Joseph Fouché était un révolutionnaire et homme politique français, ministre de la Police sous le Directoire, le Consulat puis l'Empire. Balzac voyait en lui un « singulier génie » : Fouché, le caméléon, l'homme de tous les paradoxes, craint par Robespierre, l'ami et l'ennemi, redouté mais admiré par le consul puis empereur Napoléon. Si les exécrations et les imprécations dont il fut l'objet furent pléthoriques, toutefois resta-t-il très longtemps proche du pouvoir, en maniant avec habileté ruses et perfidie. Traversant, non sans coup férir, la Révolution et l'Empire, résistant quand les plus grands tombaient, ce fut comme il avait aimé vivre, dans l'ombre, qu'il mourut, oublié de tous, lui, le ministre de Napoléon, le fusilleur de Lyon et l'un des tombeurs de « l'Incorruptible » d'Arras.
Joseph Fouché, un jeune homme ambitieux
Près de Nantes, la 36ème année (1) du règne du « Bien Mal aimé » Louis XV, naquit le 31 mai Joseph Fouché. Fils d'un marin, on aurait espéré que le jeune homme s'engage dans une carrière maritime mais rien n'y fit, Joseph n'ayant pas cette inclination paternelle pour la mer. Il commença donc sa formation intellectuelle chez les Oratoriens, introduits en France dans les premières années de la régence de Marie de Médicis par le cardinal de Bérulle. Quelques années plus tard, c'est en tant que professeur de mathématiques que l'on retrouva Joseph Fouché à l'Oratoire.
L'élève était devenu professeur et semblait déjà s'intéresser à la politique, certes encore de loin, lorsqu'il rencontra à Arras un jeune avocat encore inconnu dans le royaume, Maximilien de Robespierre. Une amitié débuta qui lia les deux hommes. Joseph manqua même de devenir son beau-frère, une idylle étant née entre lui et Charlotte de Robespierre. Mais étrangement, Fouché écourta ce projet et y mit fin, pour une raison qui nous est inconnue. Peut-être fut-ce à partir de ce refus que naquit la mésentente entre les deux hommes, ceux-là mêmes qui se retrouvèrent bientôt opposés à la Convention, Fouché étant dans les rangs des Girondins, Robespierre dans ceux des Montagnards.
Quel dut être l'indisposition et l'ennui de Fouché que de choisir, en ce 16 janvier 1793, la vie ou la mort du roi en compagnie de plusieurs autres centaines de députés. Il fallait pourtant choisir et, sur proposition de l'avocat arrageois, exprimer publiquement son choix. Les noms des votants et leur choix devait de surcroît être publié le lendemain dans Le Moniteur Universel. Fouché suivit derechef la majorité – il a toujours suivi la majorité qui fut le seul parti, comme l'a très bien montré Stefan Zweig, auquel il resta fidèle toute sa vie – et notamment le choix de Vergniaud, chef des Girondins, qui avait choisi la mort du roi. Cinq jours plus tard, la tête ensanglantée de Louis XVI tombait in fine sous la puissance tranchante du « rasoir national ».
Fouché dans le tumulte de la Révolution française
Bientôt, la Convention demanda à 200 délégués parmi lesquels Fouché, de rétablir l'ordre en France et d'éviter, par leur présence, des possibles soulèvements. On les dota de la plénitude des pouvoirs, lesquels n'étaient toutefois pas illimités, le Comité de Salut Public veillant aux abus. C'est pourquoi Fouché agit en « terroriste de la parole ». Il rétablit l'ordre sans jamais faire couler, a contrario de Jean-Baptiste Carrier à Nantes, la moindre goutte de sang.
Jusqu'au jour où la Convention chargea Collot d'Herbois et Fouché d'aller sonner le glas des agitateurs anti-révolutionnaires de Lyon qui osèrent braver le pouvoir en faisant exécuter, malgré les protestations et les menaces de la Convention, Chalier, ancien prêtre devenu un des plus grands sectateurs de la Révolution en France. Les deux hommes arrivèrent à Lyon en novembre 1793. Le ton fut donné par Fouché lors d'une célébration donnée en l'honneur de Chalier où il s'exclama: « Le sang des scélérats est la seule eau lustrale qui puisse apaiser tes mânes ».
La parole annonça le geste qui suivit: dans la plaine des Brotteaux furent impitoyablement exécutées près de 2000 personnes sorties des prisons lyonnaises. Mais soudain, Fouché se rappela que le Comité de Salut Public veillait: un infléchissement dans les condamnations se produisit, le nombre des condamnations quotidiennes diminuant très largement. Pourtant, Fouché se sut menacé. Robespierre le lorgnait du regard et Fouché prit conscience que, s'il voulait sauver sa tête, il fallait nécessairement faire tomber au préalable celle de son ennemi.
