Le traité de Verdun de 843 est un traité de paix qui met un terme au conflit opposant les trois fils de Louis Ier le pieux pour la possession de l’Empire franc édifié par leur grand-père Charlemagne. Selon les termes de cet accord, l’Empire est partagé en trois parties, mettant de fait un terme à la brève unification de l’Europe occidentale : Charles le Chauve reçoit les territoires de l'ouest de la France actuelle, Louis le Germanique la Germanie et, entre les deux royaumes, Lothaire fonde la Lotharingie (Alsace, Lorraine, Pays-Bas, Bourgogne et Italie du nord). De cette partition naitront le royaume de France à l'ouest et le Saint Empire Romain Germanique à l'est.
La bataille de Fontenoy-en Puisaye
Louis Ier dit « le Pieux » ou « le Débonnaire », né en 778, sixième enfant et quatrième fils de Charlemagne, décède le 20 juin 840 à Ingelheim. Il laisse l'empire à ses trois enfants survivants Lothaire (né en 795) et Louis (né en 806), issus de son premier mariage avec Ermengarde ainsi que Charles, né en 823, issu de son second mariage avec Judith de Bavière. Pépin, son deuxième fils né en 797, est décédé en 838.
Dès l'annonce du décès de son père, au mépris du dernier accord de partage conclu en 839, Lothaire rentre d'Italie et tente de faire appliquer l'Ordinatio Imperii de 817, par lequel il est seul héritier de la totalité de l'empire, ses deux frères héritant de royaumes propres inclus dans l'empire, respectivement la Bavière et l'Aquitaine, mais restant subordonnés à leur frère aîné. Ils doivent le visiter tous les ans en lui apportant des cadeaux. En outre, ils ne peuvent se marier et entreprendre la guerre sans l'aval de leur frère.
Dès lors, le conflit entre les trois frères est inévitable. Chacun lève une armée et regroupe ses fidèles autour de lui. La position le plus fragile est celle de Charles qui a hérité de l'Aquitaine où il réside avec sa mère Judith, mais il doit y lutter contre les partisans de son neveu Pépin II, évincé lors de la mort de son père Pépin I. Louis, quant à lui, est bien implanté en Bavière. Lothaire possède la position la plus solide. Les moyens financiers dont il dispose conjugués à des manœuvres d'intimidation lui permettent de rallier à sa cause plusieurs Grands du royaume tels que Hilduin, l'abbé de Saint-Denis ou Girard, comte de Paris. Par ailleurs, pour affaiblir ses frères, il soutient les rebellions qui couvent dans leur royaume, d'une part les Saxons contre Louis et d'autre part les Aquitains contre Charles.
A l'instigation sans doute de Judith, les deux frères Charles et Louis se rapprochent et joignent leurs forces armées. L'affrontement contre Lothaire se déroule le 25 juin 841, à Fontenoy-en-Puisaye, près d'Auxerre. Au terme d'un combat meurtrier, un véritable carnage aux dires des contemporains – 40 000 morts dont de nombreux nobles tels que Gérard, comte d'Auvergne, et Ricuin, comte de Nantes – l'armée de Lothaire est mise en déroute et prend la fuite.
En 1860, le Second Empire élève un obélisque sur une colline dominant le village de Fontenoy-en-Puisaye, afin de commémorer la bataille considérée comme le prélude au partage de Verdun et à la construction des nations germanique et française.
On peut y lire:
« PRAELIUM AD FONTANETUM DCCCXLI »(Bataille de Fontenay, 841)
Ici fut livrée le 25 juin841 la bataille de Fontenoy entre les enfants de Louis. La victoire de Charles le Chauve sépara la France de l'empire d'ocident et fonda l'indépendance de la nationalité française.
Les serments de Strasbourg
Les deux frères présentent alors l'issue de la bataille de Fontenoy-en-Puisaye comme le résultat du Jugement de Dieu. Plusieurs Grands, restés dans l'expectative, rejoignent leur parti. Ainsi, Bernard de Septimanie confie-t-il son fils Guillaume, âgé de 16 ans, à Charles le Chauve et, à l'occasion de son départ, sa mère Dhuoda rédige un traité d'éducation intitulé « Manuel pour mon fils » qui fait à présent partie des pièces maîtresses de la littérature de cette époque : Mais Lothaire, réfugié à Aix, n'a pas capitulé et il entend toujours suivre les dispositions arrêtées par l'Ordinatio Imperii.
Dans ces conditions, Louis et Charles décident encore de renforcer leur alliance. Le 14 février 842, lors d'une assemblée qui se tient à Strasbourg, ils prêtent un serment par lequel ils s'engagent réciproquement à s'aider et à ne pas traiter séparément avec Lothaire. Leurs hommes, quant à eux, s'engagent à abandonner leur seigneur si celui-ci faillit à sa parole.
