Philippe de Lorraine, l'âme damnée de Monsieur, de belle apparence et de par son statut de Favori, va manigancer toute sa vie pour obtenir toutes les faveurs et œuvrer pour que Monsieur n'ait confiance en personne, encore moins en ses deux épouses. Certainement bon guerrier, il eut des démêlés avec Henriette d'Angleterre et fut accusé de sa mort ; il s'en prend ensuite à la Princesse Palatine ; pour comble, il initie le fils du Roi au vice italien jusqu'à perdre tous ses biens obtenus et mourir un jour d'apoplexie.
Portrait du chevalier de Lorraine
Philippe de Lorraine Armagnac qui porte le petit nom de « Chevalier de Lorraine », est né en 1643. Fils du comte d'Harcourt Henri de Lorraine, il fait la connaissance de Philippe d'Orléans, Monsieur, frère de Louis XIV, en 1650. Dès 1658, il devient son favori, puis son amant, et restera jusqu'à la fin de sa vie, un ami fidèle de débauche. Monsieur le loge au Palais Royal dix ans plus tard, dans un magnifique appartement.
Il est de belle apparence comme le décrit Monsieur « Ainsi vous souhaitez que je vous parle plus précisément de ce cher chevalier. Soit ! C'est un homme ma foi minutieux et impétueux. Tout comme moi, il aime les mondanités de la Cour, les plaisirs divers. Il est fort attentionné et aimant. Sa lignée et son nom sont, comme tout noble qui se respecte, choses qui lui tiennent à cœur. Vous me demandez de vous le décrire tel un tableau.... Il est grand, a des muscles saillants et parfaitement taillés. Il porte des cheveux bruns légèrement ondulés et souvent ébouriffés par fantaisie. Ses yeux sont clairs et limpides. Son regard est profond. Il s'habille fort élégamment. J'espère que cette brève escquisse vous donnera une meilleure image de lui ».
L'affaire « Henriette d'Angleterre »
En 1670, Louis XIV charge sa belle sœur d'une mission diplomatique en vue d'une alliance entre l'Angleterre et la France. A son retour, elle est fêtée comme il se doit ; mais poussé par le Chevalier de Lorraine, Monsieur se met en colère, n'ayant pas été mis au courant de ces négociations. Pour sa paix, Henriette demande à Louis XIV d'emprisonner et d'exiler le Chevalier qui va se venger.
Captif au château d'If, puis parti à Rome, il rencontre Marie Mancini, devient son amant, et se procure du poison. Guy Breton nous raconte « Le chevalier de Lorraine, installé à Rome, devenu l'amant de Marie Mancini, avait une telle emprise sur Philippe, détestant tant Henriette, s'était procuré du poison en Italie. Il chercha à le faire parvenir en France, mais de manière discrète : il lui fallait une personne inconnue à la Cour : un certain Antoine Morel. Cet Antoine Morel, de retour à Paris, organisa un rendez-vous avec le marquis d'Effiat, lui remit le poison et disparut. A Effiat donc, d'agir ».
Et la Correspondance de la Princesse Palatine nous explique que « pendant que les coquins arrêtaient le projet d'empoisonner la pauvre Madame, ils délibéraient s'il fallait en faire part à Monsieur ou non. Le chevalier de Lorraine dit : « Non, ne le lui disons pas, il ne saurait le taire. S'il n'en parle pas la première année, il nous fera pendre dix ans après ».
Alors comment Henriette fut-elle empoisonnée ? Selon la princesse Palatine « ce n'était pas l'eau de chicorée de Madame qu'Effiat avait empoisonnée, mais la tasse, ce qui était un raffinement d'invention, car d'autres pouvaient goûter de cette eau tandis que personne ne boit dans notre tasse. Un valet de chambre qui avait été près de Madame et j'ai eu ensuite m'a raconté que le matin, pendant que Monsieur et Madame étaient à la messe, d'Effiat alla au buffet et qu'ayant pris la tasse, il en frotta l'intérieur avec du papier. « Monsieur, lui demanda le valet, que faites-vous à notre armoire et pourquoi touchez-vous à la tasse de Madame ? » Il répondit : « je crève de soif. Je cherchais à boire et, voyant la tasse malpropre, je l'ai nettoyée avec du papier ». Après-midi, Madame demanda de l'eau de chicorée. Dès qu'elle l'eut bue, elle s'écria qu'elle était empoisonnée ; ceux qui étaient présents burent de la même eau, mais non pas de celle qui était dans la tasse. On fut obligé de porter Madame au lit, son mal empira et, deux heures après minuit, elle mourut. La tasse avait disparu quand on la demanda. Elle ne se retrouva que plus tard. Il a fallu la faire passer au feu pour la nettoyer ».
Après la mort d'Henriette, Louis XIV veut remarier Monsieur, mais celui-ci n'acceptera qu'à la condition du retour en grâce du Chevalier de Lorraine.
