant de la Birmanie aux îles Hawaï et des Aléoutiennes à l’Australie ; des batailles titanesques qui ont provoqué de véritables révolutions dans l’art de la guerre (en particulier aéronavale) ; des drames effroyables (le Nankin, les suicides en masse et les kamikazes, et évidemment les bombes atomiques),…
Nous allons donc tenter ici de donner une vision globale de cette guerre du Pacifique, en évoquant les grands mouvements, les tournants et les point-clés. Ainsi, nous ne pourrons pas entrer dans les détails de telle ou telle grande bataille, ou débattre sur les sujets de controverse (les crimes japonais, le « Roosevelt savait-il pour Pearl Harbor ? », ou encore la pertinence de l’emploi des Bombes) mais nous aurons probablement l’occasion d’y revenir…
L’impérialisme japonais
On a l’habitude de faire débuter la guerre du Pacifique avec Pearl Harbor ; pourtant, ce conflit a débuté bien avant l’incroyable offensive globale des 7 et 8 décembre 1941.
Il faut insister sur l’importance et la puissance du Japon dans cette région depuis sa victoire en 1905 contre la Russie. Une puissance qui lui permet d’avoir des prétentions, comme l’atteste l’envoi de troupes nippones en Mandchourie dès 1919 et la quasi-annexion de la Corée. Du côté des vainqueurs en 1918, le Japon s’est vu attribuer, suite au traité de Versailles de 1919, certaines possessions allemandes du Pacifique comme les îles Marianne, Carolines et Marshall.
Une fascination pour les régimes fascistes européens des années 20 et 30 commence à gagner les jeunes officiers japonais, couplée à un ressentiment envers les Européens qui se sont taillés des empires dans une Asie que le Japon considère de plus en plus comme son pré-carré. L’armée exerce un pouvoir grandissant dans le pays, et ce n’est pas un hasard si est enclenché un grand programme pour une flotte de guerre, signe d’une volonté de puissance toujours grandissante. C’est bien la naissance d’un impérialisme japonais.
La première phase est marquée par le terrible massacre de Nankin (250 000 civils tués, sans compter les viols et mutilations) et s’arrête en 1939, après la conquête du Nord de la Chine et de l’essentiel des côtes jusqu’à Canton. Le Japon est stoppé et confronté à une résistance inattendue, ainsi qu’à l’alliance entre les ennemis d’hier, Mao et Tchang Kaï-Shek. Parallèlement, il doit faire face au réveil de la Russie, désormais soviétique, et qui se méfie de l’impérialisme japonais de ce côté-ci de son gigantesque territoire. L’Armée Rouge inflige deux défaites au Japon en 1938 et 1939, et le gouvernement nippon doit négocier sa neutralité, effective en avril 1941.
L’agitation japonaise ne semble pas faire réagir les Occidentaux : les Américains sont toujours dans leur doctrine isolationniste, même si à partir de 1940 et la signature du Pacte tripartite (Allemagne, Italie, Japon) en septembre, ils commencent à s’inquiéter sérieusement ; et la France et l’Angleterre sont bien trop occupées par les agissements d’Hitler en Europe…
L’escalade et le « jour d’infamie »
La signature du Pacte tripartite a bien confirmé la volonté d’escalade nippone, mais les Occidentaux ont toujours du mal à lire dans leurs intentions, et surtout à réagir alors que la guerre a débuté en Europe et que la France a été vaincue en juin 1940.
Le conflit reprend tout d’abord avec la Chine, mais parallèlement, le Japon négocie avec certains pays de la région comme la Thaïlande indépendante (le Siam), jouant sur le ressentiment anti-colonial envers Français et Britanniques ; les deux pays (Siam et Japon) se sont rapprochés dès 1938. Au même moment, et en lien avec les relations nippo-thaïlandaises, le Japon met la main sur l’Indochine française, qu’il considère comme une clé pour pouvoir couper les vivres à cette Chine immense qui lui résiste : la première partie de l’invasion se passe quasiment sans coup de feu, les Japonais jouant sur la faiblesse française pour lui imposer un embargo !
