Dans la mythologie scandinave, Heimdall est un Ase gardien du pont Bifrost qui donne l’accès à Asgard, le royaume des dieux. Ce dieu primordial à l’image multiple et énigmatique semble être à l’origine de l’humanité, tandis que par son nom, qui signifie « soutien du monde », il s’identifie au frêne sacré Yggdrasil. Né de l’union d’Odin et de neuf vagues, Heimdall, encore appelé Gullintanni (« dents d’or »), est doté de forces prodigieuses qu’il a reçues de la terre, de la mer et du sang d’un sanglier. Au jour du Ragnarök, Heimdall avertira les dieux au son de sa corne Gilliarhorn. Ce dieu apparaît dans les films Thor I et Thor II sortis en 2011 et 2013 au cinéma. Il est interprété par l'acteur Idris Elba.
Heimdall, l'Ase blanc
La strophe 27 de de la Gylfaginning, la première des trois parties de l'Edda de Snorri Sturluson, présente le dieu Heimdall. Celui-ci habite une demeure nommée Himingbjörg (« montagnes du ciel »), située près de la tête du pont, en dehors de l'enceinte qui protège Ásgarđr. Là, il veille sur l'arc en ciel car il a la charge de garder l'entrée du pont contre les géants. Au premiers signes du Crépuscule des Dieux – le Ragnarök – il doit souffler dans son cor Gjallarhorn, dont on entend le son de par tous les mondes, afin d'appeler les dieux au combat.
Aussi Heimdall n'a pas besoin de dormir ; il voit à plus de cent lieux le jour comme la nuit, et il a l'ouïe si fine qu'il entend croitre l'herbe et la laine sur le dos des moutons. Loki, d'ailleurs, se moque de lui et de sa situation qu'il juge inconfortable : « Te fus autrefois Vilaine vie réservée Le dos raide Tu auras toujours A monter la garde pour les dieux » (Lokasenna, 48)
Heimdall est aussi surnommé l'Ase Blanc et Gullintanni car ses dents sont en or. Pour se déplacer, il utilise son cheval Gulltoppr, dont la crinière est également en or. Il est né de l'union d'Odin avec les neuf filles d'Ægir, géant personnifiant la mer, ses filles représentant quant à elles les vagues. « De neuf mères, je suis l'enfant, De neufs sœurs, je suis le fils. » Ainsi, s'exclame le dieu dans le poème Heimdalllargaldr, qui lui est consacré.
Heimdall, dieu de l'ordre primordial
La Rígsþula, poème de l'Edda poétique, raconte comment Heimdall, déguisé et grimé sous le nom de Rígr, voyage parmi les hommes et devient le fondateur des trois classes de la société viking : les jarls, les hommes libres et les esclaves.
D'abord, le dieu arrive dans une pauvre chaumière dont le portail est entrouvert, habitée par un couple âgé qui se tient au coin du feu. Ái et Edda (arrière-grand-père et arrière-grand-mère) lui réservent bon accueil et servent un repas composé de bouillon et de pain grossier. Rígr partage leur lit. Passées trois nuits, il reprend sa route et s'arrête quelque temps dans une simple maison, elle aussi gardée par un portail entrouvert, où vivent Afi et Amma (grand-père et grand-mère). Afi porte la barbe taillée ; il est vêtu d'une chemise ajustée et s'occupe de tailler un bâton. Amma est vêtue d'une robe maintenue aux épaules par deux fibules et elle est occupée à filer.
Rígr passe trois nuits chez eux en partageant leur lit, puis de nouveau, il se remet en route. Il parvient alors dans une somptueuse demeure, emplie de richesse, gardée par un portail fermé cette fois et dont le sol est couvert de paille. Fađir et Móđir habitent là. Ils accueillent Rígr et servent un repas composé de viandes, d'oiseaux rôtis, de pain blanc et de vin, sur une table couverte d'une nappe de lin blanc. Rígr reste trois nuits dans la maison, en partageant là encore la couche des époux.
Neuf mois s'écoulent. Chacune des femmes donne naissance à un fils, issu du dieu.
• Edda donne naissance à þræll (« esclave »). Il est laid mais fort. Il épouse þír (« serve »). Leur descendance forme la classe des esclaves ;
• Afi donne naissance à Karl (« homme »). Il a les cheveux roux et le regard vif. Il sait fabriquer des araires, des charrettes, bâtir des maisons. Il épouse Snör (« bru »). Leur descendance forme la classe des hommes libres ;
• Móđir donne naissance à Jarl (« prince »). Il a les cheveux blonds et le regard étincelant. Il brandit des armes, fabrique des arcs, des boucliers, monte à cheval. Il épouse Erna (« vive »). Leur descendance forme la classe des Jarls.
Ainsi, le dieu Heimdall incarne l'ordre primordial et, en cela, il s'oppose à Loki, perturbateur perpétuel. D'ailleurs, au jour du Ragnarök, ils combattent l'un contre l'autre. Un autre exemple d'affrontement entre Loki et Heimdall est raconté dans la Húsdrápa, un poème scaldique écrit par Ulf Uggason, déclamé lors du mariage de la fille d'Olaf (entre 980 et 985) et dont douze strophes et demi-strophes nous sont parvenues, citées par Snorri Sturluson dans son Edda.
