Les combats acharnés des « Sept Jours » (25 juin – 1er juillet 1862) avaient mis un terme au blocus de Richmond par l’armée nordiste du Potomac, mais n’avaient pas fait cesser toute activité dans la Péninsule. Le mois de juillet fut marqué par une série de reconnaissances et d’accrochages mineurs autour de Harrison’s Landing, où les hommes de McClellan s’étaient retranchés après leur retraite.
Le général nordiste s’estimait toujours menacé par un ennemi supérieur en nombre, et réclamait à cors et à cris de nouveaux renforts. De son côté, l’armée de Virginie septentrionale du général Lee se voyait risquer d’être prise entre deux feux, entre l’armée du Potomac d’une part, et l’armée nordiste de Virginie, déployée dans le nord de l’État et commandée par Pope, d’autre part.
Les leçons des Sept Jours
Juillet fut également une période de réorganisations importantes pour les deux belligérants. Décidant de généraliser l’emploi des corps d’armée, Lincoln en créa trois nouveaux le 22 juillet, et un quatrième un peu plus tard. Ainsi virent le jour le VIIème Corps, confié à John Dix et opérant autour de Norfolk, sur la rive méridionale de l’estuaire de la James ; le VIIIème, commandé par John Wool et protégeant la zone – hautement stratégique – de la vallée du Potomac ; le IXème, aux ordres d’Ambrose Burnside, englobant les troupes stationnées le long des côtes de Caroline du Nord ; et le Xème, regroupant les forces opérant en Caroline du Sud et en Géorgie, et dont Ormsby Mitchel prendra le commandement. Mitchel mourra de la fièvre jaune en octobre. Il sera remplacé par Quincy Gillmore.
L’armée de Virginie fut elle aussi organisée en corps, mais aucun des trois qui furent constitués à cette occasion n’allait être numérotés de la même manière que les autres corps d’armée de l’Union. Ainsi, l’ancien département de la Montagne, désormais commandé par Franz Sigel, allait devenir le 1er Corps de l’armée de Virginie. Les forces de Banks allaient constituer le 2ème. Quant à ce qui était jusque-là le Ier Corps d’armée de McDowell, il allait être renuméroté pour constituer le 3ème… Par commodité, on désignera ici les corps de l’armée de Virginie par des chiffres arabes, et les autres corps nordistes par des chiffres romains. Cette disposition, du reste, n’allait être que transitoire. Enfin, Lincoln nomma Henry Halleck, chargé jusque-là de coordonner les forces fédérales dans l’Ouest, au poste de commandant en chef des armées nordistes – clôturant ainsi un hiatus de quatre mois et demi, depuis que McClellan avait quitté cette fonction en mars.
Dans le camp sudiste, on allait aussi procéder à une importante réorganisation au sein de l’armée de Virginie septentrionale. Prenant enfin le temps de tirer les leçons de Seven Pines et des Sept Jours, le général Lee simplifia grandement sa chaîne de commandement. Il en profita pour faire le ménage parmi ses subordonnés, écartant ceux qui avaient montré leurs limites aux cours des combats précédents. Holmes fut placé à la tête du département militaire d’Outre-Mississippi, avec Huger comme inspecteur général de son artillerie – prestigieux placard ! Magruder fut également mis sous les ordres de Holmes, en tant que chef du district militaire du Texas, du Nouveau-Mexique et de l’Arizona. Quant à Whiting, au moins échappa-t-il à un poste lointain puisqu’il fut affecté à la défense de Wilmington, en Caroline du Nord. Par ailleurs, les nombreuses divisions de l’armée de Lee furent réparties entre deux ailes, la gauche étant confiée à Jackson et la droite à Longstreet.
Dès son arrivée sur le terrain, mi-juillet, John Pope s’aliéna la population virginienne par une série d’ordres qui la visait directement. L’armée de Virginie était confrontée aux agissements sporadiques de partisans confédérés, qui faisaient peser sur ses camps et ses lignes de ravitaillement une menace diffuse, mais permanente. Pope y réagit en ordonnant à son armée de vivre autant que possible sur le pays – disposition qui, deux ans plus tard, allait être courante, mais qui était encore nouvelle, et relativement choquante, en 1862. Faisant porter à la population locale la responsabilité des attaques des partisans, Pope ordonna que des réparations soient prélevées sur les biens des civils. Cette disposition génèrera tellement d’abus que Pope sera contraint de mettre en place des patrouilles pour arrêter les soldats nordistes qui se seraient livrés au pillage. Parallèlement, il obligea les civils à prêter un serment d’allégeance à l’Union, sous peine d’être chassés de leurs domiciles – les bannis risquant l’exécution sommaire s’ils revenaient.
Pope se fit également détester de nombre de ses officiers et d’une partie de ses soldats. Le 14 juillet 1862, il adressa à l’armée de Virginie une proclamation orgueilleuse qui, contrairement aux espérances de son auteur, n’était pas faite pour remonter le moral de l’armée. On pouvait y lire : « Je suis venu à vous de l’Ouest, où nous avons toujours vu les dos de nos ennemis ; d’une armée dont la tâche était de chercher l’ennemi et de le vaincre où qu’il se trouvait ; dont la stratégie était l’attaque et non la défense. […] D’ici là, je désire que vous écartiez de vos esprits certaines phrases, que je suis au regret de trouver à ce point en vogue parmi vous. J’entends constamment parler de "s’installer sur des positions solides et les tenir", de "lignes de repli" et de "bases de ravitaillement". Abandonnons de telles idées. […] Regardons devant nous, et non derrière. Le succès et la gloire sont à l’avant, le désastre et la honte rôdent à l’arrière. » Pourtant, le général nordiste n’allait pas tarder à connaître son lot de désastre et de honte.
L’heure du choix
Le jour même où Pope édictait sa funeste proclamation, il ordonna à son armée de marcher vers le sud. En cela, il ne faisait qu’appliquer les instructions de Lincoln. Le président nordiste entendait bien apporter à McClellan l’aide que celui-ci réclamait. Le but de la manœuvre était, dans un premier temps, d’attirer Lee loin de Harrison’s Landing, d’où McClellan pourrait alors de nouveau menacer Richmond. Parallèlement, le IXème Corps nouvellement créé irait renforcer l’armée de Virginie, ne laissant en Caroline du Nord que le strict minimum en troupes. À terme, les deux armées fédérales devraient pouvoir se rejoindre devant Richmond, totalisant un effectif de 140.000 hommes environ – 50.000 pour Pope, 90.000 pour McClellan. Lee, pour sa part, disposait de moins de 80.000 soldats, mais heureusement pour lui, ses adversaires l’ignoraient.
L’objectif des Nordistes était le nœud ferroviaire de Gordonsville, où ils pourraient couper la voie ferrée qui reliait Richmond au centre de la Virginie – le Virginia Central Railroad. Lee fut informé très tôt des mouvements ennemis. Il envoya sur place Jackson, avec les divisions Winder (quatre brigades) et Ewell (trois brigades) et une brigade de cavalerie commandée par Beverly Robertson, pour un total de 14.000 hommes. Ces forces atteignirent Gordonsville le 19 juillet, trois jours avant que l’avant-garde nordiste (la brigade de cavalerie de John Hatch) n’y parvienne. N’étant pas en mesure ne serait-ce que de détruire une petite portion de chemin de fer, les cavaliers bleus se replièrent promptement – ce qui valut à Hatch d’être aussitôt transféré dans une unité d’infanterie.
La situation en Virginie, fin juillet - début août 1862 (annotations de l'auteur sur une carte du Center for Military History de l'armée des États-Unis) :
1) 19 juillet : Jackson arrive à Gordonsville.
2) 22 juillet : prise de vitesse, la cavalerie nordiste de Hatch rebrousse chemin.
3) 26 juillet : Mosby informe Lee du transfert du IXème Corps de Burnside vers Aquia Creek.
4) 27 juillet : Lee envoie la division A.P. Hill renforcer Jackson en prévision d'une offensive.
5) 3 août : l'armée du Potomac commence à évacuer ses malades et ses blessés.
6) 7 août : Pope ordonne à ses trois corps d'armée de se concentrer à Culpeper.
7) 9 août : Banks et Jackson se rencontrent à Cedar Mountain, les Sudistes l'emportent. Jackson se replie peu après.
8) 13 août : certain que McClellan n'attaquera pas, Lee se met en route vers Gordonsville avec le reste de son armée.
9) 14 août : l'armée du Potomac commence à quitter la Péninsule.
10) Le IVème Corps reste sur place afin de protéger la forteresse Monroe.
Toutefois, ce mouvement avait permis de découvrir que l’armée confédérée était, au moins en partie, loin de Richmond. Ordre fut donc donné à McClellan de profiter de la situation en reprenant l’offensive contre la capitale sudiste. Mais le général objecta qu’il manquait de troupes pour cela, réclamant 50.000 hommes de plus pour être en mesure de passer à l’attaque. Lorsqu’il devint clair que McClellan ne bougerait pas, Lincoln et Halleck décidèrent de mettre un terme à l’infructueuse campagne de la Péninsule. Le 3 août, l’armée du Potomac reçut l’ordre de se préparer à quitter Harrison’s Landing pour Williamsburg. De là, elle serait transportée par bateau jusqu’à Aquia Creek, sur le Potomac, en aval de Washington. Seul le IVème Corps resterait dans la Péninsule pour protéger la forteresse Monroe.
De son côté, Robert Lee se trouvait face à un choix crucial. L’avancée de Pope, même timide, lui offrait une occasion tentante en mettant à sa portée l’armée de Virginie. D’un autre côté, l’armée du Potomac représentait toujours une menace, même si Lee doutait que McClellan fût désireux lui aussi d’attaquer. Emmener son armée loin de Richmond, la laissant exposée aux forces de McClellan, représentait malgré tout un risque non négligeable. Le 26 juillet, Lee reçut une information capitale de la part d’un officier de cavalerie, un des meilleurs éclaireurs du général Stuart, le capitaine John Singleton Mosby. Ce dernier avait été capturé peu de temps auparavant, mais venait d’être libéré dans le cadre d’un échange de prisonniers. Expert en renseignement, Mosby avait noté, sur le bateau qui le ramenait jusqu’aux lignes sudistes, de nombreux navires de transports remontant le Potomac et la baie de Chesapeake. Il en déduisit que Pope était en train d’être renforcé par des troupes transférées de Caroline du Nord, déduction qui s’avéra correcte.
Ces éléments s’avérèrent décisifs. Si Lee frappait l’armée de Virginie avant qu’elle ne soit renforcée par le IXème Corps, il avait une chance de la détruire. Certes, il prenait un risque en quittant Richmond. Mais s’il y restait pour y attendre que Pope et McClellan viennent l’attaquer de concert, il n’aurait pratiquement aucune chance de l’emporter. Il opta donc pour l’offensive. Dès le 27 juillet, il envoya la division d’A.P. Hill, sept brigades et 10.000 hommes, renforcer Jackson. Lee multiplia les reconnaissances pour s’assurer que McClellan n’allait pas bouger, ce qui devint de plus en plus probable après le 3 août, lorsque l’armée du Potomac commença à évacuer ses blessés et ses malades. Toutefois, la confirmation définitive ne viendrait qu’avec le départ des premières troupes nordistes, le 14 août.
L’armée de Virginie n’avait pas pour seule mission de marcher sur Gordonsville. Elle devait également couvrir les abords de Washington et garder le contrôle de la vallée de la Shenandoah. Pour cette raison, ses différentes composantes étaient très dispersées. Le 1er Corps campait non loin de Front Royal, dans la Vallée. Le 2ème était un peu plus à l’est, dispersé entre Little Washington et Culpeper. Le 3ème était en revanche beaucoup plus éloigné, étant resté autour de Fredericksburg. Pope se vit renouveler l’ordre de marcher sur Gordonsville, cette fois pour détourner l’attention des Confédérés pendant que McClellan évacuait Harrison’s Landing. Le 6 août, Pope fit converger ses forces sur Culpeper, d’où il marcherait ensuite en direction de Gordonsville.
La bataille de Cedar Mountain
Ses ordres, toutefois, ne furent pas exécutés comme ils auraient dû l’être. Sigel perdit toute une journée à demander confirmation de ses instructions à son supérieur, et par quelle route il devait marcher sur Culpeper – alors qu’il n’y en avait qu’une seule. Tant et si bien que le 1er Corps n’allait jouer aucun rôle dans l’engagement à venir. Quant au 3ème Corps, il serpentait sur les routes difficiles qui longeaient le Rappahanock, emmené par la division de James Ricketts. Banks, pour sa part, peina pour réunir ses propres forces. Le 8 août, il n’avait à Culpeper que 8.000 hommes à peine : la division de Christopher Augur, forte de trois brigades, et une fraction – deux brigades – de celle d’Alpheus Williams.
Bien renseigné par les partisans et la population locale, Jackson fut rapidement informé de la concentration en cours. Cette fois reposé et revenu de l’apathie qui avait été la sienne durant les Sept Jours, il n’hésita pas et décida d’attaquer Banks avant que le reste de l’armée nordiste ne le rejoigne à Culpeper. Le 7 août, il se mit en marche vers le nord avec le gros de ses forces, environ 17.000 hommes. Averti par ses piquets de cavalerie, Banks apprit bientôt que son ennemi lui était très supérieur en nombre. Comprenant qu’il n’avait aucune chance de l’emporter s’il demeurait sur la défensive, le général nordiste opta pour une solution téméraire : partir à la rencontre de Jackson. Banks avait d’autres motivations : battu à plates coutures par Jackson à Front Royal et à Winchester deux mois et demi plus tôt, il brûlait de prendre sa revanche. Sa décision était indubitablement audacieuse, et elle faillit réussir.
Bataille de Cedar Mountain, 9 août 1862. Carte du Civil War Preservation Trust.
Le 9 août, les troupes nordistes partent vers le sud-ouest. Alors qu’ils progressent lentement en direction de Culpeper, les Confédérés établissent le contact, dans l’après-midi, avec des éléments de la cavalerie fédérale déployés aux abords de Cedar Mountain, une hauteur qui domine les environs. La brigade de tête, celle de Jubal Early, ne les repousse que pour constater que derrière eux, l’artillerie nordiste est présente en force. Early s’installe le long d’un chemin reliant la ferme Crittenden à la maison d’un certain révérend Slaughter – un patronyme qui veut aussi dire « massacre » en anglais. Devant les Sudistes s’étend un vaste champ de blé moissonné qui descend en pente douce vers un petit ruisseau, le Cedar Run. Ewell envoie le reste de sa division – les Tigres de la Louisiane et la brigade Trimble – s’installer à sa droite sur Cedar Mountain, manœuvre qui prendra un certain temps.
