Yolande de Polignac (1749-1793) était une aristocrate française, originaire d'une famille noble du Sud-Ouest. Amie intime et confidente de la reine Marie-Antoinette, elle est l'une des figures emblématiques mais aussi les plus détestées de l'Ancien Régime. Contrainte de quitter la Cour au début de la Révolution, elle doit prendre le chemin de l'exil et meurt en 1793 à Vienne, quelques semaimes après l'excécution de Marie-Antoinette. Son portrait par Élisabeth Vigée Le Brun (1782) est l'un des plus réussi par la célèbre artiste.
Les origines et la jeunesse de Yolande de Polastron
Yolande Gabrielle Martine de Polastron est née en 1749, d'une mère originaire de Normandie de la noblesse de robe et d'un père gouverneur en Dordogne, chevalier de l'Ordre royal et militaire de Saint Louis, issu d'une famille très ancienne implantée en Guyenne dès 1004 dont le blason familial se trouve dans l'armorial des compagnons de Jeanne d'Arc au siège d'Orléans en 1429.
A l'âge de trois ans au décès de sa mère, elle est confiée à sa tante la comtesse d'Andlau qui l'accueille comme sa fille. Yolande fait la connaissance de ses cousins Aglaé et Henri Antoine ainsi que d'un neveu Hyacinthe de Vaudreuil plus âgé de neuf ans. Elle va grandir auprès d'eux, dans la tendresse et le respect, et une grande amitié naîtra avec ce grand frère Vaudreuil.
Comme toute jeune fille, elle entre dans la maison des Dames de Panthémont où la vie est bien agréable, entrecoupée de visites, de causeries, de cours de maintien, de danse, de musique et de dessin, toutes choses utiles aux jeunes filles pour réaliser une belle union.
Vaudreuil, malade des poumons, ne l'épouse pas bien que sensible à la beauté de Yolande comme le mentionne le duc de Lévis « elle est belle à ravir, c'est la figure la plus céleste qu'on puisse voir », mais la présente à un de ses amis Jules François Armand de Polignac, capitaine dans le régiment royal de Pologne. Yolande a 18 ans, Jules en a 22, le mariage a lieu en juillet 1767.
Madame de Polignac
Jules de Polignac est gentilhomme, et contrairement à ce qu'on a pu lire, Yolande n'arrive pas les mains vides, possédant cinq maisons, une dans le Marais, les quatre autres sur la place Dauphine face à la statue d'Henri IV. Le jeune couple s'installe dans le château de famille de Claye-en-Brie sur la route de Meaux. Diane, la sœur de Jules, bien que descendante des Mancini et au caractère difficile et ombrageux, adopte cette si gentille et jeune belle-sœur. Vivant en châtelains campagnards, ils organisent des fêtes, des réceptions et rencontrent du monde.
En mai 1768, Yolande donne tout son amour à sa fille Aglaé qui vient de naître. Elle manque de fortune, ne se plaint jamais comme le constate le baron de Besenval en visite, mais ne parait pas souvent à la Cour. Elle ne peut pourtant manquer les festivités pour le mariage du dauphin et de Marie-Antoinette en mai 1770. Lors d'un bal, on la remarque au bras du marquis de Belzunce, puis du duc de Bourbon où « elle évolue légère dans le premier éclat de sa beauté radieuse ». Mais de retour dans sa campagne, elle reprend ses habitudes de femme d'intérieur, de mère pour la seconde fois d'un petit Armand, entourée des siens et bien évidemment de Vaudreuil.
La comtesse Jules à la Cour
Sa belle-sœur élevée comtesse à la suite de l'épouse de Charles d'Artois, emmène le jeune couple déjà connu à la Cour, l'oncle de Jules étant Premier écuyer d'Artois. Yolande suscite de suite l'admiration de tous « affectueusement polie, décente, obligeante, d'une exquise aménité » pendant que Vaudreuil fraternise avec Artois.
