Mis en service en 1940, le Bismarck était un cuirassé lourd de la marine allemande. Il porte le nom du célèbre chancelier à l'origine de la création de l'Empire allemand à la fin du XIXe siècle. En mai 1941, lors d'un combat éclair dans l'océan Atlantique septentrional, le Bismarck coule le HMS Hood, un croiseur de bataille anglais qui était la plus belle unité de la Royal Navy. Ce sera son seul fait d'arme. Traqué par la marine britannique, il ne parvient pas à regagner la rade de Brest et sera coulé le 27 mai 1941. La guerre navale dans l'océan Atlantique deviendra principalement sous-marine, et les affrontements entre navires de surface seront rares.
Le Bismarck, emblème de la Kriegsmarine
Le traité de Versailles avait écrasé l’Allemagne. Sa flotte, qui avait tenu tête à la Royal Navy, avait dû subir l’humiliation d’un sabordage dans la baie anglaise de Scapa Flow. Avant l’arrivée de Hitler en 1933, la Kriegsmarine n’est qu’une petite marine côtière. C’est en 1935, suite à d’habiles négociations, que l’Allemagne obtient le droit de lancer la construction de croiseurs de bataille rapides, les Scharnhorst et Gneisenau, armés de canons de 280 mm. Au sein de la flotte allemande se dessinent alors deux options : celle de l’amiral Reader, partisan de la construction d’une flotte équilibrée, et celle de Doenitz qui, persuadé que la guerre est proche, préfère miser sur une flotte de sous-marins. Le premier, commandant en chef de la marine dès 1928, table sur un programme jusqu’en 1948, et lance entre autres la construction de deux porte-avions. Mais l’accélération des événements l’oblige à revoir ses plans, et priorité est alors donnée à la construction de deux cuirassés lourds de 42000 tonnes, le Bismarck et le Tirpitz.
Le nom du premier a été choisi par le Führer, et ce n’est pas un hasard : il doit symboliser le renouveau de la fierté allemande. Lancé en 1936, le "Bismarck" est mis en service le 24 août 1940. Monstre de 251 m de long, de 36 m de large, et est équipé de quatre tourelles, de deux canons de 380. Il est le navire le plus moderne de son époque, et le mieux équilibré. Il allie puissance de feu, vitesse, maniabilité et protection. Seuls les Japonais et les Américains feront mieux plus tard…
La guerre lancée, Reader va devoir revoir ses plans, et sa flotte quelque peu déséquilibrée (des cuirassés de poche, et un monstre) va l’obliger à choisir une stratégie : plutôt que l’attaque frontale face à une flotte bien supérieure (même vieillissante) il va choisir la « guerre de course », c’est-à-dire le harcèlement du ravitaillement anglais et l’attaque des convois.
Duel de titans
Le Bismarck reçoit l’ordre de quitter Kiel le 21 mai 1941, en compagnie du croiseur lourd Prinz Eugen. L’escadre est commandée par l’amiral Lütjens, froid et taciturne, grand patriote mais peu friand de l’idéologie nazie ; il partage le pont du Bismarck avec le commandant Lindemann, au caractère opposé, mais tout aussi compétent. La mission du groupe : harceler et détruire tout convoi ennemi, tant que les circonstances le permettront !
L’Angleterre n’est pas restée inactive, et s’est préparée à la « réception » du Bismarck. L’escadre de Scapa Flow a été renforcée et la Home Fleet dispose entre autres de trois cuirassés, deux croiseurs lourds, huit croiseurs légers et douze destroyers ; elle est rejointe par le porte-avions Victorious et le croiseur Repulse. Pourtant, même si le nombre est important, la valeur est irrégulière : le Repulse date de 1917, deux cuirassés sont les tous récents King George V et Prince Of Wales? destinés à être le futur noyau dur de la Navy, mais pas encore prêts à 100%. Enfin, il y a le Hood : celui-ci est l’orgueil de la marine anglaise ; datant de 1920, il a longtemps été le navire le plus moderne au monde et reste le chouchou des britanniques, malgré son âge avancé.
La Home Fleet repère le Bismarck dès sa sortie des fjords de Norvège. Les croiseurs Suffolk et Norfolk sont lancés à sa poursuite par l’amiral Tovey, alors qu’une petite escadre composée du Hood, du Prince Of Wales et de six destroyers reçoit l’ordre de tendre une embuscade près de l’Islande. La chasse est prise par les deux croiseurs, qui échangent quelques tirs avec le Bismarck, mais se contentent surtout de ne pas le perdre…Pendant ce temps, l’amirauté décide de renforcer sa présence par une escadre composée du porte-avions Ark Royal, du croiseur de bataille Renown, du croiseur Sheffield et de six destroyers, qui a ordre de quitter Gibraltar. La menace du Bismarck est donc prise très au sérieux.
