Capitale des Nabatéens jusqu’au IIe siècle apr. J.-C. et située dans l’actuelle Jordanie, Pétra est une cité antique d’une rare beauté aux apparences de forteresse inexpugnable. La ville, dont le nom signifie « roche » en grec, s'élevait au milieu de falaises de grès veinées de rouge, de pourpre et de jaune où furent sculptées les façades de nombreux tombeaux et temples. Important centre caravanier et riche cité commerçante, elle fut supplantée par Palmyre et amorça un rapide déclin. Prise par les croisés au XIIe siècle, elle est tombée progressivement en ruine. Pétra a été redécouverte en 1812 par l'explorateur suisse Johann Burckhardt et suscite aujourd’hui l’enthousiasme des archéologues et l'émerveillement des touristes. Pétra a été classée au patrimoine mondial de l'UNESCO en 1985.
Pétra, capitale des nabatéens
Comme le fait remarquer un historien, de tous les peuples talentueux du monde antique - depuis les Babyloniens et les Assyriens jusqu’aux Grecs anciens -, « les Nabatéens sont les plus injustement oubliés ». Si on se souvient d’eux aujourd’hui, c’est surtout grâce à Pétra, leur majestueuse ville-forteresse taillée dans le grès rose sombre des montagnes qui l’entourent, dans la vallée du Rift. Cet épicentre de la vie nabatéenne, dans l’actuelle Jordanie, a pourtant été oublié pendant près d’un millier d’années - sa disparition ne faisant qu’ajouter à l’oubli dans lequel est tombée cette civilisation, dont l’origine demeure aussi floue qu’un mirage dans le désert.
Au départ complètement nomades, les Nabatéens semblent avoir résisté aux charmes de la sédentarité et de l’agriculture longtemps après que leurs voisins eurent commencé à modifier leur façon de vivre ; on pense qu’il s’agissait d’un peuple arabe originaire soit du Yémen, soit de l’est du Bahreïn ou du nord-ouest de l’actuelle Arabie Saoudite. Entre le VIe et le IVe siècle av. J.-C., ils ont sans doute migré vers l’ouest pour occuper, même si ce n’était que de manière itinérante, le nord-ouest de l’Arabie - un territoire situé entre la Syrie et l’Egypte que l’Ancien Testament décrit comme le pays des Edomites.
Apparemment, les Nabatéens y passèrent le siècle suivant, à poursuivre leur vie difficile, guidant des troupeaux de moutons et de chameaux dans ce paysage semi-aride, survivant en mangeant de la viande, des herbes sauvages et du lait arrosé de miel, et se livrant de temps à autre, en ultime recours, au brigandage.
Peu à peu, cependant, leurs pérégrinations prirent un tour plus mercantile. Peuplant un emplacement stratégique, au carrefour des principales routes des caravanes et non loin des sources d’eau douce de la rivière (wadi) Moussa, les Nabatéens commencèrent à s’impliquer de plus en plus dans le commerce alors en plein essor des aromates (tels l’encens et la myrrhe) entre l’Afrique du Nord, l’Arabie du Sud et le monde méditerranéen. Ils se chargèrent également du transport, à travers le désert du Sinaï, du bitume de la mer Morte jusqu’en Egypte.
En peu de temps, grâce à leurs grandes capacités d’adaptation, les Nabatéens devinrent des marchands habiles et prospères, et ils prirent rapidement le contrôle de toutes les grandes routes commerciales de la région.
Ils se révélèrent également des architectes ingénieux, des agriculteurs avisés et des artisans talentueux, fabriquant certaines des plus belles poteries de l’Antiquité. Au IIe siècle av. J.-C., la zone d’influence de leur royaume s’étendait de la Syrie au nord jusqu’à l’Arabie au sud, et du Néguev à l’ouest jusqu’à l’Al-Jawf à l’est. Pétra, leur capitale, était une oasis urbaine qui prospérait grâce à de vastes réserves d’eau douce. Nichée au creux de montagnes rocailleuses et cernée par un désert semi-aride, la cité nabatéenne était alors l’un des plus grands centres marchands du Moyen-Orient, et accueillait même des diplomates grecs à la fin de la période hellénistique.
L’âge d’or de Pétra
De l’avis général, cependant, l’âge d’or de Pétra se situerait entre le Ier siècle av. J.-C. et l’an 106, quand, à la mort du dernier roi nabatéen, Rabbel II, leurs territoires furent finalement intégrés à l’Empire romain, de manière visiblement pacifique. Par la suite, la ville demeura relativement prospère pendant l’ère byzantine.
Pour approcher Pétra (un toponyme qui signifie simplement « roche »), il faut longer une piste sinueuse à travers une longue fissure naturelle taillée dans la montagne, connue sous le nom de Siq. La ville dissimule ses merveilles derrière ce qui fut sans doute un jour une barrière défensive presque impénétrable de falaises rouge rosé.
Une fois entré dans le site, le visiteur se trouve immédiatement confronté à la magnifique façade en pierre finement sculptée de l’al-Khazneh (« le Trésor »). Ce bâtiment grandiose, probablement une tombe royale, fut taillé dans la roche pendant le long règne d’Aretas (9 av. J.-C.-40 apr. J.-C.).
C' est au même moment que la ville se dota aussi de ses chemins de procession, temples, palais et habitations privées. Mélange unique et fascinant de styles décoratifs et architecturaux orientaux, regorgeant de détails caractéristiques de l’Egypte ptolémaïque, Pétra fut en grande partie construite sur le modèle gréco-romain classique, avec une zone habitée centrale, ou polis ; un haut lieu, ou acropole ; et une nécropole, à savoir un anneau périphérique composé de tombeaux et de salles commémoratives.
