Le Marquis de Sade (1740-1814) était un écrivain et humaniste du siècle des Lumières, grand Amoureux de la liberté, sans tabous et sans implication de Dieu. Son oeuvre, qui est à la fois la théorie et l'illustration de ce qu'on désignera par "le sadisme", forme le double pathologique des philosophes et naturalistes de son époque. Les différents régimes qui l'ont rejeté ont fait de lui « le plus obscur des hommes célèbres ou le plus célèbre des hommes obscurs ». Son nom fascine encore et toujours depuis plus de deux siècles, car il a osé écrire ce que personne n'a jamais osé...
Origine de la famille de Sade
La lointaine famille Sade remonte bien avant 1177 dans la région d'Avignon ; Laure de Noves, chantée par Pétrarque, avait épousé Hugues de Sade en 1325. Cette famille de marchands, anoblie par le pape au XIV è siècle, servaient l'Eglise et l'armée, augmentant ainsi les terres et seigneuries dans le Luberon avec Saumane et le magnifique château de La Coste. Alors qu'une branche dite « les Sade d'Eyguières » fera un grand officier de marine lors de la guerre d'Indépendance américaine, le marquis vient de la branche dite « les Sade de Saumane ».
Son grand père Gaspard fut ambassadeur d'Avignon auprès du pape Clément XI. Son père Jean Baptiste fut le premier à quitter la région pour chercher fortune à Paris. Attaché aux Bourbons-Condé, il devient capitaine des dragons, lieutenant des provinces de Bresse, marié à une demoiselle Comtesse de Maillé apparentée à Richelieu. Plus tard, conseiller principal et confident du duc de Bourbon, sa carrière de diplomate se termine rapidement pour cause de libertinage et de mots malheureux à l'encontre de la maîtresse de Louis XV.
Invité permanent de l'hôtel de Condé, il passe des filles aux garçons selon son désir, mais arrêté par la police, il ne comprend pas cette punition puisque c'était sa volonté. Il se tourne alors vers la religion et veille sur son fils qu'il aime à la folie, tout en fréquentant les salons où il croise Voltaire, Montesquieu, Crébillon.
Le marquis de sade, héritier d'une famille de libertin
Donatien Alphonse François de Sade nait le 2 juin 1740 et grandit à l'hôtel de Condé avec le futur duc de Bourbon prince de Condé dont le petit fils sera fusillé dans les fossés de Vincennes en 1804, le frère du duc le Comte de Charolais, homme cruel avec les paysans et la valetaille ainsi que la sœur Mademoiselle de Charolais, ayant déjà à quinze ans un bon nombre d'amants.
A cinq ans, il est envoyé chez son oncle abbé, vicaire de l'archevêque de Toulouse, qui entretient plusieurs femmes dans son fief de Saumane en Provence. Jouant avec les enfants du village, il s'impose toujours car il est fils et petit fils de seigneurs de l'endroit.
A dix ans, au collège Louis Le Grand à Paris, il apprend le latin et se découvre une passion pour le théâtre. En 1755, comme tous jeunes nobles, il fait partie du régiment d'élite des Chevau-légers de la garde du roi. Excellent sujet, il devient cornette du corps dirigé par le futur Louis XVIII.
Pendant la Guerre de Sept Ans, il est capitaine, se conduisant très bien à l'armée, mais point dans sa vie privée, attiré par les tables de jeu, les bordels et le théâtre. Marqué dans sa jeunesse, Donatien est bien fils et neveu de libertin !
Un mariage pour éponger les dettes
A vingt ans, c'est un roué ; à vingt trois ans il multiplie les aventures et les dettes. Le mariage, avec une jeune fille de la noblesse de robe Renée Pélagie Cordier de Montreuil, fille du président à la Cour des Aides est la seule solution. Les tractations sont dures, aucun parti ne voulant d'un fils libertin et endetté ! Hébergés pendant cinq ans chez les Montreuil, munis d'une dot de 300 000 livres, ils deviendront les futurs héritiers de châteaux en Normandie et en Bourgogne. Mais le mariage a faillit ne pas se faire : Donatien a du mal à quitter sa bonne amie en Provence et loupe presque la présentation de sa future épouse à la Cour.