Les sentiments de Monsieur
Philippe était profondément épris du Chevalier, mais il n'est pas évident que la réciproque fut vraie. Il est certain que le chevalier a manipulé Monsieur durant sa vie. Bien des choses ont été racontées : « Monsieur aimait à danser le menuet avec son ami Philippe de Lorraine ou qu'après la campagne de Flandre, à son retour à St Cloud, on les rencontre enlacés dans les couloirs, les jardins, les fourrés, et bien des gens les virent se caresser le visage, les épaules ou les genoux avec un air heureux... ».
La fortune du Chevalier
Les Mémoires de Saint Simon sont explicites « le chevalier de Lorraine et Châtillon y avaient fait une grande fortune par leur figure, dont Monsieur s'était entêté plus que de pas une autre. Le dernier, qui n'avait ni pain, ni sens, ni esprit, s'y releva, et y acquit du bien. L'autre prit la chose en guisard qui ne rougit de rien pourvu qu'il arrive, et mena Monsieur le bâton haut toute sa vie, fut comblé d'argent et de bénéfices, fit pour sa maison ce qu'il voulut, demeura toujours publiquement le maître chez Monsieur. Outre les bénéfices que Monsieur lui avait donnés, l'argent manuel qu'il en tirait tant qu'il voulait, les pots-devin qu'il taxait et qu'il prenait avec autorité sur tous les marchés qui se faisaient chez Monsieur, il en avait une pension de dix mille écus, et le plus beau logement du Palais-Royal et de Saint-Cloud ».
Ne soyons pas que médisant ! Philippe de Lorraine s'est fait remarqué à l'armée : il est en 1658 au siège de Torino en Italie, passe ensuite en Hongrie pour aider l'empereur contre les Turcs, il se distingue à Raab en août 1664, deux ans plus tard on le retrouve dans l'armée navale des Hollandais contre les Anglais. En 1667, il se bat avec vigueur aux sièges de Bergues, Lille, Douai et Oudenaarde. Il accompagne le roi dans sa guerre contre la Hollande et se fait remarquer à Orfoy, Zutphen en 1672, Maëstricht en 1673, Besançon et Dôle en 1674. Il est blessé à la bataille de Montcassel, puis participe encore à celle de St Omer en 1677. Il est fait chevalier des Ordres du Roi et prend alors le nom de Prince de Lorraine. On le verra encore aux sièges de Mons en 1691 et de Namur en 1692.
Le roi utilise le Chevalier de Lorraine
Mais en cours de route, voilà que Philippe de Lorraine se mêle de la vie du jeune Louis de Bourbon, comte de Vermandois, fils du Roi, qu'il initie au vice italien racontée par François Louis de Condé et tous les jeunes gens « C'est le boute-en-train de la famille. Très tôt orphelin, il est sous l'aile protectrice de son oncle le Grand Condé. Habitué de Chantilly il y côtoie ses cousins Condé qui ont le même âge. Homosexuel notoire, il fit partie d'un club de débauchés. Y figuraient entre autres, le comte de Vermandois et le duc d'Orléans ainsi que le chevalier de Lorraine. On se réunissait dans les catacombes. Lorsque le jeune comte de Vermandois, fils légitimé de Louis XIV, fut introduit dans ce cercle en 1682 (à l'âge de 13 ans), il dût signer une déclaration selon laquelle il jurait obéissance aux règles de la confrérie. Nul doute que François-Louis fit de même. Ci-contre le texte de la déclaration. Au moment de signer le prince demande l'encre. « Non point d'encre Monseigneur, lui dit le chevalier de Lorraine. Mon sang, alors? Mais non! Votre semence, Monseigneur ! Allons, il faut vous manuéliser ». Et comme annoncé, le chevalier prend le jeune prince, qui une fois la première douleur passée se pâme de plaisir. Le jeune Vermandois change, on le croit amoureux et le roi, curieux, le fait suivre... Le pot aux roses est découvert. On y haïssait les femmes et ils se retrouvaient dans les bordels où ils sodomisaient les filles et leur infligeaient des pratiques sadiques. Lorsque le roi apprit l'existence de ces pratiques, sa colère fut immense. Confondu, Vermandois doit avouer et donne les noms. Tout ce beau monde se retrouve bien vite en exil. La fête n'aura duré que quelques mois. »
Louis XIV est certes très en colère mais va se radoucir car il profite de l'influence du Chevalier auprès de Monsieur, dans le mariage entre Philippe II futur régent et Mademoiselle de Blois, fille du roi.
Une triste fin de vie
Légèrement assagi et devant le manque de moyens financiers, il tente de rester dans les grâces du duc d'Orléans, fait la paix avec la princesse Palatine quelques temps avant la mort de Monsieur. Pourtant à la fin de sa vie, il avait perdu une grande partie de ses meubles au Palais Royal ainsi que ceux de sa résidence de campagne, ses quatre abbayes et son argent. Le beau Philippe mourût d'une crise d'apoplexie en décembre 1702.
Bibliographie
- La Grande Mademoiselle : les Mémoires de Mademoiselle de Montpensier. Mercure de France, 2001.
- Le duc d'Orléans, de Christian Bouyer. Pygmalion, 2003.
- La Princesse Palatine, de Dirk Van der Cruysse. Pygmalion, 2005.