Le 5 mai 1821 sur l'île de Sainte Hélène, Napoléon Bonaparte rend son dernier souffle à l'âge de 51 ans. Avec sa mort, « Napoléon rend à Dieu le plus puissant souffle de vie qui jamais anima l’argile humaine » pour reprendre une phrase de Châteaubriand. Cette triste fin termine une longue agonie, commencée au lendemain de Waterloo, et dont le caractère irrémédiable s’est accentué au fur et à mesure que le temps s’est écoulé, sur l’île inhospitalière où les Anglais ont relégué l’ancien Empereur des Français auquel ils n’accordent pas d’autre titre que celui de général Bonaparte déjà d’ailleurs suffisamment élogieux. Retraçons les dernières semaines de sa vie à Sainte-Hélène, si fertile en événements, et voyons de quoi est-il mort et quels ont été ses derniers mots.
Malade, Napoléon fait son testament
Le 15 mars, Napoléon est indisposé, après avoir bu de l'eau d'une source à laquelle il était pourtant accoutumé. Il mange peu et passe l'après-midi sur son lit de camp. Le 16, il ne sort pas. Le 17, il se lève mais est contraint de se recoucher en milieu de journée. Le docteur Antomarchi est appelé et le soigne jusqu'au 31. Pendant tout ce temps, il reste alité. De début avril au 5 main, il est soigné conjointement par Antomarchi et le médecin anglais Arnott. Depuis le départ du médecin anglais O'Meara, qui lui était affecté avant d'être éloigné par Hudson Lowe, le gouverneur de Sainte-Hélène, Napoléon refusait le secours des médecins britanniques dont il se méfiait les soupçonnant d'être des espions du gouverneur, son ennemi personnel. En avril 1821, cependant, il accepte les soins du docteur Archibald Arnott, médecin et ami de la famille Bertrand, qui fréquente assidûment Longwood, où ses conversations sont prisées.
La santé de l'Empereur s'est alors sensiblement aggravée et Hudson Lowe, qui a longtemps cru à une maladie imaginaire, commence à s'inquiéter. Arnold, attaché au 20ème régiment anglais, traite Napoléon, conjointement avec Antomarchi, jusqu'à sa mort. Napoléon reçoit les visites quotidiennes des deux médecins mais refuse leurs médicaments, les estimant inutiles. Pendant le mois qui précède sa mort, il décrit souvent sa maladie aux personnes présentes en pensant à l'intérêt pour son fils d'en être instruit.
A partir du 10 au 12 avril, il met ses affaires en ordre avec l'aide de son entourage. Il revient à plusieurs reprises sur son testament, auquel il ajoute plusieurs codicilles, faisant preuve jusqu'au bout d'une mémoire prodigieuse en n'oubliant aucune de toutes les personnes, éminentes ou obscures, envers lesquelles il se sent redevable. Il désigne les comtes Bertrand, Montholon et Marchand comme ses exécuteurs testamentaires, ce qui autorisera Marchand à revendiquer ultérieurement ce titre de noblesse.
Le 15 avril, il fait don à Arnott d'une tabatière sur laquelle il a gravé un N avec son canif. Quelques jours avant de mourir, il fait placer le buste de son fils au pied de son lit. Le 1er mai, on pense que la maladie pourrait connaître rapidement une fin funeste. Le mercredi 2, cette prévision se confirme. Le 3, la situation du malade paraît désespérée. Le docteur Shorst, médecin en chef, et le docteur Mitchell, premier médecin des forces navales, sont appelés en consultation par Antomarchi, mais ils ne sont pas autorisés à voir le patient. Le vendredi 4 mai, on observe un léger mieux qui permet au malade de prendre quelques rafraîchissements. Tout le jour, des signaux sont échangés pour transmettre, de 2 heures en 2 heures, l'état du sujet que l’on estime déjà moribond.
Les derniers mots et la mort de Napoléon Ier
Dans la nuit du 4 au 5 mai, vers 3 heures du matin, Napoléon perd connaissance. Deux heures plus tard, les extrémités sont froides, le pouls devient imperceptible. L'amiral britannique et le marquis de Montchenu, représentant la France à Sainte-Hélène, se rendent à Longwood pour être témoins de la mort de l'illustre captif. Ce dernier prononce des mots entrecoupés de silences: "Mon Dieu! Et la nation française! Mon fils! Tête armée!", vers 7 heures du matin.
