Charlotte-Élisabeth de Bavière, un parti convoité
Née en mai 1652, Elisabeth-Charlotte de Bavière est surnommée la Princesse Palatine car elle est la fille de Charles-Louis, Électeur palatin du Rhin. Elle est aussi l'aïeule de la plupart des princes catholiques et de Marie Louise (2ème épouse de Napoléon Ier), arrière grand-mère de Marie Antoinette et des empereurs Joseph II et Léopold II, arrière petite fille d’un roi de Bohême ainsi que d’un roi d’Angleterre et d’Ecosse. Maigrelette à la naissance, elle devient potelée à six ans, joue avec les épées et les fusils de son frère, se promène dans son Palatinat natal à cueillir le raisin, parle patois et écoute les contes populaires. Tiraillée entre des parents désunis, sa tante Sophie de Hanovre la prend sous son aile pendant cinq ans, lui apprend les langues, la danse, la musique, l’écriture (elle gardera un souvenir ému des fêtes de Noël, de Carnaval et de Pentecôte).
Madame est surprise à la vue de Philippe de taille modeste, juché sur des talons hauts et paré de bagues, bracelets et pierreries : « sans avoir l’air ignoble, Monsieur était petit et rondouillet, avec des cheveux et des sourcils très noirs, de grands yeux de couleur foncée, le visage long et mince, un grand nez et une bouche trop petite garnie de vilaines dents. En revanche, les habits sont magnifiques ». Quant à Monsieur, il ne peut dire que : « comment pourrais-je coucher avec elle ? ». Elle n’est pas une beauté, mais pas laide non plus. Blonde, fraiche, massive, les joues colorées, les yeux bleus, le teint clair. Elle n’a pas la grâce, la séduction et le charme de la Cour. Elle forme, avec Philippe, un couple dont les rôles sont inversés : lui efféminé, petit, précieux, coquet ; elle masculine, robuste, simple, naturelle. La lune de miel de dix jours à Villers-Cotterêts est à la hauteur de la somptuosité de Philippe. Le roi est rapidement conquis par Madame qui parle couramment français. Il en a d’ailleurs pitié, connaissant son frère et ses attirances.
La Princesse Palatine, épouse de Philippe, frère du roi
Le couple s’entend bien au début. Elisabeth Charlotte découvre Saint Cloud « le plus bel endroit du monde », le Palais Royal et Paris (qu’elle détestera à vie, en raison du bruit et des odeurs), les ovations du peuple qui l’aimera toujours…et les mignons dont elle se méfie. Elle ne se mêle pas des affaires de Philippe d'Orléans, mais le plus dérangeant est qu’il utilise les biens d’Elisabeth Charlotte pour offrir des cadeaux aux mignons !
N’ayant pas encore eu de garçon, Philippe fait son devoir : Alexandre-Louis nait en juin 1673, mais ne vivra que trois ans, puis Philippe duc de Chartres futur régent en août 1674, Mlle de Chartres en septembre 1676. A partir de cette date, ils font chambre à part. Elisabeth Charlotte écrira plus tard : « j’ai été bien aise, car je n’ai jamais aimé le métier de faire des enfants. Lorsque Son Altesse me fit cette proposition, je lui répondis oui, de bon cœur, Monsieur, j’en serai très contente pourvu que vous ne me haïssiez pas et que vous continuiez à avoir un peu de bonté pour moi… ». D’autant que Philippe lui a transmis « une belle maladie » ! Elle remplace vite sa présence dans son lit…par 6 épagneuls !
A partir de 1680, « le vent tourne ». Elisabeth Charlotte perd son père et Anne de Gonzague, fait face à un complot organisé par les mignons pour l’évincer détruisant la bonne entente entre les deux époux, une fièvre double-tierce de Philippe, le roi détruit le Palatinat, Philippe supprime des postes de la maison de son épouse, impose Effiat comme précepteur de leur fils…Madame se rebiffe, le roi lui fait des remontrances et ajoute : « si vous ne futes pas ma belle sœur, je vous aurais congédiée de la cour». Il se détourne d’elle…le roi commence la 2ème partie de sa vie : plus sérieux, plus pieux, le franc-parler d’Elisabeth Charlotte l’offusque presque. Elle perd toute crédibilité et ne s’est pas rendu compte de la faveur montante de Mme de Maintenon.