Le 18 Prairial An II, il eut l'audace de se faire élire président du sacro-saint club des Jacobins. Robespierre en fut furieux. Pour la première fois, il comprit quel type d'adversaire il avait face à lui. Un pugilat s'engagea qui vit la victoire de Fouché. Dans la nuit du 8 au 9 Thermidor s'organisa en effet Fouché, en compagnie d'autres personnes opposées à Robespierre comme Tallien et Barras, pour faire tomber ce dernier, et; le 10 Thermidor, au terme de deux jours d'imbroglio, Robespierre fut guillotiné place de la Révolution (2).
A l'ombre du pouvoir
De 1795 à 1798, Fouché connut un exil volontaire qui consistait à échapper aux actes de terrorisme dont on l'accusait. Il vécut dans la misère, se contentant de végéter, et ne recevant plus aucun revenu. Désormais, Fouché reconnut que l'argent avait une saveur, saveur qu'il blâmait quelques années auparavant à Lyon. Dans le même temps, le peu d'amis que Fouché avait, l'abandonnèrent. Un seul homme politique s'en soucia encore et lui rendit assez régulièrement visite, Barras, pour qui il devint espion.
A la surprise générale, le 3 Thermidor An VII, Fouché fut sorti de l'ombre par une nomination à la tête du ministère de la Police. Cet « Hoover » (3) de la fin du XVIIIème siècle en savait beaucoup plus que le Directoire. Il avait découvert les secrets des hommes politiques, et, par là, les tenait entre ses mains. Aussi fut-il mis au courant par Joséphine de Beauharnais, avec qui il entretenait une relation épistolaire, du retour de Bonaparte. Il participa activement mais discrètement au coup d'État du 18 Brumaire en permettant sa bonne réussite. Il eût au demeurant pu, si tant est qu'il l'eût évidemment voulu, faire échouer la conspiration en avisant Barras.
Après que Napoléon se soit emparé du pouvoir, il le nomma, comme Fouché l'avait prévu et espéré, ministre de la Police. Mais, trop puissant, Napoléon s'en débarrassa par la suite en supprimant sa fonction et en lui donnant un siège au Sénat en compensation, pilule assurément amère pour Fouché, ainsi que la sénatorerie d'Aix, qui lui permit de s'enrichir considérablement et de devenir bientôt la seconde fortune de France. Mais cet exil eut un goût nettement plus savoureux que le précédent. De fait, Fouché avait échangé son ancienne masure pour une magnifique demeure rue Cerutti.
Mais le personnage n'aspirait guère à une vie luxueuse. Son seul désir était d'embrasser le pouvoir. Il fut rassuré et triompha intérieurement lorsque Napoléon, le jugeant sûrement indispensable, le nomma de nouveau ministre de la Police en 1804. Plus tard, la campagne d'Espagne, débutée en 1808, vit le rapprochement de deux ennemis d'hier, Talleyrand et Fouché, chien et chat, qui eurent le point commun de la désapprouver; ce qui fit nécessairement craindre à Napoléon qu'un complot ne soit ourdi par les deux personnages. Il exprima sa colère furieuse à Talleyrand par une phrase devenue a posteriori célèbre: « Vous êtes de la merde dans un bas de soie » (1809).
Fouché, ministre de la Police audacieux et zelé
Le duc de Périgord fut en outre destitué de son titre de chambellan, mais Fouché, lui, resta une fois de plus en place: « On se le rappelle: Collot, son complice dans les mitraillades de Lyon, est déporté aux îles de la fièvre, tandis que Fouché reste; Babeuf, son associé dans la lutte contre le Directoire, est fusillé, Fouché reste. Son protecteur Barras est obligé de fuir, Fouché reste. Et cette fois aussi, l'homme qui est en tête, Talleyrand, est seul à tomber, Fouché reste » (Fouché, Zweig).
Lorsqu'il apprit le 31 août le débarquement des Anglais dans l'île de Walcheren, Fouché voulut montrer qu'il était un homme compétent et il convoqua les gardes nationaux. Pendant ce temps, l'empereur, en campagne, ne savait rien de toutes ces mesures qui étaient prises en son absence. Audacieux, Fouché nomma Bernadotte, le général tant détesté par Napoléon, chef de l'armée provisoire. Les Anglais furent vaincus. Napoléon Ier applaudit l'audace salvatrice de Fouché. Mais ce dernier, sûrement enivré du triomphe récent, fit l'erreur de lever encore des gardes nationaux, cette fois sans danger apparent se profilant à l'horizon.
Alors qu'il avait été nommé, en sus de son poste de ministre de la Police, ministre de l'Intérieur, Fouché dut rendre ce ministère. Mais Napoléon, en contre-partie, décida d'anoblir Fouché le 15 août 1809 en Autriche et le fit duc d'Otrante (région du Sud de l'Italie). Fouché réitéra dans l'erreur. Il tenta de négocier la paix avec les Anglais, au nom de l'empereur, qui n'en était évidemment en rien au courant. Fouché fut révoqué séance tenante et Napoléon nomma, Savary, duc de Rovigo, ministre de la Police à sa place.