Marie-Antoinette fait sa connaissance lors d'une promenade dans le parc au printemps 1775 et la pousse à se présenter plus souvent à la Cour. La Reine apprécie tous les jours un peu plus la spontanéité de Yolande qui finit par entrer dans son intimité, passant plusieurs heures dans son entourage, à tel point que l'ambassadeur Mercy-Argenteau fait part à l'Impératrice, de « sa peur de voir la comtesse de Polignac devenir dame d'atours trop rapidement, trop jeune et surtout sans parenté capable de figurer à Versailles ».
Tous les regards se tournent vers la comtesse Jules (dénommée ainsi), toutes les conversations tournent autour d'elle, les journaux de la France entière mentionnent « la faveur de la Reine est passée sur Madame la Comtesse Jules de Polignac. Elle est jolie, douce et honnête et mérite les bontés dont Sa Majesté voudra bien l'honorer ».
Dès ce moment, les courtisans font preuve de jalousie, Madame de Lamballe la première lorsque la Reine lui annonce que « Madame de Polignac est maîtresse dans sa maison à Trianon ». Yolande reste imperturbable et n'exprime jamais un mot de trop. Fidèle à ses parents et amis, elle reçoit Vaudreuil, Jules, Diane, ses cousins, le baron de Besenval, le duc de Coigny, le prince de Ligne, le comte d'Artois, le comte d'Adhémar et le comte d'Esterhazy. La société de Trianon est simple, la conversation de la comtesse Jules est « une causerie non pas étincelante, mais d'une simplicité enjouée qui tient lieu d'esprit brillant et qui met les gens en confiance ».
La Reine lui propose rapidement la charge de dame du palais, puis de dame d'atours ; Yolande refuse, voulant conserver sa tranquillité ; Mercy est bien content...
Les colportages et ragots divers commencent ; Fontainebleau ressemble à un champ de batailles pour les dames où la princesse de Lamballe régente l'intimité de Marie Antoinette, surtout quand Yolande essaye d'adoucir la peine de la Reine qui n'a toujours pas d'enfant ; injustement accusée d'encourager la Reine « à vivre en particulière et à avoir sa société », la comtesse Jules demande à quitter la Cour, mais la Reine refuse, ne la lâche plus, l'admet aux bals, aux cercles, à la chasse du roi, même dans le carrosse royal et propose à son époux la survivance de la charge de Premier Ecuyer, provoquant un tollé général et une rancœur envers les Polignac (cette charge était destinée aux Noailles).
Malgré ces faveurs, Yolande reste sur ses gardes, connaissant la fragilité de sa position, surtout que le clan Polignac se sert d'elle pour la nomination d'un nouveau ministre de la Guerre ou l'ambassade de Suisse pour son beau-père, la charge d'historiographe de France pour son oncle, une pension pour sa tante la comtesse d'Andlau chassée et exilée.
Yolande favorite et confidente de la Reine
Les Jules sont enfin logés à Versailles, dans un quatre pièces ayant une situation privilégiée, en haut de l'escalier de marbre. Personne la plus en vue à la Cour parmi les dames qui sont plus étincelantes les unes que les autres, Yolande reste simple, s'habille et se pare avec goût, « se coiffant simplement d'amples et gracieux chapeaux de paille, elle a un naturel, un maintien enchanteur, une démarche avec un abandon naturel », et n'a jamais figuré dans les livres de compte de la couturière officielle de la Cour. Elle est favorite, mais n'a pas les défauts qui accompagnent ce titre. Le roi est conquis, il va parfois « gouter la reposante douceur de sa conversation » et retrouve fréquemment cette société intime « qui est gai, on s'y amuse d'un rien, c'est une perpétuelle récréation, on chante et on joue la comédie ».
