La bataille d'Angleterre a opposé de juillet 1940 à mai 1941 l'armée de l'air britannique (RAF) et l'armée de l'air allemande (Luftwaffe), au cours de la Seconde Guerre mondiale. Elle a succédé à la bataille de France, perdue un mois plus tôt. Hitler, libre à l’Est grâce au Pacte germano-soviétique, n’avait plus face à lui que l’Angleterre. Mais c’est celle de Winston Churchill et pas de Chamberlain qu’il décide de mettre à genoux par un bombardement sans précédent, qui va révéler le courage britannique et faire rentrer dans la légende la Royal Air Force. Ces combats aériens intenses se termineront par la première défaite nazie depuis le début du conflit en 1939.
L’opération Otarie, prélude de la bataille d'Angleterre
Le plan d’invasion de l’Angleterre a été suggéré, semble-t-il, par l’amiral Raeder, qu’ Adolf Hitler avait chargé dès mai 1939 de préparer une guerre économique de longue durée pour asphyxier le Royaume Uni par le blocus maritime. C’est donc suite à la réussite surprise de la percée de Sedan de mai 1940 que Raeder, peut-être alerté par les difficultés d’une guerre longue en mer face à la marine britannique, suggère une invasion de l'Angleterre, profitant de la défaite rapide de la France, ce qui ferait gagner des mois en vue de l’attaque programmée contre l’URSS. Hitler est séduit et donne les ordres en conséquence.
Evidemment, les états-majors allemands (la marine et l'armée allemande surtout) avaient déjà pensé à cette éventualité dès 1939, mais la difficulté de la tâche leur avait paru quasiment insurmontable. Dans tous les cas il fallait que la RAF soit détruite avant de penser à un éventuel débarquement de troupes. Et la destruction de l’aviation britannique rendrait de toute façon peut-être inutile une invasion…
Logiquement, suite à la proposition de l’amiral Raeder, c’est la marine allemande qui s’attèle à nouveau à ce projet. Il faut néanmoins attendre la fin juin 1940 pour que l’état-major et Hitler lui-même s’y intéressent vraiment, le préférant à celui d’une guerre économique trop coûteuse (et pas seulement en temps). L’idée, développée entre autres par Jodl, est de combiner une attaque destinée à écraser la RAF à une offensive contre le ravitaillement de l’Angleterre ; ainsi, la population britannique cèderait et le débarquement ne serait que le dernier acte d’une bataille déjà remportée dans les airs et sur mer.
Assez rapidement toutefois, la Kriegsmarine commence à émettre quelques réserves ; mais cela n’empêche pas Jodl de continuer à proposer plusieurs plans plus audacieux les uns que les autres. C’est lui qui donne son nom à l’opération : Löwe (Lion), qui devient Seelöwe (Otarie). Devant les atermoiements de Raeder, pourtant initiateur de l’idée d’invasion, c’est logiquement la rivale de la RAF, la Luftwaffe, qui prend l’ascendant. Devenu impatient, Hitler ordonne que l’opération soit terminée à la mi-septembre.
Alors que Raeder et plusieurs officiers de l’armée conseillent au Führer de reporter l’attaque à l’année suivante et de lui préférer une offensive en Méditerranée, Hitler insiste et exige de la Luftwaffe d’écraser la RAF ; ce sera l’opération Aigle. Malgré l’incertitude du résultat de la guerre aérienne et l’utilité toujours discutable d’un débarquement, les préparatifs continuent jusqu’en septembre 1940…
RAF contre Luftwaffe : les flottes aériennes en présence
Avant d’aborder la bataille d’Angleterre en tant que telle, il est intéressant de revenir sur les matériels employés, dont l’importance sera cruciale, peut-être autant que les décisions stratégiques. La Luftwaffe est grisée par ses remarquables victoires en Pologne et en France, où elle a pris le dessus sur l’aviation ennemie sans réelles difficultés. Elle s’appuie sur des avions modernes, supérieurs à (presque) toute la concurrence.
Le chasseur principal de la Luftwaffe durant la bataille d’Angleterre est le Messerschmitt-109, dit « Emil », armé de deux mitrailleuses de 7.9 mm et de deux canons de 20 mm. Il est très rapide (575 km/h) et assez maniable, mais dispose d’un petit rayon d’action. L’autre chasseur, favori de Goering, est le Messerschmitt-110 : lourdement armé (deux canons de 20, quatre mitrailleuses de 7.9, une mitrailleuse mobile de 7.9), avec un bon rayon d’action, il est cependant peu maniable face aux chasseurs ennemis.