Ce sont ses dernières paroles. Il meurt le samedi 5 mai 1821, à 17 heures cinquante (d'autres disent à 17 heures trente), sous les yeux du docteur Arnott. Le capitaine Crockat, officier de service, et les docteurs Shorst et Mitchell, voient le corps un peu plus tard. Arnott passe la nuit dans la chambre mortuaire. L'Empereur disparu a l'air de dormir. Amaigri par la maladie, il semble avoir rajeuni. Sa figure est calme et reposée. Il s'en dégage un air de noblesse qui frappe les visiteurs. Des dessinateurs improvisés tentent de fixer son profil pour la postérité. Le climat de l'île ne tardera pas à altérer les traits.
Le dimanche 6 mai, vers 7 heures du matin, Hudson Lowe, l'amiral Lambert, commandant de la station navale, le marquis de Montchenu, le brigadier-général Coffin, commandant en second, MM Thomas L. Brooze et Thomas Greentree, membres du conseil de gouvernement de l'île et les capitaines Brown Hendry et Marryall, de la marine britannique, viennent constater le trépas du prisonnier avant de se retirer. Le capitaine Marryall dessine le portrait du défunt à la demande d'Hudson Lowe, avec l'accord du comte Montholon et du grand maréchal Bertrand. Hudson Lowe manifeste une certaine émotion. Plusieurs personnes, tant françaises qu'anglaises, défilent devant le cadavre de Napoléon pour lui rendre un dernier hommage.
A 2 heures de l'après-midi, l' autopsie du corps a lieu en présence des docteurs Shorst, Arnott, Burton, du 66ème régiment anglais, Matthew-Livingstone, médecin de la Compagnie des Indes ; c’est Antomarchi qui officie ; Bertrand et Montholon sont présents à l'opération. L'autopsie révèle un intestin, un foie et des poumons normaux, un cœur sain mais enveloppé de graisse, un rein retourné, et surtout un estomac très mal en point, rongé par de profondes ulcérations et présentant des parties squirreuses ; la cavité stomacale contient une substance ressemblant à du marc de café. Des adhérences, causées par la maladie, affectent les surfaces de l'estomac et du foie. On pense à un ulcère gastrique ou à un cancer de l'estomac. Arnott est désigné comme gardien de la dépouille et des deux vases renfermant le cœur et l’estomac de l’Empereur jusqu’à sa mise au tombeau.
Napoléon est ensuite revêtu d'un uniforme vert à parements rouges, qu'il mettait souvent, sur lequel on épingle toutes ses décorations. Sa dépouille est ensuite placée sur le petit lit de camp en fer qu'il utilisait au cours de ses campagnes, avec un crucifix d'argent sur la poitrine, et, sur le corps, le manteau de drap bleu brodé d'argent qu'il portait à Marengo. Dans la chambre, drapée de noir, l'abbé Vignali procède au service religieux funèbre, en présence des proches du défunt et de sa domesticité. Puis le corps reste exposé pendant deux jours au cours desquels une foule immense vient lui rendre un dernier hommage.
Des funérailles... de général
Le 8 mai, on l’embaume puis on l'enferme dans trois cercueils: un en fer-blanc, matelassé de satin blanc, un second en acajou et un troisième en plomb. Un quatrième, en acajou, qui devait renfermer les trois premiers, ne parvient que le lendemain matin. L'enterrement se déroule le 9 mai avec tout l'apparat réservé aux généraux de haut rang, mais pas aux chefs d'Etat, titre que l'Angleterre refuse de reconnaître. Le cercueil gigogne repose sur une voiture tirée par quatre chevaux.
Douze grenadiers le portent lorsque le chemin cesse d'être carrossable. Les coins du drap mortuaire, lequel n'est autre que le manteau de Marengo, sont tenus par Montholon et Bertrand. Des officiers et administrateurs britanniques ainsi que le marquis de Montchenu figurent dans l'assistance. Trois mille soldats anglais, qui ont accueilli le convoi à sa sortie de Longwood, suivent le cortège, lequel chemine entre deux haies de musiciens. Onze salves d'artillerie sont tirées pendant la cérémonie.
