L'histoire vraie de la girafe Zarafa
En 1824 Méhémet-Ali est le pacha d'Egypte, généralement considéré comme le fondateur de l’Egypte moderne qu’il réforma en profondeur : conscription, politique de grands travaux, fondation d’écoles, soutien à la production cotonnière… Cherchant à se rapprocher des états européens industrialisés il envisagea même une voix ferrée entre le Caire et Suez, où il envisageait déjà l’ouverture d’un canal maritime qui ferait de l’Egypte un point clef du commerce mondial.
Bernardino sait que le roi cherche à enrichir la ménagerie des jardins du roi, il se livre lui-même au commerce d’animaux exotiques. Il suggère ainsi au vice-roi d’Egypte de faire un présent exotique pour entrer dans les bonnes grâces de Charles X. Or justement à l’automne 1824 des soldats égyptiens en poste à Khartoum, au Soudan, ont abattu une girafe et capturé deux girafons.
Les deux jeunes girafons sont transférés au Caire, soignés par Atir, ancien esclave soudanais au service de Bernardino. Ils arrivent dans la capitale égyptienne en 1826 où ils attisent la convoitise du consul d’Angleterre qui réclame que son pays ait, comme la France, sa girafe. Les deux girafons sont tirés au sort, le plus chétif revient à nos voisins d’outre Manche et meurt quelques mois plus tard…
La girafe française est quant à elle embarquée sur un brigantin sarde avec trois vaches soudanaises (pour fournir le lait indispensable à sa survie), deux antilopes, Atir et Hassan (un Nubien également au service de Bernardo) et le général Pierre Boyer qui rentre avec ses deux chevaux d’une mission auprès du pacha. Pour l’occasion, cette nouvelle Arche de Noé a été adaptée, le pont a été ouvert pour que le girafon en cale puisse sortir sa tête. A son cou se trouve un petit pendentif en métal contenant des versets du Coran.
Zarafa, "starlette" phocéenne
L’odyssée maritime de la girafe cadeau du pacha s’achève à Marseille le 23 octobre. Après un séjour en quarantaine l’animal et son escorte sont autorisés à débarquer le 18 novembre pour rejoindre les jardins privés du préfet des Bouches-du-Rhône, le comte Villeneuve-Bargemont. Il est convenu que l’animal habitué au climat africain devra passer l’hiver dans cette région du Sud de la France pour s’acclimater et ne rejoindre Paris qu’après l’hiver. Pour passer un hiver des plus doux le préfet met à sa disposition une douillette écurie chauffée. Elle est baladée chaque jour sous les yeux ébahis des Marseillais, jamais un tel animal n’avait mis les pieds en Europe occidentale depuis la girafe offerte en 1486 à Laurent de Médicis !
Fort heureuse de cet hôte de marque, la préfète organise des soirées où la visite à la jeune girafe devient le summum d’une fin de diner réussi. Les savants s’empressent, et en particulier un autre ancien de l’expédition d’Egypte devenu professeur au Muséum d’histoire naturelle et membre de l’Académie des Sciences : Geoffroy Saint-Hilaire. Le naturaliste arrive à Marseille en avril 1827 avec pour mission d’organiser le transfert de l’animal à Paris.
Saint-Hilaire prend sa tache au sérieux, il prend le temps de connaître l’animal, l’accompagne lors de ses ballades journalières et lui fait même confectionner un costume imperméable (aux armes du Pacha et de Charles X) et un bonnet pour la protéger des frimas printaniers durant son voyage. Atir et Hassan ne parlant pas français, Saint-Hilaire fait recruter Joseph Ebeïd (dit Youssef) dans le camp de réfugiés où sont regroupés les ex-Mamelouks de la Garde Impériale de Napoléon et leurs familles qui ont échappés à la terreur blanche. Youssef sera l’interprète indispensable à Saint-Hilaire.
La girafomania !
C’est le 20 mai 1827, sous la pluie et avec la protection d’une escorte de gendarmes qui ouvrent la voie, que la girafe prend la route de Paris avec les deux vaches (une est morte), et une cage contenant les deux antilopes et un mouflon. Ils remontent à pied (880km) la vallée du Rhône pour arriver dans la capitale le 30 juin. A l’approche du convoi l’imminent naturaliste George Cuvier (directeur des jardins du roi) organise une virée sur la Seine pour aller à leur rencontre, Stendhal sera à ses côtés.
Jusqu’à la fin de l’année 1827 elle est exposée au public au Jardin des plantes, en compagnie d’une troupe d’Amérindiens ramenés de l’Oklahoma. L’exotisme est au rendez-vous et ce ne sont pas moins de 600.000 badauds qui viennent les admirer et répandre dans la capitale, une véritable girafomania !
Postérité de la girafe Zarafa
Cependant le peuple de Paris finit par oublier la girafe, prit dans une autre passion plus sanglante, celle de la politique et de la Révolution de Juillet 1830 qui voit l’avènement du roi Louis Philipe au détriment de Charles X. La girafe finit paisiblement sa vie en France, Atir s’occupera d’elle une douzaine d’années et elle finira par succomber : le 12 janvier 1845. Son corps est naturalisé et monté sur socle. Faute de place au Muséum de Paris l’animal naturalisé est transféré en 1931 au Muséum d’histoire naturelle de La Rochelle.
Bibliographie
- Michael Allin, La girafe de Charles X et son extraordinaire voyage de Khartoum à Paris. J.C. Lattes, 2000.
- Gabriel Dardaud, Une girafe pour le roi. La véritable histoire de Zarafa la première girafe de France. Dumerchez-Nahoum, 2007.
- Olivier Lebleu, Les avatars de Zarafa, première girafe de France. Chronique d’une girafomania (1826-1845). Arléa, 2006.