Dès le 19 avril 1861, le président Lincoln décréta le blocus des côtes des États ayant fait sécession. Ce décret autorisait les navires nordistes à arraisonner tout vaisseau entrant ou sortant d’un port rebelle. Initialement, il s’agissait d’une réaction à une décision du gouvernement confédéré, qui menaçait d'accorder des lettres de marque à des corsaires, les autorisant à attaquer les navires de l’Union. Au cours de l’été 1861, le blocus s’intégra à merveille au « plan Anaconda » du général Scott. Dès le mois d’août, les premières opérations visant à le renforcer furent entreprises.
Un travail de titan
C’est une tâche gigantesque qui attend l’U.S. Navy. À elles seules, les côtes des États sudistes représentent un développement de plus de 5.000 kilomètres. Face à cela, la marine fédérale n’avait en service que 42 navires. 48 autres vaisseaux étaient tenus en réserve, mais la majorité d’entre eux étaient de vieux bâtiments à voile, dont l’utilité opérationnelle serait limitée. Durant les premiers mois de la guerre, le département de la Marine soutint donc un effort considérable pour accroître ses effectifs, achetant de nombreux navires civils afin de les armer. De nouvelles constructions de vaisseaux modernes, à vapeur voire cuirassés, seront également lancées. En 1865, le nombre de navires en service dépassera les 600.
Le blocus nordiste porta en premier lieu là où cela lui était le plus facile. Ainsi, la forteresse Monroe, qui contrôlait le chenal de Hampton Roads, permit de bloquer très rapidement le port de Norfolk, ainsi que l’estuaire de la rivière James, qui menait directement à la capitale confédérée, Richmond. L’Union ayant aussi gardé le fort Pickens, elle put ainsi bloquer – en partie – Pensacola, en Floride. Relativement proche des ports nordistes, la Caroline du Nord était donc, assez logiquement, la prochaine cible de la marine fédérale.
Ses côtes sablonneuses présentaient d’innombrables estuaires et criques qui se rejoignaient pour former deux baies principales, celle d’Albemarle et celle de Pamlico. Toutefois, elles étaient séparées de l’Atlantique par une chaîne d’îles étirées et de bancs de sable qui les fermait presque totalement. Les communications avec la haute mer ne pouvaient se faire que par quelques chenaux qu’il était relativement facile de contrôler. Ces caractéristiques n’avaient pas échappé aux Confédérés, qui avaient très rapidement entrepris de fortifier ces points névralgiques.
Pour gagner un accès aux côtes caroliniennes, la marine de l’Union décida en août 1861 de viser le chenal d’Hatteras, au sud-ouest de l’île et du cap du même nom. La Confédération y avait établi à la hâte deux forts, baptisés Clark et Hatteras, tenus par quelques marins et le 7ème régiment de Caroline du Nord. Pour s’en emparer, la marine nordiste rassembla une flottille de sept navires de guerre, deux transports et un remorqueur, qu’elle confia au capitaine Silas Stringham. L’armée contribua à l’expédition en fournissant une petite brigade, détachée des troupes du général Butler à la forteresse Monroe – ce dernier assumant lui-même le commandement.
L’escadre nordiste arriva en vue de son objectif le 27 août et commença à bombarder le fort Clark le lendemain. Stringham employa une tactique relativement nouvelle, rendue possible par l’avènement de la navigation à vapeur : il mena le bombardement en mouvement, réduisant de beaucoup l’efficacité du tir des batteries côtières sudistes. De surcroît, ces dernières, de par leur position isolée, ne pouvait être aisément renforcées et encore moins ravitaillées. À la mi-journée, le fort Clark avait épuisé ses munitions, et dut être évacué.
Stringham se tourna alors vers le fort Hatteras, mais le mauvais temps offrit un répit aux défenseurs, leur permettant d’économiser leurs obus et de recevoir quelques renforts des îles voisines. Toutefois, le grain se dissipa bien vite, et les navires de l’Union revinrent dès le lendemain, 29 août. Stringham s’aperçut rapidement que le fort Hatteras n’avait pas de canon portant suffisamment loin pour riposter efficacement. Il fit cette fois ancrer ses navires, qui déchaînèrent leur puissance de feu sur un ennemi atone. Après quelques heures de ce traitement, le fort Hatteras capitula, laissant la passe aux mains des Nordistes. Elle allait servir de base à une campagne ultérieure qui, durant l’hiver 1861-62, allait permettre de bloquer virtuellement toute la côte de la Caroline du Nord.
Carte des côtes de Caroline du Nord, avec les principaux points d'accès à la baie de Pamlico. Source : carthotèque Perry-Castaneda.
