Pendant des millénaires, le crime parfait a eu son arme idéale : le poison. Bien maîtrisé il tue à coup sûr et donne l'illusion d'une mort naturelle. Depuis longtemps l'homme a pris conscience qu'une même substance pouvait être à la fois remède et toxique, guérir ou tuer. De la mort de Cléopatre à la sufureuse affaire des poisons sous Louis XIV, plogeons nous dans l'univers fascinant «des herbes à sorcières » telles la funeste mandragore, la mortelle belladone, des minéraux toxiques (mercure, cyanure arsenic)...
Poison : de quoi s'agit-il ?
Selon le grand docteur médiéval Paracelse, souvent considéré comme le fondateur de la toxicologie, c'est la dose qui fait le poison. Dès les temps préhistoriques l'homme a fait usage de substances toxiques pour la chasse. Toxicon est un terme grec dont la signification était poison pour pointe de flèche. Deux mille ans avant Paracelse, Hippocrate avait montré que selon la quantité ingérée et selon la manière de les administrer certaines substances pouvaient être néfastes ou bénéfiques à la santé.
L'écorce de saule était employée pour faire tomber la fièvre (il en sera extrait l'acide acétylsalicylique, principe actif de l'aspirine). La dangereuse mandragore employée par les empoisonneuses médiévales était utilisée en petites quantités pour atténuer les douleurs de l'accouchement. La maléfique colchique était décrite comme un remède contre la goutte. De même l'aconit utilisé pour empoisonner les flèches pouvait servir d'antidote à une personne mordue par un serpent venimeux . La jusquiame, fatale à forte dose était souveraine contre la toux, les maladies de la peau et les inflammations oculaires.
Les produits de la nature susceptibles d'être utilisés comme remède-mais aussi comme poison- se trouvaient en vente libre dans les « pharmacopoles » ancêtres de nos pharmacies actuelles, le mot pharmakon ayant le double sens de poison et remède. La pratique de l'empoisonnement pourtant très sévèrement condamnée par les tribunaux, n'était pas rare dans la Grèce antique, ou certains médecins n'hésitaient pas contre rétribution à faire passer à trépas une personne dont l'entourage était pressé de se débarrasser.
Pour de nombreux êtres vivants (plantes, animaux micro-organismes) le poison constitue une arme de survie. Les substances qu'ils produisent leur permettent de tuer ou de paralyser les proies dont ils se nourrissent et certains végétaux se protègent de cette manière contre les insectes ou les animaux susceptibles de manger leurs feuilles.
Le règne des plantes, des champignons, le règne animal sont les plus grands pourvoyeurs de substances toxiques ainsi que les minéraux : l'arsenic, le mercure, le plomb, l'antimoine.
Comment fonctionne l'empoisonnement
Un poison entre dans le corps de différentes manières : par ingestion (il passe dans le sang) par la peau (plaie ou coupure) dans les veines (crochets de serpents, dard du scorpion, seringue) par les yeux.
Selon son âge, son état de santé, ses prédispositions génétiques l'être humain ne réagit pas de la même façon, ainsi que les espèces animales ; certaines baies mortelles pour l'homme sont inoffensives pour les chenilles ou les oiseaux qui les mangent. Les poisons neurotoxiques comme le mercure agissent sur le système nerveux tandis que les substances cytotoxiques perturbent le fonctionnement cellulaire. Les poisons hémotoxiques (venins de serpents) empêchent la coagulation sanguine, quelque poisons (venin de certaines vipères) associent substances neurotoxiques, hémotoxiques, et myotoxiques (muscles).
Poisons de la Renaissance et arsenic
Au temps du Moyen-Age, la pratique de l'empoisonnement ne faiblit pas et de nombreux empoisonneurs sont arrêtés et conduits au bûcher, surtout des femmes qui, a cette époque, sont perçues comme des créatures diaboliques. Les guérisseuses-accoucheuses ont une connaissance approfondie de la nature ce qui inquiète la société médiévale, des dizaines de millier de personnes font l'objet d'une chasse aux sorcières (organisée par l'église et la sinistre inquisition) qui les soumettent à la torture et les envoie au bûcher !
