L’Église et la royauté au Moyen Age
Les premiers rois capétiens, dès les débuts de l’an mil, ont le souci d’obtenir l’appui indispensable de l’Eglise. Celle-ci dispose alors d’une autorité morale, d’une puissance politique et de moyens économiques incontournables. En outre, ces institutions cléricales et monastiques du nouveau royaume de France, désireuses de défendre la sécurité de leurs biens et l’intégrité de leurs propriétés face aux seigneurs régionaux et locaux, soutiennent de tout leur poids les prétentions du roi face à ses grands féodaux.
Conférant au roi un statut particulier, grâce à la cérémonie du sacre et l’onction royale, l’Eglise française instaure l’hérédité de la fonction royale. Elle permet au souverain non seulement de percevoir les revenus de certains biens ecclésiastiques, mais aussi d’administrer des évêchés et des monastères et d’en choisir le titulaire (évêque ou abbé). L’influence grandissante du pouvoir royal dans l’univers de la spiritualité et de la religion finit par concurrencer le pouvoir des papes, qui proclament pourtant la supériorité du spirituel sur le temporel. Dans cette compétition aux investitures, les ordres monastiques de Cluny et de Cîteaux vont jouer un rôle essentiel.
Saint Benoît et l’ordre bénédictin
Les premiers monastères de l'Occident chrétien sont fondés au IVe siècle apr. J.-C. autour de l’ermite saint Martin et de sa communauté de Marmoutier, près de Tours. D’autres l’imitent, tel l’évêque d’Hippone et père de l’Église latine saint Augustin, alors que les premiers préceptes monastiques sont définis : la pauvreté, la charité et la régularité à l’office. C’est dans la foulée des premières communautés monastiques que saint Jérôme traduit la Bible en latin (La Vulgate} et en rédige des commentaires. Les premières retraites d’ermites, fondées après l’Edit de Milan en 313, apparaissent en effet au contact de l’Empire byzantin en Égypte, puis dans tout le Proche-Orient.
Mais l’innovation de Benoît de Nursie est de privilégier une organisation fondée sur le bon sens, dans la modération et l’humilité. Les conseils spirituels, soutenus par la lecture de la Bible et d’ouvrages pieux, mais aussi par la célébration des huit offices, laissent également la place au labeur organisé et aux instructions utiles à sa réalisation. L’équilibre entre le domaine religieux et les activités profanes est mis en avant.
Subissant la concurrence de la règle de saint Colomban, il faut attendre le IXe siècle et saint Benoît d’Aniane pour que la sainte règle de Benoît de Nursie et le système monastique bénédictin soient définitivement adoptés. Mais à la fin du IXe siècle, dans le royaume de la Francia occidentalis, la sécurité des communautés monastiques est précaire, tout autant par rapport aux ambitions des autorités laïques représentées par les seigneurs locaux et régionaux, que face aux invasions des Normands et des Hongrois. Beaucoup de monastères et de couvents sont affaiblis voire détruits, faute d’être vraiment unifiés et rassemblés en une seule organisation.
Mais à l’aube de l’an mil, une institution du Mâconnais va, à partir de son interprétation de la sainte règle et de sa réforme du système bénédictin, fonder l’ordre prospère et triomphant des moines noirs : l’abbaye de Cluny.
Saint Odilon et l’ordre de Cluny
Suivant les préceptes de la sainte règle, bon nombre de monastères sont fondés, participant au grand élan de développement des campagnes de France dès le règne de Charlemagne. Aux alentours de l’an mil, après les invasions destructrices des Normands, le monastère de Cluny commence déjà à rassembler autour de lui toutes les institutions monastiques.
À la tête des autres couvents, les prieurs, nommés par l’abbé, lui prêtent un serment de fidélité. L’abbé se doit d'aider et de conseiller tous les membres de sa communauté. Il bénéficie de privilèges directement accordés par la papauté : la crosse, l'anneau, les sandales et les gants, au même titre que les évêques ou les rois.
