La surprenante prophétie de Saint Malachie

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La prophétie de Saint Malachie, dite « prophétie des papes », annonce qu’au terme d’une succession de 112 papes depuis Célestin II surviendrait Pierre le Romain, qui guidera les Chrétiens dans un contexte apocalyptique de persécutions et de destruction de la ville aux sept collines, prélude à l’arrivée du « juge terrible » ! Sauf que si on fait le calcul ce Pierre le Romain serait… Le nouveau Pape François ! Dans un essai, Jean-Marie Beuzelin tente donc d’éclaircir cette prophétie pour que nous sachions à quoi nous attendre dans les années à venir.

 

 

Une surprenante entrée en matière

L’auteur ne commence pas directement par une étude de la prophétie, mais consacre un premier chapitre à la Papauté en elle-même, et plus précisément à « La papauté et ses secrets ». Malgré le terme de « secrets » qui fait article à sensation on aurait pu espérer une présentation synthétique de la papauté et de son histoire : il n’en est rien. En effet, très étrangement, l’auteur ne prend la peine de traiter ici non pas l’histoire de la Papauté mais trois thèmes indépendants : le lien entre Saint Pierre et le Saint-Siège, les scandales financiers du Vatican, et les influences païennes dans la symbolique catholique.

Trois thèmes sans lien réels entre eux et traités de façon brouillonne, ainsi l’auteur rappelle que Pierre n’avait aucune légitimité à être le premier des apôtres, car il a remis en cause les paroles de Jésus et que ce dernier a fini sous le coup de la colère par le traiter de « Satan »… Piètre démonstration en vérité, qui reproche à l’Église catholique de ne pas tout dire sur Saint-Pierre alors même qu’il fait de même puisqu’il n’est jamais fait mention de la suite de l’histoire du saint : de son reniement lors de la Passion, des retrouvailles avec le Christ ressuscité et du fameux dialogue entre Jésus et Pierre sur l’amour qui les unie.

Une démonstration partielle et donc partiale de la part de Jean-Marie Beuzelin, plus un procès d’intention douteux vu que l’Église n’a par définition jamais cachée l’histoire de celle qu’elle considère comme son premier Pape. Cette approche partisane et peu argumentée se retrouve autour de la remise en cause de l’authenticité des reliques de l’apôtre à Rome, un sujet qui est pourtant très intéressant, mais que l’auteur ne développe pas, se contentant de nier.

La partie sur les scandales financiers est en elle-même intéressante, mais on peine grandement à voir le rapport avec le reste de l’ouvrage, et on se demande simplement si l’auteur pressé d’attaquer le Vatican sur la gestion de ses finances et les scandales du siècle dernier n’a pas tout simplement cherché à caser sa sous-partie au plus vite sans se soucier du hors sujet… Quant à la partie sur la symbolique papale elle peut catalyser les mêmes critiques : un thème intéressant, mais hors sujet et mal traité.

L’auteur s’attache à montrer que l’Église catholique s’est beaucoup inspirée de traditions religieuses antérieures, il souligne des éléments parfaitement vrais comme le lien direct entre le titre de Souverain Pontife et celui de Pontifex Maximus de la Rome païenne, mais ses interprétations sont parfois plus partielles comme autour de la fête de Noël présentée comme une simple récupération de la fête de Mithra (alors que le solstice est simplement une date à la symbolique forte, utilisée de fait par de multiples religions dont le Christianisme qui ne compte pas laisser le monopole des symboles astronomiques aux païens), ou tout simplement hasardeuses comme quand un lien direct est fait entre la forme de la mitre épiscopale et la gueule ouverte d’un poisson comme la coiffure des prêtres d’Oannès « le dieu poisson chaldéen qui initia les hommes à l’architecture, aux sciences et à l’agriculture »… N’évoquant ni les évolutions de la forme des mitres au cours du temps, ni les interprétations catholiques…