La division Winder, pendant ce temps, vient se placer à la gauche d’Early : entre la brigade de William Taliaferro et celle de Thomas Garnett, Winder installe son artillerie, et cette dernière engage aussitôt un duel soutenu avec sa contrepartie nordiste. Alors que le général sudiste est en train de superviser le placement de ses batteries, un obus yankee explose juste à côté de lui. Tout le côté gauche de son corps est affreusement déchiqueté, des blessures auxquelles Winder ne survivra que quelques heures. Taliaferro le remplace, mais il n’est pas au courant des plans de Jackson et constate que la division n’est pas encore prête : la brigade Stonewall est en retrait, le flanc de la brigade T. Garnett est sans protection, et la division d’A.P. Hill est encore plus loin en arrière. C’est précisément le moment que choisit Banks pour lancer son attaque.
À 17 heures, la division Augur commence à traverser le champ qui la sépare des brigades Early et Taliaferro. La petite brigade de George Greene ayant été laissée en réserve pour couvrir l’aile gauche nordiste, l’attaque est menée par celles de John Geary et Henry Prince. La détermination de l’assaut surprend les Confédérés, qui commencent à reculer. Toutefois, à mesure que les Fédéraux progressent, ils se retrouvent en proie aux feux croisés de l’artillerie placée aux deux extrémités de la ligne sudiste. Les canons qui vident sur eux leurs boîtes à mitraille font des ravages parmi les Bleus, les pertes s’accumulent, Augur lui-même est blessé ainsi que ses deux commandants de brigade. Early parvient à rallier ses hommes et l’attaque, finalement, est repoussée.
Il en va différemment sur l’aile gauche sudiste. La division Williams est passée à l’attaque elle aussi, mais sa progression a été couverte par la forêt et la configuration du terrain. Lorsqu’elle émerge du sous-bois, elle est déjà dangereusement proche de la brigade T. Garnett. Pendant que Samuel Crawford l’assaille de front, George Gordon se lance dans un mouvement de flanc qui réussit, personne n’étant là pour couvrir la gauche sudiste. La manœuvre surprend les défenseurs, qui tentent de résister comme ils le peuvent. On en vient au corps à corps. Les Fédéraux ont le dessus et la brigade sudiste déroute. La panique se propage à la brigade Stonewall, qui vient juste d’arriver et n’est pas encore prête. Jackson doit faire reculer son artillerie pour éviter qu’elle ne soit submergée, puis il entreprend de rallier ses troupes. Brandissant une épée rouillée faute de servir et restée pour cette raison coincée dans son fourreau, le fantasque général sudiste parvient à produire l’effet escompté sur le moral de ses hommes.
La brigade Stonewall reformée parvient ainsi à repousser l’assaillant, et de chassée devient chasseresse. Ce faisant, elle se retrouve bientôt isolée et contre-attaquée à son tour, mais la gauche confédérée est sauvée. La division A.P. Hill a eu le temps d’arriver, et Jackson va l’employer au mieux pour changer le cours de la bataille. La division Williams ne tarde pas à être brisée derechef dans son élan par les brigades de James Archer et Dorsey Pender. Early et Taliaferro passent à l’attaque avec le soutien d’Edward Thomas sur leur droite. La division Williams en pleine retraite laisse exposé le flanc droit de celle d’Augur, qui est finalement assaillie par la brigade Branch. La défaite nordiste sera consommée lorsque Trimble, descendant de Cedar Mountain, repoussera la brigade Greene. À 19 heures, Banks est en pleine retraite. Le sacrifice d’un détachement de cavalerie nordiste lui permet de gagner quelques précieuses minutes et d’échapper à la destruction. L’arrivée tardive de la division Ricketts, vers 22 heures, met un terme à la poursuite.
Lee et le reste de l’armée de Virginie septentrionale arrivent à Gordonsville le 15 août. Sans attendre, le général sudiste décide de manœuvrer pour contourner l’aile gauche de Pope. À ce moment, les deux armées disposent d’effectifs sensiblement équivalents, de l’ordre de 55.000 hommes chacune. L’armée nordiste est solidement retranchée le long de la rivière Cedar Creek. L’idée générale de Lee est de tourner cette position en profitant du couvert fourni par une hauteur, Clark’s Mountain, et de franchir le Rapidan en aval de son confluent avec la Cedar Creek. Pour s’assurer de la faisabilité de la chose, Lee envoie en éclaireur la cavalerie de Stuart. Cette dernière forme à présent une division à part entière, constituée des brigades de Robertson et Fitzhugh Lee – ce dernier étant un neveu de Robert.
Guerre de manœuvres en Virginie
Toutefois, ce plan va tourner court. Faisant montre d’une légèreté qui allait encore le prendre en défaut plusieurs fois par la suite, J.E.B. Stuart se laisse imprudemment surprendre, dans la nuit du 17 au 18 août, par un raid de la cavalerie nordiste contre son propre camp. Stuart parvient à s’échapper, non sans voir son orgueil quelque peu écorné lorsque les Fédéraux s’emparent d’une partie de ses effets personnels. Il y a bien pire, cependant : un de ses aides de camp a été fait prisonnier, et il était porteur d’un ordre de Lee détaillant les opérations prévues. Pope exploite immédiatement cette information et, le 20 août, il déjoue la manœuvre sudiste en se retirant de quelques kilomètres vers le nord-est, derrière le Rappahannock.
Le même jour, l’armée du Potomac commence à évacuer la Péninsule. Le Vème Corps de Fitz-John Porter est le premier concerné et, le 22 août, il est au complet à Aquia Creek. Suivront, dans l’ordre, le IIIème, le VIème et le IIème Corps, ce dernier entamant son mouvement le 26 août. Aussitôt débarqué, Porter reçoit l’ordre de rejoindre Pope sur le Rappahannock. Tandis que la division des Pennsylvania Reserves est transférée au 3ème Corps de McDowell, le Vème Corps vient renforcer les défenses nordistes, portant les effectifs totaux de l’armée de Virginie à près de 75.000 hommes. Pour le général Lee, le temps presse : s’il tarde trop à attaquer, son adversaire sera dangereusement supérieur en nombre. Il charge donc Stuart de multiplier les reconnaissances pour déceler un point faible dans la ligne nordiste.
Le 22 août offre au chef de la cavalerie sudiste l’occasion de se venger de l’affront qu’il a subi quelques jours plus tôt. Débordant l’aile droite fédérale, il pousse jusqu’au quartier général de Pope. Le général nordiste est absent, mais Stuart a la satisfaction de s’emparer de son… uniforme de parade. Le raid des Confédérés, pourtant, est moins futile qu’il n’y paraît : il montre que la droite nordiste est « en l’air » et qu’elle peut être facilement tournée. Une idée encore plus audacieuse que la précédente germe alors dans l’esprit de Lee : contourner entièrement l’armée ennemie pour aboutir sur ses arrières. Il ne s’agit pas d’une simple attaque de flanc : l’armée confédérée devra remonter le Rappahanock en direction du nord, emprunter l’étroite vallée qui sépare la chaîne du Blue Ridge des monts du Bull Run, avant d’obliquer vers l’est pour déboucher à la hauteur de Manassas après avoir franchi la cluse de Thoroughfare.
Pour éviter que Pope ne se doute de quelque chose et ne surprenne les Sudistes au beau milieu de cette périlleuse manœuvre, celle-ci devra se faire en deux temps. Jackson partira en premier, suivi deux jours plus tard par Longstreet et le reste de l’armée. Pour détourner l’attention des Fédéraux, une série de petites démonstrations est menée, du 22 au 25 août, à la hauteur de Rappahannock Station – l’endroit où la voie ferrée de l’Orange & Alexandria Railroad enjambe la rivière. Pope mord à l’hameçon : persuadé que Lee prépare une attaque dans ce secteur, il y fait renforcer ses défenses. Le général nordiste envisage même de passer à l’attaque, mais il en est finalement dissuadé par de fortes pluies qui viennent grossir les eaux du Rappahannock.
Panique à Manassas
L’aile gauche, que commande Jackson, se met en marche à l’aube du 25 août dans la plus grande discrétion. Fidèle à son habitude, Jackson n’a pas informé ses commandants de division de leur destination. Mais cette fois, l’opération a été planifiée avec soin et se déroule à la perfection. Plus tard, Taliaferro allait résumer les ordres qu’il avait reçus en ces termes : « Marchez jusqu’au carrefour ; un officier d’état-major vous y indiquera quelle direction prendre ; et ainsi de suite jusqu’à la bifurcation suivante, où vous trouverez une estafette munie d’un ordre scellé vous précisant la route à suivre. » La colonne sudiste s’étire sur plusieurs kilomètres, mais elle progresse sans rencontrer d’opposition. Le soir venu, elle a déjà parcouru plus de quarante kilomètres. Elle en fera soixante de plus le lendemain – le double de ce qui est généralement considéré comme une progression journalière normale. Une nouvelle fois, l’infanterie de Jackson a mérité son surnom de « cavalerie à pied » !
Le 26 août en fin d’après-midi, les éléments de tête coupent l’Orange & Alexandria Railroad à Bristoe Station, après avoir couvert près de cent kilomètres en 36 heures. Poursuivant sur sa lancée, Jackson, qui a été rejoint quelques heures plus tôt par Stuart, lance la brigade Trimble sur l’immense dépôt que les forces nordistes ont installé à Manassas. Elle y capture plusieurs centaines d’hommes, huit pièces d’artillerie, des monceaux de vivres et d’équipement, ainsi qu’environ 200 esclaves fugitifs. Les Confédérés, qui n’ont amené avec eux que trois jours de rations, en profitent pour faire bombance durant toute la journée du 27, avant d’incendier tout ce qu’ils ne peuvent emporter. La veille, Longstreet s’était mis en route à son tour pour venir les rejoindre, sans être inquiété – mais avec une célérité moindre.
Situation stratégique en Virginie durant la deuxième quinzaine d'août 1862 (annotations de l'auteur sur une carte du Center for Military History de l'armée des États-Unis) :
1) 15 août : Lee et le gros de l'armée de Virginie septentrionale arrivent à Gordonsville.
2) 18 août : Stuart se fait surprendre par un raid de cavalerie nordiste alors qu'il sonde la gauche nordiste.
3) 20 août : Pope déjoue la manoeuvre de Lee en se retirant derrière le Rappahannock.
4) 22 août : le Vème Corps débarque à Aquia Creek et part aussitôt renforcer l'armée de Virginie.
5) 22 août : Stuart effectue une reconnaissance contre la droite nordiste et découvre qu'elle n'est pas protégée.
6) 22-25 août : en prévision de sa manoeuvre de flanc, Lee lance une série d'attaques de diversion à Rappahannock Station.
7) 25 août : Jackson entame sa marche sur Manassas via la cluse de Thoroughfare.
8) 26 août : Jackson prend Manassas et Bristoe Station après avoir couvert une centaine de kilomètres en deux jours.
9) 26 août : le reste de l'armée du Potomac continue à débarquer à Washington.
10) 27 août : la brigade de G.W. Taylor est repoussée en tentant de reprendre Manassas.
11) 27 août : les divisions Hooker et Ewell s'affrontent à Bristoe Station.
12) 27 août : Lee et Longstreet se mettent en route à leur tour pour aller rejoindre Jackson.
13) 27 août : Pope ordonne à son armée de se replier jusqu'à Manassas mais néglige de bloquer la cluse de Thoroughfare.
14) 28 août : Jackson quitte Manassas et gagne une nouvelle position sur Stony Ridge.
15) 28 août : Longstreet chasse la cavalerie nordiste et la division Ricketts de la cluse de Thoroughfare, s'ouvrant un chemin pour rejoindre Jackson.
16) 28 août : pour inciter Pope à l'attaquer, Jackson intercepte la division King, déclenchant la bataille de Groveton.
De son côté, Pope ne réalise pas la situation. Croyant à un simple raid de cavalerie sur ses arrières, il fait venir de Washington un élément du VIème Corps fraîchement débarqué, en l’occurrence la New Jersey Brigade de George W. Taylor. Naturellement, la brigade est écrasée lorsqu’elle tente, le 27 août, de déloger les Sudistes de Manassas, et Taylor est mortellement blessé. Pope comprend alors que quelque chose cloche, mais il ne sait pas exactement quoi. Il est mal renseigné, car sa cavalerie est dispersée à raison d’une brigade pour chacun de ses trois corps d’armée. Le IIIème Corps, partiellement débarqué à Alexandria, est en train de venir le rejoindre sur le Rappahannock. Pope ordonne à sa division de tête, celle de Hooker, de faire demi-tour pour aller voir ce qu’il en est du côté de Manassas. Dans l’après-midi, Hooker accroche brièvement la division Ewell, que Jackson a déployée à Bristoe Station pour protéger son flanc droit.
Pope obtient ainsi confirmation que c’est l’aile de Jackson toute entière qui est présente à Manassas. Parallèlement, il apprend également que Longstreet a, lui aussi, entrepris de contourner son aile droite, ne laissant que la division de R.H. Anderson comme arrière-garde. S’il est trop tard pour frapper Longstreet, en revanche, il demeure possible d’écraser Jackson tant qu’il demeure isolé. Par conséquent, Pope ordonne à toutes ses forces de converger vers cette localité, abandonnant ses positions sur le Rappahannock. Espérant prendre son ennemi au piège, il fait emprunter à ses troupes des routes différentes afin de ne lui laisser aucune échappatoire. Ce faisant, il fait transiter le 1er Corps de Sigel et le 3ème Corps de McDowell par une route qui leur permettrait de couper la cluse de Thoroughfare.
Pope tient là une occasion unique de bloquer le passage aux forces de Longstreet à peu de frais. Mais, persuadé de pouvoir écraser Jackson avant son arrivée, il néglige complètement cette opportunité. Ce sera l’une des pires erreurs commises par le commandement nordiste de toute la guerre. La seule action entreprise par les Fédéraux au niveau de la cluse de Thoroughfare sera d’y poster un régiment de cavalerie, qui en sera chassé au bout de quelques heures seulement, dans la matinée du 28 août, par les premiers éléments de Longstreet. La division Ricketts enverra quelques régiments pour soutenir les cavaliers fédéraux, mais il seront très vite dépassés en nombre et obligés de battre en retraite. Ce faisant, Ricketts laissait aux Confédérés l’opportunité d’aller rejoindre Jackson, au prix de quelques heures perdues seulement pour Longstreet.
