La naissance de l'agriculture
L’étape suivante fut la sélection des plantes et la domestication des animaux. Les spécimens fournissant les plus gros fruits ou grains furent choisis, ainsi que les animaux fournissant la meilleure viande. Parmi les premières plantes alimentaires cultivées figurent les céréales : blé, orge, avoine, sorgho, millet, riz et maïs ; les grains se conservent facilement, généralement dans des fosses souterraines, jusqu’aux semailles. Les céréales restent aujourd’hui la principale source de nourriture de la majorité de la population mondiale. Les bovidés, moutons, chèvres, porcs, chameaux et chevaux se révélèrent être les plus aptes à la domestication, fournissant viande, lait et laine, et faisant office de bêtes de somme.
Une Invention de l’agriculture ?
L’agriculture a été « inventée » de manière indépendante sur quatre continents de nombreuses fois entre le Xe et le VIIIe millénaire avant notre ère. Ce sont les restes de faune et de flore archéologiques qui nous informent, mais ces données sont incomplètes et, en réalité, le nombre est probablement bien plus élevé. Avant les premiers signes d’agriculture, les chasseurs-cueilleurs de la préhistoire ont sans doute développé une sorte de proto-agriculture qui consistait à faciliter la reproduction des plantes recueillies dans la nature afin qu’elles ne s’épuisent pas, en dispersant des graines ou des tubercules.
Selon des études ethnographiques, les populations récentes de chasseurs-cueilleurs utilisaient encore cette pratique. Dans certaines régions du monde soumises à des conditions favorables, elle est même devenue une véritable économie de production. Les chasseurs-cueilleurs avaient déjà façonné des outils comme la meule pour la mouture, le couteau à moissonner ou encore le bâton à fouir. L’apparition de l’agriculture ne nécessitait donc pas l’invention de nouveaux outils.
L’espèce humaine existe depuis 200.000 ans, mais l’agriculture comme économie de subsistance est née il y a seulement 11.000 ans, et elle ne s’est généralisée que graduellement. Nous ne sommes donc « agriculteurs » que depuis 500 générations environ, soit moins de 5 % de notre histoire. Ainsi notre espèce a-t-elle évolué par la sélection naturelle surtout en tant que chasseurs-cueilleurs. Mais cette même sélection naturelle a favorisé les peuples agricoles. Le déchiffrage du génome humain en apporte la preuve.
Par exemple, il y a 6 000 ans, une mutation génétique sur l’ADN des éleveurs d’Europe centrale a provoqué la persistance chez les adultes de la lactase, une enzyme qui permet au nourrisson de digérer le lactose, une protéine du lait. Celle-ci disparaît normalement après l’âge de 4 ans, entraînant une intolérance au lactose. Cette mutation est dominante en Europe aujourd’hui, mais absente dans les populations d’Extrême-Orient et d’Amérique du Sud où les animaux domestiques ne sont pas exploités pour leur lait.
Les berceaux de l’agriculture
Entre 11 000 et 8000 av. J.-C., l’agriculture se développa à différentes époques, dans diverses parties du globe. Certains des premiers cultivateurs vivaient au Proche-Orient, dans le Croissant fertile. Cette région au sol particulièrement riche recouvre les actuels Israël, Liban, Syrie et Irak. Le peuple Natoufien de Syrie et d’Israël planta du blé et de l’orge sauvage dès 10 000 av. J.-C. environ. A peu près à la même période, dans les monts Zagros d’Irak, plus à l’est, apparurent les premiers élevages de moutons sauvages.
En Extrême-Orient, les premières cultures de millet et de riz virent le jour, voici au moins 8 000 ans, dans les vallées du fleuve Jaune et du Yangzi Jiang, en Chine. En Asie du Sud-Est et en Nouvelle-Guinée se développèrent les cultures vivrières tropicales comme le tara, la canne à sucre, la banane et la patate douce. Au Mexique et en Amérique du Sud, de nombreuses plantes comestibles furent cultivées, parmi lesquelles le maïs, le haricot, le poivron, la courge et la pomme de terre. Le cochon d’Inde, l’alpaga et le lama fournissent nourriture, laine ou mode de transport.
Certaines régions du globe, en particulier l’Amérique du Nord, l’Afrique méridionale et l’Australie, n’avaient pas ou peu de flore ou de faune endémique se prêtant à la culture ou à l’élevage. Dans ces zones, l’agriculture ne se développa qu’après l’introduction de plantes et d’animaux originaires d’autres parties du monde.
Agriculture et techniques
De nouvelles techniques naquirent de la nécessité de conserver et préparer la nourriture. Pour fabriquer de la farine à partir des grains récoltés, on élabora la meule. Pour cuire et entreposer les aliments, on conçoit les pots en terre. Les plus anciennes poteries viennent du Japon et remontent aux environs de 11 000 av. J.-C. Ce n’est que 3 000 ans plus tard qu’elles furent inventées au Moyen-Orient. Améliorant leur art, les potiers apprirent à fabriquer des fours pour cuire l’argile.