La conquête des Etats byzantins de Syrie, de Palestine et du Liban par les forces islamiques en 636 apr. J.-C., ainsi que l’établissement ultérieur de Bagdad comme nouvelle capitale du monde musulman semblent avoir mis fin au prestige de Pétra. Les travaux archéologiques ont révélé que certaines structures étaient endommagées : peut-être ont-elles été victimes d’un tremblement de terre, ou d’une autre catastrophe environnementale.
Presque vidée de ses habitants au moment où les croisés chrétiens érigèrent un fort au sommet d’al-Habi, une montagne voisine, elle fut abandonnée par la suite, livrée à la poussière et à l’érosion. Pendant presque un millénaire, seules les tribus bédouines passant dans le coin purent l’observer en silence.
La redécouverte de Pétra par Burckhardt
Nous devons la redécouverte de Pétra, au début du XIXe siècle, à Jean Louis Burckhardt. Fils d’un colonel suisse dans l’armée française, Burckhardt a passé l’essentiel de sa courte vie, comme l’indique un biographe, « à explorer le Proche-Orient déguisé de manière convaincante en musulman ». S’il ne s’est jamais converti officiellement à l’islam, il a néanmoins été inhumé dans le cimetière musulman du Caire sous le nom d’Ibrahim ibn Abdallah - celui qu’il avait choisi pour ses voyages dans la région.
Voyageant sous les auspices de l’association Joseph Banks pour la promotion de la découverte de l’intérieur de l’Afrique, Burckhardt, en jeune homme passionné et enthousiaste, n’a pas hésité à se mettre parfois en danger. Après avoir appris l’arabe et lu le Coran, il s’est d’abord rendu en Syrie, où il a rejoint une caravane de chameaux en route pour Alep, avant de se lancer dans de nouvelles pérégrinations, souvent extrêmement périlleuses, dans l’intérieur des terres, jusqu’à atteindre l’ancienne ville en ruines de Palmyre, Damas plus au sud, et enfin Tripoli, le Liban et la Terre sainte.
C’est en traversant les collines vallonnées du Moab, en Jordanie, qu’il entend parler pour la première fois d’une ville mythique enfouie au cœur des montagnes voisines. Selon lui, il doit sans doute s’agir de la légendaire cité oubliée de Pétra. Au prétexte de faire un sacrifice au prophète Aaron, dont la tombe se trouve à proximité, il parvient non seulement à atteindre la ville en 1812, sous le regard vigilant et inquiet de ses guides locaux, mais se débrouille aussi pour esquisser un plan de son agencement et de sa localisation.
Après cinq autres années de voyages effrénés en Abyssinie (Ethiopie), au Soudan, à Djeddah et en Egypte, Burckhardt contracte la dysenterie et meurt le 17 octobre 1817, à l’âge de 33 ans. Les journaux qu’il a tenus tout au long de ses voyages - généralement dans le plus grand secret, pour ne pas mettre à mal sa couverture - sont publiés de manière posthume et confirment la redécouverte de Pétra. Mais avant même leur parution, son plan a déjà commencé à circuler parmi d’autres troupes d’aventuriers occidentaux au Proche-Orient.
L'engouement des européens
Les seconds Européens à atteindre la ville, en 1818, sont des chercheurs d’antiquités britanniques aussi expérimentés qu’érudits. Loin de voyager incognito, messieurs William John Bankes, Thomas Legh, C.L. Irby, J. Mangles et compagnie arrivent à Pétra en suivant les indications de Burckhardt, munis de chevaux, de domestiques, de fusils, de provisions et de pièces d’or, protégés par une troupe de cavaliers bédouins et gratifiés de la bénédiction des cheikhs locaux.
Les deux jours qu’ils passent dans les ruines leur permettent de rédiger un compte rendu de leurs découvertes, et Bankes exécute de nombreux dessins qui demeurent un témoignage précieux de l’état de Pétra après des siècles de négligence. Ces images restent cependant inédites jusqu’en 1981, prenant la poussière dans un tiroir de la demeure familiale de Bankes, dans le Dorset.
L’engouement pour Pétra ne commence véritablement que lorsque l’archéologue et explorateur français Léon de Laborde publie un récit de son expédition de 1828, menée avec Louis Linant de Bellefonds, le futur concepteur du canal de Suez. Voyage de l'Arabie Pétrée paraît pour la première fois en France en 1830, dans une somptueuse édition in-folio contenant une vingtaine de planches illustrées qui sont une révélation pour le grand public.
Rapidement traduit en anglais et publié en 1836 dans une édition beaucoup moins chère et moins riche en images, ce livre fait de Pétra un lieu de pèlerinage romantique et spirituel pour les touristes britanniques et américains de l’époque victorienne désireux de visiter la Terre sainte.
Au siècle suivant, les archéologues fouillent le site de manière scientifique et détaillée, révélant la présence de 619 tombes taillées dans la roche et d’antichambres encore plus nombreuses, ainsi que de pièces d’habitation et d’espaces dédiés aux activités culturelles. Pétra n’a cependant pas dévoilé tous ses secrets. Même si elle souffre depuis des décennies des tensions politiques et religieuses de la région, la « cité vermeille à moitié aussi vieille que le Temps », selon la formule du poète John William Burgon, est toujours aussi fascinante.
Pour aller plus loin
- Pétra et les Nabatéens, de Marie-Jeanne Roche. Les belles lettres, 2009.
- Pétra : Splendeurs de la civilisation nabatéenne. White Star, 2021.
- Atlas des lieux disparus - A la découverte des vestiges du monde, de Travis Elborough. La Martinière, 2019.