Le bombardier Junkers-87, dit « Stuka », a terrorisé les armées et les populations française et polonaise ; armé d’une bombe de 500 kg ou de quatre bombes de 50 et une de 250, il est censé faire subir le même sort aux Britanniques. Le Junkers-88, bombardier allemand moyen dans tous les sens du terme, doit être utilisé pour des missions très diverses, y compris comme avion de reconnaissance ; sa polyvalence est donc son point fort. Les Dornier-17 et 215 sont de moindre qualité, le premier étant le vétéran (il a participé à la guerre d’Espagne), les deux ayant des capacités en charge de bombes insuffisantes. Le Heinkel-111, au contraire, est le bombardier standard de la Luftwaffe ; cependant son rayon d’action est limité pour un bombardier devenu lourd, mais pensé comme moyen. Et il n’est sans doute pas assez « forteresse volante » pour se protéger de la chasse ennemie…
La Royal Air Force, quant à elle, dispose essentiellement de deux appareils et d’une troisième « arme » au moins autant décisive durant cette bataille d'Angleterre. Les avions tout d’abord : le Hurricane est le premier chasseur de la RAF, le plus répandu ; il est spécialisé dans l’interception des bombardiers. Le Spitfire, lui, qui va devenir l’une des stars de la bataille (et de la guerre), est capable de rivaliser avec le M-109 : aussi rapide, il est plus maniable et mieux armé que le chasseur allemand. Mais au début de la bataille d’Angleterre, les Spitfire sont encore relativement peu nombreux au sein de la RAF.
L’autre arme décisive de la RAF, nous y reviendrons, est le radar.
La Luftwaffe passe à l’offensive
Alors que les premières semaines de la guerre avaient été relativement calmes dans le ciel anglais, la fuite précipitée de Dunkerque signe le début des vraies hostilités entre la RAF et la Luftwaffe. Dès les débuts de juin 1940, l’aviation allemande s’attaque à l’Angleterre : une trentaine de bombardiers prennent pour cible des terrains d’aviation. La fin de l’offensive sur la France provoque une accalmie, mais dès les lendemains de l’armistice les opérations recommencent, en particulier la nuit.
La rapidité de la défaite de la France et le refus de l’Angleterre de faire la paix poussent Hitler à accélérer l’opération Otarie, et surtout sa préparation par l’annihilation de la RAF. Dès la mi juillet, la Luftwaffe attaque des convois sur la Manche, mettant à l’épreuve la chasse britannique, déjà à flux tendus. Ce ne sont que les prémices de la grande attaque aérienne que doit subir l'Angleterre.
Début août, la Luftwaffe peut aligner quelques 3000 avions (dont un peu plus de 1000 Me-109 et 300 Me-110). Côté anglais, on peut avancer autour de 450 chasseurs Hurricane et Spitfire, mais les progrès sont importants et dès la deuxième moitié du mois d’août, la RAF peut opposer à son ennemi plus de 700 chasseurs opérationnels et un peu moins de 300 en réserve. On va bientôt parler des mille pilotes qui ont sauvé l’Angleterre…et plus.
Le système de défense britannique
Les semaines qui séparent l’évacuation de Dunkerque du début de la bataille d’Angleterre permettent au commandement britannique non seulement d’augmenter son nombre d’avions de chasse, mais aussi d’organiser son système de défense. Les groupes de chasse sont redéployés, et surtout le réseau de radars est étendu. Ce nouvel instrument est encore relativement peu maîtrisé et à ses balbutiements, mais l’état-major de la RAF a déjà compris son importance.
Malgré des faiblesses récurrentes, en particulier en matière d’effectifs, l’Air Marshal sir Hugh Dowding peut aussi s’appuyer sur le Coastal Command et sur le Bomber Command. Toutefois le but de ce dernier, avec ses bombardiers (environ 350 appareils, essentiellement des Blenheim), doit se cantonner à l’attaque des aérodromes et des ports allemands, où est stationnée la future flotte de débarquement.
Le problème de la RAF dans cette bataille d'Angleterre est finalement plus au niveau de l’initiative : cette dernière revient évidemment à la Luftwaffe, tandis que l’aviation anglaise ne peut que se contenter de réagir défensivement. Le radar est là pour compenser en partie ce désavantage britannique. Heureusement pour l'Angleterre, le système défensif est très au point et doit réagir à une offensive allemande finalement assez improvisée à cause de l’impatience de Hitler, qui veut que l’opération Otarie aboutisse courant septembre.