La bataille de Groveton
En cette même journée du 28 août, Jackson se trouve sur une nouvelle position, qu’il a occupée durant la nuit. Il s’agit d’une petite hauteur baptisée Stony Ridge, non loin de la route à péage de Warrenton et du gué de Sudley Springs – à quelques encablures, en fait, des lieux où Jackson s’est illustré treize mois auparavant lors de la première bataille de Bull Run. Le général sudiste a trouvé là, à une dizaine de kilomètres au nord-ouest de Manassas, tout ce dont il a besoin. Il est un peu plus près de Longstreet, lui-même à moins d’une journée de marche désormais. Il peut menacer le flanc de l’armée nordiste, encore en plein mouvement, sans trop s’exposer lui-même. Enfin, en cas d’attaque ennemie, sa position est suffisamment solide pour lui permettre de résister assez longtemps pour que Longstreet arrive à son secours : elle s’appuie sur le talus d’une voie ferrée inachevée, sa gauche est ancrée sur le Bull Run, et la colline dans son dos permet d’y déployer de l’artillerie.
L’après-midi est déjà bien avancé lorsque les Confédérés ont la chance de capturer une estafette porteuse d’ordres détaillés, indiquant que Pope est en train de concentrer ses forces à Manassas, ainsi que les routes suivies par ses différents corps d’armée. Or, une partie du 3ème Corps doit justement passer par la route à péage de Warrenton, juste sous le nez des Sudistes. L’information est communiquée à Jackson alors qu’il est en train de faire la sieste. Mais le Jackson somnolent des Sept Jours est bien oublié : saisissant immédiatement l’opportunité qui lui est offerte, il ordonne à Taliaferro d’attaquer avec le soutien d’Ewell. Il craint en effet que Pope ne parvienne à s’échapper avant que Longstreet ne le rejoigne, et veut à tout prix l’empêcher de regrouper ses forces.
Les troupes sudistes se placent en embuscade, non loin de la route, mais rien ne vient. Ce n’est que vers 18 heures qu’une colonne nordiste débouche enfin au pied de Stony Ridge : c’est la division de Rufus King, qui constitue l’aile gauche du 3ème Corps. Elle est forte de quatre brigades commandées respectivement par John Hatch, John Gibbon, Abner Doubleday et Marsena Patrick. Leur supérieur, King, est absent, ayant été victime d’une crise d’épilepsie quelques heures plus tôt – tant et si bien que ses subordonnés vont devoir coordonner leurs efforts eux-mêmes, avec plus ou moins de bonheur, pour faire face à l’attaque qui les vise. À la tête du 3ème Corps, McDowell aussi est absent, s’étant semble-t-il perdu. Les forces nordistes vont donc manquer cruellement de coordination dans les combats à venir, et ce n’est qu’un début.
Les hommes de Gibbon – trois régiments du Wisconsin et un de l’Indiana – n’ont encore jamais vu le feu, mais ils sont connus dans l’armée de Virginie comme les Black Hats (« Chapeaux noirs »), parce qu’ils portent le seyant mais inconfortable chapeau modèle 1858 (dit « chapeau Hardee ») en lieu et place du képi utilisé par la majorité des troupes nordistes. Leur chef croit initialement que les canons qui leur tirent dessus ne sont là que pour les harceler et ne pense pas que l’ennemi est présent en force. De sa propre initiative, il envoie donc un de ses régiments réduire la batterie ennemie au silence… mais c’est pour être accueilli par une salve meurtrière de la brigade Stonewall, désormais commandée par William Baylor. Loin de se décontenancer, les Fédéraux ripostent à leur tour, et la bataille s’engage.
La bataille de Groveton (ou Brawner's Farm), 28 août 1862. Carte de Hal Jespersen (www.cwmaps.org).
Pendant que les batteries nordistes détellent leurs pièces et commencent à contrebattre l’artillerie confédérée, les deux camps font entrer en jeu leurs renforts. Gibbon étire sa brigade pour tenir une ligne allant de la ferme Brawner au village de Groveton, colmatant les brèches avec deux régiments de la brigade Doubleday. C’est la seule aide qu’il obtiendra de toute la division : Hatch a poursuivi sa route, tandis que les hommes de Patrick perdent leur sang-froid sous le feu des canons sudistes et refusent d’avancer. De son côté, Jackson va concentrer contre Gibbon pas moins de cinq brigades, celles de Baylor, Alexander Lawton, Isaac Trimble, Alexander Taliaferro – un parent de William qui lui avait succédé à la tête de sa brigade – et William Starke.
Les deux lignes s’approchent à moins de cent mètres l’une de l’autre, mais aucun des deux belligérants ne parvient à prendre l’avantage. Là où la plupart des êtres humains normalement constitués résisteraient au mieux quelques minutes avant de craquer, les soldats nordistes et leurs ennemis continuent à se fusiller à courte distance pendant plus de deux heures. En l’absence quasi complète de couvert, les pertes sont terribles : les Black Hats déplorent 148 tués, 626 blessés et 120 disparus – soit près de 900 hommes sur 2.000 présents avant le combat. En tout, 2.400 hommes sont tués ou blessés – à peu près autant de Nordistes que de Sudistes – soit un tiers des effectifs totaux engagés. Parmi les victimes, les généraux Taliaferro et Ewell sont tous deux grièvement blessés. C’est le second qui est le plus sérieusement atteint : fracassée par une balle, sa jambe gauche devra être amputée, ajoutant une jambe de bois à la déjà longue liste de ses incongruités.
Le général Pope n’apprend la position réelle des troupes de McDowell que le 29 août à 5 heures du matin, lorsque le 3ème Corps arrive à Manassas. Le Vème Corps de Fitz-John Porter s’y trouve également. Il ordonne aussitôt à ces deux corps d’armée de faire demi-tour dès que possible, afin d’aller couper la route de Jackson avant qu’il ne se retire. Le 1er Corps, qui campe non loin de Groveton, est également impliqué : il devra attaquer Jackson pour le fixer. Des renforts importants viendront à son soutien : le IIIème Corps de l’armée du Potomac, ainsi que des éléments du IXème Corps. Pope ignore encore où se trouve Longstreet, mais cela ne le préoccupe guère. Il est convaincu de pouvoir prendre Jackson au piège et le détruire dans la journée. Un an, un mois et huit jours après le premier combat, le champ de bataille de Bull Run était prêt à connaître un nouvel affrontement majeur.
Premières attaques
Les hommes de Franz Sigel passent la nuit sur les pentes de Henry House Hill, là-même où s’étaient livrés les plus durs combats de la bataille de l’année précédente. Ils lèvent le camp dès 5 heures 30 et marchent droit à l’ennemi, distant de quelques kilomètres seulement. La majorité des régiments du 1er Corps sont recrutés parmi des immigrants allemands de fraîche date ou des Américains d’origine allemande. Ils en gardent une forte identité, et pour des raisons politiques, les généraux nommés pour les commander sont souvent d’ascendance allemande eux-mêmes – à commencer par Sigel. Sensibles à l’idéologie du Free Soil et du parti républicain, ils ont appliqué avec un zèle parfois excessif les ordres de Pope relatifs à l’occupation de la Virginie. Ce faisant, ils se sont fait détester de la population locale, et leur appartenance ethnique n’a fait qu’exacerber cette réputation – la comparaison avec les « Hessois », les mercenaires allemands au service de la Grande-Bretagne durant la guerre d’Indépendance, ayant été rapidement faite.
Sigel, dont le corps d’armée n’est pas au complet, dispose de sept brigades dont une de cavalerie. Il a déployé la division de Carl Schurz à droite avec deux brigades, et celle de Robert Schenck à gauche avec deux autres. Pour assurer la jonction entre les deux, la brigade indépendante mixte de Robert Milroy tient le centre. De la division d’Adolph von Steinwehr, lui-même absent, n’est disponible que la brigade de John Koltes, que Sigel tiendra dans un premier temps en réserve. Sur la gauche de ce dispositif, la division des Pennsylvania Reserves agira en flanc-garde. Tout juste transférée du Vème Corps au 3ème, elle est à présent commandée par John F. Reynolds, qui vient de bénéficier d’un échange de prisonniers après sa capture à Gaines’ Mill. Sa mission sera surtout d’assurer la liaison avec les 3ème et Vème Corps, dont le vaste mouvement tournant doit permettre d’envelopper les forces de Jackson.
Les IIIème et IXème Corps, pour leur part, doivent arriver incessamment de Centreville et couvrir le flanc droit de Sigel. Ne bénéficiant pas encore de leur soutien, et ne connaissant pas la position exacte et la force réelle des Confédérés, le commandant du 1er Corps se montre initialement prudent. Si les premiers combats commencent vers 7 heures, il s’agit principalement d’escarmouches entre tirailleurs et de reconnaissances en force. De fait, Jackson, dans son rapport, ne notera rien de sérieux avant 10 heures. Sa ligne s’étend sur près de trois kilomètres, bien trop pour que le 1er Corps nordiste puisse constituer à lui seul une menace. Sur la gauche sudiste, A.P. Hill a déployé ses six brigades sur deux lignes. Lawton, qui a succédé à Ewell, tient le centre avec quatre brigades, tandis que Starke commande désormais la division Taliaferro sur la droite – quatre brigades également. Son flanc droit est en l’air, mais Jackson a compensé ce fait en y massant la majeure partie de son artillerie.
Seconde bataille de Bull Run, 29 août 1862. Situation entre 7 heures et 10 heures. Cette carte et les suivantes ont été réalisées par l'auteur sur un fond de Hal Jespersen (www.cwmaps.org).
Durant les trois heures qui suivent, les combats gagnent progressivement en intensité. L’échelle des engagements successifs reste cependant mineure : sur le terrain, les commandants de brigade n’engagent leurs régiments que les uns après les autres. De surcroît, les différentes brigades nordistes ne se soutiennent pas entre elles et attaquent des points distincts de la ligne confédérée. Celles de la division Schurz, commandées par Wlodzimierz Krzyzanowski et Alexander Schimmelfennig, se heurtent à la gauche confédérée, essentiellement les brigades d’Edward Thomas et Maxcy Gregg. Celles-ci tiennent bon. Plutôt que de monter une défense statique, les Confédérés contre-attaquent dès qu’ils le peuvent. Sigel rapportera ainsi trois contre-attaques, et les combats de la matinée prendront l’apparence d’allers-retours incessants à travers les bois qui parsèment les abords de la voie ferrée inachevée. Les Sudistes, cependant, conservent l’avantage.
Afflux de renforts
La bataille va prendre une nouvelle ampleur à partir de 10 heures. Tout commence avec l’arrivée des premiers éléments du IIIème Corps nordiste – en l’occurrence la division Kearny et ses trois brigades. Elle vient se placer aussitôt sur la droite du dispositif fédéral, ce qui pousse Sigel à renouveler aussitôt son attaque en comptant sur le soutien de Kearny. Mais celui-ci ne viendra pas. D’ordinaire si prompt à marcher au son du canon, le bouillant sabreur restera inexplicablement l’arme au pied durant la plus grande partie de la journée. Bien que Kearny n’allait pas vivre assez longtemps pour s’expliquer sur cette inhabituelle apathie, cette dernière est aujourd’hui généralement attribuée à une inimitié personnelle entre lui et Sigel. En fin de matinée, Kearny se contentera de faire sonder l’extrémité gauche de la ligne sudiste par la brigade d’Orlando Poe, qui livrera de légères escarmouches à des éléments de cavalerie confédérés le long du Bull Run.
Il s’agit en fait de la brigade de Fitzugh Lee, tout juste arrivée. Sa présence est le signe de la venue imminente des troupes de Longstreet, dont la division de cavalerie de Stuart constitue l’avant-garde. De fait, au moment où Kearny déploie ses forces sur l’aile droite nordiste, les deux brigades de la division sudiste de John Bell Hood établissent, à l’autre bout du champ de bataille, le contact avec les forces de Jackson. Ni Lee, ni Pope ne sont encore sur le terrain en personne, et la jonction entre les deux ailes confédérées se fait à l’insu du commandant en chef nordiste. Il aurait pourtant pu en être informé plus tôt. Dès 8 heures du matin, des éléments de la brigade de cavalerie de John Buford avaient observé une importante colonne sudiste traverser le village de Gainesville, à quelques kilomètres plus à l’ouest seulement. Cette information, toutefois, ne sera rapportée à McDowell qu’en début d’après-midi, et celui-ci négligera de la transmettre à Pope jusqu’à la fin de la journée.
Pendant ce temps, les combats le long de la voie ferrée inachevée se poursuivent. Alors que la brigade Gregg rejette une nouvelle fois les Nordistes sur leurs positions de départ, Milroy parvient à s’infiltrer dans un petit vallon boisé, surnommé « the Dump », entre les brigades Lawton (à présent commandée par Marcellus Douglass) et Trimble. Celles-ci se regroupent pour contre-attaquer, et Milroy se retrouve bientôt en fâcheuse posture. Il finit par être éjecté de la brèche, mais la riposte des Confédérés leur aura néanmoins coûté Isaac Trimble. Une de ses jambes est passablement déchiquetée par une balle Minié et le général sudiste évitera de justesse l’amputation.
Pour soutenir Milroy en plein recul, Sigel ordonne à Schenck de se porter à son secours. Jusque-là, sa division n’a guère été engagée, la concentration de canons sudistes dans son secteur l’ayant dissuadé d’attaquer plus franchement. Les deux brigades de Schenck, commandées respectivement par Julius Stahel et Nathaniel McLean, ne progresseront guère, toujours par la même raison : l’artillerie confédérée les accueille par un feu nourri et menace de les prendre en enfilade durant leur marche d’approche. Engagé à son tour pour soulager Schenck, Reynolds fera preuve de la même prudence. Il se contentera de faire avancer une de ses batteries, sous la protection de la brigade Meade. Après 10 heures 30, la bataille se limitera dans ce secteur à un duel d’artillerie. Sigel, pour sa part, stoppera la contre-attaque sudiste en engageant la brigade Koltes et en faisant un usage judicieux de sa propre artillerie.
Peu avant midi, la division de tête du IXème Corps nordiste, celle d’Isaac Stevens, arrive à son tour à pied d’œuvre avec trois brigades. Sigel, qui est toujours l’officier le plus élevé en grade présent sur le terrain, y voit une excellente occasion de renverser la situation. Il place les hommes de Stevens de part et d’autre de la position tenue par Milroy et ordonne une nouvelle attaque. Il demande également l’appui de Kearny, et ce dernier reçoit un ordre explicite en ce sens de la part de son supérieur direct, Heintzelmann. Derechef, Kearny ne bougera pratiquement pas. Son action pendant l’attaque à venir se limitera à des accrochages entre tirailleurs sur le front de la brigade de David Birney. Pendant ce temps, les hommes de Sigel et de Stevens réussissent à refouler les Confédérés jusque derrière la voie ferrée inachevée, mais ne parviendront pas à la franchir. Lorsque cette action prend fin, la seconde bataille de Bull Run marque une première pause.