Les textes des serments nous sont parvenus, rapportés par le chroniqueur et abbé laïc de Saint-Riquier Nithard (800, †859), petit-fils de Charlemagne, conçu hors mariage par sa fille Berthe du poète Angilbert. Allié de Charles le Chauve, Nithard a écrit une chronique en 4 tomes, « Histoire des Fils de Louis le Pieux » qui relate notamment les péripéties de la lutte entre les trois frères.
Les textes des serments rapportés par Nithard dans sa chronique représentent les plus anciens textes dont nous disposons en langue « vulgaire », langue romane (ancien français) et langue tudesque (haut allemand). En effet, afin d'être compris de tous les soldats assemblés autour d'eux et qui n'entendent pas forcément le latin, chaque frère prononce son serment dans la langue « vulgaire » de l'autre : ainsi Charles s'exprime en langue tudesque afin d'être entendu des soldats de Louis. Louis s'exprime en langue romane afin d'être compris des hommes de Charles. Puis, à leur tour, les hommes de l'un et de l'autre prêtent serment, dans leur propre langue.
Serment de Louis le Germanique en langue romane, qui jure en premier au regard de son droit d'aînesse.
« Pour l'amour de Dieu et pour le peuple chrétien et notre salut commun, à partir d'aujourd'hui, en tant que Dieu me donnera savoir et pouvoir, je secourrai ce mien frère Charles par mon aide et en toute chose, comme on doit secourir son frère, selon l'équité, à condition qu'il fasse de même pour moi, et je ne tiendrai jamais avec Lothaire aucun plaid qui, de ma volonté, puisse être dommageable à mon frère Charles. »
Serment de Charles le Chauve en langue tudesque
« Pour l'amour de Dieu et pour le salut du peuple chrétien et notre salut à tous deux, à partir de ce jour dorénavant, autant que Dieu m'en donnera savoir et pouvoir, je secourrai ce mien frère, comme on doit selon l'équité secourir son frère, à condition qu'il en fasse autant pour moi, et je n'entrerai avec Lothaire en aucun arrangement qui, de ma volonté, puisse lui être dommageable. »
Serment des hommes de Charles, en langue romane
« Si Louis observe le serment qu'il jure à son frère Charles et que Charles, mon seigneur, de son côté, ne le maintient pas, si je ne puis l'en détourner, ni moi ni aucun de ceux que j'en pourrai détourner, nous ne lui serons d'aucune aide contre Louis. »
Serment des hommes de Louis, en langue tudesque
« Si Charles observe le serment qu'il a juré à son frère Louis et que Louis, mon seigneur, rompt celui qu'il lui a juré, si je ne puis l'en détourner, ni moi ni aucun de ceux que j'en pourrai détourner, nous ne lui prêterons aucune aide contre Charles. »
(Nithard, Histoire des Fils de Louis le Pieux, les Belles Lettres, traduction Ph. Lauer)
Le traité de Verdun (843)
A l'issue des serments de Strasbourg, les armées de Charles et Louis marchent sur Aix-la-Chapelle, les deux frères ayant la volonté de déposer leur frère. Lothaire fuit en prenant soin d'emporter le trésor. Fort de l'appui d'une grande partie de l'épiscopat qui, lors d'un concile réuni à Aix prononce la destitution de Lothaire, ils commencent à négocier un partage de l'Empire entre eux deux, laissant l'Italie comme seule part dévolue à Lothaire.
En avril 842, Lothaire fait des propositions de paix et, en juin, les trois frères se réunissent près de Mâcon, sur la Saône, afin de négocier une tripartition de l'Empire. Il est donc décidé de procéder à un partage en trois parts de l'Empire, chaque frère gardant le royaume qui lui dévolu de longue date, à savoir l'Aquitaine pour Charles, la Bavière pour Louis et l'Italie pour Lothaire. Afin de pouvoir partager équitablement le reste du territoire, plusieurs missi sont désignés, ayant pour tâche de dresser l'inventaire des biens fiscaux, abbayes, évêchés, comtés, etc. en utilisant les cartes, inventaires et projets de partage précédents.
Les négociations durent une année ponctuée de plusieurs rencontres. Celles-ci se déroulent sur le Rhin, les hommes de Lothaire campant sur la rive opposée à celle des hommes de Louis et Charles afin d'éviter toute querelle. La situation de l'empire est difficile. L'impératrice Judith décède le 13 avril 843 ; les Sarrasins attaquent l'Italie et la Provence ; les Vikings multiplient leurs raids et pillent notamment la ville de Nantes le 24 juin ; le breton Nominoë, en rébellion, défait le comte Renaud chargé de le contenir. Après un hiver particulièrement rude, la famine sévit ; des révoltes éclatent.
Les pourparlers s'accélèrent et, finalement, en août 843, on parvient à un accord de partage connu sous le nom de « Traité ou Partage de Verdun ». Cet accord est consacré dans la cathédrale de Verdun par l'évêque Hilduin (824-847), un proche de Louis le Pieux. Chaque royaume est territorialement continu et son roi y a pleine souveraineté. Aucun des trois frères n'a plus de prérogatives qu'un autre.
