Loin d’être un simple documentaire, S21 - de mort Khmère rouge s’impose comme un grand film, inscrivant dans la mémoire collective, ces événements tragiques. Mais plus encore, il porte une réflexion sur la nature même de l’homme, un voyage au cœur des ténèbres et de l’absurdité de l’âme humaine.
Un travail de mémoire
S21 était le nom donné sous le régime des Khmers rouges au Cambodge au principal « bureau de sécurité », le centre de détention de Tuol Sleng, dirigé par Douch. Entre 1975 et 1979, entre 14 000 et 17 000 prisonniers, aussi bien hommes, femmes qu'enfants, furent interrogés, torturés puis exécutés et enterrés aux environs de ce lycée transformé en prison, dans des fosses communes, les « Killing Fields ». En effet, toute personne entrant dans le S21 était vouée à être exécutée. Moins d’une dizaine de prisonniers survécurent dont deux témoignent ici dans ce film, se confrontant au passage à leurs anciens bourreaux.
La grande force du réalisateur est avant tout de filmer simplement et modestement, sans artifice, loin de toute complaisance. Avec de longs plans séquences, dans un S21 vide mais dont l’odeur des atrocités commises semble présente, Rithy Panh reconstitue minutieusement les faits et gestes quotidiens du centre de détention. Les anciens geôliers se retrouvent dans leur rôle de tortionnaire, répétant des actions devenues mécaniques pour eux. Le réalisateur insiste fortement sur cette répétition, au risque de nous lasser ou de virer dans le malsain. Aussi intelligente soit-elle, la mise en scène reste de ce fait particulièrement éprouvante et lente. Cependant Rithy Panh nous montre ainsi avec horreur comment, petit à petit, un homme perd toute sensibilité et devient un être sans âme, comment un homme peut torturer et tuer sans relâche puis rentrer tranquillement chez lui, serrer son bébé dans ses bras et dormir tranquillement.
Une culpabilité non assumée
Pire encore, c’est l’absence de remords qui nous frappe. En effet, si d’un côté les victimes culpabilisent d’avoir survécu, les bourreaux, eux, ne manifestent jamais de remords ou de regret. Nous voyons alors les effets de ce qu’un système totalitaire peut faire à un homme : l’entraîner dans une froide et implacable déshumanisation. Face aux tortionnaires impassibles, se tient l’un des survivants, le peintre Nanh qui les interroge sans haine, calmement et dignement. Il cherche à leur faire avouer leur responsabilité, à obtenir leur repentir dans ce qui est considéré par certains comme un génocide, tout du moins comme des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre. Ces derniers ne le peuvent, incapables de comprendre l’atrocité de leurs actes, encore moins de demander pardon.
Plus qu’un documentaire, S21 - de mort Khmère rouge est un film magistral pour lutter contre l’oubli et la folie humaine. Il s’inscrit ainsi dans l’histoire présente, celle d’un pays qui presque trente ans plus tard, n’arrive pas à se réconcilier, à reconnaître la vérité et à enterrer les fantômes de son passé.
Pour aller plus loin
- S21 - de mort Khmère rouge, de Rithy Panh. DVD documentaire, 2004.
- Bande annonce du documentaire
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