Marié, il reprend ses habitudes libertines, loue un appartement à Versailles, une petite maison rue Mouffetard ainsi qu'une autre à Arcueil, et s'adonne à tous ses plaisirs en compagnie de jeunes filles : sodomie, flagellation et blasphème. Louis XV pardonne la débauche mais pas les insultes envers la religion : Donatien est arrêté à peine quatre mois après son mariage ; enfermé à Vincennes alors que sa femme est enceinte, il est ensuite exilé en Normandie jusqu'à son autorisation de retour à Paris en 1764.
De part sa charge de lieutenant général, il fréquente du monde, sort beaucoup, retrouve ses maîtresses et recommence ses pratiques. Son père mort en janvier 1767 lui laisse les châteaux en Provence, mais également les dettes et le titre de Comte que Donatien refuse. Il restera à jamais Marquis de Sade, seul son fils Louis Marie né en août 1767 portera le titre de Comte.
Sade impliqué dans de sales affaires
Le marquis de sade passe son temps entre Paris et la Provence au printemps 1768, engrossant son épouse, abusant de deux prostituées et flagellant une femme qui porte plainte malgré les 2 500 livres de dédommagement ; le scandale éclate : 9 mois de prison à Saumur, la Conciergerie et Pierre Encize à Lyon. Libéré, après un voyage en Hollande, il revient à Paris en hiver 1769-1770 pour découvrir son fils Claude Armand né en juin 1769. Il tente de s'occuper, mais ne peut pas reprendre une fonction aux armées à cause de sa mauvaise réputation.
Il a juste le temps de voir naître sa fille en avril 1771 avant d'être incarcéré à nouveau, pour dettes de jeu cette fois. Pour sortir de prison en novembre, il vend sa charge de capitaine et quitte Paris avec toute sa famille pour le château de La Coste, mettant fin à sa vie parisienne. Cela ne le dérange pas, il n'a jamais aimé la Cour, il peut vivre en solitaire dans une autre région. On peut penser qu'il est calmé...non, ses obsessions vont ressurgir.
Au printemps 1772, le marquis invite les nobles locaux dans son château pour une représentation théâtrale. Rappelons que cette passion ne le quittera plus, il écrira dix sept pièces qu'il signera DAF, faisant office de metteur en scène, régisseur, costumier, souffleur, comédien. Il aimera se faire applaudir comme auteur et acteur. Dans cette pièce, devant les nobles, il joue accompagné d'une ravissante demoiselle (sa belle-sœur). Le coup de foudre a eu lieu il y a trois ans. Son épouse ne dit mot, elle aime profondément son époux.
En juin, alors qu'il est à Marseille pour régler des affaires d'argent, il prend du bon temps avec des prostituées auxquelles il donne des « pastilles à la Richelieu ». Ce sont de simples aphrodisiaques, mais les filles tombent malades et portent plainte. A peine rentré au château, on le prévient de son arrestation imminente. Il file vers l'Italie proche, avec son valet et sa jeune belle-sœur qui de surcroit est chanoinesse : le scandale est immense ! Bien que sa belle famille soit outrée, son épouse n'aura de cesse de le défendre puisqu'en septembre, le marquis et son valet sont accusés de « crime d'empoisonnement et sodomie », jugés et condamnés à mort par contumace, conduits à l'échafaud où le marquis sera mis à mort par décapitation et son valet par pendaison, leurs corps brûlés et leurs cendres dispersées. Les filles reviendront sur leurs aveux, mais le mal est fait et le déshonneur est réel.
Le marquis et sa belle sœur mènent grande vie en Italie mais bientôt leur histoire d'amour tourne court. Sade profite des courtisanes et peut assouvir ses fantasmes...surtout après avoir appris que Vivaldi, le grand musicien est prêtre et coureur de filles ! La jeune belle-sœur le quitte, Sade et son valet se rendent à Chambéry alors province italienne, mais sont arrêtés début décembre 1772 sur dénonciation de la belle famille. Conduit au château de Miolans « la Bastille des Alpes », il est installé confortablement (chambre, cabinet de toilette, table, chaise percée, fauteuils, repas livrés...), peut se promener et discuter avec les autres prisonniers (des barons, des lieutenants).