Le Tonkin passe sous contrôle nippon dès septembre 1940, et le Japon se sert de son allié thaïlandais et d’un contentieux frontalier entre Siam et Indochine française pour envahir le Sud de celle-ci en novembre 1941. En juillet de la même année, la France doit bien se résoudre à l’évidence : le Japon est chez lui en Indochine suite à un pacte de « défense commune » imposé…
La Royaume Uni voit avec grande inquiétude les armées japonaises se rapprocher de ses propres possessions, comme c’était déjà le cas en 1937 avec la prise de Canton, menaçant directement Hong Kong. Pourtant, ce sont les Hollandais qui subissent les premiers la pression nippone. Le Japon use de la même stratégie qu’avec la France, imposant des conditions économiques sous la menace d’une invasion réelle mais, contrairement aux Français, les Hollandais résistent durant tout l’été 1940 : le Japon se retire des négociations et ne met pas ses menaces à exécution (pour le moment).
La Birmanie, elle aussi, est observée avec avidité par les Japonais, toujours dans une optique de recherche de ressources (pétrole principalement) pour conduire la guerre en Chine et accroître leur sphère de coprospérité. Pour gagner du temps, les Britanniques acceptent des négociations au sujet du ravitaillement de la Chine, et coupent quelques routes entre celle-ci et la Birmanie et Hong-Kong…
Il semble que l’invasion de l’URSS par l’Allemagne ait surpris Tokyo, en faveur des durs, mais les négociations continuent avec les Américains pendant tout l’été et l’automne 1941. Tout s’accélère en novembre quand le parti de Tojo prend le dessus sur les modérés : la guerre est désormais programmée. Elle éclate de façon spectaculaire le 7 décembre 1941, « jour d’infamie » selon Roosevelt, quand l’armada japonaise réunie en grand secret et entraînée depuis plusieurs semaines, attaque le siège de la flotte américaine à Pearl Harbor dans les îles Hawaï.
Le rouleau-compresseur japonais dans le pacifique
La stratégie nippone dans le pacifique est impressionnante à plus d’un titre. En effet, l’état-major n’a pas programmé seulement la destruction de la flotte américaine, mais une attaque généralisée contre les possessions des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne dans toute la région ! Dès le 8 décembre, les cuirassés américains encore en feu, le Japon attaque Hong Kong qui se rend le 26 ; le même 8 décembre, la Malaisie et Singapour subissent également l’assaut nippon : le cuirassé Prince of Wales (qui avait participé à la traque du Bismarck) est coulé le 10, et il faudra une résistance acharnée des Britanniques dans la forteresse de Singapour pour que finalement le Japon s’impose le 15 février 1942 (le reste de la Malaisie étant sous contrôle dès la fin 41).
Mais ce n’est pas fini : quelques heures après Pearl Harbor, l’aviation japonaise bombarde les Philippines ! Le 10, les troupes nippones débarquent : leur avancée, malgré la résistance conduite par le général MacArthur, est inexorable. Le 2 janvier 1942, Manille tombe et MacArthur quitte Corregidor le 11 mars 1942.
Son incroyable réussite pousse le Japon à tenter d’attaquer l’Inde, par le biais de Ceylan en avril 1942 ; c’est un échec, certes peu important sur le moment, mais qui annonce les premiers revers et quelques défauts dans la cuirasse et la stratégie nippones…Ainsi, Tokyo est bombardée pour la première fois le 18 avril 1942 par les avions de Doolitttle.
De la bataille de Midway à Guadalcanal
Les succès dans le pacifique de fin 41-début 42 ont été réellement impressionnants, mais cela n’a pas permis de cacher les premières failles de la stratégie japonaise, surtout à long terme. Déjà, la gestion de ces territoires conquis pose des problèmes et le Japon y répond le plus souvent par une grande violence, même s’il jouit au départ d’un certain prestige auprès de populations « libérées » des puissances coloniales occidentales. On parle déjà de Pearl Harbor comme d’une « victoire à la Pyrrhus ». Face à l’effort qui l’attend –résister à la contre-attaque américaine, sous-estimée– le Japon va devoir pratiquer une économie de pénurie, qui va peser sur sa population.
Concernant celle-ci, on doit noter le gros manque de l’attaque sur Pearl Harbor, qui va peser pour la suite : si les Japonais ont coulé quelques cuirassés (dont la majorité sera renflouée), ils n’ont pas touché de porte-avions, aucun n’étant présent à ce moment dans la rade…Ainsi, c’est du Hornet que s’envolent les avions de Doolittle, et dès mars 42, les porte-avions américains sont en mesure de mener des actions contre la flotte japonaise.
Le Japon se doit de réagir pour empêcher le réveil américain en lui supprimant ses appuis dans le Pacifique Sud : la ville de Port Moresby en Nouvelle-Guinée, qui plus est, possible marchepied vers l’Australie, devient l’objectif principal. Pourtant, lors de la bataille de la Mer de Corail du 4 au 8 mai 1942, c’est la flotte américaine qui l’emporte malgré la perte du porte-avions Lexington, et l’offensive japonaise est stoppée.
