Le wahhabisme est une « doctrine » sunnite qui tient son nom du réformateur Muhammad ibn ‘Abd al-Wahhab (1703-1792),. Le terme de « wahhabite » est rejeté par les wahhabites eux-mêmes ; il n’est employé que par les Ottomans puis les Occidentaux. Ils s’appellent donc les muwahhidun (unitaristes) car ils défendent le tawhid (unicité de Dieu). C’est un mouvement religieux devenu étatique. Quelles sont donc les origines du wahhabisme, et pourquoi une telle proximité avec le régime saoudien ? Le wahhabisme a-t-il été le premier des réformismes modernes en islam ?
Al-Wahhab : un salafiste néo-hanbalite
Muhammad ibn ‘Abd al-Wahhab est né en 1703 dans le Najd en Arabie, d’un qadi (juge) hanbalite (l’une des quatre écoles sunnites). Il fait ses études à Médine avec Muhammad Hayya al-Sindi (membre de la confrérie Naqshbandiyya) qui enseigne les hadiths (récits qui relatent les propos et les actes du Prophète, formant la Sunna ou Tradition) et s’inspire d’Ibn Taymiyya (1263-1328). Durant ses nombreux voyages, al-Wahhab s’attaque souvent aux chiites, et il est en Egypte en 1739 pour écrire son ouvrage majeur : Kitab al-Tawhid (Traité sur l’unicité). Il est obligé de fuir l’Egypte et s’allie en Arabie avec les Sa’oud en 1744.
La doctrine a une dimension salafiste, prenant exemple sur les salafs ou ancêtres pieux. C’est un fondamentalisme scripturaire (s’appuyant sur les écrits du Coran et de la Sunna) ; il met en avant l’ijtihad (effort de réflexion) et l’oppose au taqlid (imitation des enseignements). Ainsi, ils veulent revenir aux Textes à interpréter en rejetant les commentaires : ils sont donc fondamentalistes et pas traditionalistes. C’est un type de lecture littéraliste qui insiste sur le tawhid, unicité de Dieu, en particulier dans le culte ; il combat donc : la survivance pré-islamique, le culte des Saints, le culte des imams chiites, le culte du Prophète, la soumission aux autorités temporelles. Al-Wahhab prononce le takfir (anathème) contre les « faux » musulmans.
Les conquêtes des Sa’oud « wahhabites »
L’oasis des Sa’oud est riche jusqu’à la crise caravanière mi-XVIIIè siècle ; ils doivent alors partir en conquête et décident d’instrumentaliser le jihad par le biais de la doctrine d’al-Wahhab (mort en 1792). Ce « jihad wahhabite » doit servir également à réguler la violence interne, avec le prix du sang par compensation matérielle, et une utilisation de la charia pour combattre les coutumes (‘urf) et viser une unification sociale. Enfin, ils aspirent à un ascétisme moral…Les Sa’oud parviennent à soumettre les émirats du Golfe et, en 1801, ils ravagent la ville de Kerbala, symbolique car centre chiite important, le chiisme étant insupportable pour ces unitaristes. En 1803, ils prennent La Mecque, la perdent, puis s’y réinstallent en 1806.
La menace wahhabite est prise très au sérieux au Moyen-Orient, dès les raids en Irak contre les chiites et l’attaque de la Syrie en 1793. En 1810, les « wahhabites » tentent de faire pression sur le gouverneur de Damas par le biais d’une lettre lui intimant de rejeter « l’idolâtrie ». Cependant, les oulémas de Syrie rejettent violemment le wahhabisme. La menace est bien réelle pour les Ottomans, sur le plan doctrinal, politique et économique, et les Sa’oud wahhabites s’opposent ouvertement au pouvoir de La Porte, et à sa légitimité religieuse autant que politique ; la capture des Lieux Saints est un vrai défi au sultan.
La Porte a bien du mal toutefois à mobiliser les provinces arabes, et elle doit compter sur les ambitions de chacun. C’est le cas avec Mehmet Ali (ou Muhammad Ali, ou encore Méhémet Ali) ; celui-ci, d’origine albanaise, s’est imposé en Egypte. Il a profité des difficultés des sultans et du gouvernement local pour devenir wali de l’Egypte, qu’il réforme en profondeur, à partir de 1805. En 1811, le sultan lui demande de partir en guerre contre les Sa’oud wahhabites. Mehmet Ali, qui sait que la réussite de cette expédition peut lui être très profitable, envoie l’armée d’Egypte, menée par son fils Ibrahim Pacha. La campagne dure près de sept ans, et s’achève avec la chute de la capitale des Sa’oud, al-Diriyah. Le chef de la famille est envoyé au sultan Mahmoud II, qui le fait décapiter et expose son corps à Istanbul.
La revanche des Sa’oud
Si la menace wahhabite est écrasée par Mehmet Ali, et La Porte rassurée, la famille Sa’oud n’est pas pour autant détruite. Elle se réunit dans sa nouvelle capitale, Riyad, et se reconstruit malgré des révoltes de rivaux soutenus par les Ottomans. Les Sa’oud reconquièrent le Nedjd entre 1902 et 1912, puis le Hedjaz en reprenant La Mecque en 1924, au détriment des Hachémites, et ce malgré les menaces des Britanniques. L’année suivante, c’est Médine qui tombe dans les mains des wahhabites. Entretemps, le califat a été dissout par Mustapha Kemal.
Ibn Sa’oud se fait proclamer roi, tout en restant sultan du Nedjd. Il veut cependant se présenter comme le sauveur de l’oumma, et rassurer les musulmans sur la nature du wahhabisme. En effet, dans la péninsule Arabique, les wahhabites ont violemment combattu ce qu’ils considèrent comme des hérésies, tel le soufisme et évidemment le chiisme, et cela n’a pas plut dans le monde musulman, en particulier en Egypte. Ibn Sa’oud décide alors de montrer sa bonne volonté, tout en affirmant sa puissance (il tient tout de même les Lieux Saints), et réunit un congrès musulman en 1926. S’il ne parvient pas à se faire proclamer calife, objectif dont il est accusé mais qu’il ne mentionne pas explicitement, il réussit à donner une légitimité au wahhabisme, grâce au soutien de réformateurs comme Rachid Rida. En 1932, le royaume d’Arabie Saoudite est officiellement créé, et asseoit son pouvoir non seulement par sa possession des Lieux Saints, mais aussi par la découverte de pétrole dans son sous-sol.
Le wahhabisme quant à lui est censé être la doctrine religieuse officielle du régime saoudien, encore aujourd’hui. On dit qu’il a influencé les réformistes salafistes du XIXe siècle, tels El-Afghani ou Mohammed Abduh, et surtout Rachid Rida puis le créateur des Frères musulmans, Hassan al-Banna. La réalité et l’évolution des mouvements réformateurs en islam dans la période contemporaine est cependant un peu plus complexe...
Bibliographie non exhaustive
- N. Picaudou, L’islam entre religion et idéologie, Gallimard, 2010.
- H. Laurens, L’Orient arabe (Arabisme et islamisme, de 1798 à 1945), A. Colin, 2004.