La chevalerie, une origine germanique
Le culte des armes s'affirme au sein des sociétés germaniques qui fournirent nombre de recrues à l'Empire romain finissant. Pour les Germains, être libre c'est être en armes et le passage de la jeunesse à l'âge d'homme est marqué par un rituel décrit dans un célèbre texte de l'écrivain latin Tacite : « la coutume veut que nul ne prenne les armes avant que la cité ne l'en ait reconnu capable. Alors un des chefs, son père ou ses proches décorent le jeune homme du bouclier et de la « framée » : c'est là leur toge, ce sont les premiers honneurs de leur jeunesse ».
Marc Bloch identifie les racines de la chevalerie médiévale (fraternité guerrière initiatique) dans les pratiques des sociétés germaniques du haut Moyen-Âge.
Les donjons et la révolution castrale
Les mots castrum et castellum désignent des édifices qui restent jusqu'à la fin du Xe siècle d'ampleur modeste. Simples donjons de bois, ils sont construits sur des escarpement rocheux, boucle de rivière, centre d'une zone marécageuse... ou en plaine, sur une motte de terre. Grâce à l'utilisation de la pierre en 1050 le donjon devenu plus résistant se dote de tours carrées percées d'archères. La plupart d'entre eux comprenaient trois étages : au rez-de-chaussée le cellier destiné à entreposer les provisions ; au-dessus une grande pièce où s'entassent les biens précieux du seigneur, puis au sommet une plate-forme couverte où les hommes chargés du guet montent la garde.
Un dense réseau castral marque les paysages : le Maine possédant onze châteaux en 1050 en compte soixante deux en 1100, le Poitou passe de trois à trente neuf au XIe siècle ; en Catalogne huit cents forteresses sont identifiables en 1050. C'est ce que les historiens appellent la « révolution castrale ». Sont estimés à une dizaine de milliers le nombre de châteaux à motte en France.
Ces constructions étant un défi au pouvoir central, Charles le chauve tente de les interdire en 864, arguant des inconvénients pour les habitants du voisinage mais ceux-ci, victimes d'insécurité préfèrent subir les contraintes du pouvoir seigneurial en place au bénéficie des protections offertes par les lieux fortifiés et les hommes d'armes qui les occupent .
Les chevaliers du Moyen Age, une aristocratie guerrière
En société médiévale, le chevalier est le porte-glaive, celui qui a le droit et le devoir d'être armé, il est le protecteur des hommes et des femmes de sa communauté afin que ceux-ci vaquent en paix à leurs occupations. En Europe le port d'arme est perçu depuis la Haute Antiquité comme la marque de ceux qui revendiquent leur dignité en versant leur sang et en risquant leur vie. Le prestige de l'arme fait de celui qui la porte un être à part qui a des droits et des devoirs spécifiques.
D'autres sont « chasés », ils reçoivent des terres destinées à pourvoir à leur entretien. Les ministériaux, chevaliers-serfs repérables, peuvent réaliser une ascension sociale (mariage avantageux par exemple). Les cadets de petites noblesse doivent chercher fortune à la pointe de l'épée, ne pouvant prétendre à l'héritage paternel.
Les chevaliers ont vocation à partir du XIe siècle de s’intégrer dans les rangs de la noblesse à l'exception de ceux y appartenant déjà. La fusion entre chevaliers et noblesse se réalise plus tard, il faut attendre le XIIIe siècle en Lorraine, le XIVe en Alsace pour la constater, mais à partir du XIIIe siècle la chevalerie se ferme sur elle-même, l'aristocratie voulant en réserver le privilège à ses fils. La chevalerie se présente alors comme la communauté des guerriers nobles s'opposant à « piétaille » sans foi ni loi.
Apparaît une professionnalisation du combattant, le changement des techniques de combat exigeant une spécialisation. Dans la cavalerie lourde la tactique est basée sur l'enfoncement du front adverse par effet de rupture. La charge se fait au galop, la lance calée sous le bras abaissée à l'horizontal à la différence du jet de lance ne pouvant servir qu'une fois.
Les armes du chevalier au Moyen Age
Au XVe siècle on fixe un crochet sur l'armure pour solidariser lance et cuirasse afin de soulager le porteur de lance (nommé chevalier-banneret) le poids de celle-ci pouvant être accru par le pennon et l'enseigne voire la bannière qui permet d'identifier le combattant, d'être un point de ralliement au cœur de la mêlée. La lance brisée, il faut tirer l'épée !
Les armes offensives les plus utilisées sont la lance et l'épée mais suivent les haches, les masses d'armes, les fléaux d'armes et les dagues. Parmi ces dernières ''la miséricorde'' a un nom éloquent : sa lame courte et mince peut s'insérer entre les pièces métalliques du haubert et du heaume. L'arbalète est une arme si redoutable (son carreau perce une armure de part en part) que le concile de 1139 en interdit l'usage entre chrétiens, en vain. Le grand arc gallois, dont la cadence de tir est encore plus rapide fit des ravages contre les armées françaises lors de la guerre de cent ans.