• Louis reçoit la partie orientale de l'Empire, la Francie Orientale : la Bavière, les provinces d'Alémanie et de Franconie ainsi que la Saxe ;
• Charles reçoit les terres situées à l'ouest de la ligne Escaut-Meuse-Saône-Rhône, soit la Francie Occidentale, l'Aquitaine, la Septimanie ;
• Lothaire reçoit un royaume enserré entre les deux parts de ses frères, la Francie Médiane, qui va de la Frise à la Provence en incluant la Lotharingie et l'Italie. Il garde le titre d'Empereur et son royaume englobe les deux capitales de l'Empire, la capitale politique Aix et la capitale religieuse Rome.
Malheureusement, aucun texte officiel de ce traité ne nous est parvenu. Les dispositions nous sont connues au travers d'autres écrits, notamment les annales de Saint Bertin ou les annales de Fulda.
(843). « Charles alla trouver ses frères, et ils se réunirent à Verdun, où, le partage fait, Louis reçut pour sa portion tout ce qui était au-delà du Rhin, et en deçà du Rhin Spire, Worms, Mayence et leur territoire ; Lothaire, ce qui est entre l'Escaut et le Rhin jusqu'à la mer et de l'autre côté du Cambrésis, le Hainaut et les comtés qui les avoisinent en deçà de la Meuse jusqu'au confluent de la Saône, du Rhône, et le long du Rhône jusqu'à la mer, ainsi que les comtés contigus ; Charles eut tout le reste jusqu'à l'Espagne. Après s'être fait serment, ils se séparèrent. »(Hincmar, Annales de Saint Bertin, Paléo, Sources de l'Histoire de France)
La répartition des terres et le tracé des frontières en découlant a essentiellement été dicté par la nécessité d'inclure dans chacun des royaumes les bénéfices des grands fidèles de chacun des frères : un homme ne pouvant jurer fidélité qu'à un seul des trois frères, il convenait d'éviter qu'un « vassal » trouve ses terres réparties sur deux royaumes distincts.
Il convenait également que chacun des frères maintienne dans son royaume les bénéfices de ses plus grands fidèles. Malgré cela, certains nobles ont dû abandonner complètement leurs terres et honneurs liés pour demeurer dans la fidélité de celui qu'ils avaient choisi. C'est notamment le cas des comtes de Worms, famille de Robert le Fort, qui quitta la région de Mayence pour s'établir sur la Loire, en passant au service de Charles le Chauve.
Les conséquences du traité de Verdun
Les clauses du Traité de Verdun vont durablement figer les frontières de l'Europe Médiévale, notamment celles établies entre le royaume de Charles et le royaume de Lothaire. Durant tout le moyen âge, l'Escaut et le Rhône séparent la « France » des terres d'Empire. La Saône coupe la Bourgogne en deux parties, à l'ouest le duché, à l'est la comté. Même si les frontières entre le royaume de Lothaire et celui de Louis demeurent moins stables, elles dessinent également la forme de la Germanie future.
Pour les contemporains, le traité marque la fin d'un rêve, celui de conserver l'unité de l'Empire de Charlemagne. Ainsi, le clerc Florus de Lyon exprime son amertume dans un poème intitulé « Querela de divisione Imperii » en ces termes :
« Un bel Empire florissait sous un brillant diadème : il n'y avait qu'un prince et qu'un peuple ; (...) Aussi la nation franque brillait-elle aux yeux du monde entier. Les royaumes étrangers, les Grecs, les Barbares et le sénat du Latium lui adressaient des ambassades. La race de Romulus, Rome elle-même, la mère des Royaumes était soumise à cette nation ; c'était là que son chef, soutenu par l'appui du Christ, avait reçu le diadème par le don apostolique. Heureux s'il eût connu son bonheur, l'empire qui avait Rome pour citadelle et le porte-clef du ciel pour fondateur.
Déchue maintenant, cette grande puissance a perdu à la fois son éclat et le nom d'empire ; le royaume naguère si bien uni est divisé en trois lots ; il n'y a plus personne qu'on puisse regarder comme empereur ; au lieu de roi, on voit un roitelet, et au lieu d'un royaume, un morceau de royaume. Le bien général est annulé ; chacun s'occupe de ses intérêts ; on songe à tout : Dieu seul est oublié.»
Bibliographie
- La Diplomatie Carolingienne : Du Traité de Verdun A la Mort de Charles le Chauve (843-877), de Joseph Calmette. FB, 2018.
- Les Carolingiens: Une famille qui fit l'Europe, de Pierre Riché. pluriel, 2012.
- L'Empire éclaté de Charlemagne : Le Temps des épées, de Pierre Ripert. Privat, 2012.