Nommé ingratement ambassadeur de France à Rome, Fouché se vengea en détruisant les fiches qu'il avait constituées au ministère et annihilant plus généralement le travail laborieux qu'il avait fourni pendant plusieurs années. Après 1810, Fouché débuta son troisième exil dans sa très confortable sénatorerie d'Aix. Dans ces moments difficiles, il perdit sa femme qui lui avait été tant fidèle et qui lui avait donné plusieurs enfants, dont deux étaient morts en bas âge. Après son évasion de l'île d'Elbe, Napoléon renoua avec Fouché en le désignant, pour la troisième fois, ministre de la Police. Mais l'intermède fut court, et Napoléon chuta rapidement. S'ensuivit une courte période durant laquelle Fouché eut le pouvoir après avoir dupé Carnot, mais étrangement, il proposa au comte de Provence, frère de Louis XVI, de lui donner les rênes du pouvoir en échange d'une place dans son gouvernement. Fin juillet 1815, ce fut chose faite.
De l'homme haï à l'homme oublié
Place bien fragile de ministre de la Police que celle qui avait été troquée par Fouché. Les Bourbons n'oubliaient aucunement qu'il avait jadis voté la mort de Louis XVI. Au sein de la famille royale, l'opposition la plus virulente venait de la duchesse d'Angoulême, fille du roi défunt et de Marie-Antoinette, qui – euphémisme –, détestait cet individu qui ne lui inspirait que dégoût et haine. Aussi les autres membres de la famille royale convainquirent-ils sans peine le roi, maintenant pleinement installé au pouvoir, d'éloigner Fouché. Ce fut celui que l'on surnommait avec ironie « le diable boiteux », Talleyrand, qui s'assura de lui faire comprendre que sa présence dérangeait désormais. Le dupeur avait enfin été joué. Alors qu'il leur avait donné le pouvoir quand lui-même le détenait, on lui retirait la fonction à laquelle il avait tant travaillé, tout en lui assurant, en guise de triste remerciement, un poste d'ambassadeur à la cour de Dresde.
Mais il est vrai que « le pouvoir est, selon la belle phrase de Zweig, comme la tête de Méduse: celui qui en a vu la figure ne peut plus en détourner son regard ». Alors qu'il eût été moins déshonorant de refuser cette fonction, Fouché l'accepta toutefois, contribuant ainsi à nourrir le mépris qu'il suscitait déjà chez de nombreuses personnes. C'en était bel et bien fini du grand ministre respecté et craint. On le remerciait en l'isolant hors de France. Alors qu'on le conduisait à Dresde, Joseph Fouché, homme intelligent s'il en est, dut certainement comprendre que la douceur exquise du pouvoir était morte.
Toute sa vie, il avait choisi de rester proche de celui-ci tout en restant à dessein dans l'ombre. Cette fois, l'ombre, sa plus fidèle compagne, l'accompagna tandis que le pouvoir l'abandonnait. Amer exil pour cette homme vieillissant, qui avait convolé dans les dernières années de sa vie avec une grande aristocrate, la comtesse de Castellane, après qu'il eût perdu sa femme et soit devenu veuf.
Transhumant de cour en cour, méprisé dans chacune, détesté à Prague, il obtint in fine de terminer ses jours à Trieste en 1820, dans un lieu chaud et ensoleillé, au bord de l'Adriatique. Toutefois ne put-il véritablement profiter des bienfaits du climat et terminer sa vie paisiblement. De fait, des rumeurs ne prétendaient-elles pas que la comtesse de Castellane, sa femme, connaissait une idylle avec un jeune homme du nom de Thibaudeau ?
Fouché était mort le jour où il avait été éconduit du pouvoir. Depuis 1815, Fouché n'était plus. Cinq années avaient suffi à abattre celui que tant de personnes avaient voulu voir mort et c'est le 26 décembre 1820, après une vie singulière en tous points, que ledit Fouché, expira, oublié de tous. De l'Oratoire à l'athéisme, du discours communiste à la deuxième fortune de France, cet homme au teint blême, qui ne laissait transparaître aucune émotion sur son visage, fit partie de ces individus insaisissables, à la personnalité étonnamment complexe, certes terrifiante mais fascinante.
Bibliographie
- ZWEIG Stefan, Fouché, Paris, Le Livre de Poche, 2000, 284p.
- TULARD Jean, Joseph Fouché, Paris, Fayard, 1998, 496p.
- CASTELOT André, Fouché, le double jeu, Paris, Perrin, 1990, 423p.
1) Louis XV, bien que roi depuis 1715, est sous la tutelle du régent Philippe d'Orléans jusqu'en 1723.
2) L'actuelle place de la Concorde.
3) John Edgar Hoover, célèbre patron du FBI pendant plusieurs décennies, qui partagea avec Fouché le point commun d'être redouté de tous en raison des secrets qu'il connaissait.