Traquée par le Suffolk et le Norfolk, la flottille de Lütjens se dirige droit vers celle de Holland, commandant du Hood. Le harcèlement continue dans la nuit du 23 ou 24 mai et, à l’aube, les deux titans, le Hood et le Bismarck se retrouvent en position de combat ! Les Anglais tirent les premiers, puis les Allemands, qui ont reconnu « l’orgueil d’Albion » mais ont confondu Prince Of Wales et King George V. Le déluge de feu dure quatorze minutes ; les Anglais ne parviennent pas à « barrer le T », à se mettre en position de tir idéale et les salves du Bismarck sont de plus en plus précises.
Les artilleurs allemands font mouche au cinquième impact : plusieurs obus explosent en plein milieu du vieux croiseur, à une distance de 18000 m : une explosion de plusieurs centaines de mètres déchire le malheureux Hood, littéralement coupé en deux ! Sur les 1421 hommes d’équipage, seuls trois seront récupérés par un destroyer après la bataille…Le Prince Of Wales évite de peu l’épave quI s’enfonce dans les eaux grises…Lui aussi a subi les coups des navires allemands et, surtout, est en surchauffe, son armement n’étant pas encore rôdé ! Touché par sept obus, il voit ses tourelles tomber en panne une à une ! Le commandant Leach, blessé, parvient à ordonner la retraite en se camouflant dans son propre écran de fumée…Le Bismarck renonce à le poursuivre et les croiseurs et destroyers anglais n’ont pas pu s’approcher.
En quelques minutes, le navire allemand a envoyé par le fond le symbole de la Royal Navy et gravement endommagé son bâtiment le plus récent : le choc est terrible pour l’Angleterre.
Le Bismarck et les Swordfish
Sur le cuirassé allemand, l’euphorie de la victoire fait place au bilan des dégâts encaissés. Le Prinz Eugen est indemne, mais le Bismarck a été touché trois fois par le Prince Of Wales : l’un des obus anglais a frappé la coque juste au-dessus de l’étrave et 4000 t d’eau se sont engouffrées dans le bateau, il a perdu de l’huile et s’enfonce par l’avant : son potentiel offensif est donc franchement entamé ! Lütjens décide alors de se diriger vers les ports français pour réparation, un chemin plus long mais plus sûr…
En Angleterre, l’émoi provoqué par la perte du « mighty Hood » amène Churchill à mobiliser toute la flotte pour traquer et « [couler] le Bismarck ». Ainsi, les cuirassés Rodney, Ramillies, Revenge et le croiseur lourd London rejoignent la meute. Les Norfolk et Suffolk, eux, ont repris la chasse et ne lâchent pas l’escadre allemande, échangeant quelques tirs avec le Prinz Eugen. Celui-ci parvient finalement à s’échapper par le Sud, et laisse son grand frère seul face à son destin.
Il est temps pour la Royal Navy d’user de son avantage sur la flotte allemande : l’aéronavale. Des Swordfish, vieux biplans torpilleurs, lancés du Victorious attaquent le Bismarck comme un essaim de frelons ; mais, les conditions météo exécrables et l’inexpérience des pilotes conduisent pour l’instant à un échec...relatif. En effet, si aucune torpille n’atteind son but, les manœuvres du cuirassé pour les éviter aggravent les dommages et la voie d’eau.
A partir du 25 mai, commence un véritable cache-cache en plein milieu de l’Atlantique Nord. Les avions et les croiseurs anglais perdent et retrouvent régulièrement le Bismarck, qui ne cesse de changer de cap. Sur le navire allemand, l’inquiétude monte : les Allemands se savent à présent traqués par la majorité de la flotte anglaise, menacés par les Swordfish, et diminués avec un manque de combustible et une vitesse réduite.
Plusieurs fois, le Bismarck semble pourtant échapper à ses chasseurs, et c’est finalement le Sheffield qui parvient à l’accrocher et « à prendre sa roue ». Mais la chance semble encore sourire aux Allemands : des Swordfish lancés de l’Ark Royal se trompent de cible et manquent de couler le…Sheffield ! Les aviateurs anglais, furieux contre eux même, décident de lancer une dernière attaque avant la nuit. Le 26 mai à 19h15, les vieux coucous s’envolent au milieu d’une mer déchaînée ; ils passent tous la barrière de feu de la DCA du Bismarck et lâchent leurs torpilles…
Seules deux frappent au but, mais l’une va changer le cours de la guerre maritime ! Alors qu’il n’y a qu’une chance sur cent mille, la torpille vient frapper le gouvernail du monstre d’acier sur l’arrière tribord ! Le cuirassé manque de chavirer, et n’obéit plus aux ordres de mouvement : il est ingouvernable ! Le Sheffield, toujours aussi téméraire, sort de la brume et tire quelques obus sans succès.