Un ordre contradictoire
À peu près au même moment, Pope arrive en personne sur le champ de bataille. Il ordonne au IIIème Corps de relever le 1er, très éprouvé par les combats de la matinée. En conséquence, Kearny étend ses lignes sur sa gauche en déployant la brigade de John C. Robinson. Dans l’heure et demie qui suit, l’autre division du IIIème Corps, celle de Hooker, vient se placer à ses côtés avec trois brigades. Au centre, Pope place le IXème Corps, dont l’effectif a été porté à cinq brigades avec l’arrivée d’une division que Jesse Reno commande personnellement. L’aile gauche, pour sa part, demeure formée par les Pennsylvaniens de Reynolds. À ce stade, Pope ne s’est aucunement départi de la confiance qui était la sienne jusque-là. Il ne se soucie nullement de Longstreet, et sa plus grande crainte est de voir Jackson parvenir à s’échapper avant qu’il soit parvenu à l’écraser complètement.
Pope ignore donc complètement que son homologue confédéré est arrivé sur le lieu des combats en même temps que lui. Lee n’est pas seul : à la mi-journée, la quasi-totalité de l’aile commandée par Longstreet est venue se placer à droite de celle de Jackson, faisant peser comme une épée de Damoclès sur le flanc gauche dégarni des Nordistes. Le général en chef sudiste est enclin à lancer en avant cette force sans plus attendre. Longstreet, toutefois, émet un avis défavorable : l’état-major confédéré ignore la position complète des Fédéraux, et une attaque prématurée pourrait exposer l’aile droite toute entière si les Nordistes sont eux-mêmes en train d’effectuer un mouvement tournant. Lee finit par se ranger à cet avis et décide d’attendre. Sa décision restera sans conséquence négative, car le gros des forces de Longstreet reste masqué à la vue des Nordistes par le relief et la végétation.
Seconde bataille de Bull Run, 29 août 1862. Situation entre 12 heures et 15 heures.
La suite des événements ne va pas tarder à donner raison à Longstreet. Aux environs de 13 heures, la brigade de cavalerie de Robertson, qui couvre l’extrémité gauche de l’armée sudiste, accroche les cavaliers fédéraux de George Bayard sur la route que relie Manassas à Gainesville. Il ne s’agit en fait que de l’avant-garde des 3ème et Vème Corps, quatorze brigades en tout, qui effectue là le mouvement que Pope a ordonné à Porter et McDowell en tout début de matinée. Cette force formidable pourrait écraser les cavaliers sudistes sans difficulté et tourner la droite confédérée, renversant complètement la situation générale. Mais il n’en sera rien. La longue colonne nordiste « cale » et s’arrête complètement après quelques coups de canons seulement.
Deux facteurs principaux expliquent cette immobilisation. Le premier, qui donnera lieu à des controverses sans fin après la guerre, est Pope lui-même. L’ordre qu’il a donné à ses deux subordonnés, surnommé pour cette raison « l’ordre commun » (Joint Order) avait été particulièrement mal formulé. À aucun moment, il ne donnait l’instruction explicite d’attaquer. Pire, il comprenait trois points principaux parfaitement contradictoires entre eux : Porter et McDowell devaient à la fois marcher en direction de Gainesville, s’arrêter dès qu’ils établiraient le contact avec Reynolds sur leur droite, et se préparer à se retirer vers l’est, en direction de Centreville… tout ceci alors que l’intention de Pope était de leur faire attaquer l’aile droite de Jackson ! Pour couronner le tout, « l’ordre commun » laissait aussi à ses destinataires toute latitude pour ne pas en exécuter les dispositions, dès lors qu’il pouvait en résulter un avantage suffisant.
Dans ces conditions, on comprend que Porter et McDowell aient été poussés à improviser – ce qu’ils allaient faire, en fin de compte. Peu après que Bayard ait établi le contact, McDowell reçoit le message de Buford l’informant que les Confédérés sont présents en force à Gainesville. Sur ces entrefaites, Stuart, qui est présent en personne avec les hommes de Robertson, a recours à une ruse : « J’attendis son approche assez longtemps pour que je puisse assurer qu’il y avait là au moins un corps d’armée, tout en occupant des détachements de cavalerie à traîner des buissons le long de la route menant à Gainesville, pour tromper l’ennemi ». C’est le second facteur décisif : les nuages de poussière soulevés par ce stratagème persuadent Porter et McDowell qu’ils font face à des forces considérables, et que la position de l’ennemi est solide. Stuart gagne ainsi assez de temps pour informer Lee de la situation sur l’aile droite, et le commandant en chef sudiste peut ainsi décaler les forces de Longstreet vers la droite, en y expédiant notamment les divisions de James Kemper et Cadmus Wilcox.
En début d’après-midi, le 29 août 1862, le champ de bataille de Bull Run est entouré d’un silence précaire, entrecoupé par les coups de feu épars des tirailleurs des deux camps et les décharges intermittentes de canons réglant leurs tirs. Ce calme excessif inquiète et fait enrager Pope, qui estime que Porter et McDowell devraient déjà être en train d’attaquer l’aile droite sudiste. Les communications sur la gauche de l’Union sont mauvaises, et Pope demeure dans l’ignorance de la situation réelle, n’ayant pas reçu d’informations de ses subordonnés. De son côté, Lee veut profiter de la pause que connaît le combat pour lancer l’aile de Longstreet dans la bataille, mais ce dernier s’y montre à nouveau hostile. Il cite cette fois la menace que représentent les puissantes forces nordistes que Stuart vient d’arrêter sur la route de Gainesville. De nouveau, Lee préfère finalement écouter l’avis de son lieutenant, et ses soldats restent l’arme au pied.
Attaques sans soutien
Pope, malgré l’absence de nouvelles de la part de son aile gauche, ne saura pas s’adapter aux rapides changements qui se produisent durant la journée du 29. Accroché à son plan initial – et à l’idée très orientée qu’il se fait de la situation – comme une moule à son rocher, il continuera à attendre que Porter et McDowell attaquent, comme prévu, la droite de Jackson. Sur l’autre aile, Pope va par conséquent se borner à ordonner des attaques limitées, dans le seul but de fixer Jackson et de l’empêcher de battre en retraite. Ces assauts – il y en aura quatre en tout – ne seront pas simultanés, ne viseront pas les mêmes points de la ligne confédérée, ne se verront fourni que peu de soutien, et aucun des succès qui en résulteront ne sera exploité. Tout ceci parce que dans l’idée de Pope, ils ne doivent servir qu’à retenir son adversaire et certainement pas à l’enfoncer – c’est là le travail de Porter et McDowell. Et aussi, parce que le commandement nordiste ne saura pas coordonner ses efforts.
Vers 14 heures, les IIIème et IXème Corps ont fini de relever en première ligne les soldats épuisés de Sigel. Heintzelmann ordonne à ses deux divisions d’attaquer de concert la gauche sudiste, mais comme cela avait déjà été le cas durant la matinée, Kearny ne bougera pas d’un pouce. Seule la division Hooker fera mouvement. Son commandant, qu’une erreur de transcription dans un journal nordiste a fait surnommer Fighting Joe (« Joe le battant »), se départit de son agressivité habituelle en sélectionnant une seule de ses brigades pour mener à bien l’opération. Composée de trois régiments du Massachusetts, un du New Hampshire et un de Pennsylvanie, elle va devoir avancer sans le soutien des deux autres brigades de la division. Qu’à cela ne tienne, son chef Cuvier Grover ordonne à ses quelque 2.000 soldats de charger leurs fusils, puis de mettre baïonnette au canon.
Disciplinés, les Nordistes exécutent à la lettre les instructions de leur chef et attaquent à 15 heures. Subissant sans broncher le feu de leurs adversaires, ils s’approchent de la voie ferrée inachevée, marquent une courte pause, vident leurs mousquets en une seule salve, et se ruent en avant. Le hasard fait bien les choses : la charge de Grover frappe les lignes confédérées à la jonction entre les brigades Thomas et Gregg. Les Fédéraux prennent pied de l’autre côté du talus de la voir ferrée, et après un bref corps-à-corps, repoussent les Sudistes et se mettent à les poursuivre, enthousiastes. Edward Thomas tente de rallier ses régiments de réserve, mais sa deuxième ligne est enfoncée avant qu’il n’ait pu faire quoi que ce soit et sa brigade est mise en déroute en quelques minutes seulement.
Seconde bataille de Bull Run, 29 août 1862. Situation de 15 heures à 16 heures.
1) La brigade Grover charge à la baïonnette et enfonce la position tenue par la brigade Thomas.
2) La brigade Pender contre-attaque et refoule les Nordistes.
3) L'intervention d'A. Farnsworth met un terme à la poursuite sudiste et permet à Grover de reformer sa brigade.
4) La division J.F. Reynolds avance contre la droite sudiste.
5) Flanquée de manière inopinée par la brigade M. Jenkins, elle doit stopper rapidement sa progression.
Heureusement pour la Confédération, derrière lui se trouve la brigade Pender, encore fraîche. Elle contre-attaque aussitôt, et une brève, mais intense fusillade scelle le sort de la courageuse, mais inutile charge de Grover et de ses hommes. Stoppés, les Nordistes sont ensuite repoussés jusqu’au talus, puis au-delà. L’intervention de la brigade d’Addison Farnsworth, de la division Stevens, leur permettra de reformer les rangs à l’abri de la poursuite de l’ennemi. L’ensemble de l’engagement n’a pas pris plus de vingt minutes, pendant lesquelles la brigade Grover a perdu pratiquement le quart de son effectif. Les Confédérés eux aussi ont souffert : la brigade Thomas est pour ainsi dire hors de combat, et celle de Pender a eu fort à faire.
Aussitôt après, une autre attaque nordiste est lancée, cette fois par la division Reynolds, jusque-là presque pas engagée. Elle met en œuvre les brigades et de Truman Seymour et Conrad Jackson, mais tourne court : les soldats fédéraux sont accueillis plus tôt que prévu par une salve nourrie provenant d’une unité sudiste bien dissimulée. L’effet est suffisant pour dissuader les assaillants d’aller plus avant. Comme ses subordonnés, Reynolds s’inquiète : il n’est pas censé y avoir de forces confédérées importantes à cet endroit. Persuadé d’être tombé sur les forces de Longstreet, il en informe Pope. Ce dernier, toujours aveuglé par son idée très personnelle de la situation, réfute l’affirmation de Reynolds : pour le commandant de l’armée de Virginie, le chef des Pennsylvania Reserves s’est mépris et a pris pour des Sudistes les hommes de Porter ou de McDowell, en train d’envelopper l’armée de Jackson ! En réalité, c’est Pope qui se méprend. La mystérieuse unité qui a fait feu sur les hommes de Reynolds est la brigade de Micah Jenkins, division Kemper, de l’aile de Longstreet.
Inutile courage
Pendant que John Pope néglige ce renseignement capital, les combats continuent le long de la voie ferrée inachevée. Cette fois, c’est le IXème Corps qui est impliqué. Le fer de lance de cette nouvelle attaque est formé par la brigade de James Nagle. Reno a laissé l’autre brigade de sa division personnelle, celle d’Edward Ferrero, en réserve, mais il est parvenu à convaincre Hooker de lui prêter la brigade de Nelson Taylor pour soutenir Nagle. Sur la droite, l’attaque bénéficiera du soutien de Stevens, qui engagera la petite brigade de Daniel Leasure, réduite à un régiment et demi. L’action commence aux alentours de 16 heures. Mieux soutenue et presque convenablement coordonnée, elle va donner du fil à retordre aux défenseurs sudistes.
Comme Milroy le matin même, Nagle s’abat sur « the Dump » et en particulier sur la brigade Trimble. Cette dernière est mal remise des rudes combats qu’elle a livrés quelques heures plus tôt au même endroit. Désorganisée par la blessure de son chef, elle est commandée par un simple capitaine de son état-major. Dans ces conditions, les troupes fraîches de Nagle ont tôt fait d’enfoncer la ligne confédérée, faisant refluer vers l’arrière la brigade Trimble. Cette fois, la situation est plus délicate pour Stonewall Jackson, car à cet endroit ses troupes ne sont pas disposées sur deux lignes comme sur sa gauche. Il doit prélever d’un secteur plus calme et non menacé du front la brigade de Jubal Early et celles des Tigres de la Louisiane, commandée par Henry Forno.
La brigade Nagle s’avère bien soutenue : N. Taylor le suit de près, Milroy a envoyé un de ses régiments couvrir son flanc gauche, et sur sa droite la brigade Leasure attaque à la jonction des brigades Pender et Field. Ce mouvement laissant un espace vide dans la ligne nordiste, Benjamin Christ et ses hommes sont envoyés pour le combler. La fusillade atteint vite une intensité considérable. Les soldats des deux camps profitent du couvert que leur offrent les deux côtés du talus de la voie ferrée pour se tirer dessus presque à bout portant. Comme devait le rapporter Jackson, « les forces opposées, à un moment, s’échangèrent des salves à la distance de dix pas ». Field est blessé à une jambe et Leasure est atteint lui aussi. La brigade de Pender n’est guère mieux lotie et la ligne sudiste menace de craquer.
Seconde bataille de Bull Run, 29 août 1862 : situation entre 16 heures et 17 heures.
1) La brigade Nagle fait reculer les hommes de Trimble à "The Dump".
2) Jackson doit rameuter les brigades Forno et Early pour renforcer le centre de sa ligne.
3) N. Taylor et Milroy avancent pour soutenir Nagle.
4) La brigade Leasure lance sa propre attaque, plus à droite.
5) Stevens fait avancer la brigade Christ pour colmater la brèche qui s'est formée entre Nagle et Leasure.
6) Forno, à la tête des Tigres de la Louisiane, repousse Nagle et rétablit la ligne sudiste.
7) Poursuivant sur leur lancée, les Louisianais arrivent à temps pour relever Field en difficulté, obligeant les Nordistes à reculer.
8) L'artillerie fédérale accable les Sudistes dès loors qu'ils quittent le couvert des bois, brisant toute velléité de poursuite.
Les défenseurs sont finalement soulagés par l’intervention de Forno, dont les Louisianais stoppent l’avancée de Nagle, permettant à la brigade Lawton de refouler les Nordistes et de colmater la brèche. Poursuivant sur leur lancée, les « Tigres » arrivent juste à temps pour relever la brigade Field, tandis que les hommes de James Archer font de même avec celle de Dorsey Pender. Ce nouvel arrivage de troupes fraîches finit par emporter la décision, obligeant la division Stevens à reculer à son tour. Les Confédérés poursuivent alors les Fédéraux, jusqu’à ce que l’artillerie nordiste vienne une fois de plus mettre un terme à leur contre-attaque dès qu’ils quittent le couvert des bois, les refoulant jusqu’à la voie ferrée. Stevens comme Hooker préféreront en rester là, se retirant jusqu’à une position plus sûre le long de la route à péage de Warrenton. Forno a été blessé dans l’action, mais la ligne confédérée a tenu encore une fois.