Jusque vers l’an mil, l’expansion de l’ordre de Cluny est modeste, avec seulement une trentaine de couvents compris dans un petit espace, s’étendant presque exclusivement sur les territoires de Provence et de Bourgogne. Les principales activités de l’ordre visent moins à construire une organisation hiérarchique des monastères qu’à imposer la règle réformée de saint Benoît, dans des abbayes dont la fondation est déjà ancienne.
Par la suite, grâce au gouvernement énergique d’un certain nombre d’abbés, tel saint Odilon, l'ordre devient un empire s’étendant de l’autre côté des Pyrénées et du Rhin. Saint Odilon est l’instigateur de la paix de Dieu et de la fête des morts, au lendemain de la fête de la Toussaint le 2 novembre. Commémoration de tous les fidèles chrétiens morts depuis l’origine du monde, cette fête reflète les préoccupations de l’ordre, soucieux d’obtenir par les prières le salut des vivants et celui des trépassés.
Rédigeant des obituaires reprenant la rubrique nécrologique des défunts, les clunisiens ont la réputation de détourner les âmes de l’enfer et d’abréger leur séjour au purgatoire. Saint Odilon, l’instigateur de ce nouveau courant de pensée entièrement consacré au salut des âmes, refuse l’archevêché de Lyon en 1031, préférant ainsi se consacrer à ces nouvelles théologique et liturgie qui assurent rapidement la prospérité de l’ordre de Cluny. Les vivants, désirant assurer leur salut et le repos éternel de leurs proches décédés, accordent en effet de riches dons à l’abbaye et à ses prieurés.
Sous la direction d’un autre abbé, saint Hugues de Cluny, l'expansion de l’ordre de Cluny se poursuit tant en France qu’en Espagne, en Italie et en Angleterre. À la fin de son abbatiat, en 1109, il laisse un ordre clunisien fort de 10 000 moines noirs, dispersés dans plus de 1184 maisons réparties dans tout l’Occident chrétien, dont 883 dans les provinces de France.
Toutefois, l’accumulation des richesses et la réussite de l’ordre de Cluny crée progressivement un fossé entre le monde profane et les moines. Tout au long de son gouvernement, l’abbé Pierre le Vénérable s’efforce de structurer son organisation face à l’exigence populaire d’une nouvelle forme de spiritualité et d’isolement, privilégiant le dépouillement et l’isolement du monde. C'est ainsi que l’abbé de Cluny est amené à s’opposer à la montée en puissance de l'ordre rival de Cîteaux, dirigé et géré par saint Bernard de Clairvaux et ses moines blancs.
À la recherche de la simplicité et de l’humilité
Dès la fin du xie siècle, un certain nombre de croyants, désireux de revenir à plus de simplicité et d’humilité dans la vie monastique fondent des abbayes et des ordres nouveaux, offrant des interprétations et des applications nouvelles de la sainte règle. Saint Étienne de Muret instaure, en 1074, l’ordre de Grandmont.
Dix ans plus tard, c’est au tour de saint Bruno de fonder, au creux du massif de la chartreuse, près de Grenoble, l’ordre des Chartreux. En 1100-1101, enfin, le célèbre prédicateur Robert d’Arbrissel crée même à Fontevraud, près de Saumur, un monastère double d’hommes et de femmes, rassemblés sous la férule de l’abbesse des moniales.
Saint Bernard et l’ordre des Cisterciens
Le plus acharné opposant à la politique et à la grandeur de l’ordre clunisien est, sans aucun doute, saint Bernard de Clairvaux. Jeune seigneur bourguignon de moyenne noblesse, Bernard s’établit en avril 1112 à l’abbaye de Cîteaux. Fondée dès 1098 sous l’impulsion de saint Robert de Molesmes, soucieux d’une plus grande exigence spirituelle, Cîteaux offre la solitude nécessaire à une vie vouée à la prière. Sa fondation s’inscrit dans le mouvement de rénovation de l’Église instauré par le pape Grégoire VII, afin de retourner aux sources du christianisme originel.
Lorsque saint Bernard rejoint le monastère avec une trentaine de ses disciples, son charisme et son ascendant naturel vont très vite susciter les engagements et contribuer à l’expansion du nouvel ordre. L’action de saint Bernard est décisive tant pour l’histoire de l’Église française que pour l’évolution de la papauté. En revanche, il n’hésite pas à intervenir en personne, appuyé par le roi Louis VI le Gros, pour soutenir le pape Innocent II (pape de 1130 à 1143 apr. J.-C.) lors du schisme qui secoue la cour pontificale et toute l’Église.
Plaçant le pape au-dessus de toutes les autorités temporelles du monde chrétien, Bernard ne craint pas de critiquer certaines pratiques ecclésiastiques. Intervenant lors des élections contestées d’évêques, il conseille ou dénonce certains prélats pour le luxe ostentatoire de leur train de vie et leur engagement trop important dans la vie politique du royaume. Il participe activement à la plus grande entreprise militaire et religieuse de son époque : les croisades.
L’ordre cistercien s’investit totalement dans la mise en valeur du royaume de France et, plus généralement, de l’Europe chrétienne tout entière. S’appuyant sur les frères convers des monastères, le système rural cistercien s’épanouit avec un patrimoine de plus en plus florissant et des artisans de plus en plus spécialisés au service des abbayes. Toutefois, dès 1180, la pénurie de main-d’œuvre oblige les abbés à confier les travaux et les fermages à des paysans ou à des ouvriers laïcs. En véritables gestionnaires, les moines sont très impliqués dans la vie économique, accueillant même les marchands et les producteurs et sortant, par là même, de leur isolement de départ.
Cette implication des cisterciens dans la vie temporelle et politique, à l’instar de saint Bernard, finit par contredire l’idéal originel de l’ordre. Au même moment, la croissance économique de la fin des XIe et XIIe siècles réussit avant tout aux villes, au détriment des campagnes et des exploitations agricoles monastiques. La vision traditionnelle de la société et la place accordée au moine est désormais remise en question.
Le rôle de l’Église dans l'agriculture
Peu avant l’An mil, la croissance de la population en Occident va de pair avec le développement des villes et, surtout, le défrichement et la mise en culture des campagnes. Partout des villages nouveaux se créent et des lots de terrains en friche sont désormais exploités, modifiant progressivement l’environnement. Les vastes forêts, les marais et les landes reculent.
Les nombreuses fondations de monastères contribuent à une meilleure gestion des hommes et à un progrès décisif des techniques agricoles. Le rôle des moines, et particulièrement des cisterciens, s’avère appréciable. Créant une catégorie particulière de travailleurs spécialisés, l’ordre cistercien soutient tout autant les efforts de défrichement des paysans et des seigneurs, que les pratiques d’exploitation et d’entretien des parcelles forestières.
Le progrès technique dans les monastères
Pratiquant la rotation des cultures et l’assolement des terres, les cultivateurs bénéficient, dès les XIe et XIIe siècles, des perfectionnements de l’outillage et, plus particulièrement, de l’emploi plus généralisé du fer. L’araire en bois est désormais remplacé par la charrue à roues et à soc métallique, ce qui permet de labourer plus profondément les lourds terrains de plaine.
Si les moines n’apportent pas d’innovation décisive en matière d’outillage, ils ont tout de même influé durablement sur l’artisanat du verre (grisailles cisterciennes), la production de terres cuites (tuiles, briques et carreaux de sol) et l’activité sidérurgique.
Respectant le précepte de la sainte règle, qui préconise de fabriquer ses instruments de travail de ses propres mains, les moines cisterciens s’attellent dans leurs forges à maîtriser la métallurgie du fer pour produire des outils agricoles et aussi tout ce qui est nécessaire à la construction (clous, ...). Le travail de la forge incite les moines à dominer l’architecture industrielle et à contrôler l’utilisation de l’eau. En quelques dizaines d'années, les moines cisterciens deviennent les principaux producteurs et marchands de fer.
Avec la maîtrise de l’eau, le confort s’installe dans les abbayes, de sorte qu’à travers les canalisations de bois, de plomb ou de terre cuite, les moines donnent libre cours à tout leur génie hydraulique. Les latrines, les égouts, les fontaines et les cuves de bain contribuent à l’hygiène du moine. La maîtrise des cours d’eau, où finissent les eaux usagées via le tout-à-l’égout, s’effectue au moyen de digues et de canaux, alors que l’utilisation de moulins à eau permet de moudre le grain, de fouler les draps, de broyer et piler les végétaux ou de battre le métal. Les moulins à vent, importés seulement au XIIe siècle en Europe par les templiers, sont nettement moins nombreux. Toutefois, cette maîtrise technologique n’est pas due à la mise en œuvre de nouvelles inventions mécaniques, mais plutôt à un transfert de compétences du monde laïc vers l’univers monastique.
Une architecture au service de Dieu
La salle du chapitre ouvre elle aussi sur le cloître, de même que la sacristie, communiquant directement avec le lieu de culte. L’étage est généralement réservé au dortoir et aux latrines, de même qu’aux appartements de l’abbé. Enfin le réfectoire, en communication avec les cuisines et le chauffoir, est situé sur l’un des autres côtés du réfectoire, de même que les pièces réservées, pour l’ordre cistercien, aux frères convers.
La partie réservée principalement aux profanes et aux voyageurs doit comporter une porterie pour contrôler leur flux, une hôtellerie pour les accueillir, mais aussi une écurie, une chapelle et l’une ou l’autre pièce chauffée. Les bâtiments dont l’usage est rendu nécessaire par l’élevage et l’exploitation du sol se multiplient, tels les granges ou les étables.
L'art d'écrire, de copier et d'illustrer
Dans les monastères médiévaux, les bibliothèques ont toujours occupé une place importante, la règle de saint Benoît de Nursie stipulant que le moine est tenu de lire. Mais cette activité intellectuelle ne se concentre que sur la connaissance religieuse. La connaissance scientifique, elle, n’est préservée qu’à travers les écrits des auteurs grecs et latins de l’Antiquité classique, conservés dans les bibliothèques des institutions monastiques.
Recopier les œuvres des auteurs anciens permet de garder en mémoire l’ancienne religion des païens, ce qui permet d’en connaître tous les détails utiles pour aider ensuite à l’évangélisation. Les seuls manuscrits médiévaux qui, souvent, sont brûlés en public et parfois exclus des bibliothèques monastiques, sont les livres considérés comme l’œuvre d’hérétiques, c’est-à-dire reflétant des opinions contraires à l’enseignement de l’Église.
Désormais, l’enluminure se répand dans tous les espaces disponibles de la page, s’emparant des marges et des bordures, voire même de pages entières, au point d’exister par elle-même. L’art d’enluminer peut alors être réalisé, pour un seul manuscrit, par plusieurs moines spécialisés.
Les difficultés spirituelles et temporelles de l’Église au Moyen Age
En pleine période de féodalité (où le pouvoir repose sur la possession de la terre), il est difficile au pape d’imposer aux souverains d’Europe son autorité spirituelle. Un conflit oppose la papauté aux rois de France à la fin du XIIIe siècle : il s’agit de l’interdiction faite au pape par le souverain français de lever des impôts sur le clergé de France.
L’Église doit aussi lutter contre des courants de pensée qui s’écartent du dogme officiel ; on les appelle des hérésies. La plus célèbre d’entre elles est le catharisme. Appelés albigeois dans le sud du royaume de France, les cathares croient en l’existence de deux dieux : un dieu du Bien (Dieu) et un dieu du Mal (Satan). Cette croyance est inadmissible pour l’Église romaine et une croisade contre les cathares du Midi de la France est lancée en 1208.
Bibliographie
- Eglise et société au Moyen Âge,deJean-Michel Matz et Anne-Marie Helvétius. Hachette éducation, 2015.
- Les ordres monastiques et religieux au Moyen Âge, de Marcel Pacaut. Armand Colin, 2016.
- Les abbayes médiévales en France, de Marc Déceneux. Ouest-France, 2015.