La déesse Freyja possède un collier en or et en ambre, le collier des Brísingar. Lorsqu'elle le porte, aucun homme ou dieu ne peut lui résister. Elle l'a acquis auprès des quatre nains qui l'ont forgé, en échange d'une nuit avec chacun d'eux. Un jour, Loki vole le collier ; il le cache sous la mer et pour le surveiller, il se métamorphose en phoque. Au matin, la déesse s'aperçoit de la disparition du bijou ; elle part à sa recherche, aidée par Heimdall. Celui-ci finit par découvrir le voleur ; il se mue à son tour en phoque et affronte Loki. Le combat s'éternise ; enfin Heimdall triomphe. Il reprend le collier à son voleur et le rend à la déesse.
Gardien du Bifrost et annonceur du Ragnarök
Heimdall a donc pour mission de surveiller le Bifröst et de souffler dans son cor à l'approche des géants, annonçant ainsi le Ragnarök. Le « Crépuscule des Dieux » est décrit notamment dans un poème anonyme du Xème siècle, la Völuspá « dit de la voyante », dans lequel une voyante raconte au dieu Odin l'histoire et le destin du monde depuis son origine jusqu'à sa destruction. Il est aussi raconté dans la Gylfaginning, première des trois parties de l'Edda de Snorri Sturluson. Arrivent tout d'abord trois grands hivers appelés Fimbulvetr, qui se succédent sans que l'été survienne : la neige tombe en abondance, le gel et le vent sont intenses. Partout, la guerre fait rage ; le meurtre et l'inceste n'épargnent personne.
Les frères s'affronteront
Et se mettront à mort.
Les cousins violeront
Les lois sacrées du sang.
L'horreur régnera parmi les hommes,
La débauche dominera.
(Völuspá, « dit de la voyante », poème anonyme, Xème siècle)
La déesse Sól et le dieu Máni (le soleil et la lune) sont alors dévorés par deux loups et les étoiles disparaissent. La terre tremble, les montagnes s'écroulent. Trois coqs chantent : le premier Fjalarr chante sur le bois de la potence ; le second, Gullinkambi, éveille les guerriers d' Odin tandis que le troisième chante dans le séjour de Hel. Alors, Heimdall souffle dans son cor.
Heimdallr souffle haut
Dans le cor élevé.
Óđinn va consulter
La tête de Mimir,
Le frêne Yggdrasil
Frémit de toute sa hauteur.
Il gémit, le vieil arbre.
(Völuspá, « dit de la voyante », poème anonyme, Xème siècle)
Le loup Fenrir, fils de Loki, se libère du lien avec lequel les dieux l'ont enchainé. Le serpent de Miđgarđr, autre fis de Loki, sort de la mer où Odin l'a relégué et gagne le rivage. Loki, à son tour, se libère des entraves qui le retiennent. Le ciel se déchire ; les géants de feu, mené par Surt – fils de Muspell –, surgissent. Embarqués sur le bateau Naglfar, navire fabriqué au fil des années passées à l'aide des ongles des morts, les trépassés issus de Hel approchent Loki tient la barre. Hrym mène les géants de givre.
Géants et monstres s'engagent sur le Bifröst qui s'effondre et ils parviennent au champ de bataille, Vígríđr. Ases et Einherjar s'avancent, menés par Odin, qui tient sa lance Gungnir à la main. L'Ase suprême marche droit sur le loup Fenrir qui avance, la gueule grande ouverte, la mâchoire inférieure rasant la terre et la mâchoire supérieure touchant le ciel, et meurt dévoré par celui-ci.
Mais, son fils Viđarr, aussitôt, le venge en pourfendant le monstre. Þórr affronte le serpent de Miđgarđr, qui avance, crachant son venin. Il le tue et recule de neuf pas, avant de s'effondrer, victime du poison. Loki affronte Heimdall et tous deux s'entretuent. Freyr est tué par Surt, car son épée – si bonne qu'elle combat seule - lui fait défaut, après qu'il l'ait cédée à son serviteur pour pouvoir gagner le cœur de la géante Gerđr.
Alors le géant de feu Surt lance des flammes sur le monde entier et le détruit. Mais, rien n'est achevé. Une terre, éternellement verte, dans laquelle les cascades sont peuplées de poissons et où les champs donnent des récoltes sans avoir été ensemencés, émerge des flots. Baldr et Höđr, fils d'Odin ainsi que les fils de Þórr qui ont conservé Mjöllnir, le marteau de leur père, viennent s'étblir sur la plaine Iđavöllr, là où autrefois se dressait Ásgarđr. Un homme et une femme, Líf (« vie ») et Lífþrasir (« vivace ») ont pu se cacher et survivre en se nourrissant de rosée.
Le soleil brille de nouveau, car avant d'être dévorée, la déesse Sól a donné naissance à une fille aussi belle qu'elle, et elle lui succède dans le ciel.
Lif et Leif-thrasir
Ils se cacheront
Dans les bois de Hoddmimir,
Et de la rosée du matin
Ils se nourrirront.
Ce sont d'eux que les hommes naïtront.
A une fille
Alfrodull (Sól) donnera naissance
Avant que Fenrir ne la rattrape.
Elle chevauchera, cette vierge,
Sur les chemins de sa mère,
Quand les puissances divines périront.
(Völuspá, « dit de la voyante », poème anonyme, Xème siècle)
Bibliographie
• Régis Boyer, L'Edda Poétique, Fayard, 1992.
• L'Edda, récits de mythologie nordique, par Snorri Sturluson, l'aube des peuples, Gallimard.
• Régis Boyer, Yggdrasill : La religion des anciens Scandinaves, Paris, Payot, 1992.
• Jean Renaud, Les dieux des Vikings, Editions Ouest France.