Enfin, une heureuse nouvelle est proclamée : la Reine est grosse ! Elle partage cette immense joie avec Yolande qui reste auprès d'Elle, alors que la princesse de Lamballe fait une grave erreur en s'absentant de son poste pour une course en Hollande. Lors de son repos chez ses parents en été, Yolande est rappelée d'urgence par le Roi « afin que la Reine eut le soulagement de pouvoir s'entretenir avec la personne à laquelle elle accorde le plus de confiance et d'amitié ». Enfin en décembre, « Madame Royale » nait, mais personne ne se rend compte des propos et pamphlets malveillants à l'encontre du Roi et de la Reine au printemps 1779 ; le comte d'Artois n'est pas en reste, accusé d'être l'amant de la comtesse Jules.
Devenue mère, la Reine met de l'ordre dans ses relations, mais ne peut absolument pas se passer de Yolande, partageant même une rougeole qui se finit par des retrouvailles lors d'un repas en privé. De même, à son retour des eaux de Spa, Yolande est attendue par la Reine qui aurait dû assister à un repas de la Saint Hubert, d'où un nouveau scandale accusant Marie-Antoinette « de goûts pour les personnes de son sexe ».
Oui, la Reine préfère Yolande malgré les dernières demandes du clan Polignac qui l'ont fâché (terre en Lorraine, comté de Bitche, pension pour Vaudreuil), mais Elle ne supporte plus la princesse de Lamballe, qui gémit sans cesse, avec ses crises de jalousie, suivies de crises de nerfs. Pour se faire pardonner, le Roi et la Reine vont assurer le mariage de la jeune Aglaé avec le comte de Gramont, élevé duc de Guiche le jour de la cérémonie ; en dot une terre de 35 000 livres de revenus et 400 000 livres pour éponger les dettes de la famille ; le mariage de sa sœur avec le chevalier de Deux-Ponts Forbach et celui de son jeune frère avec la famille d'Esparbès de Lussan.
Sur le point d'accoucher une nouvelle fois, Yolande se retire à Passy où la Reine la visite tous les jours et reste à ses côtés jusqu'à la naissance de Jules Junior malgré les questions qui se posent « l'enfant de Mme de Polignac est-il de la Reine ou de Mr de Vaudreuil ? »
Rétablie et revenue à la Cour au printemps 1780, Yolande assiste aux différents mariages ; la joie est revenue, on joue au théâtre où la Reine elle-même est actrice, suivi d'un repas avec la famille royale et les acteurs...pour peu de temps, car Yolande est à nouveau mise à contribution auprès de la Reine pour octroyer des charges aux uns et aux autres, des remplacements de ministres notamment Maurepas à la Guerre et Sartine à la Marine, ainsi que l'attribution de compensations pour quitter les postes.
Le Roi mécontent, s'en prend à la Reine qui rejette la faute sur Yolande. Avec son calme habituel et son ton noble, elle Lui remet sa charge ainsi que tous ses biens reçus et désire quitter la Cour. Marie-Antoinette qui ne s'attendait pas à une telle réaction, « fond en larmes et se jette aux genoux de Yolande pour la conjurer de lui pardonner et lui dit tout le regret de l'avoir offensée ». Malgré sa fermeté, Madame de Polignac prend la Reine dans ses bras et lui pardonne bien évidemment. Dans la foulée, Jules de Polignac est élevé Duc et le poste de Grand Fauconnier de France est attribué à Vaudreuil, faisant bien évidemment des jaloux et des envieux.
Yolande duchesse et gouvernante des Enfants de France
La Reine et Yolande, occupées par la présentation à la Cour des deux jeunes filles récemment mariées, ne s'inquiètent pas des nouveaux pamphlets, surtout qu'elles sont toutes les deux grosses et qu'elles accoucheront presque en même temps fin 1781 (Yolande d'un garçon en septembre, la Reine d'un garçon en octobre) ; c'est la grande joie entre les deux amies, Mme Vigée-Lebrun témoigne « la duchesse de Polignac joignait à sa beauté vraiment ravissante, une douceur d'ange, l'esprit à la fois le plus attrayant et le plus solide ».