A la Renaissance, les plantes tueuses sont de plus en plus connues c'est pourquoi de nouveaux mélanges moins détectables voient le jour. Ils associent les plantes tueuses à des poisons d'animaux et à des élément minéraux.
Elément semi-métallique présent dans certains minerais, l'arsenic, quasiment inodore et extrêmement toxique, peu coûteux et quasiment indétectable, fut considéré jusqu'au XIX siècle comme le « roi des poisons ».
Dans la Rome de la Renaissance la Sicilienne Giulia Toffana, considérée comme une des plus grandes empoisonneuses de l'histoire inventa l'acqua Toffana potion mortelle dans laquelle l'arsenic entrait en large part, la proposant aux femmes qui voulaient se débarrasser de leur mari. En moins de vingt ans six cents époux y auraient succombé ! A l'époque de ''l'affaire des poisons'' sous le règne de Louis XIV, l'empoisonneuse la Voisin fut brûlée ainsi que d'autres personnes dont la célèbre marquise de Brinvillier, pour avoir utilisé ce mortel ingrédient. La marquise de Montespan elle-même est mise en cause dans cette sombre affaire.
Mais l'arsenic est utilisé dès l'antiquité comme remède, par exemple pour lutter contre la syphilis. L'anglais Thomas Fowler mit au point avec cet ingrédient un traitement pour lutter contre les fièvres, l'épilepsie, les affections cutanées, le lumbago...L'arsenic fut employé également pour fabriquer des peintures, des tentures.
L'affaire des poisons : un scandale à la cour de Louis XIV
L'affaire des poissons est la plus célèbre affaire d'empoisonnement et de magie noire, dans laquelle furent impliquées plusieurs dizaines de proches de la cour sous Louis XIV, de 1679 à 1682. L'affaire commença avec l'arrestation de la Voisin — Catherine Deshayes, épouse Monvoisin — le 12 mars 1679. Liée à divers sorciers, prêtres spécialisés dans des messes noires et devins, elle fut rapidement convaincue d'avoir fabriqué, outre des philtres aphrodisiaques, des poisons mortels dont ses clients firent usage. À cette fin, elle était invitée dans les meilleurs salons.
Le lieutenant de police La Reynie suggéra à Louis XIV d'instituer une Chambre ardente pour mener à la fois l'instruction des faits et le dossier des accusés. La Chambre, présidée par Louis Boucherat, s'ouvrit le 10 avril 1679. Mme de Dreux, la vicomtesse de Polignac, la duchesse de Bouillon furent, entre autres personnalités de la grande robe ou de la haute noblesse, impliquées dans les enquêtes : Louis XIV avait ordonné qu'on n'eût point égard aux personnes.
Le 1er octobre 1680 cependant, il interrompit les travaux de la Chambre : son ancienne favorite, Mme de Montespan, était à son tour mêlée à l'affaire ; elle aurait voulu empoisonner Mlle de Fontanges, que commençait à privilégier le roi. Ayant obtenu que toutes les pièces concernant Mme de Montespan fussent retirées des dossiers, Louis XIV autorisa la reprise des travaux de la Chambre le 19 mars 1681. Les personnes liées à l'affaire de Mme de Montespan furent soumises à la procédure des lettres de cachet, qui permettait d'éviter le scandale.
Lorsque l'affaire fut close, un édit fut institué le 30 août 1682, interdisant toutes les pratiques de magie noire ou de divination et réglementant sévèrement les manipulations des produits pharmaceutiques. Cette affaire, qui marqua profondément l'opinion, montrait, d'une part, l'importance des pratiques liées à la sorcellerie au sein même des élites les plus proches du pouvoir ; d'autre part, la permanence de pratiques criminelles dans le monde de la robe et de la cour malgré l'écho donné au procès et à l'exécution, en 1676, de la marquise de Brinvilliers.
Morts célèbres par le poison
Accusé de corrompre la jeunesse et de ne pas respecter les dieux de la cité, Socrate fut condamné par un tribunal d'Athènes à se donner la mort en buvant une substance de sève de ciguë, de pavot et d'autres éléments. Cléopâtre se serait suicidée à l'aide d'un venin de serpent. Contraint d'abdiquer, Napoléon aurait-il tenté de se suicider par le poison ? