Toussaint Louverture est un général de la Révolution, considéré aujourd’hui comme le fondateur de la nation haïtienne. Héraut de l'abolition de l'esclavage et organisateur du travail forcé dans les plantations sucrières, farouche partisan de la liberté et initiateur d’une constitution qui lui offre un pouvoir quasi-monarchique, se revendiquant de la sphère d’influence française mais s’armant chez les Anglais, commençant sa carrière au service de l’Espagne avant de se retourner contre ses anciens alliés... Une figure qu’il convient de connaître tant elle peut-être récupérée à des fins parfois politiques car Toussaint apparait parfois comme le Che du début du XIXe…
Toussaint Louverture, un esclave privilégié
François-Dominique Toussaint Louverture est un esclave noir d’Haïti né en 1743, petit-fils d’un petit chef africain de Nouvelle-Guinée. Par rapport aux autres esclaves Toussaint bénéficie d’une situation quelques peu privilégiée puisque son parrain affranchi lui enseigne les rudiments de la médecine, la lecture et l’écriture (somme toute phonétique). Adulte il fait partie de la minorité des « nègres de grand’case » au service personnel du propriétaire ou, dans le cas échéant, de son gérant Mr Bayon de Libertat qui gère Bréda, une sucrerie proche de Cap-Français. Toussaint sert de cocher à son maitre et bénéficie de ce qu’on appelle la « liberté de savane », une liberté de fait autorisée dans le privé mais pas officialisée.
Général espagnol, puis français
En 1791 le vent de la Révolution française arrive sur les côtes haïtiennes et les esclaves du Nord de l’ile se soulèvent. Toussaint les rejoint en temps que médecin et participe aux négociations de paix qui échouent en décembre du fait de l’Assemblée coloniale qui refuse d’amnistier les insurgés. Toussaint reprend la tête de la révolte des esclaves en formant une petite troupe qu’il se charge d’entrainer.
Le 29 août 1793, l’Espagne, qui détient la moitié de l’ile, déclare la guerre à la république française. Les ennemis de ses ennemis sont ses amis, Toussaint rejoint les Espagnols qui le nomment général. Il renforce sa troupe avec entre autres des transfuges Blancs. A la fin de l’année il se lance dans une offensive victorieuse qui permet aux Espagnols de contrôler quasiment tout le Nord de l’île. Toussaint Louverture se sent alors l’âme du libérateur et prône ouvertement l’abolition de l’esclavage ! Mais soudain la situation change : le commissaire Sonthonax, représentant la Convention, proclame justement l’abolition de l’esclavage !
Toussaint se retrouve dans la situation paradoxale de combattre les Français abolitionnistes aux côtés des Espagnols et des Anglais (qui viennent de débarquer) esclavagistes… Il change de camp et se rallie au général Laveaux. En 1796, devenu général divisionnaire, il devient général en chef de l’armée française à Saint-Domingue. Brillant stratège il guerroie contre les Anglais qui sont rejetés à la mer en 1798.
Toussaint Louverture, potentat
A la fin de l’année 1799 des envoyés du Premier Consul Napoléon Bonaparte viennent confirmer Toussaint Louverture dans son commandement de l' armée de Saint Domingue. Ils constatent que les Blancs se sont plus ou moins ralliés à Toussaint (sans grande conviction) et que les Noirs ne reconnaissent généralement pas les fonctionnaires de la métropole. Sur place les proches de Toussaint n’ont de cesse de brandir le danger d’un massacre des populations blanches, une manière de le présenter comme l’unique rempart capable de canaliser ses confrères.
Par persuasion, pression ou violence il renvoie les représentants de la métropole.
Seul maitre il se lance dans la reconquête complète de l’ile et mène une sanglante campagne contre les métis du général Rigaud qui pouvaient représenter une menace. Cette campagne est marquée par de nombreuses exécutions sommaires. En 1801, sous la menace d’un massacre des Blancs il pousse Roume de Saint-Laurent à signer une autorisation d’invasion et il occupe la partie espagnole et se rend seul maitre de l’île. Bien que cette invasion respecte le traité de Bâle de 1795 elle ne pouvait qu’inquiéter la métropole qui voyait ainsi le pouvoir grandir entre les mains d’un seul homme. Le temps que l’information arrive en métropole les gouvernements français et espagnols s’étaient mis d’accord pour que cette invasion n’ait pas lieu… C’est trop tard. Roume est quant à lui emprisonné par Toussaint qui écrit à Napoléon : « Quelles que soient les calomnies que mes ennemis aient lancées contre moi en vous écrivant, je m'abstiendrai de toute justification. »
Toussaint bat le fer tant qu’il est chaud, il sait que c’est durant cette guerre qu’il pourra forger sa puissance avec une force militaire et une assise territoriale. Il confisque une partie des revenus des plantations pour acheter des armes aux Anglais et aux USA. Il confisque les plantations abandonnées et les confie à ses lieutenants, créant autour de lui une nouvelle élite issue de l’esclavage. Cependant, s’il lutte bien contre l’esclavage Toussaint ne manque pas de le remplacer immédiatement par le travail forcé de ses confrères Noirs dans les plantations. En 1800 le lobbying esclavagiste tente de pousser Napoléon à rétablir l’esclavage, mais ce dernier se contente parfaitement de cet état de fait, la question de l’esclave lui importe peu, comme il l’écrit au Conseil d’Etat le 16 août :
« La question n'est pas de savoir s'il est bon d'abolir l'esclavage […]. Je suis convaincu que cette île serait aux Anglais, si les nègres ne nous étaient attachés par l'intérêt de leur liberté. Ils feront moins de sucre, peut-être ; mais ils le feront pour nous, et ils nous serviront, au besoin, de soldats. Si nous avons une sucrerie de moins, nous aurons de plus une citadelle occupée par des soldats amis »
Potentat de Saint-Domingue il établit des traités commerciaux avec l’Angleterre et les USA et restaure l’économie de l’île. Il refuse le général Michel qui avait été envoyé pour lui servir de second, ce dernier rentre en France et reste mesuré envers Toussaint. Il demande même à Napoléon de lui écrire une lettre pour le rallier complètement.
Le 8 juillet 1801 il va plus loin encore en publiant une constitution qui le nomme gouverneur général à vie avec possibilité de désigner son successeur. Le but de Toussaint est de proclamer ouvertement son appartenance à la sphère française et à la cause abolitionniste, tout en réclamant d’avoir les mains libres et d’établir un pouvoir personnel. En métropole ceci ne peut être vu que comme un mouvement sécessionniste. Napoléon, ne peut laisser ce général faire de Saint-Domingue sa propriété privée, ni remttre en cause son autorité alors que la paix avec l’Angleterre lui laissait peut-être l’espoir de rétablir un empire colonial.
La contre attaque napoléonienne
« Assistez de vos conseils, de votre influence et de vos talents le capitaine général. Que pouvez-vous désirez ? La liberté des Noirs ? Vous savez que, dans tous les pays où nous avons été, nous l'avons donnée aux peuples qui ne l'avaient pas. De la considération, des honneurs, de la fortune ? Ce n'est pas après les services que vous avez rendus, que vous pouvez rendre dans cette circonstance, avec les sentiments particuliers que nous avons pour vous, que vous devez être incertain sur votre considération, votre fortune et les honneurs qui vous attendent […]. Comptez sans réserve sur notre estime, et conduisez-vous comme doit le faire un des principaux citoyens de la plus grande nation du monde »
En arrivant en vue de l’île (29 janvier 1802) Leclerc fait le choix audacieux de débarquer ses troupes en plusieurs points de l’île, il divise ainsi ses forces mais oppose à Toussaint divers fronts en cas d’affrontement. Les généraux Noirs comme Christophe s’opposent à son débarquement, ce dernier incendie Cap-Français avant de se replier. Une fois sur la terre ferme Leclerc écrit à Toussaint pour qu’il vienne « éclairer » son armée, ne recevant aucune réponse il le déclare hors la loi. Le général Rochambeau bat Toussaint à la bataille de la Ravine-à-Couleuvres et l’armée du général Noir se réfugie dans les montagnes pour mener une guérilla couplée à une politique de la terre brulée. Ils espèrent ainsi user l’armée napoléonienne qui est fortement affaiblie par les maladies tropicales (2000 morts environ dus aux maladies dans les trois premiers mois de l’expédition). Leclerc doit établir une hygiène stricte au sein de l’armée pour ne pas voir ses effectifs fondre comme neige au soleil :
Ses lettres rapportent également les exactions commises par son adversaire :
« Vous ne pouvez vous faire une idée des horreurs commises dans ce pays. Plus de 1 000 Blancs, Noirs ou mulâtres ont été égorgés par les ordres de Toussaint, de Dessalines et de Christophe. Dans nos expéditions nous avons trouvé plus de 6 000 hommes, femmes et enfants qu'ils avaient emmenés avec eux dans les bois et qu'ils se préparaient à assassiner »
S’il y a là certes une justification de l’intervention par la dénonciation des crimes de l’ennemi (avec une probable part de subjectivité), ces lettres ont le mérite de donner une idée des exactions commises.