Ayant le « tabouret », Yolande assiste aux diverses réceptions de la Reine, reçoit des témoignages de considération du Grand-Duc de Russie en mai 1782, bénéficie d'une table servie au rez-de-chaussée, mais refuse la charge vacante de Gouvernante des Enfants de France. Marie Antoinette comprend, lui exprime son envie d'avoir son amie à ses côtés et avec son aide, Elle s'occuperait de l'éducation de ses enfants, bien que ce ne soit pas l'usage. Face à tant de sincérité, Yolande ne peut refuser encore.
La nouvelle duchesse prête serment, prend ses nouvelles fonctions (responsable des soins et de l'éducation des deux enfants royaux, Madame Royale au caractère très difficile et le Dauphin à la santé très fragile) et reçoit la Cour trois fois par semaine, à partir de novembre 1782. Prenant ses nouvelles responsabilités très à cœur, elle ne se rend pas compte que son entourage la pousse à demander toujours plus, notamment le domaine de Chambord. Le Roi propose alors d'y installer un haras, le confiant à son frère Artois dont la jouissance revient au Premier Ecuyer qui n'est autre que le marquis de Polignac, oncle du duc Jules.
Une fois installé, le marquis fait des travaux d'élagage, de réfection du mur d'enceinte, d'assainissement des fossés et de curage de la rivière ; de magnifiques étalons sont achetés, des meubles de la couronne arrivent : Chambord prend la tournure d'une maison royale bien entretenue...et le duc Jules demande la survivance de son oncle ! En 1783, on pense à l'union du fils de Yolande avec la petite fille du baron de Breteuil, un tremplin pour l'accession au ministère ; le comte d'Adhémar est promu ambassadeur de France à Londres ; le clan Polignac veut faire admettre Calonne aux Finances en remplacement de Lefèvre d'Ormesson ; le poste d'avocat général du Roi revient au cousin Hérault de Séchelles.
Les relations se refroidissent entre les deux amies
Au printemps 1784, le Dauphin va de plus en plus mal malgré les soins de Yolande ; les ennemis de la Reine sont de plus en plus virulents, l'amitié qu'Elle porte à la duchesse Jules en est la principale cause et la Cour attend avec joie, la baisse de la faveur de Yolande. L' « affaire du Collier » déclenche les hostilités ; les rumeurs vont bon train ; Vaudreuil soutient le cardinal de Rohan « pauvre être berné et plumé » ; la Reine conspuée fait appel à Yolande pour recevoir les visites.
Accusée d'avoir transformé la Reine, responsable de ses principales fautes, du déficit du royaume et même accusée de crimes, Yolande est fatiguée, surtout déçue par son entourage qui demande et veut toujours plus, son époux qui tente de vendre une créance à Vergennes pour obtenir de l'argent « je tremble lorsque je suis seule avec une personne que j'aime ; chaque femme, chaque homme m'aborde avec un projet déterminé, celui de s'adresser à mon crédit pour obtenir telle place, telle faveur ».
Pourtant Yolande reste égale à elle-même, soutenue par Vaudreuil toujours présent, que la Reine jalouse, à tel point qu'Elle s'enquière de sa présence avant d'aller chez son amie et les courtisans sentent le déclin de la duchesse Jules. Certains lui racontent que d'autres dames sont plus en faveur auprès de la Reine, à quoi Yolande répond « j'estime trop la reine pour la soupçonner de vouloir s'éloigner d'une amie, dont elle a fait le choix, dont la tendresse et le dévouement lui sont bien connus. Mais si la reine cessait de m'aimer, je pleurerais la perte de mon amie mais je n'emploierais aucun moyen pour conserver ses bontés ».
La Reine excédée par les ragots, se fâche toujours un peu plus avec son amie. Yolande, à qui les médecins ont demandé de prendre les eaux, demande au Roi d'accepter sa démission, qui bien sûr est refusée ; mais l'autorise à s'absenter, en lui conservant sa place ; quant à quitter la Cour, le Roi « sachant l'immense tristesse de la Reine dans un pareil cas, se met à genoux devant Yolande pour qu'elle reste gouvernante ». Cette immense faveur excite les envieux et augmente leur haine ; les textes deviennent immondes, injurieux et accusateurs, les Polignac et surtout Yolande sont traités de « sangsues affamées » et pour le peuple, la Reine doit bannir la duchesse.