Sa femme essaye de le rejoindre et monte un plan d'évasion. Le 30 avril 1773, en pleine nuit, trois personnes s'enfuient sur des chevaux. Le marquis passe par Bordeaux, puis l'Espagne, Cadix, Saragosse, la Catalogne, le Languedoc et se retrouve en fin d'année 1773 en Provence. Mais enfermé, n'osant sortir, il s'ennuie...jusqu'à repartir déguisé en Italie. Il rentre à Lyon en automne 1774 pour y retrouver sa femme.
Avec tout son amour, elle essaye de le garder auprès de lui...mais il a le démon en lui, il a le sexe dans le sang...et voilà qu'il est à nouveau impliqué dans une sale affaire. Le marquis vient d'embaucher un secrétaire et cinq jeunes filles dont les parents vont porter plainte pour « enlèvement fait à leur insu et par séduction ». La rumeur parle d'adolescentes mutilées, cachées à La Coste, des sommes d'argent sont versées par les Montreuil. Mais aucun document n'est trouvé, toutes les pièces du dossier ont été détruites. Le marquis file alors en juillet 1775 vers Gap, puis Florence sous le nom de Comte de Mazan. Reçu d'abord par le cardinal de Bernis à Rome, il est présenté au beau-frère de Marie Antoinette à Naples début 1776 qui lui propose divers emplois à la Cour.
De retour en France, il rédige son « voyage en Italie » dans lequel il raconte sa découverte des castrats, ce qui le choque profondément ; il devient studieux mais toujours en proie à ses fantasmes qu'il assouvit encore, ce qui lui cause des ennuis. Pensant qu'à Paris, il peut passer inaperçu, il va droit dans la gueule du loup ! Il se fait arrêter en février 1777 pour être incarcéré à Vincennes. Son épouse se démène si bien qu'elle réussit à faire réviser son procès ; transféré à Aix en Provence début 1778, il est rejugé sur l'affaire de Marseille.
Le jugement est cassé, il est seulement accusé « d'admonestation pour débauche et libertinage avec 50 livres d'amende et une interdiction de séjourner à Marseille pendant trois ans ». Il pense être libre ! Non ! La lettre de cachet de Louis XV est toujours effective ; Louis XVI horrifié par le comportement du marquis ne va pas l'élargir. Sous bonne escorte, il s'en retourne vers Paris, mais réussit à s'échapper. Repris un mois après, il est ligoté, conduit à Vincennes et enfermé en septembre 1778. Treize années de détention l'attendent qui vont en faire un tout autre homme !
Le séjour en prison du marquis de Sade
Incarcéré à Vincennes, il occupe son temps à lire (il n'aura pas moins de 500 livres) et s'empiffre de pâtisseries. Surnommé « Monsieur le 6 » en référence au numéro de sa cellule, il écrit beaucoup de lettres clamant son innocence ou invectivant sa belle-mère, le lieutenant de police ou encore le gouverneur de la prison. Il devient lucide et constate que l'enfermement ne sert à pas grand-chose, si ce n'est dégrader l'homme, l'aigrir et le rendre encore plus coléreux.
Sa femme peut enfin le visiter en juillet 1781, mais il se met des choses en tête, devient jaloux et furieux, de plus en plus agressif jusqu'à frapper tout le monde ; elle doit justifier ses déplacements, devenant son souffre douleur. Fatiguée par les reproches, épuisée par les coups reçus, elle se retire au couvent près de l'actuel Panthéon, confiant les enfants à sa mère.