Battu à chaque affrontement Toussaint Louverture est contraint à se rendre le 6 mai 1802. Leclerc choisi de réintégrer les généraux Noirs dans leurs fonctions antérieures. Cette décision permet à Leclerc de calmer le jeu avec les officiers Noirs (son armée et lui-même étant très affaiblis) et de les séparer de leur chef qui lui doit d’abord se retirer dans sa plantation avant d’être transféré en France.
La chute de Toussaint Louverture
Il est embarqué à bord du Héros. C’est alors qu’il aurait prononcé la fameuse phrase : « En me renversant, vous avez seulement abattus le tronc de l’arbre de la liberté de Saint-Domingue ; ses racines repousseront, car elles sont nombreuses et profondes ». Cette phrase fut parfois vue comme une prophétie tellement elle fut clairvoyante. En Août 1802, Napoléon rétabli l’esclavage et le général Leclerc doit faire face à un nouveau soulèvement des anciens compagnons de Toussaint Louverture. Le général Leclerc est totalement désappointé : lui qui n’avait de cesse de faire valoir la liberté des Noirs se trouve contraint à revenir sur sa parole, il se retrouve dans un véritable bourbier, une guérilla atroce, qui plus est sous un climat tropical.
Pris de fièvre jaune il succombe le 2 novembre 1802, laissant la place au général Rochambeau qui contrairement à son prédécesseur n’hésitât pas à faire un usage généralisé de la terreur pour arriver à ses fins : torture, meutes de chiens dressés pour la chasse au Noir, exécutions sommaires et noyades collectives qui ne sont pas sans rappeler le comportement de la République envers les troupes vendéennes en 1793. Le résultat ne fut pas à la hauteur de ses attentes pour autant, les Blancs finirent par se désolidariser de lui, conscient qu’un tel comportement mettait en péril toute réconciliation future et, que la guerre repris avec l’Angleterre, Saint-Domingue tomba comme un fruit mûr.
Quant à Toussaint Louverture il arrive à Brest le 23 juillet 1802 : il est dégradé et déporté en France au fort de Joux (Doubs) sous un climat peu hospitalier à l’homme des Caraïbes. Mal chauffé, mal nourris et mal soigné, celui que l’on considère alors comme un traitre qui ne cessa jamais de changer de camp meurt le 7 avril 1803.
Par son combat et son contrôle politique sur Saint-Domingue, Toussaint Louverture est aujourd’hui considéré comme le père de la nation haïtienne. Ses cendres furent officiellement remises par le gouvernement français au gouvernement haïtien en 1983.
Bibliographie
- Collectif, Toussaint Louverture et l’indépendance d’Haiti, Editions Jacques de Cauna, 2004.
- Foix Alain, Toussaint Louverture, Folio biographies, 2007.
- Lentz Thierry, La politique consulaire aux Antilles, article en ligne de la Fondation Napoléon.
- Mézière Henri, L’expédition de Saint-Domingue. Les opérations terrestres (février-juin 1802), Revue du Souvenir Napoléonien, n°440, avril-mai 2002.