Le corps de l'homme qui fit trembler l’Europe repose désormais dans un humble caveau aménagé auprès d'une source, sous deux saules, dans un petit vallon romantique de Sainte-Hélène, à l’emplacement qu'il avait lui-même choisi, sur une petite île isolée au milieu de l'Océan, faute de pouvoir être enterré « au milieu du peuple français qu’il avait tant aimé ». Comme ce lieu est inaccessible, les pionniers anglais ont tracé une route en urgence, sans pouvoir toutefois l'aplanir pour la rendre accessible aux voitures jusqu’au bout, ainsi qu'on l'a dit plus haut. Lorsque Rapp apprend la mort de Napoléon, aux Tuileries, au milieu d’un aréopage enfin soulagé, il cache difficilement l’émotion qui l’étreint. Alors Louis XVIII, qui ne perd pas cette occasion de montrer sa désapprobation aux ultras, l’engage ostensiblement à ne pas retenir ses larmes en ajoutant qu’il ne l’en estimera que davantage.
Deux masques mortuaires du visage de l'Empereur ont été confectionnés, le premier par le docteur anglais Arnott, 6 heures après la mort, à l'aide d'un négatif en cire de chandelle, le second par le docteur anglais Burton et le médecin français Antomarchi, 40 à 46 heures après le décès; ce délai s'explique par la difficulté de trouver du plâtre sur l’île, la mauvaise qualité du gypse découvert par Burton rendant d'autre part la tentative hasardeuse. Le premier masque, pris en cachette par son auteur, présente un visage calme, plongé dans un sommeil paisible. Le second présente au contraire un visage aux traits creusés, déjà marqué par la décomposition des tissus.
L'authenticité de ces deux masques est contestée, celle du premier d'abord parce que l'on peut légitimement douter de la possibilité d'un tel travail à l'insu des proches de l'Empereur, en second lieu parce que la cire employée pour la prise de l’empreinte ne permettait par une reproduction parfaite des traits et enfin parce que son existence fut trop longtemps tenue secrète ; celle du second parce qu'on le soupçonne d'avoir été trafiqué, une petite partie seulement du visage ayant été moulée et le reste ayant été reconstitué. Il semble donc que ni l'un ni l'autre de ces masques ne donne une image réelle du visage de l'Empereur sur son lit de mort. A défaut, il faut se contenter du dessin de Marryall, tenu pour fidèle par les témoins, même si le masque d'Antomarchi bénéficie d'une estampille officielle.
De quoi est mort Napoléon ?
La mort de l'Empereur a été attribuée, on l'a vu, à un ulcère de l'estomac ou à un cancer, lors de son autopsie, hésitation compréhensible puisque les deux maladies n’étaient pas clairement distinguées avant 1830. Ce diagnostic a depuis été révoqué en doute par le dentiste suédois Forshufvud qui soutient la thèse d'un empoisonnement à l'arsenic étayé par les symptômes d'évolution de la maladie et par la forte teneur en arsenic des cheveux de l'Empereur. Cette thèse, défendue aussi par Ben Weider, homme d'affaires québécois, disparu en 2008, a fait couler beaucoup d'encre.
Si assassinat il y a eu, il faut désigner un assassin et trouver un mobile. Parmi les proches de l'exilé, le comte de Montholon semble être le coupable idéal puisque c'est lui qui préparait le vin bu par Napoléon. Pour ce qui concerne le mobile, on hésite entre trois possibilités : 1°)- le service de Louis XVIII, dans l’attente d’une récompense suffisante pour rétablir une fortune compromise une fois la mission accomplie ; 2°)- la jalousie, Albine de Montholon ayant été la maîtresse de l'Empereur à Sainte-Hélène ; 3°)- le service de Napoléon lui-même. Cet ingénieux échafaudage ne résiste pas à un examen sérieux. Montholon peut espérer davantage de la gratitude de Napoléon que de celle d'un roi de France bien éloigné. Albine a effectivement été la maîtresse de l'Empereur déchu; elle a même écrit un roman inspiré du sujet et l'aventure est assez notoire pour que Hitler ait envisagé, pendant l'occupation, de ramener la dépouille mortelle de la comtesse de Montholon aux Invalides après avoir rapproché l'Aiglon de son père; mais Montholon connaissait parfaitement la galanterie de son épouse et l’acceptait en noble d'Ancien Régime pour qui une entorse à la fidélité conjugale ne revêtait pas l’importance qu’on lui accorde aujourd’hui.