Car il faut reconnaitre que l’ouvrage baigne dans un certain mépris du catholicisme, ou du moins de la Papauté envers qui l’auteur qui a tant de mal avec le contexte ne se gène pas pour faire des jugements de valeur. Sans jamais replacer les choses dans leur contexte (il n’est par exemple jamais expliqué l’évolution du rôle du Souverain Pontife qui fut longtemps un chef spirituel, mais aussi un monarque bien temporel à la tête des États pontificaux et de ses richesses ce qui explique pendant longtemps le tumulte de l’histoire du siège papal convoité par les grandes familles en quête de pouvoir et de richesse), Jean-Marie Beuzelin se complet à répéter que l’histoire papale est houleuse et que par conséquent « il est légitime de se demander où est le souffle de Dieu dans la maison de Pierre… ».

La prophétie de Saint Malachie

Quand Jean-Marie Beuzelin en vient à aborder le thème de son livre il nous présente rapidement l’Irlandais Saint Malachie comme l’héritier d’une Église celtique protégée de celle de Rome et de sa doctrine. Une Église celtique fondée par Saint Patrick (au Ve siècle et non VIIIe siècle comme le dit l’auteur, Saint Patrick étant déjà mort depuis deux siècles…) qui aurait gardé des connaissances médicinales, mais aussi tout un savoir dans le domaine de la divination hérité directement des druides. Saint Malachie aurait donc développé grâce au druidisme des dons de divination, comme l’a souligné son ami du continent : Bernard de Clairvaux. Il est vrai que son ami Bernard a souligné le don de prophétie chez Malachie, de là à faire un lien direct avec le druidisme il y a cependant un pas que l’auteur franchit de lui-même.

D'ailleurs, Bernard de Clairvaux étant à l’origine de l’ordre cistercien et de celui du Temple cela permet à Jean-Marie Beuzelin de faire de la prophétie de Malachie une mystique héritée du druidisme conservée dans le plus grand secret par d’obscurs réseaux cisterciens et templiers… On retrouve étrangement beaucoup de thèmes très prisés par la para-histoire (mais comment se fait-il que les Rosicruciens ne soient pas de la partie ?...).

Pour ceux qui ne la connaissent pas, la prophétie de Malachie apparait brusquement dans l’Histoire en 1590 sous la plume d’un moine vénitien, Arnold de Wyon, qui prétend publier un texte de Saint Malachie qui daterait donc de la première moitié du XIIe siècle. Que contient cette prophétie ? 111 devises courtes en latin qui s’applique à tous les Papes depuis Célestin II (1143 – 1144) « Ex Castro Tiberis » (D’un château sur le Tibre) jusqu’à son 111e successeur qui serait l’actuel Pape François appelé dans la prophétie Pierre le Romain « qui fera paître les brebis au milieu de nombreux tourments ; après quoi la ville des sept collines sera détruite et le juge terrible jugera son peuple ».

En d’autres termes, si le Pape François est Pierre le Romain son pontificat annonce des heures sombres pour les Catholiques avec un dénouement apocalyptique comprenant la destruction de Rome. Cette prophétie fut réfutée dès 1689 par le Jésuite Claude-François Ménestrier qui fit remarquer à juste titre qu’elle ne tenait pas compte de tous les antipapes et qu’on peut noter deux types de devises : des devises précises faisant directement référence à l’héraldique, au nom ou à l’origine des Papes, et des devises beaucoup plus floues.

Or la césure entre les deux types de devises se trouve après le pontificat de Clément VIII (devise 77) : le Pape contemporain de la publication de la prophétie au XVIe siècle. Autrement dit quand la prophétie apparait elle est très précise sur ce qui s’est passé avant, beaucoup plus sibylline pour ce qui va se passer après… On le comprend aisément il est plus aisé de prophétiser a postériori et tout porte à croire que ce texte date du XVIe siècle et n’a rien à voir avec Saint Malachie et le XIIe siècle.