Plus tard, les mêmes fours permirent la fusion et le coulage de métaux à partir de minerais naturels - d’abord le cuivre et l’or, puis le bronze et l’acier. On obtint ainsi des outils tranchants plus efficaces, des couteaux et des épées. Le métal ouvragé était arboré tels des bijoux, soulignant la richesse et la position de chacun. La roue, sous forme de tour de potier, fut également inventée pour la fabrication de poteries. Ce n’est que vers 4000 av. J.-C. qu’on l’associa à une plate-forme pour transporter des objets. Les peaux d' animaux et les fibres végétales servaient déjà à s’abriter, à se vêtir et à fabriquer des paniers. Puis le filage et le tissage se généralisèrent pour transformer coton, lin et laine en tissus, utilisés entre autres comme voiles de bateaux.
Grâce à certaines techniques, l’agriculture gagne en efficacité. Les retenues d’eau et l’élaboration de canaux d’irrigation permirent les cultures dans des régions arides comme la plaine inondable de Mésopotamie, la vallée de l’Indus et l’Amérique du Sud. Dès 3000 avant notre ère, la charrue, utilisée en Europe centrale et occidentale, facilita l’exploitation de ces sols denses.
Dans les steppes eurasiennes et en Afrique subsaharienne, régions peu propices aux cultures vivrières, des pasteurs nomades élevaient d’immenses troupeaux de chevaux, bovidés et moutons, qu’ils menaient d’un pâturage à l’autre. Vers 1000 av. J.-C., les bergers eurasiens montèrent à cheval, couvrant des distances plus importantes.
L'agriculture dope la démographie
Au fil du temps, la descendance des agriculteurs, sédentaires, est-elle devenue plus importante que celle des chasseurs-cueilleurs, nomades. Ce succès reproductif explique pourquoi ces derniers ont été, et sont toujours, poussés vers les zones marginales, ou éliminés, et pourquoi les agriculteurs dominent la planète. Depuis la naissance de l’agriculture, Homo sapiens est passé de 2 à 5 millions d’individus à 7 milliards de nos jours. Cette explosion démographique est le résultat direct de cette économie de production agricole, qui n’a jamais cessé de transformer la végétation naturelle, avec des conséquences environnementales de plus en plus inquiétantes.
Le haut rendement de ces plantes et leur capacité à être facilement stockées ont permis la sédentarisation il y a environ 14 000 ans dans le Levant sud (Israël, Palestine, Jordanie). Ensuite, il y a environ 11 000 ans, les villageois ont commencé à cultiver et à exploiter les céréales à grande échelle à travers la région. Un millénaire plus tard, par la sélection darwinienne, les plantes les mieux adaptées à la culture ont dominé, et leurs homologues sauvages ont diminué. C’est le début du processus de domestication (ou, autrement dit, d’amélioration des cultivars), devenu plus tard une sélection consciente qui continue de nos jours.
Les débuts de l’élevage
À peu près au même moment, soit il y a environ 10 500 ans, les premiers signes d’élevage des animaux - vache, chèvre, mouton et cochon - sont apparus. Ces animaux, qui fournissent viande, laine et surtout produits laitiers, et ces plantes, dont les produits sont riches en amidon (une formidable réserve d’énergie!), ont alimenté les civilisations qui se sont épanouies plus tard à partir du IVe millénaire av. J.-C. en Mésopotamie, en Égypte et, par la suite, en Grèce et en Europe. Cet assemblage agricole avait la capacité de s’adapter à des climats très variés, ce qui a facilité sa diffusion au nord de l’Europe, en Amérique, en Afrique et jusqu’en Australie. L’invention de l’agriculture a constitué le préalable à celle de la ville, de l’irrigation, de la traction animale et de l’écriture.
Pourquoi les humains ont-ils inventé l’agriculture? La question a toujours fasciné les scientifiques, qui ont souvent évoqué la croissance démographique, les changements climatiques, les évolutions technologiques, mentales et sociales, ou encore la surexploitation des ressources. Mais on confond souvent les causes et les effets. Chaque centre de domestication est composé d’un écosystème, d’un climat et d’une société unique. Actuellement, au lieu de se demander « pourquoi », les chercheurs essayent de comprendre « comment », par quels processus l’agriculture a été adoptée dans les différentes régions du monde.
Pour aller plus loin
- Naissance des divinités, naissance de l'agriculture, de Jacques Cauvin. CNRS, 2019.
- Histoire des agricultures du monde : Du néolithique à la crise contemporaine, de Marcel Mazoyer et Laurence Roudart. Seuil, 2002.
- Quand on inventa l'agriculture, la guerre et les chefs, de Jean-Paul Demoule. Pluriel, 2019.