En juin 1787, Yolande toujours aux eaux de Bath, est rappelée auprès de la Reine : la benjamine des Enfants de France meurt ; reprenant ses fonctions, elle console la Reine et a la joie de découvrir son appartement rénové et remeublé avec délicatesse, alors que les pamphlétaires annoncent un appartement transformé en repaire consacré à Priape et Satan ! Pour ne pas amplifier les rumeurs, Yolande demande à Marie-Antoinette de venir la voir en catimini et non plus en public. Elle reste sa confidente, servant d'intermédiaire avec Fersen, transmettant les petits mots de l'un à l'autre.
Les prémices de la Révolution
Accusé de déficit, Calonne est remplacé par Loménie de Brienne qui propose des économies drastiques avec 173 charges supprimées dans la maison de la Reine, dont celles des Polignac, de Vaudreuil et de Coigny. Yolande restreint aussi le personnel, mais gratifie les bons éléments pour services pénibles. Elle sait se faire aimer et respecter, les compliments sont réels « Madame de Polignac ne quitte pas le Dauphin, elle est admirable avec lui, la Reine ne pouvait pas mieux confier son fils ». Oui, le Dauphin apprécie beaucoup Yolande, jusqu'à l'âge de ses 6 ans où il est confié aux hommes, son caractère et ses sentiments changeant d'un coup, médisant et haïssant Yolande !
A Trianon, personne ne fait bien attention à la nouvelle des Etats Généraux convoqués pour mai 1789, même lorsqu'on apprend le « doublement des voix du Tiers ». Seul le clan Polignac sent qu'il y a danger, que la catastrophe est imminente, alors que Yolande et la Reine sont accusées de turpitudes et perversions diverses.
En juin, après la constitution de l'Assemblée Nationale, c'est la consternation dans le salon des Polignac, mais on soutient le roi contre Necker qui voulait « ménager le Tiers Etat ». Les divers clans se forment : Yolande, le Roi et la Reine contre Artois, Broglie et Breteuil souhaitant des mesures de rigueur, face au peuple qui se soulève et qui vient d'envahir les Invalides en criant « A bas la Reine, à bas les Polignac ». Yolande est prête à quitter la Reine pour son bien, dans son intérêt et deux jours après, lorsque la famille royale est obligée de se présenter au balcon à Versailles, Yolande est priée de ne pas venir, Madame Campan prenant sa place auprès des enfants. Le peuple a remarqué son absence et pense que c'est la fin des Polignac, ajoutant « la duchesse est comme les taupes, elle travaille en dessous, nous saurons piocher pour la déterrer » !
Le départ forcé
Ce même jour, 16 juillet 1789, les Polignac sont appelés à 20h, la Reine leur demande de quitter les lieux, de fuir au nom de leur amitié. C'est extrêmement difficile, Vaudreuil met genou en terre et est pardonné. Avant de filer vers Valenciennes, Artois et Vaudreuil emportent une Yolande évanouie et une bourse remise par Marie Antoinette pour les frais de voyage ainsi qu'un petit mot « Adieu la plus tendre des amies ». Le carrosse est prêt à partir vers la Suisse, Yolande déguisée en femme de chambre, Jules en négociant, accompagnés de Diane, la fille de Yolande et le nouveau-né ; à destination, malgré les arrêts provoqués par les paysans sur le trajet, Yolande rencontre Necker qui n'est pas du tout au courant de la prise de la Bastille : nous sommes le 24 juillet 1789.
La famille s'organise avec l'aide des commerçants et des villageois, mais les nouvelles sont mauvaises : tueries, pillages, têtes coupées dans toute la France. La seule consolation est le mot reçu de la Reine qui l'assure de « son amitié jusqu'à la mort », les deux amies pouvant ainsi correspondre par l'intermédiaire d'une des dames du palais.