L’auteur de cet apocryphe aurait donc écrit par rapport à ce qu’il savait des Papes précédents, en travaillant sur les auteurs de son temps. Par exemple, il pouvait disposer des écrits d’Onofrio Panvinio qui rapportait que le Pape Eugène IV (1431 – 1447) appartenait à l’ordre des Célestins, ce qui se retrouve dans la devise que lui attribue la prophétie : « Lupa Caelestina » (Louve Célestine). Le seul « hic » étant qu’Onofrio s’était trompé et qu’Eugène IV n’était pas Célestin, mais Augustin… Comme quoi même a posteriori il est difficile de prophétiser quand on n’a pas les bons ouvrages…

Les limites de l'ouvrage de Beuzelin

Jean-Marie Beuzelin ne fait pas référence à cette erreur et souligne que même les devises moins précises post-XVIe siècle se sont confirmées. Mais vu leur banalité on se demande comment il pourrait en être autrement : en faisant appelle à l’héraldique des Papes, à celles de leurs villes d’origines, à leurs lieux de naissance ou de Pontificats, à la date de leur élection, au saint patron de ce jour ou aux événements de leur pontificat on finit toujours par trouver ce que l’on cherche et il ne parait pas inenvisageable de mélanger devises et souverains et de prouver par A + B qu’elles concordent toujours.

L’auteur s’acharne toutefois à l’authenticité de la prophétie, tentant maladroitement de réfuter les détracteurs, les « nombreux historiens » jamais cités, mais qui donnent l’idée d’une chape de plomb officielle qui veut empêcher la vérité d’éclore. De carrés magiques du Soleil en numérologie Jean-Marie Beuzelin tente de nous convaincre de l’authenticité d’une prophétie gorgée de symboles et de mystères… Dommage qu’il ne mette pas autant d’ardeur à expliquer la symbolique des 111 devises (3 x l’Un = l’Univers, Un = la lettre alif en arabopersan = 111 en valeur numérique, 1+1+1 = la Trinité, mais aussi la triade celtique devin / poète / druide ou les trois mondes…) qu’à faire une critique historique méthodique de la prophétie en elle-même…

Pour finir, Jean-Marie Beuzelin s’attache à expliquer plus en détail les deux dernières devises (liées à Jean-Paul II et à Benoit XVI) et à l’annonce de l’arrivée de Pierre le Romain (qui serait le Pape François). La devise de Jean-Paul II, « De labore solis » (le travail du soleil) est l’occasion de montrer tous les liens de ce Pape avec le soleil et la lumière en général : sa naissance dans un pays de l’Est (où le soleil se lève…), les 26 (chiffre solaire lié au carré magique du soleil) bougies sur son gâteau d’anniversaire pour les 25 ans de pontificat et sa forte dévotion à la Vierge Marie (Marie avec un « M » universel comme le mot « Mout » qui veut dire « Mère » en égyptien, comme Maya la mère de Bouddha ou Maïa la mère Hermès…)…

Culte marial qui permet à l’auteur de revenir sur la Vierge de Czetochowa de la jeunesse de Jean-Paul II, une Vierge noire qui plus est ce qui permet à l’auteur d’évoquer les liens qu’il estime clairs entre les Vierges noires et la déesse Isis et plus généralement avec d’antiques déesses mères avec sur leurs genoux cet enfant « celui qui va se révéler, celui qui, émergeant de la mort, va éclairer à une nouvelle vie : retrouvant alors l’équilibre entre animalité et spiritualité »…

Enfin, même dans ce cours chapitre l’auteur ne peut s’empêcher de faire de la numérologie et montrer les liens avec l’Opus Dei, et avec les alchimistes en traçant un parallèle entre le lait de la Vierge recueilli par Bernard de Clairvaux et « l’eau mercurielle » des alchimistes en lien avec la pierre philosophale… Il ne peut s’empêcher non plus dans une dernière sous partie rattachée in extremis au sujet par le titre « ombre et lumières sur le règne » de s’attaquer une fois du plus au Saint-Siège à travers un jugement moral personnel par rapport au positionnement de Jean-Paul II sur la non-ordination des femmes ou sur le préservatif…