Arme du corps à corps (on combat les yeux dans les yeux) l'épée des XIe et XIIe siècles est massive, longue d'un mètre et pesant plus d'un kilo, elle est dite d'estoc et de taille car l'on frappe aussi bien de la pointe que du double tranchant de la lame. La poignée est de bois ou de corne recouverte de cuir, le pommeau rond destiné a améliorer l'équilibre est plus ou moins ouvragé, selon la richesse de celui qui la commande.
La fabrication d'une bonne et belle épée élastique et résistante nécessite jusqu'à 200 heures de travail. On comprend mieux le prestige dont jouissait le forgeron.
Jusqu'au milieu du XIe siècle, la protection la plus répandue est fournie par la brogne, solide tunique de cuir renforcée d'écailles de métal. Puis la cotte de mailles ou haubert devient très prisée. Celui-ci, fait d'anneaux de fer entrelacés plus ou moins fins et serrés (selon le coût) protège le corps jusqu'aux genoux les membres étant recouverts de chausses et de manches de mailles. Sous le haubert se porte un « gamboison » rembourré afin d'amortir coups et frottements. Une cote d'arme en étoffe est portée par-dessus avec les armoiries du combattant.
Apparition des guerriers en armure
La tête du chevalier est protégée par un casque, le « heaume » (du germanique helm), simple calotte hémisphérique renforcé d'un nasal dès le XIe siècle puis d'un ventail ou visagière percé d'œillères. Au XIIe siècle le heaume est fermé, cylindrique avec deux étroites ouverture horizontales les vues, plus des trous de ventilation en dessous. Avec la visière articulée on s'oriente vers le ''bassinet''. Sur le heaume, un cimier porte le symbole héraldique du chevalier, alourdissant le casque qui n'est mis en place qu'au moment du combat .
Le bouclier complète l'équipement de protection. Le modèle normand en forme d'amande est fait de bois recouvert de cuir mais encombrant, il est remplacé par la targe de forme variée sur laquelle sont peintes les armes du chevalier.
Le rôle du cheval
Le cheval de guerre, le destrier (tenu par la dextre main droite de l'écuyer) doit être robuste et résistant, capable de charger au galop et de supporter la presse de la mêlée. Il se situe au-dessus du palefroi, utilisé pour voyager et du roncin, cheval de somme portant le barda des guerriers. Un chevalier doit posséder plusieurs destriers car il n'est pas rare de voir sa monture tuée lors de la bataille, malgré des couvertures de mailles censées le protéger. L'équipement complet du chevalier coûtant des sommes considérables beaucoup de chevaliers n'ont pas les moyens de faire face à ces dépenses et sollicitent l'aide d'un puissant en se mettant à son service.
La chasse est vécue au Moyen Âge comme un entraînement à la guerre, tant sur le plan psychologique que physique car la faune sauvage des forêts médiévales est capable de mettre à rude épreuve les chasseurs les plus déterminés, donnant l’occasion de vérifier leurs capacités de maîtrise et d'endurance. La formation du guerrier commence par la chasse en même temps que par l'équitation et les soins aux chevaux.
La cérémonie de l'adoubement
Au cours de cette cérémonie le jeune garçon, grâce aux armes qu'il reçoit franchit le seuil qui sépare le statut d'enfant de celui d'homme. Ce rituel est décrit dans les chansons de gestes :
« donc lui vêtirent une brogne très belle
Et un vert heaume lui lacent en la tête
Guillaume lui ceint l'épée au côté senestre
Prit par la poignée un grand bouclier
Cheval eut bon, des meilleurs de la terre »
Avant la remise des armes, il passera par un geste de sacralisation : la colée, il s'agit d'un coup donné de la paume droite de l'adoubeur à l'adoubé, épreuve symbolique destinée à vérifier que le jeune est capable d'encaisser un coup sans broncher. Ainsi intronisé le nouveau chevalier doit faire démonstration de saut à cheval puis lancé au galop, abattre d'un coup de lance en plein centre le mannequin monté sur pivot censé représenter l'ennemi. Ensuite vient le banquet où père oncle ou seigneur montrent la largesse qui est signe d'esprit chevaleresque en régalant ses invités, sans oublier les pauvres, les jongleurs et bouffons qui iront vanter les mérites de leur bienfaiteur.
L'esprit chevaleresque au Moyen Age
La chevalerie a son code d’honneur, fondé sur la loyauté, le courage et, bien souvent, la dévotion à une dame (on parle d’amour courtois). Courageux lorsqu’il combat et fidèle envers son seigneur (ou son roi, ou sa dame), telle est l’image du preux chevalier.