L'exil en Italie
Après deux mois en Suisse, les Polignac partent vers l'Italie où le temps est meilleur. A Turin, Artois retrouve le roi son beau-père et avec son aide, constitue le Comité de Turin pour sauver la famille royale. Les Polignac n'étant pas les bienvenus, on part vers Rome en espérant que le cardinal de Bernis les accueille. Rejoints par beaucoup de nobles en fuite, dont Mme Vigée-Lebrun, on commente les journées des 5 et 6 octobre où la Reine est devenue « l'homme à abattre » ainsi que les autres ragots où « Yolande est accusée de vouloir dérober quelques tableaux royaux accrochés dans un ancien appartement aux Tuileries », ce qui n'améliore pas sa santé surtout qu'elle s'en veut énormément d'avoir abandonné Marie-Antoinette.
Heureusement, Bernis la soutient et apprécie sa grande raison, sa simplicité des manières, son âme de mère, ses réponses pleines de gentillesse, son détachement et son aménité face à la jalousie des amies du cardinal, pendant qu'Artois se démène et demande de l'aide à l'Autriche, à la Suède, à l'Angleterre. Le passage à l'an nouveau (31/12/1789) n'est pas réjouissant, les embrassades se font dans les pleurs.
Les nouveaux arrivés à Rome évitent les Polignac. On apprend que le Roi a donné « son livre rouge » où sont inscrits toutes les dépenses de la Cour, les pensions attribuées et les noms des bénéficiaires ... malheureusement les Polignac y sont inscrits « à tous les degrés possibles de toutes les pensions de toutes sortes ». Certains auteurs mentionnent que les pensions se montaient à 7 500 000 francs en 1789 ; d'autres insistent sur le fait que les Polignac ont reçu « ce qu'il fallait pour tenir un rang digne de la faveur auprès de la Reine afin d'assurer ses demandes, mais quand la Révolution les a renversé, ils n'avaient que des dettes et non des richesses » ; d'autres encore estiment que les trois grandes familles dans l'entourage de la Reine et du Roi (les Noailles, Talleyrand et Polignac) ont reçu trois millions en bienfait, mais que seuls les Polignac furent fidèles sans réserves, dévoués corps et âme ; et Philippe Delorme termine « la duchesse de Polignac encaissa en 14 ans de faveur, moins que la Pompadour en une seule année » !
Pour couper court à tout, Jules de Polignac conduit sa famille à Venise. Bien installée dans une jolie maison, Yolande profite des visites, des canaux, des messes en musique. Les nouvelles suivent, le Roi remercie les Polignac pour « leurs courriers qui sont attendus avec impatience et lus avec sensibilité ; mon âme est triste, je ne veux pas affliger la vôtre, que votre courage vous soutienne, ménagez votre santé pour soigner vos amis dans des temps plus heureux ; la santé de votre amie se maintient malgré toutes les peines qui l'accablent ». Mais Marie Antoinette ne peut plus écrire, elle « est contrainte à ne plus verser ses douleurs dans le sein de la duchesse de Polignac » ; sous étroite surveillance, toute sa correspondance est vérifiée. Yolande éprouve un chagrin grandissant pour ce silence forcé, mais peut compter sur ses amis sincères, bien que Vaudreuil s'ennuie en attendant le retour d'Artois en janvier 1791 avec de mauvaises nouvelles : l'empereur Léopold refuse d'aider.
Dans le salon de Yolande, les émigrés commentent les nouvelles : Louis XVI vient de donner tous pouvoirs à Breteuil qui organise la fuite du Roi. Jules est alors envoyé auprès de l'Empereur, mais rapidement c'est l'arrestation à Varennes et la reconduite à Paris. Yolande passe de la joie à l'horreur, mais doit se reprendre pour convaincre son entourage de l'absurdité des ragots (la Reine ferait cause commune avec les Jacobins) ; mais elle s'effondre à la lecture des libelles « complice de la Reine dans la débauche, Madame de Polignac l'est au même titre dans le crime, accusée d'avoir empoisonné les ministres Vergennes et Maurepas » et Vaudreuil de répondre « les accusations absurdes ne peuvent produire aucun effet sur l'homme de bon sens ! »
Sur les pas de Marie-Antoinette à Vienne
Jules de Polignac fait venir sa famille à Vienne pour être protégée par Léopold. Yolande a la joie de découvrir les lieux où Marie Antoinette passait son enfance et accueille Fersen avec une grande émotion. En août 1791, Fersen, Artois et Vaudreuil montent un projet d'évasion avec l'appui de Léopold, mais l'empereur les trompe ! Yolande est abattue, a des douleurs intenses, d'autant qu'elle vient d'apprendre que « sa respectable tante, sa véritable mère » Mme d'Andlau vient de mourir.