En février 1784, Vincennes va fermer ses portes faute d'occupants. Les trois nobles restants sont transférés à la Bastille. Installé au sixième étage de la Tour de la Liberté, il peut aménager sa cellule avec des meubles de son choix et sa bibliothèque de 600 volumes. Pris d'hallucinations, voyant des scènes érotiques, il se met à écrire et décrire tous ses désirs refoulés. C'est ainsi que sont rédigés « Aline et Valcour », « Justine ou les Malheurs de la vertu » où l'on lit « il faut tout sacrifier à la volupté ; il est beaucoup moins drôle d'être vertueux que vicieux ; le vice amuse et la vertu fatigue ».
Il ne supporte plus la Bastille au bout de cinq ans, mais n'est pas au courant des bouleversements dans Paris. Il hurle, appelle le peuple ; le gouverneur le fait évacuer en pleine nuit à l'hôpital de Charenton, sans habits, sans meubles, surtout sans ses livres. Il s'en est fallu de peu qu'il recouvre la liberté...car douze jours après, le peuple prenait la Bastille et libérait les prisonniers !
Dans sa nouvelle prison, il se sent perdu ; tous ses écrits sont restés à la Bastille. Lorsqu'il apprend que le peuple a pris cette prison, il pense à son chef d'œuvre « 120 Journées de Sodome » certainement détruit... pourtant, ce document passant de mains en mains, vendu, revendu, sera publié entre 1931 et 1935. L'original ira de la France vers la Suisse, pour être bientôt récupéré par la BNF et exposé au Musée des Lettres et Manuscrits ! Si le marquis savait ...
Enfin libre !
Selon la volonté de la Nation, il est libre et quitte Charenton entouré de ses deux fils en avril 1790. Il a 50 ans, ne voit plus bien, a grossi et marche mal. Il veut revoir sa femme qui refuse, elle qui l'a tant aimé au cours des vingt sept ans de fidélité et qui a tout fait pour lui. Pire en juin, elle demande et obtient la séparation de corps et de biens ! Ses fils préfèrent la Normandie, sa fille est nonne ! Il ne les verra plus, il ne comprend pas ! Il se retrouve seul, n'a pas d'ami, n'a fréquenté aucun cercle... que des valets et des prostituées. Sade s'installe près de Saint Sulpice, ne s'occupe que de littérature et fait monter des pièces de théâtre, mais le succès n'est pas là, il perd son argent. Son premier livre « Justine ou les Malheurs de la Vertu » publié en 1791 fait un tabac, car si indécent et si dégoutant qu'il soit, tout le monde se l'arrache : six éditions en dix ans !
Sa muse « Sensible »
Resté seul pendant si longtemps, il se met en ménage avec une jeune femme de trente trois ans, Marie Constance Quesnet, qu'il appelle « Sensible ». Ils ne vont plus se séparer... Il s'installe à l'emplacement actuel des Galeries Lafayette, sous le nom de Louis Sade abandonnant la particule et le titre de marquis. Ils vont vivre heureux, calmes, sans relations intimes, uniquement platoniques. Il constate lui-même qu'il a changé « tout cela me dégoute à présent, autant que cela m'embrasait autrefois. Dieu merci, penser à autre chose et je m'en trouve quatre fois plus heureux ». Il est métamorphosé, elle est devenue sa muse.
Attiré par la Révolution alors que ses fils émigrent, il s'inscrit à la section des Piques, assiste à la Fête de la Fédération et rédige un texte très pertinent pour le retour du roi de Varennes ; rapidement secrétaire de la section en 1792, il est nommé Commissaire des sections de Paris dans les hôpitaux et grâce à lui, les malades vont pouvoir bénéficier d'un lit chacun alors qu'auparavant ils y dormaient à trois.
Favorable à l'évolution démocratique des institutions, il est tout de même contre les violences comme celles du 10 août et ne se gène pas pour l'écrire «la violence de mes écrits est bien peu de chose à côté des massacres actuels ». Elu Vice Président de la section des Piques au printemps 1793, il est heureux et satisfait de cette reconnaissance officielle ; il ne fait pas de tort à sa belle-famille dépendant de cette section, il se contente de les critiquer en disant « ce sont des gueux et des scélérats reconnus que je pourrais perdre d'un mot...mais j'ai pitié d'eux et je leur rends mépris et indifférence ». Il fait mieux, il les inscrit sur une liste épuratoire. Sade est un modéré, sauf en religion !
