Robin des bois (2010) est un film du réalisateur de « Gladiator » et de « Kingdom of Heaven », Ridley Scott. Le personnage principal de cette fiction, interprêté par Russel Crowe, est un héros légendaire saxon apparu dans des ballades anglaises au XIVe siècle. Ses aventures se situent au XIIIe ou XIVe siècle dans la forêt royale de Sherwood (comté de Nottingham) ou dans les bois de Barnsdale (comté de York), selon les différentes versions de son histoire. Il incarne la résistance des Saxons face aux Normands. Le film de Scott donne une nouvelle version de la légende de celui qu’on appelle en France de façon erronée « Robin des Bois », en remontant à la source et en essayant de l’intégrer à une « réalité » historique. Amusons-nous alors à étudier sa façon d’aborder enjeux et personnages de cette époque…
Robin des bois (2010) : le film
Nous avons ici un film dans le plus pur style du Ridley Scott de « Gladiator » et « Kingdom of Heaven » : spectaculaire, épique, avec de splendides décors et des combats acharnés. On préfèrera d’ailleurs le siège du début au débarquement de la fin…
Les thèmes reviennent aussi, comme le combat pour la liberté, le libre-arbitre, le courage, l’esprit de sacrifice, la fidélité aux principes, l’honneur, etc. Le couple principal Russel Crowe/Cate Blanchett fonctionne à merveille tant les deux comédiens sont charismatiques à souhait et leurs personnages intéressants. Quelques seconds rôles sont aussi réussis, en particulier celui de Walter Loxley, joué par le grand Max Von Sydow. En revanche, on en dira pas autant de Jean, joué par un Oscar Isaac qu’on avait déjà remarqué (dans le mauvais sens du terme) dans le film « Agora » ; son roi Jean est caricatural et le jeu de l’acteur insupportable et presque risible.
On peut d’ailleurs noter ici la récurrence de quelques tics de Scott, qui peuvent gêner : des personnages parfois caricaturaux donc (son Jean ressemble au Gui de Lusignan de « Kingdom of Heaven »), son manichéisme, des combats qui pour beaucoup font un peu déjà-vus (mais comment faire autrement ?), son obsession des oriflammes, les grands discours de ses personnages sur la liberté et l’honneur (celui de Crowe tombe un peu plat, comme celui de Bloom à Jérusalem),…
Toutefois, cela ne gêne pas le plaisir que donne le film, grâce aux personnages principaux et à la beauté visuelle ; on ne s’ennuie pas, on rit et on peut aussi être ému. A ce sujet, est-ce que la cavalerie de poneys de la fin est un trait d’humour de la part de Scott ? On ne sait que dire…
Alors, « historique » ?
Le film en lui-même étant agréable, en est-il pour autant historique ? Scott ne semble pas avoir voulu affirmer que Robin a existé, mais il a voulu l’intégrer dans un contexte censé être lui bien réel. Qu’en est-il vraiment ?
Commençons d’abord par les personnages historiques, vus par le film et ce qu’on en sait :
- Richard Cœur de Lion : le film le présente comme bon vivant, un peu rustre, mais courageux au combat (limite inconscient), apprécié de ses hommes (mais pas adoré). On le dit aussi très populaire en Angleterre, malgré les taxes qu’il a prélevées pour sa croisade (la dîme saladine, au départ décidée par son père Henri II). C’est sur ce dernier point que la vision de Scott est la plus contestable, Richard étant loin d’être populaire en Angleterre (à cette époque), où il a très peu mis les pieds et qu’il s’est contenté de taxer pour sa croisade et sa gloire. D’ailleurs, le film en fait trop un roi vraiment « anglais » (comme Aliénor ou Jean d’ailleurs), taisant le fait qu’on peut le considérer comme au moins autant « français » (il était d’origine angevine et aquitaine, et parlait mieux français qu’anglais). Ridley Scott nous donne donc de Richard Ier une version très officielle, pourtant remise en cause depuis longtemps par les historiens, anglais y compris.
- Aliénor d’Aquitaine :
la mère de Richard et de Jean est montrée dans le film comme la reine-mère (ce qu’elle était), mais comme anglaise ! Aucune allusion à ses origines et à son passé quelque peu mouvementé ! Rappelons que, fille de Guillaume d’Aquitaine (dont elle hérite, ce qui a de lourdes conséquences par la suite), elle est d’abord mariée au…roi de France Louis VII, le père de Philippe Auguste ! Après une croisade où elle acquiert une réputation sulfureuse, elle voit son mariage annulé et en profite pour se remarier avec Henri II Plantagenêt. Elle lui offre ainsi son immense dot, ses terres d’Aquitaine et d’Anjou entre autres ! Le roi d’Angleterre, pourtant vassal du roi de France, se retrouve avec un royaume bien plus grand que celui de son suzerain !