Yolande ne sort plus, seul le prince de Ligne défenseur passionné de Marie-Antoinette, est admis à la voir ; Yolande « sèche et meurt de chagrin de ne pas recevoir de nouvelles de la Reine » ; la lecture des gazettes entrainent des torrents de larmes (foule armée menaçante, crimes, investigation des Tuileries, sauve qui peut des partisans du roi, incendie, la famille royale définitivement emprisonnée et accusée de trahison, de perfidie).
Le 10 août 1792 marque le début de sa profonde maladie : elle ne sèche plus ses larmes, ne sourit plus, ne dort plus, ne mange plus et s'affaiblit. Les gazettes n'arrangent pas les choses, retraçant le triste sort de Madame de Lamballe en septembre 1792. Elle imagine facilement qu'elle aurait pu être à sa place et reste alitée lorsque Vaudreuil lui apprend le procès du Roi.
La fin de Yolande de Polignac
En février 1793, lorsque le courrier du comte de Provence annonce la mort du Roi, Vaudreuil reste définitivement auprès de Yolande : les symptômes sont inquiétants, inflammations, douleurs continuelles aussi bien morales que physiques. Il n'ose pas raconter à Yolande que les enfants royaux ont été enlevés à leur mère, que Marie Antoinette a été transférée à la Conciergerie, que la conspiration de l'œillet a échu, que la convention va juger tous les ennemis du peuple et que le procès de la reine a débuté en octobre. Artois prévient Vaudreuil « je tremble du coup qui va lui être porté ; son fils Armand doit lui annoncer la nouvelle, mais n'osant dire la vérité, il lui laissera croire que la Reine est morte de privations en prison ».
Mais Yolande est saine d'esprit, lit les gazettes et comprend bien la fin de son amie. Inconsolable, elle ne quitte plus le lit, c'est le coup de grâce et le début de son agonie, sa tristesse profonde et ses douleurs aigües auront raison d'elle ; dans les derniers jours, l'entrée de sa chambre est refusée à son mari et ses enfants. Elle meurt doucement, après avoir reçu les secours des chrétiens le 5 décembre 1793 « famille, amis, domestiques, tous la pleurent et demandent à la suivre ». Sur sa tombe, trois mots sont écrits « morte de douleur ».
Jules pleure sa compagne « jamais il n'a existé un caractère plus parfait que le sien ». Devant assurer l'entretien de sa famille et après calcul de ses biens, il vend petit à petit ses objets de valeur. Vaudreuil est frappé d'un coup mortel ayant perdu la confidente de toutes ses pensées depuis 30 ans et vivra encore deux ans avec le reste de la famille à Vienne. A l'avènement de Louis XVIII, il rejoint Artois qui a réussi à constituer une petite cour d'émigrés en Ecosse. Les enfants de Yolande, Armand et Jules, compromis dans l'attentat contre Napoléon, condamnés à mort, furent seulement emprisonnés 10 ans grâce à l'intervention de Joséphine. Vaudreuil et le duc de Polignac rendent l'âme en 1817, Artois devient roi en 1824 prenant Jules de Polignac junior comme ministre jusqu'en 1830 seulement, accusé d'être le fils de d'Artois et de Yolande.
Bibliographie
Madame de Polignac, intime de Marie-Antoinette de Nathalie Colas des Francs. Tallandier, 2016.