Le pire est atteint lorsque le roi marie le duc de Chartres (afin de le canaliser car il est trop doué à la guerre) à Mlle de Blois, sa fille bâtarde. Elisabeth Charlotte sort des salons du château de Versailles, au milieu des courtisans « comme une lionne à qui l’on arrache ses petits ». Elle se sent de plus en plus seule et perdue. Philippe ne s’occupant plus d’elle, elle souhaite entrer au couvent. Elle s’en plaint au roi qui répond : « tant que je vivrai, je n’y consentirai point. Vous êtes Madame, et obligée de tenir ce poste, vous êtes la femme de mon frère, ainsi je ne souffrirai pas que vous lui fassiez un tel éclat…Je ne veux point vous tromper, en tout le démêlé que vous pourrez avoir avec mon frère : si c’est de lui à vous, je serai pour lui ; mais aussi si c’est des autres gens à vous je serai pour lui ». Seule sa tante Sophie de Hanovre est là pour elle. La seule consolation d’Elisabeth Charlotte est son courrier, elle écrit librement, raconte ses malheurs, dépeint les frasques de la Cour, sans oublier qui que ce soit. Ses lettres sont ouvertes, et montrées au roi…
La "commère du Grand Siècle"
Elisabeth Charlotte et Philippe, délaissés par le roi, se rapprochent. Elle prend des proportions inquiétantes, il est usé, fatigué par ses abus. En voulant défendre son fils, Monsieur s’emporte et s’énerve tant face au roi qu’il fait une crise d’apoplexie. Le 9 juin 1701, Elisabeth Charlotte est seule, menacée de passer le reste de sa vie au couvent. Suivant les conseils de son entourage, elle fait la paix avec Madame de Maintenon le 11 juin…tout le monde s’embrasse mais l’ambiance reste tendue.
Elle passe de plus en plus de temps dans son cabinet, à jouer à la guitare, à agrandir sa collection de beaux livres (3000 volumes) et de médailles antiques (964). Elle navigue entre Virgile, Honoré d’Urfé, Saint Evremond et la Bible.Intéressée par la médecine et les sciences, elle passe des moments à étudier les insectes et autres à travers les trois microscopes qu’elle possède. Ses lettres de vingt pages ne servent pas à l’Histoire, elles sont un témoignage de son temps, « ces petits riens » de la vie courante que l’on se raconte, un peu comme de nos jours. A notre époque, on dirait « elle bavarde ».
La Princesse Palatine, entre mélancolie et lucidité
Elisabeth Charlotte est d’une tristesse infinie à la mort de sa tante Sophie en 1714 et n’a plus le goût à la vie. A la mort du roi, elle fait un malaise tant sa peine est réelle et profonde. Parmi ses occupations, elle pose la première pierre de l’église de l’Abbaye-aux-Bois, rue de Sèvres, elle soutient son fils lors de la conspiration de Cellamare. Enfin, en 1719, Mme de Maintenon s’éteint à St Cyr ! Elle s’exclame : « la vieille Maintenon est crevée. C’eût été un grand bonheur si cela avait pu arriver il y a quelque trente ans ». Autre contentement : la mort du marquis d’Effiat. Elle se réconcilie avec les médecins et accepte certaines prescriptions, mais elle s’use, se fatigue très vite. Ne pouvant plus se promener, mais ayant toute sa tête, elle est perplexe lors de cette nouvelle richesse parisienne produite par le système Law. Elle a encore le temps d’assister au sacre de Louis XV avant de mourir. Courageuse jusqu’au bout, elle s’éteint le 8 décembre 1722, à la même heure qu’une éclipse du soleil.
Mathieu Marais dira : « on perd une bonne princesse, et c’est chose rare ». Une princesse de l’ancien temps, conservant et appliquant les principes de bienséance, toujours prête à rendre service aux gens de sa maison, ayant eu du mal à comprendre l’évolution des mœurs au cours de la Régence.
Bibliographie
- Madame Palatine, princesse européenne, de Dirk Van der Cruysse. Fayard, 1988.
- La Princesse Palatine, de Christian Bouyer. Pygmalion, 2005.
- Le Duc d'Orléans : Frère de Louis XIV de Christian Bouyer. Pygmalion, 2003
Pour aller plus loin
- Lettres de Madame, duchesse d'Orléans née princesse Palatine. Mercure de France, 1999.