Il est à présent 17 heures, et le soleil est de plus en plus bas dans le ciel. Pope est excédé : toujours aucune nouvelle de Porter et McDowell et aucun signe de l’attaque qu’ils sont censés mener. Le commandant en chef nordiste leur envoie cette fois un ordre d’assaut explicite, mais l’aide de camp à qui il confie le message s’égare – il mettra deux heures à atteindre ses destinataires. Entre temps, McDowell a utilisé la latitude que lui laissait « l’ordre commun » pour prendre l’initiative de rejoindre le reste de l’armée nordiste. La division de tête, celle de King, est déjà en route. Son chef, insuffisamment remis de sa crise d’épilepsie de la veille, a cédé sa place pour de bon à John P. Hatch. Quant à Porter, il ne recevra les nouvelles instructions de son supérieur qu’au moment où le soleil sera sur le point de se coucher. Estimant l’heure trop tardive pour attaquer, Porter n’entreprendra rien.
Kearny bouge enfin
À l’autre bout du champ de bataille, sur l’aile droite nordiste, la lutte, en revanche, se poursuit. Toujours vers 17 heures, Kearny se départit enfin de son immobilisme et lance une attaque d’envergure. Avec le soutien limité de la division Stevens – une nouvelle fois la brigade Leasure – Kearny lance en avant les brigades Robinson et Birney. Les deux unités nordistes concentrent leurs efforts sur le même point de la ligne confédérée, celui tenu par les hommes de Maxcy Gregg. Ceux-ci sont particulièrement exposés car sur leur gauche, la brigade Branch, déployée légèrement en retrait de la voie ferrée inachevée, ne les couvre qu’incorrectement. Qui plus est, la formation sudiste a été particulièrement mise à contribution durant la journée. Dans leurs rapports respectifs, A.P. Hill comptabilisera contre cette brigade six assauts, d’envergure ou non, et Gregg pas moins de neuf, au cours de la seule journée du 29 août.
Cette fois, c’en est trop pour les hommes de Gregg. Les Sudistes font ce qu’ils peuvent, ne rechignant à aucune sollicitation de leur chef, mais la supériorité numérique et la fraîcheur des troupes qui les assaillent ne sont pas le seul problème auquel ils sont confrontés. Les divers combats auxquels ils ont pris part durant la journée ont vidé leurs cartouchières, les chariots de ravitaillement sont encore loin, et les cartouches saisies à Manassas ont été tirées depuis belle lurette. Gregg fait mettre baïonnette au canon, mais c’est insuffisant pour arrêter la division Kearny. Sur les cinq régiments de Caroline du Sud que comporte la brigade Gregg, un voit son colonel tué et trois autres blessés. Hormis Gregg lui-même, il ne reste plus que deux officiers supérieurs indemnes dans toute la brigade.
Jackson se retrouve dans une situation critique – ce qui est d’autant plus absurde que l’aile de Longstreet, à quelques kilomètres de là seulement, reste pour ainsi dire l’arme au pied. Stonewall ne peut compter que sur ses propres forces pour empêcher sa gauche d’être enfoncée. Il fait intervenir la brigade Branch, qui se redéploie et contre-attaque, mais elle ne peut étendre suffisamment ses lignes pour colmater la brèche que la brigade Gregg a laissé derrière elle. La dernière réserve sudiste dans le secteur est la brigade Early, qui réussit finalement à stopper les Nordistes. Après une lutte acharnée, elle réussit à refermer la ligne confédérée. Les hommes de Kearny sont refoulés, et la contre-attaque qui suit les rejette finalement sur leur position de départ. Alors que le soleil se couche, les Confédérés restent maîtres de leur position le long de la voie ferrée – non sans en avoir payé le prix fort.
Seconde bataille de Bull Run, 29 août 1862 : situation entre 17 heures et 21 heures.
1) Birney et J.C. Robinson assaillent la brigade Gregg. Flanquée et à court de munitions, elle doit reculer.
2) Branch tente en vain de compenser le retrait de Gregg en étendant ses lignes et en contre-attaquant.
3) L'intervention de la brigade Early, dernière réserve dont dispose encore Jackson, repousse les hommes de Kearny et ferme la brèche.
4) Lee ordonne à la division Hood de mener une reconnaissance en force le long de la route à péage de Warrenton.
5) Parallèlement, la division Hatch reçoit l'ordre de marcher vers l'ouest pour empêcher Jackson de battre en retraite.
6) Les deux divisions se rencontrent autour de Groveton. Hood prend le dessus.
7) Pour aider Hatch, J.F. Reynolds fait avancer une batterie, avec la brigade Meade en soutien.
8) La cavalerie nordiste de Bayard attaque également pour soulager la diviszion Hatch, mais la brigade Hunton la refoule rapidement.
Lee, pourtant, n’a pas assisté à l’épreuve à laquelle est soumise l’extrémité de gauche en spectateur désintéressé, fût-ce de loin. Pour la troisième fois de la journée, il a voulu lancer à l’attaque le corps d’armée de Longstreet ; et pour la troisième fois de la journée, Longstreet s’est prononcé en défaveur de cette attaque. Le lieutenant de Lee évoque à présent la position incertaine des forces ennemies à l’appui de son opinion, et recommande une reconnaissance préalablement à toute action dans ce secteur. Lee lui donne encore raison, confiant à la division Hood la tâche d’éclairer les positions des Nordistes. Ses forces ne comprenant que deux brigades, la sienne et celle d’Evander Law, Hood se voit soutenu dans cette tâche par la brigade indépendante de Nathan « Shanks » Evans. Son axe de progression doit être la route à péage de Warrenton, en direction de l’est.
Simultanément, Pope s’inquiète : il craint que l’échec de Kearny contre la gauche confédérée ne permette à Jackson de se retirer à la faveur de la nuit, sans être inquiété. L’attaque ordonnée à Porter ne venant toujours pas, Pope désespère de parvenir à couper aux Sudistes leur principale voie de retraite. Dès que la division Hatch, à la tête du 3ème Corps, arrive sur le champ de bataille, le général nordiste l’envoie vers l’ouest… le long de la route à péage de Warrenton. Sa mission : empêcher Jackson de s’échapper. Hatch s’exécute sans tarder. Il confie cette tâche à sa propre brigade et à celle de Doubleday : la brigade Patrick a été envoyée sur la droite par ordre direct de Pope, et les Black Hats de Gibbon sont gardés en réserve après le terrible combat qu’ils ont livré la veille à quelques encablures de là, à Groveton.
Au soir du 29 août 1862, aucun des deux camps n’est parvenu à obtenir un avantage décisif sur le champ de bataille de Bull Run – tant et si bien que l’affrontement va se poursuivre. Vers 1 heure du matin, Lee ramène la division Hood sur ses positions de départ. Le général sudiste reçoit un peu plus tard ses derniers renforts, en l’occurrence la division de R.H. Anderson qui constituait l’arrière-garde. Son armée est à présent au complet, Jackson faisant face au sud-est sur la position qu’il a tenue toute la journée, et Longstreet à l’est. Ainsi positionnée, l’armée confédérée – souvent comparée à une « mâchoire » par les historiens – semble prête à broyer son adversaire. Mais Lee, influencé par ses subordonnés, va tarder à en actionner la mandibule.
Illusions nocturnes
Le chef de l’armée de Virginie septentrionale ne s’est pourtant pas départi de son agressivité. Soucieux de ne pas laisser échapper Pope, il souhaite attaquer dès les premières lueurs de l’aube. Toutefois, ses subordonnés l’en dissuadent encore : non seulement Longstreet, mais également Hood et Cadmus Wilcox. Hood, notamment, a pu se faire une idée on ne peut plus directe de la force de l’ennemi face à l’aile droite confédérée. Lee cède à ces conseils de prudence, même si cela signifie que Jackson devra à nouveau se débrouiller seul le 30 août – alors que son aile a déjà été sérieusement malmenée la veille. Pour s’assurer que Pope ne se repliera pas pour aller faire sa jonction avec le reste des forces de McClellan, les Confédérés ont à nouveau recours à la désinformation. Ils font croire à des Nordistes capturés pendant la journée que l’armée sudiste est en train de se replier, puis les libèrent sur parole. Une fois de retour dans leurs lignes, les Yankees « intoxiqués » s’empressent de répéter leur « trouvaille » à leurs supérieurs.
Informé, Pope tombe dans le panneau d’autant plus facilement qu’il ne demande qu’à être conforté dans ses inébranlables certitudes. Les mêmes prisonniers libérés lui ont confirmé que les deux moitiés de l’armée sudistes s’étaient réunies. Mais cette fois, c’est sur leurs positions respectives que Pope s’illusionne gravement : il croit que Longstreet est simplement venu épauler Jackson sur Stony Ridge au lieu de se placer sur sa droite. Pope en profite pour ordonner à Porter de ramener le Vème Corps vers le reste de l’armée nordiste, ce qui sera fait durant la nuit. Puisque Longstreet a eu – pense-t-il – l’amabilité de venir se placer dans le piège qu’il destinait à Jackson, Pope se contentera de lui couper la retraite par une attaque plus directe que le large flanquement qu’il envisageait au départ contre l’aile droite confédérée.
Dans la soirée du 29, Pope a également reçu le renfort de la division Ricketts, du 3ème Corps, engagée la veille dans la cluse de Thoroughfare. C’est le dernier renfort important qu’il obtiendra. Alors même que McClellan concentre le reste de l’armée du Potomac autour de Washington et dispose encore de 25.000 hommes, il refuse de céder aux demandes de Halleck qui le presse d’aller rejoindre le champ de bataille. Officiellement, McClellan rechigne à envoyer son armée vers le front par petits détachements, citant à l’appui de son opinion l’attaque prématurée qui a coûté la vie à George Taylor le 27 août. « Little Mac » préfère attendre que ses forces soient regroupées et qu’elles aient reçu leur train d’artillerie pour les envoyer en masse au secours de Pope. Officieusement… McClellan déteste Pope, qui est aussi républicain que lui-même est démocrate, et qu’il perçoit comme un rival. Froidement calculateur, McClellan va même jusqu’à espérer la défaite de Pope, afin d’être rappelé en sauveur à la tête des armées nordistes. Les lettres qu’il écrira en ce sens à sa femme sont absolument dépourvues de toute équivoque.
Seconde bataille de Bull Run, 30 août 1862 : disposition des troupes en début d'après-midi.
Ignorant de ces intrigues, Pope détache la division Ricketts du 3ème Corps pour l’envoyer vers la droite, entre la division Kearny et le IXème Corps. Vient ensuite la division Hooker, juste au nord de la route à péage de Warrenton, tandis que le 1er Corps est un peu plus en retrait, au niveau du carrefour entre cette route et celle qui relie Manassas à Sudley Springs. De part et d’autre de la route de Warrenton se concentre le Vème Corps – la division de George Sykes arrivera vers 9 heures – tandis que le reste du 3ème Corps s’étend vers le sud. Cette disposition morcelée n’est pas faite pour clarifier les choses, avec des divisions intercalées entre des corps d’armée différents, relevant eux-mêmes, à la base, de deux armées distinctes… Les Confédérés, pour leur part, ont gardé la même configuration. Jackson a simplement modifié l’arrangement de ses brigades pour redonner un semblant de profondeur à son dispositif et s’est surtout évertué à trouver des munitions.
Reconnaissances matinales
Les combats reprennent dès 5 heures 30 aux environs de Sudley Springs, mais il ne s’agit là que de quelques coups de feu épars entre piquets. Les généraux ont d’autres priorités, généralement triviales. Après plusieurs semaines de campagne et une journée de bataille livrée par une forte chaleur, les soldats des deux camps sont épuisés. Heintzelmann passe ainsi l’essentiel de la matinée du 30 août en quête de rations pour ses hommes. Les cavaliers et leurs montures sont tout autant à plaindre que les fantassins, ayant passé dix jours d’affilée en selle tout en remplissant leurs missions et en combattant à l’occasion. Les chevaux sont fourbus et n’ont pas reçu de fourrage depuis deux jours. L’accalmie matinale est donc la bienvenue pour les hommes et les bêtes, mais elle est loin d’être complète.
Les tirailleurs nordistes, notamment, vont occuper ce laps de temps pour sonder les lignes ennemies le long de Stony Ridge. Des accrochages sporadiques ont lieu de temps à autres en divers points du champ de bataille. Jackson en signale même un sur ses arrières – vraisemblablement une patrouille isolée que les cavaliers de Stuart ont tôt fait de repousser. Des tirailleurs fédéraux prennent à partie la division Wilcox dès 7 heures, et Leroy Stafford rapporte une attaque du même genre environ une heure plus tard. Peu de temps après, ces affrontements mineurs gagnent en intensité quand les batteries sudistes sont engagées à longue distance par leurs homologues nordistes. C’est encore une fois des batteries de Reynolds qui a été avancée sur une position avantageuse avec le couvert de la brigade Meade. Le duel d’artillerie se poursuit pendant plus d’une heure. D’autres affrontements du même type auront lieu jusqu’à midi.
Sensiblement vers la même heure, McDowell et Heintzelmann effectuent une reconnaissance aux alentours de Sudley Springs, dans le secteur tenu par les divisions de Ricketts et Kearny, leurs subordonnés respectifs. Ils peuvent y constater que l’ennemi ne semble plus présent en force : les cavaliers de Fitzhugh Lee semblent avoir disparu de la rive nord du Bull Run, et seules quelques sentinelles répondent mollement aux coups de sonde des tirailleurs nordistes. De retour auprès de Pope, les deux hommes lui confirment que l’ennemi est très certainement en train de battre en retraite. Les reconnaissances menées le matin et les autres généraux nordistes abondent dans le même sens : il faut attaquer dès que possible l’aile droite de l’ennemi avant qu’il ne parvienne à s’échapper. Pope charge Porter de mener cet assaut, avec le soutien actif de McDowell sur sa gauche. Dans le même temps, comme la veille, Reno et Heintzelmann devront lancer de petites attaques de diversion.