Robespierre, qui prône l'institutionnalisation du culte de l'Etre Suprême, le fait incarcérer début décembre aux Madelonnettes dans le Marais. Personne ne l'aide, c'est le début de la Terreur. En janvier 1794, transféré aux Carmes puis à Saint Lazare, il a peur d'être guillotiné car le rapport sur sa conduite le dessert. Sensible est toujours là et ses amis le cachent dans la maison de santé du Docteur Coignard, rue de Picpus « un paradis terrestre, une belle maison avec un superbe jardin », mais il n'est pas rassuré pour autant.
Le 26 juillet, le Tribunal révolutionnaire le condamne à mort pour la seconde fois par contumace pour « conspiration contre la République ». Curieusement on ne vient pas le chercher ce même jour mais le lendemain seulement ; il a déjà filé et échappé à la guillotine. Le 27 juillet, Robespierre est renversé par la Convention ; la Terreur cesse, Sade est sauvé et déchargé de tous les chefs d'accusation en octobre 1794.
Libre, il emmène Sensible en Provence, au château de La Coste ; la propriété est une ruine, le toit n'existe plus, les fenêtres et les portes sont cassées et arrachées. Ecœuré, il vend le château et quelques biens puis rentrent à Clichy.
Sa carrière d'écrivain
Dégoûté, il ne veut plus entendre parler de politique et se consacre à sa carrière d'homme de lettres. Il publie huit volumes de « Aline et Valcour » en 1795 et dix volumes de « la Nouvelle Justine ou les Malheurs de la Vertu » en 1797 qui font de gros succès, mais l'argent manque toujours. Pour survivre, il s'installe à Versailles et accepte un emploi de souffleur au théâtre de la ville. Il bataille avec l'administration afin qu'elle lève les séquestres de ses biens et fermages en Provence. Pour couronner le tout, il apprend par la Gazette sa mort le 29 août 1799 !
En 1800, il signe de son nom « les crimes de l'amour » écrit à la Bastille. Il pense finir tranquillement sa vie en écrivant. Eh bien non ! Bonaparte le traite de monstre, il hait ce libertin athée ; en août, la police brûle une édition complète de la Nouvelle Justine tout en préparant son arrestation. Elle profite d'une visite de Sade à son imprimeur, pour saisir les manuscrits en attente de publication et le met au secret à la préfecture de police début mars 1801.
Un mois plus tard, il est conduit à Sainte Pélagie où il restera deux ans. Pour occuper son temps, il créé une Société littéraire avec quelques détenus, mais son comportement provoque des plaintes. Transféré en avril 1803 à Bicêtre « la Bastille de la canaille » où l'on trouve le pire des incarcérés (violeurs, voleurs, fous, assassins), sa belle-famille réagit enfin : d'accord pour l'incarcération, mais plus dignement. Il est transféré à l'hospice de Charenton...il n'en sortira plus.
Régisseur de théâtre à Charenton
Charenton fondée en 1641 rattachée au ministère de l'intérieur en 1797, est une sorte de prison pour soigner « des insensés, des gens dangereux » dont il fallait cacher les crimes au nom de la morale officielle. La pension y est très élevée et Sade peut correctement y passer sa fin de vie grâce aux rentes de ses fermes en Provence ; étant marquis, il ne subit pas les mêmes traitements que les indigents considérés comme criminels.
Le personnel ne sait pas exactement qui est « ce vieux monsieur habillé à l'ancienne » qui parle bien et qui a l'air de bonne naissance. Il se promène en liberté dans le parc grâce au directeur Coulmiers, devenu presque son ami ; ayant tous les deux les mêmes idées : soigner la folie par le théâtre, il organise des représentations, une fois par mois, devant plus de 200 personnes. De plus, avec sa complaisance, Sensible a pu le rejoindre dès l'été 1804.