Hitler a finalement accepté de tenter une grande opération contre l’Angleterre, d’abord par une attaque aérienne massive, puis par une invasion avec l’opération Otarie, malgré les doutes de son utilité en cas de succès de la Luftwaffe. L’Angleterre, elle, est prête à répondre aux appareils allemands, grâce à ses mille pilotes et leurs Hurricane et Spitfire, mais également grâce à une nouvelle « arme », le radar. Sa population ne sait pas encore qu’elle aussi va payer le prix fort.
Le jour de l’Aigle
C’est le 10 août et les quelques jours suivants qu’est planifié par Goering la fin de la RAF, en tout cas dans le Sud de l’Angleterre. Les premiers jours d’août, les Anglais comprennent donc que les opérations aériennes vont commencer : les objectifs allemands sont principalement les terrains d’aviation, visés par les Stuka, ainsi que les stations radar. Mais le 12 août les pertes sont de 31 avions pour les Allemands et 22 pour les Anglais, tandis qu’une seule station radar est détruite et que les aérodromes sont rapidement remis en état !
Le 13 août marque alors le « jour de l’Aigle » : le Kent et l’estuaire de la Tamise sont attaqués, puis le Hampshire, le Dorset et le Wiltshire. Trois aérodromes anglais sont gravement touchés, mais aucun n’abritait de chasseurs. La nuit même, un bombardement endommage fortement une usine de production de Spitfire près de Birmingham. En plus de mille sorties, la Luftwaffe a perdu 45 avions, les Britanniques seulement 13. Les Allemands voient alors un succès dans ce « jour de l’Aigle » : ils pensent avoir détruit 300 chasseurs ennemis, alors que c’est finalement trois fois moins…
La RAF remporte la bataille d'Angleterre
Les jours qui suivent, les raids continuent avec toujours les Stuka en chefs de file du côté des bombardiers. Mais la chasse anglaise répond avec violence, et les limites des bombardiers légers allemands, mais aussi des Me-110 commencent à se faire sentir contre les Hurricane et surtout les Spitfire. Et les résultats des bombardements sont globalement peu satisfaisants.
Le 15 août montre une montée en puissance des attaques allemandes : ce jour-là, la Luftwaffe effectue plus de 500 sorties de bombardiers et 1270 de chasseurs ! Ils perdent 75 appareils, contre 34 pour la RAF. Le lendemain, ils appuient sur les aérodromes, avec un certain succès, mais toujours en subissant plus de pertes que les Britanniques.
Le premier round est finalement remporté par la RAF : contrairement aux estimations allemandes qui les voient autour de 300, Dowding dispose encore de 600 Spitfire et Hurricane ; sa chasse a détruit plus de 360 appareils allemands ! Après un nouveau raid peu satisfaisant le 18 août et une période d’accalmie due au mauvais temps, la Luftwaffe décide de changer de stratégie. Elle abandonne l’utilisation des Stuka, martyrisés par les Spitfire, et se concentre sur des objectifs plus à l’intérieur des terres.
Le Blitz sur Londres
Si quantitativement la réussite est du côté britannique, l’ambiance n’est pas au plus haut à l’état-major de Dowding. La production de chasseurs ne compense pas les pertes, de même chez la formation de pilotes britanniques. A ce rythme, et même en infligeant des pertes toujours supérieures à la Luftwaffe, la victoire n’est pas assurée.
Les Britanniques ne savent cependant pas que leurs ennemis sont limités eux aussi dans le temps par leur volonté de lancer Otarie à la mi-septembre. Il faut donc frapper fort pour faire plier l’adversaire. Tout d’abord, on augmente les effectifs des escortes autour des bombardiers. Puis on change les objectifs : les usines des chasseurs sont frappées de plus belle, tout comme les aérodromes de ces mêmes chasseurs.
Le début du mois de septembre commence alors à tourner à la réelle épreuve pour la RAF : elle doit affronter toujours plus de bombardiers, escortés par toujours plus de Me-109. Avant même le 5 septembre, 380 avions allemands et 286 chasseurs anglais ont été abattus ! La chasse anglaise subit une usure de plus en plus préoccupante. C’est le moment que les Allemands choisissent pour s’attaquer à une nouvelle cible : Londres.
L’objectif de la Luftwaffe est double : intensifier les combats aériens pour encore plus user la RAF ; désorganiser celle-ci, mais aussi le gouvernement britannique en l’attaquant au cœur. De plus, le Reich veut riposter à un raid britannique sur Berlin, lancé suite…à une erreur de bombardement allemand sur Londres ! Le fait que Berlin ait été touché alors que Goering avait juré que la capitale était inaccessible renforce un peu plus la détermination de la Luftwaffe…
Le 7 septembre 1940, ce sont 300 bombardiers escortés par 600 chasseurs qui mettent le feu à la capitale anglaise. Les Londoniens appellent alors l’attaque le « Blitz », en référence au Blitzkrieg subi par leurs alliés français. Du côté allemand on est persuadé que le coup de grâce approche, et que le débarquement va pouvoir avoir lieu. Mais du côté britannique on craint également l’imminence de l’invasion, et les attaques sur les ports allemands s’intensifient.