Le film n’aborde donc pas ces faits, mais c’est surtout de voir Aliénor mépriser les Français et surtout donner des leçons à la jeune princesse française dont s’éprend Jean qui étonne…On doit quand même noter au crédit du film qu’il montre bien son importance et son habileté politiques. Cette reine si anglaise pour le film meurt à Poitiers et est enterrée à l’abbaye de Fontevraud.
- Jean Sans Terre (et Isabelle d’Angoulême) : le film ne fait pas allusion à ce surnom, c’est pourtant très important. Il existe deux versions : il aurait été appelé ainsi à cause de l’héritage de son père Henri II, qui ne lui aurait pas légué de territoires ; l’autre version est que suite à l’enlèvement de la jeune Isabelle d’Angoulême, cousine du roi de France (promise à Hugues de Lusignan) en 1199, il aurait été destitué de ses possessions françaises par son suzerain Philippe Auguste en 1202…Dans le film, il est déjà avec Isabelle alors que normalement il la kidnappe alors qu’il est roi. Pour le reste, les circonstances de son arrivée au pouvoir sont relativement fidèles, mais c’est son image caricaturale qui gêne le plus, même si Jean ne fut probablement pas un grand roi (considéré comme l’un des pires de l’histoire anglaise).
Nous pouvons ensuite aborder quelques faits que le film semble présenter comme « historiques ».
D’abord, le retour de Richard et sa mort : au début du film il n’est pas fait allusion à la capture du roi d’Angleterre par l’Empire germanique, il faut attendre une évocation de la rançon payée un peu plus tard. Ensuite, Scott affirme que Richard pille tout ce qui se trouve sur son passage (en France) pour regagner l’Angleterre. Or, le roi n’avait probablement pas l’intention de retraverser la Manche, il se considérait comme chez lui en Anjou ; il guerroyait contre son rival Philippe, pour en particulier conserver la Normandie.
Sa mort montrée dans le film est relativement fidèle aux faits : il est bien tué lors du siège du château de Châlus, dans le Limousin, par un carreau d’arbalète ; en revanche, le film fait d’un cuisinier le tireur, alors qu’il semblerait que ce soit un petit noble. Un fait marquant est mentionné dans « Robin Hood » : le héros évoque devant le roi le massacre de prisonniers musulmans lors de la prise d’Acre, ce qui aurait rendu l’armée de Richard impie (cela conduit Robin aux fers). Il semble que, sur ce point, le film soit fidèle aux faits : l’armée de Richard aurait contribué à la prise de la ville, mais le roi anglais aurait ensuite décidé d’exécuter plusieurs milliers de prisonniers contre l’avis de Philippe Auguste…
Un Robin des bois très "anglo-saxon"
Ensuite, Ridley Scott choisit (sans évidemment prétendre ici à la réalité) de faire du père de Robin l’inventeur de la Magna Carta ; celle-ci était une charte imposée par les barons au roi Jean, pour limiter son pouvoir et accroître leur liberté ainsi que plus largement les libertés individuelles de ses sujets. Une sorte de Constitution à la sauce médiévale, mâtinée de prémices de droits de l’Homme (même si cela concernait principalement la noblesse et l’Eglise). Les Anglais en sont aussi fiers que nous de notre Déclaration de 1789 ; la Magna Carta serait à l’origine du célèbre Habeas Corpus. Dans le film, Jean promet de la signer, mais à la fin il fait volte-face. En fait, il sera contraint de la signer en 1215, suite au désastre de Bouvines (juillet 1214, victoire fondatrice pour la France, si bien narrée par Duby), mais cela se situe après le film.
Ridley Scott a donc bien pris quelques libertés avec l’Histoire, en nous faisant un film très « anglais » : un Richard plutôt montré sous un beau jour (même si on est loin du Sean Connery de la version avec Costner), une vision classique de Jean, une apologie de la Magna Carta, et évidemment des Français qui prennent la pâtée. Mais avec le recul nécessaire, cela ne nuit en rien au plaisir que l’on prend à voir son film ; au contraire, c’en est même amusant.
- Robin des bois, de Ridley Scott., avec Russel Crowe. Universal, 2010.