Dans l’heure qui suit, les choses vont s’accélérer. Pendant que Porter prépare ses hommes à l’assaut à venir, McDowell ordonne à Reynolds de se préparer à le soutenir. Dans cette optique, le commandant des Pennsylvania Reserves fait déployer un de ses régiments en tirailleurs en vue de reconnaître la position que sa division ira occuper le moment venu. Il apparaît rapidement que quelque chose cloche : les éclaireurs nordistes rencontrent rapidement une résistance inattendue, dans un secteur du champ de bataille où aucune force ennemie importante n’est censée se trouver. La situation devient rapidement telle que Reynolds doit envoyer un second régiment, puis un troisième, au secours du premier. Le général nordiste monte en ligne personnellement pour constater de visu quelle est la situation : « je trouvai une ligne de tirailleurs ennemis presque parallèle à celle qui couvrait mon flanc gauche, avec de la cavalerie en ligne derrière elle, parfaitement stationnaire, masquant de toute évidence une colonne de l’ennemi en position pour attaquer mon flanc gauche dès que notre ligne serait suffisamment avancée. »
Reynolds est aussitôt pris à partie par des tireurs d’élite confédérés, une fusillade qui coûte la vie à un de ses aides de camp et dont il sort miraculeusement indemne. Il se convainc aussitôt que non seulement l’ennemi n’est pas du tout en train de battre en retraite, mais qu’il est prêt à passer à l’attaque. Il en informe aussitôt McDowell, qui ne perd pas un instant et ordonne à Reynolds de déployer sa division en posture défensive sur Chinn Ridge, une colline sur laquelle on s’était déjà battu durant la première bataille de Bull Run. McDowell ramène également sur la gauche la moitié de la division Ricketts – les brigades de Zealous Tower et John Stiles – pour contrer la menace que Reynolds a découverte. Toutefois, il semble que cette information cruciale n’ait pas été communiquée à Pope avant que ne commence l’attaque de Porter. Ce ne sera pas le seul problème de communication dont souffrira le commandement nordiste ce jour-là.
Attaque de grand style
Les indices, pourtant, s’accumulent. En début d’après-midi, les attaques de diversion contre la gauche sudiste commencent, mais se heurtent à une forte résistance. Kearny semble retombé en léthargie et n’offre pas de réel soutien à Ricketts. Ce dernier, du reste, ne progresse pas beaucoup plus. La brigade d’Abram Duryée, soutenue par celle de Joseph Thoburn, est rapidement soumise à un feu nourri de l’artillerie adverse. Duryée est légèrement touché par un éclat d’obus mais reste à son poste. La division finit par retourner sur ses positions de départ, mais il est clair que la résistance qu’elle a rencontrée ne correspond pas à celle d’une armée en pleine retraite. Ricketts, pour cette raison, n’insistera pas. Des attaques de diversion prévues dans ce secteur, seule celle de Benjamin Christ, du IXème Corps, sera réellement menée à bien. Sans soutien, elle sera facilement repoussée par les brigades Early et Archer.
Pendant ce temps, Porter achève de préparer son attaque. Dans cette perspective, il s’est vu prêter la division Hatch, qui formera l’aile droite de sa colonne d’assaut, la gauche étant constituée par la division de Daniel Butterfield – celle de George Sykes devant demeurer en réserve. Le dispositif nordiste forme une masse profonde : les brigades sont déployées les unes derrière les autres, parfois sur deux lignes. Les brigades de front (sous Henry Weeks et Timothy Sullivan) frapperont droit devant elles et celles qui les suivent se déploieront alors sur leurs flancs respectifs – Charles Roberts à gauche et Marsena Patrick à droite – avec les brigades Gibbon et Doubleday prêtes à intervenir pour exploiter tout avantage qui se présenterait. C’est l’attaque la plus massive et la plus ambitieuse que les Fédéraux tenteront au cours de la bataille.
Il faut du temps pour mettre en place une manœuvre aussi pointue, et la force d’attaque ne se met en marche que vers 15 heures. Son mouvement surprend Sigel, qui la voit s’interposer entre son corps d’armée et l’ennemi sans comprendre pourquoi – Pope n’a pas jugé utile de le tenir informé de ses intentions. Afin d’apprendre par lui-même ce qui se passe, Sigel détache un des régiments de cavalerie de la brigade de John Beardsley et l’envoie en reconnaissance vers la gauche. Lui aussi rencontre bientôt les forces sudistes massées dans le secteur : c’est probablement cette unité que les cavaliers confédérés de Stuart repoussent alors qu’elle tente de s’emparer d’une maison – vraisemblablement la ferme Britt, située au sommet d’une colline – qui sert d’observatoire aux Sudistes.
Seconde bataille de Bull Run, 30 août 1862 : situation entre 14 heures et 16 heures.
1) La brigade Duryée est rapidement arrêtée par le feu sudiste.
2) La brigade Christ mène une autre attaque de diversion qui échoue.
3) Sigel, qui n'est pas informé de la situation, envoie les cavaliers de Beardsley vers la ferme Britt, d'où ils sont repoussés mais découvrent les Confédérés présents en force.
4) La batterie Hazlett est avancée pour soutenir un soutien d'artillerie direct à l'attaque de Porter.
5) Porter mène une attaque massive contre la droite de Jackson, avec les divisions Hatch et Butterfield.
6) À court de munitions, les hommes de la brigade Stafford se défendent avec des pierres.
7) Jackson envoie au secours de Starke toutes ses réserves.
Après avoir traversé un bois, les hommes de Porter débouchent sur un vaste champ, qu’il leur faut traverser pour atteindre la division Starke : plus de 500 mètres de terrain découvert, qui se termine en pente ascendante et débouche sur le talus de la voie ferrée inachevée. À moins de 400 mètres sur la gauche de cette scène grandiose, Cadmus Wilcox peut observer à loisir cette attaque de grand style : « [Les Fédéraux] furent pris à partie par nos piquets et tirailleurs, mais ils continuèrent à avancer, et, grimpant la pente susmentionnée, arrivèrent en pleine vue de la ligne de Jackson, et y furent accueillis par un feu terrifiant de mousquèterie à courte distance. Ils hésitèrent pendant un instant, reculant légèrement, puis avancèrent de nouveau jusqu’au talus. À deux reprises je vis cette ligne reculer et avancer, exposée à un feu de mousquèterie aussi rapproché que meurtrier. »
Comme lors des combats de la veille, assaillants et défenseurs se tirent dessus de part et d’autre du talus de la voie ferrée inachevée aussi vite qu’ils le peuvent. Dans cette lutte sans merci, la consommation de munitions devient vite préoccupante, et les quarante cartouches qui constituent la dotation normale d’un fantassin ont tôt fait d’être tirées – sachant que s’il est en théorie plus important de bien viser que de tirer rapidement, dans la pratique, un soldat exposé au feu ennemi a tendance à penser exactement le contraire. Confrontée au même problème que les hommes de Gregg la veille, la brigade Stafford finit par tomber à court de munitions, donnant naissance à une anecdote fameuse. Comme le rapportera sobrement Stafford lui-même : « C’est alors que la brigade tomba à court de munitions. Les hommes en trouvèrent un peu sur les corps de leurs camarades morts, mais ce supplément ne fut pas suffisant, et ils se battirent avec des pierres et tinrent leur position. »
30 août 1862, 16 heures. La partie occidentale de Stony Ridge est noyée dans la fumée que dégagent les combats acharnés accompagnant l’attaque de Porter. Un Lee anxieux observe les hommes de Jackson résister tant bien que mal à la poussée nordiste. Il vient d’accéder à sa demande de renforts en ordonnant à Longstreet de faire avancer la division Wilcox. Pourtant, rien ne se passe. Le commandant de l’aile droite confédérée a une toute autre opinion sur la question : il pense que son infanterie arrivera trop tard. En revanche, Longstreet estime que la position qu’il occupe est idéalement placée pour permettre à son artillerie d’intervenir efficacement et sans délai.
Mortel barrage
De fait, les batteries confédérées que Jackson avait fait placer sur sa droite ne peuvent plus intervenir, car elles risqueraient de faire pleuvoir leurs obus au mileu de leurs propres fantassins, engagés à quelques mètres de distance seulement par les hommes de Porter. En revanche, d’autres canons sudistes sont en meilleure position, sans qu’on sache précisément sur l’ordre de qui elles y ont été déployées. Longstreet s’en attribuera le mérite, mais Stephen D. Lee (simple homonyme du chef de l’armée de Virginie septentrionale), le chef de l’artillerie de la division R.H. Anderson, contestera cette version des faits dans une série d’articles publiés après la guerre – donnant lieu à une vive controverse entre les deux vétérans, teintée de politique car Longstreet était entre temps devenu républicain.
Pour en revenir à la situation sur le terrain, Longstreet résumera son point de vue de la manière suivante : « Les masses de Porter étaient presque directement face au point où je me tenais, en enfilade. Il était évident qu’elles ne tiendraient pas quinze minutes sous le feu des batteries placées là, alors qu’une division traversant le terrain à la rescousse de Jackson ne l’atteindrait pas avant une heure, probablement plus qu’il ne puisse tenir sous la pression qui pesait sur lui. L’audace était la prudence ! » Il ordonne donc aux batteries de S.D. Lee et aux siennes de faire feu sans délai sur l’assaillant. L’effet du tir est rapidement meurtrier et les soldats de l’Union tombent en nombre. Wilcox : « Ils furent pris en terrain découvert. L’effet de chaque tir pouvait être vu. Un feu nourri de boulets, d’obus explosifs et d’obus à mitraille, délivré avec une précision admirable, stoppa leur avance. Alors que les obus et les shrapnels explosaient devant et autour d’eux leurs lignes se disloquaient, hésitaient et s’éparpillaient. Ce tir d’artillerie dispersa à lui seul régiment après régiment et les rejeta dans les bois ».
Privés de soutien, les Nordistes qui sont au contact de Jackson ne tardent pas à battre en retraite à leur tour au milieu de cet enfer. Pour les Confédérés, c’est la revanche de Malvern Hill. Par trois fois, les Fédéraux tentent de se rallier pour repartir à l’attaque, mais ils sont à chaque fois accablés de projectiles et doivent se replier. Wilcox ordonne à quatre reprises à la brigade Featherston d’avancer aussitôt que le bombardement commence à montrer son efficacité, mais celle-ci ne bouge pas avant que les Fédéraux ne soient en pleine retraite. Dans l’intervalle, Jackson a lancé la division Starke à leur poursuite, avec la brigade Stonewall en tête. Les Nordistes, cependant, tentent de faire face en s’appuyant sur le couvert que fournit le bois qu’ils ont traversé à l’aller, et son chef William Baylor est tué. Les Confédérés reprennent leur progression peu après quand la division Wilcox entre en jeu et repousse à nouveau l’ennemi. Ils s’arrêtent alors momentanément à l’orée d’un vaste champ battu par l’artillerie nordiste.
Seconde bataille de Bull Run, 30 août 1862 : la contre-attaque sudiste, peu après 16 heures.
1) L'artillerie confédérée prend en enfilade les forces de Porter, leur causant de lourdes pertes.
2) Les Nordistes reculent pour se mettre à l'abri.
3) Jackson lance ce qui lui reste de forces à leur poursuite.
4) La division Wilcox vient prêter main forte à Jackson.
5) Les Nordistes se reforment momentanément sous le couvert des bois, mais sont repoussés de nouveau.
6) L'intervention de Buchanan et l'artillerie nordiste stoppent la poursuite confédérée.
De nouveau, la bataille atteint un point critique, mais cette fois les rôles sont inversés et c’est le Sud qui a l’avantage. Les hommes de Porter ont été repoussés de manière si soudaine que le général nordiste ne peut qu’essayer de limiter les dégâts en engageant une des brigades de Sykes, celle de Robert Buchanan. Avec l’aide de l’artillerie fédérale, elle réussira à tenir à distance, pour un temps, l’avancée sudiste. Les pertes sont élevées, et de l’endroit où il observe le combat, McDowell craint que le repli des soldats de Porter ne se transforme en fuite éperdue si personne ne vient à leur secours. De sa propre initiative, il prend une décision lourde de conséquences : il ordonne à Reynolds d’abandonner la position défensive sur laquelle il s’était installé un peu plus tôt et de se diriger vers le nord, de l’autre côté de la route à péage de Warrenton, pour assister Porter. Ce mouvement est immédiatement noté par les cavaliers sudistes qui tiennent toujours la ferme Britt, et Lee en est avisé dans les minutes qui suivent.
Bataille pour Chinn Ridge
Cette erreur allait avoir des conséquences tragiques pour l’Union, car elle laissait toute la gauche nordiste quasiment vide de troupes. Lee a tôt fait d’ordonner à Longstreet de faire avancer en masse l’intégralité de ses forces. Pour faire face à cette écrasante supériorité, les Nordistes n’ont plus au sud de la route que la seule batterie du lieutenant Hazlett, sans soutien. Son commandant demande désespérément de l’aide en voyant approcher la division Hood, et finit par en obtenir lorsque G.K. Warren, de la division Sykes, décide de sa propre initiative d’aller lui porter secours. Sa brigade comprend deux régiments de zouaves aux uniformes flamboyants, les 5ème et 10ème New York, qui totalisent environ 1.000 hommes. La Texas Brigade les submerge en quelques minutes. Posté en avant, le 10ème régiment s’enfuit presque immédiatement, bloquant la ligne de mire du 5ème pendant sa retraite.
Bientôt, Warren et ses hommes se retrouvent assaillis sur leurs arrières et leur gauche par trois régiments rebelles. « Non seulement les hommes étaient tués, ou blessés, mais ils étaient criblés de balles », écrira un survivant du 5ème New York. Ses camarades ne peuvent supporter cet enfer plus de quelques minutes. Les officiers finissent par ordonner aux serre-files de laisser les soldats s’enfuir avant de sonner le sauve-qui-peut général. Tous les préposés aux drapeaux – un régiment nordiste en portait toujours deux – sont tués ou blessés à l’exception d’un seul, mais ils parviennent miraculeusement à sauver leurs couleurs. Warren a lui aussi la chance de s’en tirer indemne, mais en tout, sa brigade a perdu 431 soldats tués, blessés, ou capturés pendant la poursuite à laquelle les rebelles hurlants le soumettent. Le seul 5ème régiment a 120 tués et 180 blessés sur 490 hommes.
Seconde bataille de Bull Run, 30 août 1862 : les combats pour Chinn Ridge, entre 16 heures 30 et 18 heures.
1) La brigade Warren s'avance en soutien de la batterie de Hazlett.
2) Elle est submergée en quelques minutes par la brigade Hood.
3) Sigel envoie la brigade McLean occuper Chinn Ridge.
4) McLean stoppe l'avancée de Hood.
5) Les hommes de McLean repoussent également la brigade Evans.
6) Mené par Corse, un troisième assaut sudiste réussit à repousser la brigade McLean.
7) Les brigades Towers et Stiles, de la division Ricketts, interviennent alors et parviennent à conserver Chinn Ridge.
8) Jenkins et Hunton les assaillent et gagnent du terrain.
9) Les Nordistes sont relevés par Koltes et Krzyzanowski, qui stabilisent la situation.
10) G.T. Anderson et Toombs attaquent à leur tour, s'emparant finalement de la colline.
NB : dans un souci de clarté, les positions des brigades sont données de manière schématique et ne correspondent pas nécéssairement à leur situation réelle.