Enfin, il est vrai que Napoléon pouvait espérer son rapatriement d'une maladie simulée, grâce à une absorption d'arsenic soigneusement dosée, et il est non moins exact que l'arsenic, conjugué aux médicaments administrés au patient vers la fin de sa vie, était de nature à précipiter une issue fatale qui aurait alors était accidentelle et non préméditée, mais tout cela reste à prouver. La présence massive d'arsenic dans les cheveux du défunt, vérifiée à plusieurs reprises, est incontestable, mais elle ne constitue plus un argument irréfutable depuis que d'autres mesures ont prouvé qu'on en retrouve autant dans les cheveux d'autres personnes qui vécurent en même temps que lui. Les habitudes de vie de cette époque n'étaient pas les nôtres et il est probable que les gens qui vivaient sous l'Empire étaient en contact avec des concentrations d'arsenic qui nous sembleraient aujourd'hui excessives.
En réalité, plusieurs éléments militent en faveur de la thèse de l’ulcère à l'estomac ou du cancer: d'abord, l'hérédité, le père de Napoléon étant mort à peu près au même âge et dans des conditions voisines, ensuite les habitudes de vie de l'Empereur, personne à l'activité débordante, toujours sur les nerfs, et qui se contentait de repas irréguliers, trop rapidement absorbés et mal mâchés, enfin les conditions de sa détention à Sainte-Hélène, sous un climat tropical, chaud et humide, dans une ancienne exploitation agricole grouillante de rats, sur un plateau à peu près dénudé battu par les vents. Napoléon, habitué à parcourir l'Europe à cheval, en était réduit à se promener dans un espace étroitement circonscrit, sous la surveillance constante de ses gardiens. Son activité physique se bornait souvent à un peu de jardinage.
Pendant de longues périodes, pour ne pas être vus par ses geôliers et les inquiéter par l’éventualité d’une impossible fuite, il se tenait enfermé dans sa maison. Un tel comportement avait largement de quoi accélérer la fin d'une vie devenue pesante depuis sa déportation. Le gouvernement anglais avait bien prévu d'améliorer les conditions d'existence du proscrit. Mais la demeure décente qu’il envisageait d’édifier ne devait pas dépasser l’état de projet. Au lieu de Longwood, la résidence de Napoléon aurait pu être établie dans un endroit de l’île plus verdoyant et plus sain, par exemple à Plantation House, mais il aurait alors fallu loger le gouverneur ailleurs.
Qui repose sous le dôme des invalides ?
Un autre problème a été soulevé: est-ce bien le corps de Napoléon qui a été rendu par les Britanniques en 1840 et qui dort de son dernier sommeil sous le dôme des Invalides? Non, répond de manière péremptoire, Rétif de la Bretonne, c'est celui de Cipriani, majordome de l’Empereur exilé, mort en 1818, thèse reprise par Bruno Roy-Henry. A l’appui de leur théorie, ces deux auteurs font état des divergences entre les témoins des derniers instants de la vie de l'Empereur et ceux qui procédèrent à son exhumation avant son retour en France.
Cependant, des erreurs de détails sont toujours possibles dans une narration et ces erreurs ne constituent pas une preuve suffisante pour nier une opinion admise par le plus grand nombre alors qu’aucune des personnes présentes à l'ouverture des cercueils de l'Empereur n'a jamais mis en doute son identité. Du reste, comme le remarque justement Jean Tulard, une expertise génétique couperait court à ces rumeurs.
Près de deux siècles après sa mort, l'ombre de l'Empereur soulève encore des polémiques. Ne confondons pas l'histoire avec le roman et bornons-nous aux faits avérés sans les solliciter au profit d’hypothèses douteuses propres tout au plus à exciter l’imagination des amateurs de sensationnel. Une chose est à peu près sûre: la mort de l'Empereur sur le rocher stérile de Sainte-Hélène en a fait un martyr. Cette conclusion tragique à une vie prodigieuse a grandement contribué à forger sa légende. En le faisant périr ainsi misérablement, les dirigeants anglais de l’époque nous ont certainement offert en « cadeau » le règne de Napoléon III.
« L'amour de la gloire ressemble à ce pont que Satan jette sur le chaos, pour passer de l'enfer au paradis. » Napoléon à Sainte-Hélène.
Bibliographie
- La mort de Napoléon, de Thierry Lentz et Jacques Macé. Tempus, 2012.
- Napoléon face à la mort, de Alain Frerejean. L'Archipel, 2021.
- Napoléon : L'énigme de l'exhumé de Sainte-Hélène de Bruno Roy-Henry. L'archipel, 2003