L’amiral Yamamoto possède néanmoins toujours l’initiative et il décide de contre-attaquer au centre de l'océan pacifique, en attaquant Midway, un petit ilot piètrement défendu. Le grand stratège japonais, à l’origine de Pearl Harbor, espère y piéger et y détruire la flotte américaine ; mais dans cette gigantesque partie de cache-cache, ce sont les Américains qui frappent les premiers : quatre porte-avions nippons sont détruits, contre un. La défaite japonaise est terrible à plus d’un titre : l’équilibre des forces navales est rétabli, et ils perdent la majorité de leurs meilleurs pilotes.
Les Américains ont pris l’initiative : ils décident d’en profiter dès les semaines qui suivent en attaquant les Japonais dans les îles Salomon, à Guadalcanal. La bataille, à la fois terrestre et aéronavale, se déroule d’août 1942 à février 1943. Les Japonais doivent se retirer : ils ne sont plus invincibles.
Entre guerre d’usure et sauts de grenouille…
Alors que dans chaque camp on s’est réorganisé, l’offensive reprend du côté des Alliés. Les succès dans les Salomon permettent à Nimitz et MacArthur de lancer leur stratégie du « saut de grenouille » : plutôt que de conquérir chaque îlot au prix de lourdes pertes, on décide de contourner les plus gros points de résistance ; c’est le cas de Rabaul par exemple.
En Chine, les divergences entre communistes et nationalistes mettent à mal les progrès alliés, essentiels puisqu’ils permettent de bloquer plus d’un million de combattants japonais ; en avril 1944, une offensive japonaise décime les troupes nationalistes ; les progrès alliés ne reprendront qu’en octobre de la même année...Des divergences interviennent également entre Britanniques et Américains pour les opérations en Birmanie, avec comme point d’orgue les relations houleuses entre Stilwell (sorte de Patton sur le théâtre pacifique) et Wavell (responsable de la débâcle de Rangoon). Les Japonais se révèlent supérieurs aux Alliés dans les combats de jungle, et il faut attendre mai 1944 pour que les Alliés, grâce aux Chinois, connaissent leur premier succès en Birmanie !
Les bombardements atomiques et la fin de la guerre du Pacifique
Le général MacArthur avait promis de revenir à Manille. Les Marines américains, soutenus par une armada de 700 bâtiments, débarquent à Leyte en octobre 1944. La réaction désespérée de la flotte japonaise provoque la plus grande bataille aéronavale de tous les temps, mais les forces sont trop disproportionnées et la marine impériale est annihilée !
C’est à ce moment qu’apparaissent les kamikazes, derniers recours d’une armée à la dérive pour tenter d’infliger de lourdes pertes à son ennemi…L’acharnement nippon continue sur terre, et la conquête des Philippines est longue et ardue : elles ne tombent qu’en mai 1945 ! Cela a pour première conséquence d’isoler les Japonais présents en Birmanie et dans les Indes néerlandaises, facilitant les opérations alliées dans ces régions.
Les Américains enclenchent le dernier acte de l’écrasement du Japon. Ils ont déjà profité de leur avancée pour lancer des bombardements massifs sur les principales villes japonaises, provoquant des dégâts considérables et des pertes effroyables ; ainsi, le 9 mars 1945, le bombardement de Tokyo à l’aide de munitions incendiaires cause la mort de 185 000 civils…Il est temps de faire sauter les derniers verrous menant au cœur de l’empire nippon : ce sont les deux meurtrières batailles d’Iwo Jima (février-mars 1945) et Okinawa (avril 1945). Les troupes américaines sont aux portes du Japon, à 500 km de Kyushu, et le blocus de l’archipel commence.
Le 2 septembre 1945, sur le Missouri ancré dans la baie de Tokyo, est signée la capitulation du japon sans conditions. Ils ont perdu 1 140 000 soldats, 700 000 civils ; les Américains ont perdu 90 000 hommes, les Britanniques 227 000, l’Australie 46 000. Le monde entre dans une nouvelle ère, celle de l’atome et de la guerre froide. Quant à la région, elle se prépare déjà à d’autres guerres…
Bibliographie non exhaustive
- P. Souty, La Guerre du Pacifique 1937-1945, PUL, 1995.
- F. Garçon, La Guerre du Pacifique, Casterman, 1997.
- J. Costello, La Guerre du Pacifique. Pygmalion, 2010.