L’un des premiers généraux nordistes à réaliser la gravité de la situation est Sigel. Les cavaliers qu’il a envoyés un peu plus tôt vers l’ouest sont aux premières loges et l’informent rapidement de l’attaque massive qui est en train de tourner l’aile gauche fédérale. Sigel ordonne aussitôt à la brigade McLean, que Pope avait fait placer un peu plus tôt sur Chinn Ridge, d’aller à la rencontre de l’ennemi et de couvrir la fuite de Warren ; la brigade Milroy est envoyée le rejoindre dès que possible, mais son chef aura des difficultés à la rallier. Malgré cela, les hommes de McLean réussissent à stopper les Texans, puis à repousser un deuxième assaut mené par la brigade Evans. Les pertes sont lourdes : Schenck, venu rameuter autant d’hommes que possible, est grièvement atteint au bras, blessure dont il gardera des séquelles à vie. Finalement, la division Kemper arrive en soutien de celle de Hood, avec de l’artillerie et la brigade de Montgomery Corse. Cette dernière réussit à s’approcher suffisamment près des hommes de McLean pour les déloger de leur position, mais son chef est blessé dans l’action.
La résistance de McLean et de ses soldats a permis à l’armée nordiste de gagner une précieuse demi-heure, ce qui va s’avérer vital dans l’organisation d’une défense digne de ce nom sur son aile gauche. Il est maintenant 17 heures. Les deux brigades détachées plus tôt de la division Ricketts, celles de Tower et Stiles, interviennent à présent pour affronter le reste de la division Kemper – les brigades Hunton et Jenkins. Ce nouvel affrontement est tout aussi sanglant que le premier : Tower est sérieusement touché au genou gauche, tandis que dans l’autre camp Jenkins reçoit deux blessures à la poitrine et à l’épaule. Les Nordistes sont sur le point de craquer quand l’arrivée de deux autres brigades du 1er Corps, celles de Koltes et Krzyzanowski, repousse les hommes de Kemper. Longstreet renouvelle alors l’assaut en engageant cette fois la division D.R. Jones. Les brigades de G.T. Anderson et Toombs réussissent finalement à emporter la décision. Koltes est tué dans l’attaque et à 18 heures, les Confédérés sont enfin maîtres de Chinn Ridge.
Retour à Henry House Hill
Ce succès a néanmoins coûté cher aux Sudistes. La brigade indépendante d’Evans, la division Kemper et la moitié de celle de Hood ont été à ce point étrillées sur Chinn Ridge qu’elles sont pratiquement incapables d’action pour le reste de la journée – qui, du reste, touche à sa fin. Les réserves sudistes ne sont pas extensibles, et Longstreet doit ordonner à Cadmus Wilcox d’emmener sa propre brigade au sud de la route à péage de Warrenton. Elle n’y sera d’ailleurs d’aucune utilité : contrainte de faire un détour considérable pour ne pas traverser la ligne de tir de l’artillerie sudiste, elle ne s’approchera pas suffisamment près de l’action pour y prendre part sérieusement avant la nuit. Pendant que les combats font rage sur Chinn Ridge, Jackson est occupé à rassembler ses forces, passablement désorganisées par les attaques de l’après-midi, et durant deux heures l’action se limite, au nord de la route de Warrenton, à un bombardement d’artillerie nordiste que le reste de la division Wilcox soutient stoïquement à une distance d’un kilomètre.
C’est au moment où D.R. Jones s’empare de Chinn Ridge que les combats reprennent dans ce secteur. Côté nordiste, l’autre moitié de la division Ricketts, ainsi que les IIIème et IXème Corps, ont conservé leurs positions, derrière lesquelles les survivants de l’attaque de Porter essayent de reformer leurs rangs. Hatch, qui a été légèrement blessé dans l’action, a cédé le commandement de sa division à Doubleday. La position nordiste est bien pourvue en artillerie, mais Lee a fait avancer la sienne le long de la route, si bien que les soldats de Jackson bénéficient également d’un soutien efficace. La bataille fait à présent rage tout le long de la ligne. Après Baylor, la brigade Stonewall perd à nouveau un commandant, le colonel Andrew Grigsby étant blessé à sa tête. De leur côté, les Nordistes perdent Joseph Thoburn, également blessé. Malgré les pertes, les Fédéraux tiennent bon.
Toutefois, les combats sur Chinn Ridge ont laissé à découvert le flanc gauche de la division Hooker. Percevant là une opportunité, Lee ordonne à l’autre moitié de la division Hood (la brigade Law), qui a jusque-là progressé le long de la route de Warrenton sans rencontrer d’opposition sérieuse, de flanquer la position de Hooker. Mais cette manœuvre est contrée par la brigade Gibbon, la moins éprouvée des unités ayant pris par à l’assaut de Porter, et les Black Hats repoussent les assaillants. Toutefois, la perte de Chinn Ridge rend cette résistance futile : si les Confédérés poursuivent sur leur lancée en s’emparant de Henry House Hill dans la foulée, ils menaceront de couper la dernière voie de repli de l’armée nordiste – le fameux pont de pierre qui enjambe le Bull Run. Pope comprend alors que la bataille est perdue. Lui qui croyait encore tenir son adversaire à sa merci quelques heures plutôt doit à présent se résigner à sonner la retraite. Elle s’effectue à peu près en bon ordre, solidement couverte par les hommes de Kearny, Reno et Gibbon.
Les combats livrés au sud de la route vont déterminer si cette retraite va se transformer ou non en déroute. Comme pour la première, l’issue de la seconde bataille de Bull Run va se jouer sur les pentes de Henry House Hill. La situation est encore critique pour les Nordistes, qui n’ont plus beaucoup de forces prêtes à se battre à cet endroit. Du 1er Corps ne reste disponible que la brigade Milroy, que son commandant a finalement réussi à déployer le long de la route de Manassas à Sudley Springs, au pied de Henry House Hill. Dans un premier temps, Milroy est seul pour faire face à la poussée renouvelée de la division D.R. Jones. Il galope, hystérique, à la rencontre de McDowell, qui est justement en train de rameuter la division Reynolds. Le commandant du 3ème Corps rapportera ainsi la rencontre : « [Milroy] arriva dans un état de frénésie absolue, l’épée à la main, et avec force gestes, hurlant de lui envoyer des renforts, pour sauver l’armée, sauver le pays, etc. Sa manière de s’exprimer par des généralités, en ne donnant aucune information, et qui, de la façon dont il les proférait, montrait seulement qu’il était dans un état d’esprit aussi inapte à juger des événements qu’à commander ses hommes […], fit que je le reçus froidement. »
Seconde bataille de Bull Run, 30 août 1862 : les combats de 18 heures jusqu'à la tombée de la nuit.
1) Jackson lance une attaque générale, initialement tenue en échec, contre la droite nordiste.
2) Law tente de déborder les positions fédérales, mais l'intervention de Gibbon l'en empêche.
3) Malgré tout, la perte de Chinn Ridge oblige Pope à sonner la retraite générale.
4) Les troupes nordistes se retirent en bon ordre, couvertes par les divisions Keanry et Reno et la brigade Gibbon.
5) La division J.F. Reynolds vient se placer à droite de la brigade Milroy, sérieusement malmenée.
6) En difficulté, la brigade Hardin est relevée par celle de Seymour.
7) L'attaque de D.R. Jones contre Henry House Hill est finalement repoussée.
8) La division Sykes vient à son tour couvrir la gauche de Milroy.
9) Les hommes de R.H. Anderson attaquent à leur tour et réussissent à flanquer la brigade Chapman, l'obligeant à reculer.
10) Armistead n'exploite pas la percée sudiste en raison du jour déclinant.
11) Les cavaliers sudistes repoussent ceux de Buford au gué Lewis, mais ne franchiront pas le Bull Run.
Heureusement pour l’Union, George Meade n’a pas attendu confirmation pour se porter, de sa propre initiative, au secours de Milroy. Sa contre-attaque, rapidement soutenue par le reste de la division Reynolds, refoule les Sudistes et sécurise le flanc droit de la brigade Milroy. Des affrontements confus sont livrés à cet endroit durant les deux heures qui suivent. La brigade de Conrad Jackson, en particulier, est passablement étrillée. Son commandant s’est fait porter pâle quelques heures plus tôt : ses deux successeurs, Martin Hardin et James T. Kirk, sont blessés tour à tour. La brigade finit par être relevée par celle de Seymour, et cette portion de la ligne nordiste, en fin de compte, tiendra le coup. Parallèlement, McDowell, qui conserve son sang-froid, s’efforce de coordonner la défense de Henry House Hill. Il obtient de Porter ce qu’il reste de la division Sykes, soit les deux brigades d’infanterie régulière de Buchanan et William Chapman, et l’engage immédiatement sur la gauche.
Tandis que Buchanan demeure en réserve, Chapman vient se placer aux côtés de Milroy, qui est toujours sous pression et a eu un cheval tué sous lui. Voyant que l’attaque de D.R. Jones est arrivée en bout de course, Longstreet se résout alors à jouer sa dernière carte : il envoie la division de Richard Anderson attaquer l’extrémité gauche de la ligne nordiste – précisément la position que tiennent les hommes de Chapman. La manœuvre peut réussir, car le flanc des Nordistes est en l’air et aucune défense naturelle ne vient le couvrir. Il est à présent 18 heures 45, et il ne reste que quelques minutes de jour, tout au plus. Pour les Sudistes, c’est l’attaque de la dernière chance. L’affrontement va durer trois quarts d’heure : assailli par les brigades d’Ambrose Wright et William Mahone, Chapman finit par céder, et les réguliers reculent. Les assaillants, toutefois, ont beaucoup souffert, et ne peuvent poursuivre. Mahone lui-même a reçu une balle dans l’estomac. Il survivra, mais demeurera dyspepsique pour le restant de ses jours.
Le long du Bull Run, des coups de feu continuent à résonner jusque vers 20 heures 30, mais pour l’essentiel, la bataille est terminée. Les unes après les autres, les formations fédérales encore présentes décrochent et franchissent le pont de pierre, malgré l’énorme embouteillage de chariots que cause ce goulot d’étranglement. La dernière réserve de l’armée de Virginie, la brigade d’Abram Sanders Piatt, est arrivée trop tard pour prendre part aux combats et se contente de couvrir la retraite. Les Black Hats de Gibbon sont les derniers à se replier, sous la protection des cavaliers de Beardsley et Bayard. Puis, pour la deuxième fois en moins de six mois – les Confédérés l’avaient fait sauter une première fois lorsqu’ils avaient évacué Manassas, en mars – le pont de pierre est détruit. Avant minuit, le gros de l’armée nordiste s’est regroupé autour de Centreville.
Victoire incomplète
Le lendemain, 31 août 1862, Robert Lee peut télégraphier triomphalement à Richmond qu’il a remporté une grande victoire sur l’ennemi : pas moins de 30 canons et 20.000 armes légères ont été capturés, et il s’en faut de peu pour que l’armée fédérale ne soit pratiquement chassée du nord de la Virginie. Plus de 4.000 soldats fédéraux sont également restés entre ses mains, et au moins 10.000 autres ont été tués ou blessés depuis le 16 août. Les pertes, toutefois, sont lourdes. En moins d’un mois, Lee a perdu une demi-douzaine de généraux, morts ou blessés, sans parler des colonels et des autres officiers supérieurs. Les hommes du rang, bien sûr, ont également beaucoup souffert. Depuis le 21 août, près de 8.500 d’entre eux ont été victimes des combats. Rien qu’au cours des deux dernières journées, l’aile de Jackson déplore la perte de 4.400 soldats dont 800 ont été tués. Au moins le rapport de pertes est-il nettement plus favorable, pour le Sud, qu’il ne l’avait été deux mois auparavant devant Richmond.
Le prestige militaire de Lee s’est encore accru, au point de lui donner une influence politique dont il saurait faire bon usage le moment venu. Sa victoire, pourtant, n’est pas complète, et il le sait. Très attaché à son État, Lee, comme la plupart des Virginiens, voue une haine farouche à Pope, un « mécréant » qui doit être « supprimé ». S’il lui a infligé une défaite humiliante, il n’a cependant pas réussi à détruire son armée, qui menace à présent de retrouver une nette supériorité numérique une fois qu’elle aura fait sa jonction avec le reste de l’armée du Potomac. L’objectif initial de la campagne, détruire l’armée de Virginie pendant que cela était encore possible, n’est donc pas atteint. Toutefois, les deux armées nordistes ne se sont pas encore rejointes. Il subsiste donc une petite opportunité de parvenir au but que s’était fixé Lee, et la campagne de Virginie septentrionale n’est, par conséquent, pas encore terminée.
Opérations autour de Centreville du 31 août au 2 septembre 1862.
1) 31 août : les IIème et VIème Corps de l'Union arrivent de Washington.
2) 31 août : le 2ème Corps de l'armée de Virginie revient de Bristoe Station.
3) 1er septembre : précédé par la cavalerie, Jackson se met en route pour s'interposer entre Washington et l'armée nordiste.
4) 1er septembre : Jackson fait bivouaquer ses hommes à Chantilly.
5) Nuit du 1er au 2 septembre : la cavalerie sudiste lance des actions de harcèlement contre Germantown.
6) 2 septembre : une reconnaissance menée par des éléments du IIème Corps confirme la présence de Jackson à Chantilly.
7) 2 septembre : Jackson se remet en route et atteint Ox Hill.
8) 2 septembre : la division Stevens (IXème Corps), suivie peu après par la division Kearny (IIIème Corps), marchent sur Ox Hill pour barrer la route aux Confédérés.
9) 2 septembre : Stevens et Kearny livrent à Jackson la bataille de Chantilly (ou Ox Hill).
Aucune des deux armées, pourtant, n’est réellement en état de combattre en ce 31 août. De l’aveu même de Pope, les soldats nordistes n’ont pas vu une ration depuis deux jours, et il est probable que les Confédérés n’aient été, à ce moment précis, guère mieux lotis. Les uns et les autres sont épuisés par plus de deux semaines de marches et de combats incessants. Dans la cavalerie nordiste, les chevaux sont à ce point fourbus que les missions les plus élémentaires de reconnaissance sont confiées à des unités d’infanterie. Pour ne rien arranger, une atmosphère orageuse a succédé à la chaleur écrasante des jours précédents, et la matinée est pluvieuse. Lee sait pertinemment que ses hommes, à qui la seconde bataille de Bull Run a demandé beaucoup, ont besoin de repos. Pourtant, il sait aussi que le temps joue contre lui : s’il ne tente pas quelque chose très vite, Pope aura tôt fait d’être renforcé.