Le temps joue contre la Luftwaffe
Le bombardement de Londres continue les jours (et les nuits) suivants, calmé seulement par quelques intempéries et par la réaction courageuse de la chasse anglaise. Mais le temps joue pour les Britanniques : l’opération Otarie a besoin de dix jours pour être lancée après l’écrasement effectif de la RAF, et celui-ci n’est pas encore certain malgré les pertes.
Hitler tient à ce que cette invasion se fasse à la mi-septembre ; il accorde un nouveau délai à la Luftwaffe, mais c’est le mauvais temps qui se met contre lui, interdisant de nouveaux raids massifs les 12 et 13 septembre. Finalement, le débarquement est programmé pour le 27 septembre, dernier jour de marée favorable avant des semaines. Pendant ce temps, les raids du Bomber Command sur les péniches allemandes obtiennent de plus en plus de résultats…
Le 15 septembre, la chasse anglaise amoindrit fortement une nouvelle tentative de raid sur Londres, aidée par les radars qui repèrent de loin les vagues ennemies et permettent une meilleure organisation de la riposte. D’autres villes anglaises (Liverpool, Manchester, Bristol,…) sont frappées, sans grand succès là encore. C’est un nouvel échec pour la Luftwaffe de Goering, et même la journée la plus meurtrière de la bataille d’Angleterre côté allemand.
La bataille d’Angleterre, tournant de la guerre ?
Il est désormais certain que la Luftwaffe ne pourra annihiler la RAF dans le temps imparti. Et la RAF toujours debout, l’invasion de l’Angleterre est impensable. Le 17 septembre, Hitler décide donc d’ajourner l’opération Otarie. A peine un mois plus tard, le 12 octobre 1940, il la reporte au printemps 1941. Entretemps il aura eu d’autres soucis…
L’ordre du Führer ne signifie toutefois pas totalement la fin de la bataille d’Angleterre. Furieux, le maréchal de l'air Goering continue les raids les semaines suivantes, avec toujours Londres comme cible privilégiée. Mais toujours le fameux temps anglais, suppléé les beaux jours par la RAF, continuent d’amoindrir les raids allemands, malgré la souffrance subie par les civils. Entre le 7 et le 30 septembre 1940, la Luftwaffe perd plus de 400 appareils contre 242 à son homologue britannique ! La décision d’Hitler le 12 octobre enterre les espoirs de Goering, et en même temps le projet d’invasion de la Grande-Bretagne.
La victoire de cette dernière est nette et apporte quelques éléments pour l’avenir : sa population a fait preuve d’un courage et d’une ténacité qui allaient devenir légendaires ; ses pilotes ont montré leur habileté et leur héroïsme, aidés par un Spitfire sacré l’un des meilleurs chasseurs du conflit ; le radar devient un instrument incontournable de la guerre.
Cependant, l’Angleterre a grandement souffert : nombre de ses pilotes expérimentés ont péri, mais ce sont surtout les civils qui ont subi les foudres allemandes. Durant le mois de septembre, la plupart des centres des grandes villes britanniques sont durement frappés. Le mois de novembre voit l’intensification des bombardements sur des zones civiles, pas forcément industrielles, avec par exemple le martyre de Coventry le 14 novembre. Jusqu’à mai 1941, la population britannique pleure la mort de 40 000 des siens dans ces bombardements.
La fin de la bataille d’Angleterre et du Blitz est finalement due à l’ouverture du front de l’Est au printemps 1941 (opération Barbarossa), et à la résistance soviétique qui suit. La bataille d’Angleterre, livrée par à peine un millier de pilotes de la RAF (dont 400 morts au combat) est bien le premier revers connu par l’Allemagne, bien avant El-Alamein ou la bataille de Stalingrad. La réussite de l’opération Otarie dès septembre 1940, comme souhaité par Hitler, aurait permis au Reich de jeter toutes ses forces dans la bataille de l’Est, et on peut supposer sans craindre de trop s’égarer que l’issue de la seconde guerre mondiale aurait été sans doute bien différente…
Bibliographie
- La Bataille d'Angleterre : Juin-octobre 1940, de Jérôme de Lespinois. Tallandier, 2011.
- Le Dernier Ennemi : Bataille d'Angleterre, juin 1940-mai 1941, de Richard Hillary. texto, 2010.