Mais l’essentiel est fait, le Bismarck est à la merci de la meute. Le problème est que celle-ci l’ignore encore.
La mise à mort du Bismarck
L’attaque des Swordfish et du Sheffield a été mal évaluée par la Royal Navy ; celle-ci ignore qu’elle a été un succès total, et croit même que le navire allemand vient les défier puisqu’il a changé de cap et se dirige droit sur eux. Le Bismarck va-t-il pouvoir en profiter pour quand même s’échapper ?
La situation sur le bâtiment est malheureusement dramatique : aucune réparation n’est possible, le bateau n’obéit à aucun ordre. Lütjens envoie alors un message à ses supérieurs à 23h40 : « Navire désemparé. Nous combattrons jusqu’au dernier obus. Vive le Führer ! ». Les sous-marins allemands de la zone ne peuvent pas protéger le Bismarck, et les avions de la Luftwaffe sont trop loin. A bord, les matelots allemands se préparent à l’enfer de la curée, avec comme seul espoir de provoquer un maximum de dégâts chez leurs adversaires…
La flotte anglaise, qui a enfin compris que le cuirassé fou est à sa merci, regroupe ses forces. Individuellement, le Bismarck est supérieur à tous les navires anglais, mais la disproportion des forces ne laisse pas de doute. A 8 heures le 27 mai, les Anglais présentent face au cuirassé ennemi : les cuirassés Rodney et King George V, les croiseurs Norfolk et Dorsetshire et quelques destroyers. En renfort possible, les avions de l’Ark Royal et le Renown.
Le Bismarck ouvre le feu sur le Norfolk, les cuirassés anglais lui répondent à 23000 m de distance. Les croiseurs se rapprochent et font feu à leur tour…Le navire allemand encadre le Rodney, mais à 9 heures, les obus d’une tonne du vieux cuirassé détruisent les deux tourelles avant du Bismarck, réduisant de 50% sa capacité de tir ! La distance passe en quelques minutes de 15000 à 3000 mètres ; le Bismarck subit une grêle d’acier de tous les calibres et venant de quatre directions, sans chercher à l’éviter, complètement à la dérive…Les navires anglais lancent alors des torpilles. Le cuirassé ne ressemble plus qu’à une épave déchiquetée, mais c’est l’enfer à son bord où les hommes, le blindage des superstructures complètement détruit, sont à la merci des éclats d’obus et cherchent vainement un abri sous le déluge de feu…
A 10h15, le Rodney et le King George V cessent le feu. Ils sont relayés par les destroyers qui veulent porter l’estocade avec leurs torpilles. Mais le monstre allemand ne veut pas couler ! Les torpilles ne parviennent pas à percer le blindage de sa coque ! A son bord, au même moment, les quelques survivants refusent que leur bateau tombe aux mains de l’ennemi, et décident de le saborder. Vers 11 heures, le Bismarck se couche sur babord et s’enfonce par l’arrière avant de disparaître lentement dans les eaux glaciales de l’Atlantique Nord.
L’heure des Loups Gris
Le Dorsetshire est chargé de récupérer les survivants : sur 2200 hommes, seulement 115 ont survécu ! Les navires anglais ont subi peu de dommages directs, mais les cuirassés sont allés jusqu’à la surchauffe ! Le Rodney a subi des déformations de structures à cause de sa trop grande cadence de tir, le King George V a connu les mêmes désagréments que son frère le Prince Of Wales…
La destruction du navire-symbole de l’Allemagne nazie, après celle de son équivalent britannique le Hood, sonne le glas de l’âge d’or des cuirassés. Désormais, la marine anglaise, mais surtout les marines japonaises et américaines, vont tourner leur doctrine navale vers l’emploi des porte-avions, ouvrant une nouvelle ère à la guerre maritime. Quant à l’Allemagne, incapable de rattraper son retard dans ce domaine, elle va choisir la stratégie de son nouvel amiral, Doenitz, et va lancer dans l’Atlantique sa meute de Loups Gris : les U-Boote.
Bibliographie
- P. Bois, La fin du Bismarck, Socomer, 1990.
- La traque du Bismarck, de François-Emmanuel Brezet. Tempus, 2019.
- R.D. Ballard, La découverte du Bismarck, Glénat, 1990.