L’explication de la devise attribuée à Benoit XVI, « De gloria olivae » (« De la gloire de l’olivier) n’est pas plus convaincante, l’auteur tente un tour de passe-passe en rappelant que l’olivier est un symbole de paix et que Benoit XVI a choisi son nom de pontificat par rapport au pape Benoit XV dont le comportement pendant la Première Guerre mondiale aurait pu le faire qualifier de « Pape de la paix ». Pour confirmer le lien entre Benoit XVI et l’olive, l’auteur tente même une concordance encore plus tirée par les cheveux : son nom fait aussi référence à Saint Benoit de Nursie fondateur des Bénédictins dont une des communautés italiennes s’appelle les Olivétains…

Puis l’auteur se perd entre l’histoire et la fiction littéraire en épiloguant sur « L’anneau du Pêcheur » de Jean Raspail, roman sur une lignée secrète d’anti-papes qui aurait perduré du Grand Schisme à nos jours… Une lignée de Benoit… Que dire de l’annonce de l’arrivée de Pierre le Romain et de son identification au Pape François ?

Après un peu de numérologie de circonstance, Jean-Marie Beuzelin rappelle que le nouveau Pape a choisi Saint Pierre comme symbole sur son Anneau du Pêcheur alors que Benoit XVI avait choisi la scène de la pêche miraculeuse… L’auteur oublie juste de dire que le pêcheur est justement Saint Pierre… D’où le nom de l’Anneau et son lien avec les fonctions de Pape… Puis, après avoir émis des doutes sur le passé du Pape sous la dictature de Videla, l’auteur développe la sentence finale, les persécutions des Chrétiens, la destruction de la ville aux sept collines, et il fait le lien avec l’Apocalypse de Saint-Jean, les écrits du prophète Zacharie et les prophéties de Jean de Mareuil, mais il pense que finalement la prophétie de Saint Malachie n’annoncerait pas la fin du monde, mais simplement la fin de la papauté telle que nous la connaissons…

Avec pour échéance, après des calculs spéculatifs que nous ne décrirons pas ici, l’année 2031 ! L’auteur finit, enfin, son étude en s’interrogeant sur ceux qui cherchent à tirer parti de cette prophétie en travaillant dans l’ombre pour un renouvellement de l’Église : l’Opus Dei ou les Jésuites ?

La prophétie des papes, inépuisable sujet fictionnel

« La surprenante prophétie de Saint Malachie » par Jean-Marie Beuzelin n’a rien d’un ouvrage historique. Il n’en a ni la méthode, ni la neutralité. Le seul élément intéressant d’un point de vue historique est finalement la prophétie en elle-même, retranscrite à la fin du livre. L’analyse en elle-même est partielle et donc partiale, les remises en cause de l’authenticité de la prophétie étant balayées bien trop rapidement. Les liens faits entre personnages, et entre ces personnages et les devises de la prophétie forment le plus souvent un château de cartes de spéculations faisant appel à tous les grands thèmes de la para-histoire ésotérique : druidisme, alchimie, templiers, Nostradamus, lignée d’anti-papes, Isis, l’Opus Dei, la numérologie…

Les commentaires sur la prophétie des Papes sont aussi systématiquement prétexte à des élargissements hors sujet sur les scandales et les « affaires » qui ont pu éclabousser le Vatican, le tout accompagné bien entendu de jugements personnels de l’auteur sur des thèmes où il estime que l’Église doit évoluer (préservatif, ordination des femmes, mariage des prêtres…). En définitive, on constate que celui qui avait déjà publié en 2007 « Benoit XVI, dernier Pape ? » continue d’exploiter la prophétie pour surfer sur la vague apocalyptique qui ne cesse de faire vendre depuis l’an 2000 et la fin du calendrier maya en 2012

Finalement, l’amateur d’Histoire devra chercher ailleurs une analyse cohérente de la pseudo prophétie attribuée à Saint Malachie, et l’amateur de roman para-historique a tout intérêt à mettre quelques euros de plus pour s’acheter par exemple le nouveau Dan Brown… 

Pour aller plus loin

- BEUZELIN Jean-Marie, « La surprenante prophétie de Saint Malachie », Grancher Editions, 2013.

La prophétie de saint Malachie et le pape François, de Jean-Luc Maxence. Dervy, 2017.

 

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