Révélatrice des profonds clivages idéologiques et politiques de la France d’avant 1914, l’affaire Dreyfus est à l'origine d'une grave crise politique qui, de 1896 à 1899, a provoqué une profonde division de l'opinion publique. Tout a commencé le 15 Octobre 1894, lorsque le capitaine d’artillerie Alfred Dreyfus, d’origine Alsacienne et juive, est arrêté au ministère de la Guerre. Les autorités militaires lui reprochent d’avoir transmis à l’ambassade allemande des secrets militaires. Elles se basent sur des écrits (le fameux bordereau) dont l’étude graphologique aurait conclu qu’ils étaient de la main de Dreyfus. Retour sur une erreur judiciaire qui fit trembler la jeune IIIe République.
L'Affaire Dreyfus
A la veille de l’Affaire Dreyfus, la France est humiliée, de la honteuse défaite de 1870 et de la perte de l'Alsace-Lorraine, qui ont provoqué la chute du Second Empire L’armée, le seul rempart contre l’ennemi allemand et protecteur des institutions, est sanctifiée et devient intouchable. L’espionite fait rage. A la fin septembre 1894, une femme de ménage retrouve dans la corbeille à papier de Schwarz-koppen, attaché militaire à l’ambassade d’Allemagne, les morceaux d’un bordereau écrit par un officier français qui doit partir aux manœuvres.
Très vite, les soupçons portent sur le capitaine Alfred Dreyfus, un Alsacien d’origine juive. Passant devant le conseil de guerre en décembre 1894, à l'issue d'une longue enquête ouverte par le général Mercier, ministre de la Guerre, Alfred Dreyfus est condamné à la dégradation et à la déportation en Guyane. Malgré la faiblesse des éléments utilisés par l’accusation (notamment les analyses graphologiques) le capitaine a fait les frais d’une atmosphère politique revancharde et antisémite qu’illustrent parfaitement les réactions de foule Parisienne lors de sa dégradation : « À bas le traître, à bas le juif ! ».
Déporté au large de la Guyane, gardé au secret, Dreyfus va connaître l’enfer du bagne, sa santé déclinant rapidement. Son cas se verra revenir sur le devant de la scène suite aux découvertes du nouveau chef des Services de Renseignements, le lieutenant colonel Picquart. Début 1896, ce dernier a intercepté un document produit par un certain commandant Esterhazy, que l’on sait en rapport avec l’ambassade d’Allemagne et dont l’écriture est identique à celle du bordereau.
Ecarté par l’Etat Major à qui il a fait part de ses découvertes, Picquart qui aurait du garder le silence sur ces dernières finit par révéler la vérité à Auguste Scheurer-Kestner, homme politique Alsacien et proche de Clémenceau. Après des réticences initiales Scheurer-Kestner va se faire le défenseur de Dreyfus auprès des autorités.
Fin 1897 c’est au tour d’Esterházy d’être jugé après le dépôt d’une plainte par le frère aîné, Mathieu Dreyfus. Malgré l’accumulation des preuves à son encontre, le commandant Esterhazy est acquitté en janvier 1898…cette décision applaudie par les milieux nationaliste, est ardemment contestée par ceux que l’on commence à appeler « Dreyfusards ».
Une opinion publique fracturée entre deux camps
L’opinion se scinde en deux camps : les dreyfusards, qui demandent la révision du procès, et les antidreyfusards ou anti révisionnistes. Les intellectuels s’engagent. Le sénateur Trarieux fonde la Ligue des droits de l’homme. Lemaître et Coppée répliquent en créant la Ligue de la patrie française. Deux systèmes de valeurs s’affrontent. Les antidreyfusards ne veulent ni remettre en cause la chose jugée ni douter de l’armée. Il y va de l’intégrité de la patrie, du maintien d’un ordre social aussi. Selon eux, les révisionnistes incarnent l’anti-France. Ils absolvent même le colonel Henry d’être l’auteur d’un « faux » pour étayer la thèse officielle (Henry finit par se suicider). Cette négation du fait procède d’un état d’esprit nouveau, antipositiviste.
Les dreyfusards, en revanche, en condamnant les agissements de quelques officiers, affirment ne pas porter atteinte à l’armée et se donnent pour les vrais patriotes, les gardiens aussi des traditions de la Révolution française. Ils prônent la défense de l’individu ; luttent pour la justice, la France ayant pour mission d’« être le professeur de droit de l’Europe » ; fustigent aussi l’union du « sabre et du goupillon », l’Église, en majorité, ayant pris parti contre Dreyfus.
Emile Zola : J'accuse... !
Les « Dreyfusards » ont pour porte-parole l’écrivain et journaliste Émile Zola qui dans son article « J’accuse » (publié dans le journal l'Aurore) du 13 janvier 1898 en appelle au Président de la République Faure et dénonce l’injustice faite à Dreyfus. L’article au titre accrocheur est un succès d’édition et se vend à 300 000 exemplaires en quelques heures. Comme l’écrivit Charles Péguy « Le choc fut si extraordinaire que Paris faillit se retourner ». L’Affaire Dreyfus devient alors un objet de débat public partout en France et déchaîne des passions fratricides. Le pays est agité par des émeutes antisémites (notamment à Alger), la IIIe République semble un temps vaciller.
Face à cette agitation, les autorités font casser le premier jugement de Dreyfus et le capitaine s’en revient en métropole pour son second procès. Une fois de plus la justice va faire preuve d’une rare partialité en condamnant l’accusé, cette fois-ci à dix ans de prison, bénéficiant soit disant de circonstances atténuantes. Le 19 septembre 1899, 10 jours après que le verdict soit tombé, le Président Loubet gracie Dreyfus, manière de rendre enfin justice tout en ne perdant pas la face.
L'annulation du jugement et la réhabilitation de Dreyfus
L’Affaire ne connaîtra son issue juridique qu’en 1906, lorsque la Cour de Cassation annulera le jugement du conseil de guerre de Rennes, reconnaissant que la condamnation de Dreyfus avait été prononcée « à tort ». Les véritables responsables, dont Esterházy, exilé au Royaume-Uni, ne seront jamais condamnés. Dreyfus réintégré dans l’armée, servira son pays au cours de la Première Guerre Mondiale et atteindra le grade de Lieutenant Colonel.
Alfred Dreyfus est mort en 1935, et il fut un temps envisagé de transférer ses cendres au Panthéon aux côtés du brillant héraut de sa cause : Emile Zola…
Bibliographie
- L'Affaire Dreyfus, de Pierre Miquel. Que-sais-je, 2021.
- L'Affaire Dreyfus , par Michael Winok. Points Histoire 1998.
- Histoire politique de l'affaire Dreyfus, de Bertrand Joly. Fayard, 2014.