Jugées indéfendables, les passes voisines d’Ocracoke et d’Oregon furent évacuées par les Sudistes, accroissant le contrôle des Fédéraux sur la baie de Pamlico. Au cours des mois qui suivirent, les navires du blocus, organisés en trois, puis quatre escadres (Atlantique nord, Atlantique sud, Golfe du Mexique est et ouest), firent peu à peu sentir leur présence à la sortie des ports confédérés. Néanmoins, ce déploiement n’allait pas sans poser de sérieux problèmes logistiques. Approvisionner et maintenir en mer ces flottes nécessitait des installations que l’Union n’avait que dans ses propres ports.
Si la navigation à vapeur avait ses avantages, elle présentait aussi l’inconvénient de rendre les navires tributaires de leur ravitaillement en charbon. Les machines d’alors en consommant des quantités importantes, il fallait l’économiser en utilisant les voiles lorsque c’était possible, et rentrer régulièrement au port pour refaire le plein des soutes. L’Union avait donc en premier lieu besoin d’un charbonnage, autant que d’une base navale, dans les eaux sudistes. À la fin de 1861, une opération visant à s’emparer d’une telle base fut mise à l’étude.
C’est la baie de Port Royal qui fut choisie. Située en Caroline du Sud, à mi-chemin entre Charleston et Savannah, elle présentait plusieurs avantages propres à en faire le site idéal. Découpée par de nombreux chenaux et îles, elle était toutefois suffisamment vaste pour accommoder une flotte importante. Sa largeur même rendait sa défense difficile depuis la mer, alors qu’à l’inverse, les zones marécageuses qui l’entouraient la protégeaient d’une contre-attaque par voie de terre. Des marais qui gêneraient considérablement l’acheminement de renforts et de ravitaillements aux défenseurs sudistes. Une fois maîtresses de la place, les troupes nordistes n’auraient pas ce problème, puisque leur supériorité navale garantirait leurs lignes d’approvisionnement.
Les Confédérés n’étaient cependant pas restés inactifs, construisant sur la baie les forts Walker et Beauregard. Une garnison de 3.000 hommes fut confiée à Thomas Drayton, tandis que la marine sudiste avait regroupé à Port Royal une flottille comprenant quatre petites canonnières sous les ordres de Josiah Tattnall. L’expédition nordiste était bien plus imposante : le général Thomas Sherman s’était vu confier une force de 12.500 hommes répartis en trois brigades. Ces troupes étaient transportées par une flotte de 77 bâtiments, dont 19 navires de guerre. L’élément naval était commandé par Samuel Du Pont, dont l’oncle – d’origine française – avait fondé une entreprise fabriquant de la poudre à canon et appelée à devenir le géant de la chimie Du Pont de Nemours.
Carte des côtes de Caroline du Sud. Source : carthotèque Perry-Castaneda.
La bataille de Port Royal
L’escadre nordiste appareilla le 1er novembre. Mal dissimulé, son objectif fut bientôt connu de tous, amis comme ennemis, par voie de presse. À cette indiscrétion s’ajouta une autre contrariété, une tempête coulant un des navires de transport et dispersant le reste de la flotte, qui mit plusieurs jours à se regrouper à l’entrée de la baie de Port Royal. Durant ce laps de temps, la flottille sudiste de Tattnall vint à sa rencontre mais, désespérément dépassée en puissance de feu, elle ne put empêcher les Fédéraux de cartographier la baie et encore moins de préparer son attaque.
Après une première tentative avortée le 6 novembre, Du Pont décida de ne pas attendre l’arrivée des transports de munitions, dont l’armée avait besoin pour débarquer, et de commencer le bombardement des forts sudistes dès la matinée du 7. Reproduisant la tactique inaugurée par Stringham à Hatteras, Du Pont opta pour un bombardement en mouvement, mais une mauvaise compréhension dispersa bientôt sa flotte, réduisant l’efficacité de son tir. L’arrivée tardive de la canonnière USS Pocahontas permit de redresser la situation. Par une ironie que seules les guerres civiles peuvent produire, celle-ci était commandée par Percival Drayton, le frère du chef de la garnison sudiste, qui était resté fidèle à l’Union.
La Pocahontas n’était pas très lourdement armée, mais elle parvint à trouver une position de tir qui lui permettait de prendre en enfilade le fort Walker. Pour la garnison de ce dernier, la situation finit par devenir intenable. Le plus gros des troupes fut retiré, ne laissant qu’une arrière-garde qui, bientôt à court de munitions, évacua le fort à son tour. Craignant d’être prises à revers, les forces tenant le fort Beauregard les imitèrent en fin de journée. Le 8 novembre, leur fort vide fut occupé par les troupes de l’Union. La bataille de Port Royal s’achevait par une victoire décisive et rapide pour le Nord.
