Le Lusitania, un géant des mers
Au début du XXe siècle, afin de concurrencer la récente suprématie commerciale de l’Allemagne sur l’Atlantique, la compagnie britannique Cunard Line entreprend la construction de deux transatlantiques de commerce. Dans la bataille qu’elle livre à la compagnie White Star Line (constructeur du futur Titanic), la Cunard Line cherche à construire des navires rapides afin de remporter le Ruban bleu — trophée remis au transatlantique le plus rapide.
Des gigantesques chantiers de la compagnie sortent, en 1907, deux géants des mers : le RMS Lusitania et le RMS Mauretania. Dès leur mise à l’eau, les deux bateaux pulvérisent tous les records, avec une vitesse de 24 nœuds. À leur rapidité, ils allient le luxe ; le Lusitania dispose ainsi d’un aménagement somptueux, avec piscines, restaurants, bibliothèques, etc.
Un navire plongé dans la Première Guerre mondiale
Le 1er mai 1915, le Lusitania, fleuron de la compagnie Cunard et ancien détenteur du « Ruban bleu », le record de la traversée transatlantique la plus rapide, appareille de New York. Depuis août 1914, l’Europe est plongée dans une guerre sans précédent, que ce soit en termes d’échelle ou quant aux souffrances qu’elle engendre. Mais la lutte est dans l’impasse.
Dans les tranchées, les combattants trouvent la mort par centaines de milliers, alors que l’Allemagne de Guillaume II dispute au Royaume-Uni le contrôle de l’océan Atlantique. Les sous-marins allemands rôdent autour des îles britanniques, coulant chaque mois des dizaines de navires de commerce et menaçant les communications entre l’Angleterre, son empire, ses alliés, et les pays neutres.
Comme la majeure partie de la marine marchande britannique, le Lusitania a été réquisitionné par la Royal Navy, qui en a fait un croiseur auxiliaire. À ce titre, le paquebot a été doté de canons, bien que ceux-ci soient masqués par des bâches et servis par des matelots n’ayant aucune expérience de l’artillerie navale. Le Lusitania transporte aussi d’importantes quantités de munitions, achetées aux États-Unis, dans ses cales.
Ces très militaires caractéristiques ne l’empêchent pas de continuer à faire ce pour quoi il a été conçu : le transport de passagers, fortunés ou non. En tout, près de 2.000 passagers et membres d’équipage, dont des personnalités en vue du monde des arts, de la science, de l’industrie, sont à bord.
Le torpillage du Lusitania
Mais leur voyage va subir un brusque coup d’arrêt. Le 7 mai, alors que le Lusitania est en vue de la côte méridionale de l’Irlande, il croise la route d’un sous-marin allemand, l’U-20 du Kapitänleutnant Walther Schwieger. L’U-Boot tire une seule torpille qui frappe le paquebot à tribord avant. Le Lusitania prend immédiatement une gîte prononcée qui rend chaotique l’évacuation du navire.
Seuls six canots de sauvetage parviendront à être mis à l’eau sur les quarante-huit à bord. Le grand transatlantique sombre à un rythme qui déjoue tous les pronostics : en moins de vingt minutes, il disparaît dans les eaux irlandaises. Les pêcheurs qui ont assisté au drame depuis la côte viennent porter secours aux naufragés, mais 1.195 personnes ont péri.
Cette tragédie – une de plus à mettre au crédit de la Guerre de 14 18 – va immédiatement déchaîner les passions. Tandis que l’Allemagne exulte et dénonce la perfidie d’un ennemi n’hésitant pas à faire voyager femmes et enfants sur un navire transportant des munitions, les Alliés s’indignent devant ce qui est pour eux un crime de guerre. Mais les réactions les plus significatives proviennent des États-Unis, où l’activité des sous-marins allemands est perçue comme une menace pour la liberté des mers et le commerce extérieur. Quelques mois plus tard, Guillaume II obligera sa marine à cesser sa campagne de guerre sous-marine à outrance.
Lorsque celle-ci sera relancée au début de 1917, le résultat ne se fera pas attendre, et les États-Unis entreront en guerre aux côtés de l’Entente.
Un naufrage qui se transforme en affaire
L’affaire du Lusitania dépasse cependant le simple cadre de l’histoire générale de la Grande Guerre. De nombreuses questions demeurées sans réponses ont généré toutes sortes d’hypothèses alternatives. Le fait qu’il soit pratiquement certain que l’U-20 n’ait tiré qu’une torpille, alors que de nombreux survivants ont fait état d’une deuxième explosion beaucoup plus forte que la première, ont conduit certains auteurs à évoquer la piste d’un sabotage.
La rapidité du naufrage, causée par un dysfonctionnement des cloisons étanches, a aussi alimenté les spéculations. Tout comme la course rectiligne du paquebot et l’absence d’escorte, signe pour certains que le Lusitania a été délibérément offert comme cible aux sous-marins ennemis dans le but de provoquer un incident diplomatique entre l’Allemagne et les États-Unis. Aujourd’hui encore, le débat demeure persistant.
En 1972, l’étude des archives du Lusitania a révélé que le paquebot était effectivement armé de munitions et de douze canons.
Pour aller plus loin
- Lusitania, 1915, la dernière traversée, de Erik Larson. Le livre de poche, 2017.
- Un crime de guerre en 1915 : le torpillage du Lusitania, de Gérard Piouffre. Vendémiaire, 2015.