Cependant, le chevalier reste avant tout un guerrier et l’Église (comme le peuple) fait souvent les frais des guerres privées. C’est pourquoi elle tente de rendre morales la vie et l’action des chevaliers qui reçoivent bientôt pour mission de protéger ceux qui prient et ceux qui travaillent. Les chevaliers se transforment ainsi en soldats de Dieu.
Les tournois de chevaliers
Deux camps se forment au gré des affinités, des liens familiaux, des origines provinciales. Au signal, les deux troupes se lancent l'une contre l'autre pour un combat dont les lois sont celles d'une véritable bataille, blessés et morts sont ramassés à la fin de l'affrontement, tandis que les prisonniers sont rançonnés.
Dans ces tournois se pressent sur des estrades belles dames et gentes demoiselles, parées de leurs plus beaux atours pour assister aux combats. Si l'une d'elles confie ses couleurs à un combattant, celui-ci devra vaincre ou mourir. La vie est dure pour le chevalier !
La christianisation de la chevalerie
À l'origine, l'Église s'appuie sans ambiguïté sur les écritures (Matthieu 26, 52, « tous ceux qui tireront l'épée périront par l'épée » et « si un catéchumène ou un fidèle veut se faire soldat qu'on le renvoie car il a méprisé Dieu », cette condamnation se perpétue au fil des siècles, frappant de sévères sanctions tout homme ayant tué un de ses semblables.
Mais l'Église doit prendre en compte les nécessités qu'implique une coexistence de plus en plus intime avec l'État. Le clergé se doit de désavouer l'incivisme militant que constitue un antimilitarisme déclaré lorsque les invasions germaniques remettent en question le sort de l'Empire. Apparaît alors, par la bouche de saint Augustin, la théorie de la « guerre juste ».
« Le soldat qui tue l'ennemi est comme le bourreau qui exécute un criminel, ce n'est pas un péché que d'obéir à la loi, il doit pour défendre ses concitoyens s'opposer à la force par la force ».
La guerre juste (et la mission de la conduire) devient une raison justifiée car le devoir du prince chrétien est d'imposer par la terreur et la discipline ce que les prêtres sont impuissants à faire prévaloir par la parole. Dans les faits les exigences de la doctrine chrétienne deviennent, contre le païen ou l'infidèle, une guerre sainte.
À la fin du XIe siècle une formule sera mise en place entraînant l'adhésion des hommes de guerre : la croisade. Son idéologie était déjà présente en Espagne et en Italie aux IXe et Xe siècles dans la lutte entre Islam et Chrétienté mais elle prend toute son ampleur lorsque le Saint Siège annonce un objectif nouveau : Jérusalem et la délivrance du tombeau du Christ. La christianisation de la chevalerie est un phénomène qui a touché toute la Chrétienté de l'Orient jusqu'à l’Europe du nord.
Bayard, un chevalier modèle
A Pavie menacée par les forces supérieures des Vénitiens et des Suisses, il réussit encore à arrêter l’armée ennemie avec 36 hommes pendant deux heures et reçoit une grave blessure à l’épaule. En 1513 il est en Artois envahi par les Anglais et il est fait prisonnier à Guinegatte (journée des Éperons). Libéré peu après, il est nommé lieutenant général du Dauphiné. Il se distingue si brillamment à Marignan en 1515 que le roi François Ier veut être armé chevalier de ses mains après la bataille.
En 1522, malgré des prodiges de valeur, il ne peut empêcher en Lombardie la défaite de La Bicoque. Ayant reçu mission d’assurer la retraite de l’armée française après la défaite de Romagnano, il réussit à lui faire passer la Sesia, mais il est mortellement blessé d’un coup d’arquebuse, le 30 avril 1524. Incarnation du courage et de l’esprit chevaleresque, Il passe à la postérité comme « le chevalier sans peur et sans reproche ».
Le déclin des chevaliers
Les déboires de la chevalerie française lors des grandes défaites de la guerre de Cent Ans (Crécy, Poitiers, Azincourt) montrent la montée en puissance de l'artillerie et de l'infanterie.
Le temps et l'histoire ont fait leurs œuvres, la chevalerie disparaît en tant qu'institution mais ses idéaux et son modèle sont encore présents. Si la chevalerie est absente de la société l'est-elle pour autant du cœur des hommes ?
Pour aller plus loin
- Chevaliers et Chevalerie au Moyen Age: La vie quotidienne, de Jean Flori. Fayard, 2013.
- La Chevalerie, de Dominique Barthélémy. Tempus, 2012.
- Histoire de la chevalerie, de Maurice Meuleau. Editions Ouest-France, 2014.