La base ainsi capturée permit à la flotte nordiste de menacer toute la côte entre Charleston et Jacksonville. On ne pouvait guère imaginer pire entrée en matière pour Robert Lee, qui venait d’être relevé de son commandement en Virginie occidentale pour prendre la tête du département militaire de Géorgie et des Carolines. Il allait malgré tout redorer quelque peu son blason. Estimant que Charleston, avec ses trois forts et ses nombreuses batteries côtières, était trop bien défendue pour que la flotte de l’Union s’y attaque tout de suite, il estima que sa prochaine cible serait Savannah.
Le siège du fort Pulaski
Cette assomption était correcte. La ville de Savannah, où s’étaient réfugiées les troupes et la flottille qui avaient défendu Port Royal, se trouvait sur l’embouchure de la rivière du même nom, qui marquait la frontière entre la Caroline du Sud et la Géorgie. L’accès à Savannah par voie maritime était défendu par le fort Pulaski, une construction en maçonnerie achevée en 1847. Ses murs épais étaient considérés comme pratiquement indestructibles, sauf à tirer à très faible distance – ce qui, bien sûr, exposait à un tir destructeur de la part des quelques 50 canons du fort.
Lee fit aussitôt mettre Savannah en état de défense, un exercice dans lequel ses habitudes d’ancien officier du génie allaient faire merveille. Pendant que ses hommes creusaient inlassablement pour ériger de nouvelles batteries, les Nordistes se rapprochaient. Après avoir sécurisé complètement Port Royal en occupant la ville de Beaufort, Du Pont emmena sa flotte vers le sud, arrivant en vue de Savannah le 24 novembre. Le 26, Tattnall mena une nouvelle attaque avec sa « flotte-moustique », un surnom qui lui allait parfaitement : sa flottille de canonnières improvisées était trop modeste pour espérer causer de sérieux dégâts aux navires de l’Union. Elle se contentait donc de « siffler à ses oreilles », avant de se retirer promptement pour éviter d’être écrasée.
Durant les semaines suivantes, les forces nordistes prirent possession de l’île Tybee, qui faisait face à l’îlot sur lequel était bâti le fort Pulaski. Thomas Sherman, le commandant des forces terrestres de l’Union, estimait que l’effet de l’artillerie sur le fort serait négligeable, et prévoyait de masser 10.000 hommes pour un assaut en règle. Son chef du génie, Quincy Gillmore, ne partageait pas son avis. Ayant assisté aux essais de nouveaux canons avant la guerre, il était persuadé qu’un bombardement mené par des mortiers et des canons rayés modernes pourrait obliger le fort à se rendre sans avoir à recourir à une coûteuse attaque directe.
Les travaux d’approche débutèrent le 20 décembre et se poursuivirent le mois suivant, perturbés seulement par les opérations de harcèlement menées sporadiquement par les canonnières sudistes. En mars 1862, Thomas Sherman fut remplacé par David Hunter, qui donna carte blanche à Gillmore pour mettre son plan à exécution. À la même époque, Lee quitta lui aussi le secteur : le président Davis l’avait rappelé à Richmond pour en faire son conseiller militaire spécial. Début avril, une dizaine de batteries avaient été construites face au fort Pulaski.
Le bombardement débuta dans la matinée du 10 avril 1862. Toute la journée, les canons nordistes et sudistes se livrèrent un duel d’artillerie intense, mais les canons rayés, en particulier les Parrott de 30 livres, se montrèrent aussi efficaces que l’avait espéré Gillmore. Lorsque la nuit tomba, le fort était sévèrement endommagé : les obus explosifs avaient ouverts des brèches dans les murs jusque-là réputés inexpugnables, et même les casemates n’offraient plus de protection suffisante aux canons du fort. Lorsque le tir reprit le lendemain, les obus ne tardèrent pas à en dévaster l’intérieur, passant à travers les brèches ouvertes dans les murs et menaçant la poudrière. Pour éviter le massacre inutile de ses hommes, son commandant capitula dans l’après-midi.
La chute du fort Pulaski ne signifiait pas pour autant la prise de Savannah. De fait, les défenses érigées par Lee autour de la ville dissuadèrent les Fédéraux de tenter de s’en emparer. Il faudra attendre décembre 1864 pour qu’une offensive venue de l’intérieur des terres ne prenne la ville. Néanmoins, le contrôle du fort fermait presque complètement le port à la navigation sudiste. Bien que d’autres chenaux permirent à quelques forceurs de blocus de gagner sporadiquement la haute mer ou d’en revenir, avec l’aide du toujours très entreprenant Josiah Tattnall, le blocus de Savannah demeura efficace pour le restant de la guerre.
Sources
Une page sur l’organisation du blocus
Un article sur la bataille de la passe d’Hatteras
Un article sur la bataille de Port Royal, puisant notamment ses sources dans les Official Records (rapports et documents officiels des deux camps, compilés et publiés après la guerre)
Encore un article Wikipedia – sur la bataille du fort Pulaski – mais il fourmille de références et de liens connexes. On y trouve notamment le rapport du général Quincy Gillmore sur le siège et le bombardement du fort.