C’est, du reste, précisément ce qui était en train de se passer. Pope avait rappelé à lui le 2ème Corps de l’armée de Virginie, que Banks avait conservé sur le Rappahannock en couverture. Surtout, Halleck avait dépossédé McClellan de la quasi-totalité de ce qui restait de forces à l’armée du Potomac – au grand déplaisir de Little Mac. Le IIème et le VIème Corps étaient en train d’arriver à Centreville, renforçant l’armée de Pope de 20.000 combattants aguerris et frais. Halleck enjoignait également Pope à profiter de ces renforts pour repartir à l’attaque, et le général nordiste faisait effectivement des préparatifs en ce sens. Qui plus est, la pluie menaçait de rendre le Bull Run infranchissable à plus ou moins brève échéance. L’autre option pour Lee aurait été de se replier face à cette menace, mais elle aurait équivalu à rendre l’initiative aux Nordistes, annulant tout l’avantage stratégique que la victoire de la veille avait amené. Le général sudiste n’hésite pas longtemps. Dans l’après-midi du 31 août, il envoie la cavalerie de Stuart en éclaireur vers le nord, puis le corps d’armée de Jackson le suit dans la foulée.
La bataille de Chantilly
Le plan de Lee est essentiellement une réédition de la manœuvre lancée le 25 août, mais à plus petite échelle : Jackson doit contourner l’aile droite des Fédéraux par le nord, puis obliquer vers l’est et s’immiscer entre l’armée nordiste et Washington. Traversant le Bull Run à Sudley Springs, les Confédérés ont pour objectif de rejoindre la route à péage de Little River, puis de la suivre jusqu’à ce qu’elle croise celle de Warrenton à Germantown, non loin de Fairfax Court House – à l’est de Centreville, et à quelques kilomètres seulement de Washington, où ne demeure que la – puissante, cependant – garnison de la ville. Toutefois, les hommes de Jackson sont épuisés comme les autres. La pluie n’arrange rien et les empêche de rééditer leurs exploits passés : au soir du 31 août, ils sont encore à plusieurs kilomètres de Germantown. Jackson n’a d’autre choix que de les faire bivouaquer dans une localité nommée Pleasant Valley, à faible distance d’une plantation répondant au doux nom de Chantilly.
L’épuisement de la cavalerie nordiste implique que Pope est momentanément « aveugle » sur les faits et gestes de Lee. Les cavaliers de Stuart masquent les mouvements de Jackson avec d’autant plus de facilité qu’ils viennent d’être renforcés par une troisième brigade, aux ordres de Wade Hampton – qui a profité de sa convalescence, après la bataille de Seven Pines, pour changer d’arme et passer de l’infanterie à la cavalerie. Durant la nuit, les cavaliers confédérés lancent en toute impunité des actions de reconnaissance et de harcèlement contre Germantown. Pope, qui sous-estime la menace, croit qu’il s’agit simplement de patrouilles isolées, mais des estafettes nordistes isolées finissent par lui rapporter dans les environs la présence, non seulement de cavaliers en nombre, mais également de fantassins. Inquiet, Pope envoie sur place une brigade du IIème Corps pour confirmer la chose, à 3 heures du matin le 1er septembre.
Bataille de Chantilly, 2 septembre 1862 : l'attaque de la division Stevens (carte de la Fairfax County Park Authority).
Il devient très vite évident que la menace est des plus réelles : les Sudistes sont en passe de tourner son aile droite. Inquiet, et beaucoup moins sûr de lui depuis sa dernière défaite, Pope annule toute action offensive et ordonne à l’armée de se replier sur Fairfax Court House. Dès l’aube, toujours pluvieux, du 1er septembre, Jackson se remet en marche. Quelques miles seulement le séparent de Germantown, où il pourra couper la retraite de Pope et lui infliger une défaite décisive. Le reste de l’armée sudiste, suivant ses traces, s’est mise en marche à son tour et ne tardera pas à le rejoindre. Mais ses soldats sont trempés, épuisés et affamés. Lui-même tombe de sommeil, et ne résistera pas à la tentation de s’accorder une sieste. Accessoirement, Pope a envoyé la division Hooker à Germantown pour sécuriser sa position, et celle-ci arrive sur place avant Jackson. Ce dernier estime alors plus prudent de s’arrêter à distance respectueuse, laissant ses troupes au repos à proximité d’une hauteur baptisée Ox Hill.
Durant toute la matinée, les patrouilles nordistes accrochent sporadiquement les cavaliers de Stuart. Manquant de renseignements précis, Pope décide de renforcer Hooker en envoyant le IXème Corps explorer les approches de la route à péage de Little River et en prendre le contrôle. Vers 13 heures, la division Stevens quitte Centreville. Trois heures plus tard, la cavalerie sudiste la repère en train d’approcher des positions de Jackson à Ox Hill. Les brigades Branch et Field sont envoyées à sa rencontre afin d’évaluer le danger, déployant leurs tirailleurs à proximité de la ferme Reid. Les Confédérés sont repérés peu après par les éclaireurs nordistes, et le combat s’engage non loin du talus de la même voie ferrée inachevée le long de laquelle s’était livrée la seconde bataille de Bull Run. Prenant l’avantage, les Fédéraux refoulent leurs vis-à-vis et s’emparent de la ferme Reid.
Faute de renseignements adéquats, Stevens sous-estime certainement les forces qui lui font face, et décide de pousser son avantage en attaquant sans plus attendre. Rapidement renforcé par les premiers éléments de la division Reno (la brigade Ferrero), il déploie ses trois brigades l’une derrière l’autre face à la position sudiste, tout en envoyant Ferrero couvrir son flanc dans les bois situés sur sa droite. Jackson, constatant que l’ennemi est présent en force, fait dans le même temps déployer les divisions Lawton et Starke sur une position en arc de cercle courant jusqu’à la route de Little River. Le reste de la division A.P. Hill, plus éloigné, est pour sa part envoyé vers la droite. Pour rester alignées avec le reste des forces sudistes, les brigades Field et Branch reculent de quelques dizaines de mètres. Protégés par une clôture, masqués par le champ de maïs et le verger qui jouxtent la ferme Reid, les Sudistes se soustraient ainsi momentanément à la vue de leurs adversaires.
Mort de deux généraux
Il est 16 heures 30 lorsque Stevens ordonne malgré tout une attaque « à l’aveuglette », qu’il mène personnellement depuis l’avant, avec la brigade d’Addison Farnsworth. Parallèlement, la pluie se mue soudainement en violent orage, aggravant encore le manque de visibilité sur le terrain. Les Fédéraux sont accueillis par les Tigres de la Louisiane, qui ont pris position derrière une barrière immédiatement à l’est de la ferme Reid. Également pris à partie par les brigades Branch et Field renforcées par celle de Gregg, Stevens fait déployer la brigade Christ sur la gauche. Ce mouvement met les hommes de Gregg, déjà durement éprouvés les jours précédents, en fuite, mais ils sont immédiatement remplacés en ligne par la brigade d’Edward Thomas. Plus à droite, cependant, la brigade Farnsworth est en mauvaise posture, car elle est sans protection au milieu d’un pré. Constatant que son seul espoir d’éviter l’anéantissement est de charger droit devant elle, Stevens envoie demander des renforts en urgence, fait mettre baïonnette au canon et s’élance à la tête de ses soldats. Quelques instants plus tard, il est tué d’une balle dans la tempe.
Rendus furieux par la mort de leur chef, qui fut aussi leur colonel au début de la guerre, les hommes du 79ème régiment de New York – les Cameron Highlanders, majoritairement écossais – poursuivent leur charge, obligeant les Louisianais à se replier. Toutefois, la brigade Early contre-attaque aussitôt, et les Nordistes sont forcés de reculer. Ferrero, après avoir échangé quelques salves dans les bois avec la brigade Trimble, couvrira le repli fédéral. Un peu avant 18 heures, Benjamin Christ regroupe ce qui reste de la division Stevens au sud-est de la ferme Reid. L’arrivée de la brigade Nagle met le IXème Corps au complet, mais il est en bien piteux état et pour ne rien arranger, son commandant Jesse Reno, épuisé et malade, n’est pas davantage disposé à renouveler l’attaque.
Bataille de Chantilly, 2 septembre 1862 : l'attaque de la division Kearny (carte de la Fairfax County Park Authority).
Néanmoins, l’appel de Stevens n’est pas resté sans réponse. Retrouvant ses bonnes habitudes, Philip Kearny a emmené sa division à son secours et arrive à la rescousse à 17 heures 15 avec la brigade Birney. Il l’emmène aussitôt dans une manœuvre destinée à flanquer l’ennemi par la gauche, laissant à Reno le soin de couvrir son propre flanc droit avec le IXème Corps. Or, Jackson est justement en train de renforcer le centre de sa ligne, qui n’est pas sorti indemne de l’attaque de Stevens, et le redéploiement qui en résulte laisse sa droite à découvert. Peu après 18 heures, Birney assaille la brigade Branch et la prend en enfilade, la mettant rapidement dans une situation très délicate. Toutefois, l’inaction de Reno, qui n’a en fait pas bougé d’un pouce, laisse exposée la droite de Birney, qui ne peut pousser son avantage. Kearny galope alors vers l’arrière pour rameuter lui-même des renforts.
Les hommes du IXème Corps, toutefois, sont hésitants et manquent de munitions. Il parvient finalement à trouver un unique régiment, qu’il tente de ramener au plus vite en soutien de Birney. Galopant pour inspirer un pas plus rapide aux fantassins qu’il guide, mais gêné par l’orage et le jour déclinant, Kearny va trop loin et tombe nez-à-nez avec des soldats sudistes qui le mettent en joue et le somment de se rendre. Peu disposé à se laisser capturer, le général nordiste tourne bride, mais les Confédérés sont les plus prompts et l’abattent. « Kearny le Magnifique », comme Stevens un peu plus tôt et à quelques dizaines de mètres de là, est tué sur le coup. Le lendemain, le général Lee fera respectueusement ramener sa dépouille dans les lignes nordistes, avec un mot de condoléances.
Triomphe sudiste
La bataille de Chantilly ne « survivra » guère à Kearny. Les hommes de Branch réussissent à tenir et, au bout de quelques minutes, Birney finit par décrocher. Il est rejoint peu après par le reste de la division, et les Nordistes s’installent en position défensive pour la nuit. Jackson, qui juge sa position trop avancée et ignore si d’autres renforts fédéraux sont en route, décide de réduire la distance qui le sépare du reste de l’armée sudiste et décroche à partir de 23 heures. Il fera sa jonction avec Longstreet le lendemain matin. Pour les Confédérés, l’affrontement du 1er septembre est, semble-t-il, un nouvel échec stratégique : même si Jackson a repoussé les attaques nordistes, ce fut non sans mal, et sans parvenir à l’objectif que Lee lui avait assigné – couper la retraite de Pope. Match nul tactique, Chantilly ne semble pas avoir eu beaucoup plus d’effet que simplement rallonger de près de 1.300 noms la déjà longue liste des pertes subies par l’Union, et d’environ 800 autres celle de la Confédération.
Toutefois, la mort de Stevens et Kearny porta un nouveau rude coup au moral déjà en berne de Pope et de son armée. Manquant de renseignements, craignant la reprise imminente des attaques sudistes contre Germantown, le chef de l’armée de Virginie n’attendit même pas le lever du jour pour prendre une décision lourde de conséquences sur le plan stratégique. Abandonnant pour de bon l’initiative à son ennemi, il ordonna à ses forces de se replier intégralement jusqu’à Washington – mouvement entamé dès le 2 septembre à 2 heures 30 du matin. La campagne de Virginie du nord s’achevait en triomphe pour la Confédération. De vastes zones de l’État, précédemment occupées, étaient à présent libérées de toute présence fédérale. L’Union étant désormais sur la défensive, Lee gardait la main, et il n’allait pas hésiter longtemps pour décider ce qu’il convenait d’en faire.
Ce dénouement jeta la consternation à Washington, en vue de laquelle le gros des troupes nordistes arriva dès le 3 septembre. Même s’ils avaient gardé cette fois leur cohésion et ne s’étaient certainement pas enfuis devant l’ennemi, les régiments battus et démoralisés de Pope ne manquèrent pas de rappeler aux habitants angoissés de la capitale fédérale les heures sombres qui avaient suivi la première bataille de Bull Run, un peu plus d’un an auparavant. La crainte de voir les rebelles menacer la ville refit surface, même si elle n’avait rien de rationnel : puissamment fortifiée, Washington était une trop grosse proie pour l’armée sudiste et Lee le savait pertinemment. De toute manière, il avait d’autres projets en tête. Dans le camp nordiste, pourtant, on trouvait au moins un homme avec des raisons de se réjouir : George B. McClellan. La défaite de Pope éclipsait désormais la sienne, et Little Mac n’était pas très éloigné de la position de sauveur qu’il affectionnait tant.
Ses anciens soldats, du reste, lui réservèrent un accueil tonitruant lorsqu’il vint chevaucher au milieu d’eux, au soir du 3 septembre. William Powell, alors capitaine dans la division des troupes régulières de Sykes, décrivit ce moment, bien des années plus tard : « Quelques minutes s’étaient écoulées, toutefois, lorsque le capitaine John D. Wilkins […] accourut vers le colonel Buchanan, criant Colonel ! Colonel ! Le général McClellan est ici !" Les hommes du rang saisirent ce cri ! Quiconque était debout réveilla son voisin. On se frotta les yeux, et ces types épuisés, à mesure que la nouvelle parcourait la colonne, sautèrent sur leurs pieds, et poussèrent un hourrah comme l’armée du Potomac n’en avait encore jamais entendu. L’un après l’autre, les cris résonnèrent dans le silence de la nuit, et à mesure qu’ils étaient portés le long de la route et répétés par régiment, brigade, division et corps, nous pouvions en entendre le rugissement s’évanouir dans le lointain. L’effet de la présence de cet homme sur l’armée du Potomac – sous le soleil ou la pluie, dans l’ombre ou la lumière, dans la victoire ou la défaite – était électrique, et trop merveilleux pour qu’il vaille la peine d’essayer d’y trouver une explication. »
Il était évident que la seule présence de McClellan suffisait à faire remonter en flèche le moral des soldats nordistes. Alors que ces derniers pansaient leurs plaies autour de Washington, une nouvelle menace ne tarda pas à se matérialiser pour l’Union : Lee faisait route vers le nord. Lincoln n’eut bientôt plus d’autre choix que de rappeler McClellan aux affaires. Le 12 septembre, l’armée de Virginie fut dissoute, et ses troupes furent réaffectées à l’armée du Potomac. Privé de commandement, John Pope ne dut qu’à l’amitié de Lincoln d’obtenir un autre poste : transféré dans l’Ouest, il allait devoir faire face à l’insurrection que les Sioux, mécontentés par le non respect des traités signés avec le gouvernement fédéral, avaient déclenchée dans le Minnesota et le Dakota en août 1862. Quant à l’armée du Potomac, elle n’allait pas se reposer très longtemps, ayant de nouveau une campagne décisive à mener – cette fois dans le Maryland.