Jean-Denis Attiret est aujourd'hui une personnalité peu connue. Pourtant ce peintre dolois devenu sur le tard jésuite se retrouve peintre officiel à la cour de l'empereur de Chine Qianlong pendant 31 ans. Si les œuvres parvenues jusqu'à nous sont rares, il a laissé une importante documentation épistolaire qui permet de retracer en détail son parcours chinois. Violette Fris-Larrouy, élève à l'École du Louvre, à l'Institut National des Langues et des Civilisations Orientales et à l'École Pratique des Hautes Études de Paris, nous propose une biographie de l'artiste très réussie dans son ouvrage « D´un soleil à l´autre. Jean-Denis Attiret missionnaire jésuite peintre de l´Empereur de Chine » publié aux Éditions de la Bisquine.
De Dôle à la Chine
Jean-Denis Attiret né en 1702 est issu d'une famille d'artisans maitres-menuisiers et peintres dolois. Il évolue dans l'un des « bastions de la Contre-Réforme » qui connait à l'époque moderne un important essor monastique. Très tôt intéressé par la peinture, il effectue un voyage en Italie grâce au mécénat de Claude Joseph Froissard, marquis de Broissia. Il mène une vie conforme à celle des jeunes peintres de son temps jusqu'à ce que certains tourments apparaissent. Sa vie ne semble pas faire sens à ses yeux et il cherche à combler un vide en rejoignant son bienfaiteur, qui, lié aux jésuites, lui propose d'intégrer le noviciat d'Avignon. Les pères avignonnais acceptent en raison des largesses du marquis mais restent sceptiques sur la candidature car le novice leur apparait trop âgé. En 1735, il semble abandonner définitivement les pinceaux et consacrer sa vie à Dieu et à la compagnie de Jésus. Il affronte alors une vie plutôt rigide et dure mais il l'accepte, persuadé qu'il a fait le bon choix. Un certain nombre de hasards et d'opportunités l'amènent à reprendre les pinceaux. En 1738, suite à une demande impériale chinoise, il va être envoyé en Chine pour servir l'empereur et la propagation de la foi. Le départ et le voyage sont relatés par l'auteur et mis en perspective.
L'ordre des Jésuites et la Chine
L'auteur développe longuement les motivations religieuses du peintre et de l'ordre. Elle consacre de nombreux développements sur l'histoire de l'ordre en Asie, sa politique mais aussi ses liens avec les puissances européennes et la papauté. On découvre que la compagnie bénéficiait des avantages économiques et qu'une grande rivalité « nationale » entre jésuites portugais et français en Chine a conditionné l'arrivée de l'artiste Dolois. Violette Fris-Larrouy explique de manière claire et synthétique l'importance de l'image dans la propagation de la foi pour la compagnie de Jésus. L'histoire de la querelle des rites est également abordée. Celle-ci opposait deux visions de la mission et de l'évangélisation : les jésuites souhaitent que l'on adapte l'enseignement religieux aux cultures locales « l'accomodation » mais certains leur reprochent de favoriser et de revenir à certaines formes de paganisme. Cette « accommodation » avait pourtant permis d'engranger un certain nombre de succès. La papauté rejette définitivement ces pratiques et l'empereur chinois adopte une posture moins bienveillante voire hostile au fur et à mesure que les condamnations s'accumulent. L'auteur montre bien le rôle de « passeurs de culture » des Jésuites qui transmettaient par leurs lettres les connaissances chinoises. Celles-ci étaient autant destinées à une meilleure connaissance européenne qu'à leur propre propagande. Ceci explique la conservation de ces lettres jusqu'à nos jours. C'est dans ce contexte troublé qu'évolue Jean-Denis Attiret.
Un peintre de l'Empereur
Arrivé en Chine, l'artiste doit s'adapter à son nouveau statut et à son nouveau commanditaire. « C'est pour lui le commencement de ses peines et de ses croix ». Il doit se conformer à un style et à une peinture stéréotypée comme le souhaitait l'empereur bien loin du style hybride émergeant hors de la cour dont Castiglione est un éminent représentant. Jean-Denis Attiret doit reproduire des fleurs, des oiseaux, poissons et autres éléments sur des supports variés alors qu'il s'était présenté comme peintre d'histoire et portraitiste. Il doit assimiler des codes picturaux mais aussi ceux de la cour impériale chinoise ce qui lui permettra de survivre dans un univers où les chrétiens sont de moins en moins bien acceptés. Il doit également oublier l'huile et le clair-obscur que l'empereur n'apprécie guère. Malgré cela avec Castiglione, il forme de nombreux artistes chinois et assimile petit à petit les goûts locaux : « Mes yeux et mon goût depuis que je suis à la Chine sont devenus un peu chinois ». En 1754, il accompagne l'empereur à Jehol et doit représenter une grande cérémonie ainsi que les grands seigneurs Dörbets (mongols occidentaux). Satisfait, l'empereur lui demande ensuite de réaliser son portrait. L'empereur s'inspire des rois occidentaux dans la diffusion de son image pour sa propre gloire. Les Qing introduisent notamment plus de variété dans les poses et souhaitent que leurs représentations soient plus majestueuses. Jean-Denis Attiret réalisa également des peintures militaires inspirées par les cadeaux remis par Louis XIV. Sa proximité avec l'empereur lui permet de découvrir avec émerveillement l'ancien palais d'été (Yuanming). Il décrit ses jardins dans une de ses lettres qui bouleverse l'Europe et qui est à l'origine de la mode des jardins anglo-chinois. Dans le Yuanmingyuan, il réalise pour l'empereur des palais européens dans lesquels sont entreposés les divers objets occidentaux de sa collection. Ceux-ci disparaissent en 1860 lors des guerres de l'opium. Cela constitue un choc majeur pour les chinois. Au sommet de sa gloire, Jean-Denis Attiret refuse le mandarinat. Il est de plus en plus mis de côté jusqu'à son décès en 1768.
Ce livre est un coup de cœur à plus d'un titre. Outre ses annexes de qualité (index et chronologies), il relate l'histoire peu banale d'un peintre occidental qui a été très proche de l'empereur chinois. À travers son parcours mais aussi des nombreux extraits de ses lettres, on découvre « de l'intérieur » les ressentis de l'artiste, ses émerveillements et ses agacements. L'ouvrage dévoile un certain nombre de préjugés aussi bien du côté occidental que de celui asiatique. Un livre très humain grand public dans la lignée de ceux qui prônent une histoire à parts égales. Les nombreuses explications permettent au lecteur de mieux comprendre l'itinéraire de l'artiste. On notera cependant l'absence de représentations iconographiques qui auraient fortement contribuées à l'immersion du lecteur. En dépit de cette réserve, nous recommandons vivement cet ouvrage aux amateurs de voyage et en particulier aux voyages historiques au long cours. Le livre permet également d'entrevoir les nombreux ponts culturels qui se sont établis : si les chinoiseries sont prisées au XVIIIe européen, il ne faudrait pas délaisser le pendant oriental illustré par les palais européens du Yuanmingyuan.
D´un soleil à l´autre. Jean-Denis Attiret missionnaire jésuite peintre de l´Empereur de Chine, de Violette Fris-Larrouy. Editions La Bisquine, novembre 2017.