Les représentations se passent à merveille, les acteurs tiennent parfaitement leur rôle, sans cris, sans explosions de violence. Sade règle la mise en scène, dirige les répétitions, supervise l'ensemble. C'est un franc succès, suivi d'un petit souper avec les acteurs et quelques invités triés sur le volet. Lorsque certains invités découvrent que l'acteur principal, homme d'esprit à la verve chaleureuse n'est autre que le Marquis de Sade, ils sont soit surpris, soit fascinés, soit terrorisés, mais jamais indifférents.
La psychanalyse est née, mais peu comprennent cette nouvelle médecine, beaucoup vont la dénigrer, comme le nouveau médecin nommé en 1806 refusant totalement ces nouvelles idées. Il demande au ministre Fouché de faire transférer Sade dans un autre endroit, au motif de mauvais comportement et de trop grande liberté (il n'apprécie pas du tout les petits repas qui suivent les représentations de théâtre, encore moins les applaudissements). Sade n'est toujours pas tranquille et des perquisitions ont lieu en juin 1807 où des manuscrits sont saisis. L'Empereur ne lui fiche pas la paix, va limoger le directeur Coulmiers et le remplacer par un nouveau qui interdira les représentations de théâtre. C'est la fin, Sade le sent...
Le 2 décembre 1814, le Marquis de Sade tire sa révérence, peu avant midi ; Sensible le quitte les larmes aux yeux, mais restera à l'hospice jusqu'à sa propre mort en juillet 1832. Des funérailles discrètes ont lieu le lendemain, la dépouille du marquis est installée dans le cimetière de l'hospice, sans nom, ni date sur la dalle alors qu'il souhaitait être enterré dans la Beauce, sous un taillis, recouvert de glands pour disparaitre de cette terre.
La notoriété et les descendants du marquis de Sade
Mais le nom du Marquis ne disparaitra jamais. Pendant environ 80 ans, il va être oublié puis va revivre grâce aux Surréalistes ; les peintres s'en inspirent comme Man Ray, Dali, Magritte ; Paul Eluard écrivait « trois hommes ont aidé ma pensée à se libérer d'elle-même, le marquis de Sade, le comte de Lautréamont et André Breton ». Les auteurs le saluent à leurs manières, certains grands noms sont influencés par ses écrits, comme Victor Hugo et son Notre Dame de Paris ; Georges Sand, Eugène Sue, Lamartine, Baudelaire dont le livre de chevet est « Justine », Simone de Beauvoir. Des pièces de théâtre lui sont consacrées, un Prix Sade est créé, des films sont parus, les lieux de résidence retrouvent leur faste et certains appartiennent au patrimoine.
Les descendants seront discrets, et par le jeu des alliances, on note de grands noms : Pierre de Chevigné, résistant, député, ministre de la Guerre sous la IV è République ; Henri de Raincourt président du Conseil Général de l'Yonne ; Henri de Castries, compagnon de promotion de François Hollande à l'ENA, PDG d'Axa ; Philippes Lannes de Montebello ancien directeur du Métropolitan Museum of Art de New York.
Mais ceux nés entre 1947 et 1956 vont ressortir l'œuvre en disant « il faut oser parler de Sade ; le marquis est avant tout le symbole de la liberté. Homme libre au-delà des prisons . Esprit libre au-delà des siècles ! »
Finalement, pourquoi cet homme a-t-il tant marqué les esprits ? Simplement, même si sa vie privée fut certes contestable, il n'a vraiment pas été très discret ; sa vie sexuelle a plus été rêvée que vécue car pendant ses trente années de réclusion, il a du se contenter d'écrire des fantasmes à défaut de pouvoir les satisfaire. Sade n'est pas pour autant réhabilité, il demeure « cette éternelle auberge espagnole, dans laquelle chacun trouve ce qu'il apporte, voit ce qu'il veut y voir, comprend ce qu'il veut y comprendre ».
Bibliographie
- Le marquis de Sade: 1740-1814, de Maurice Lever. Texto, 2021.
- Sade, de Stéphanie Genand. Folio biographies, 2018.
- L'Œuvre du marquis de Sade, de Guillaume Apollinaire, Bibliothèque des Curieux, 1909.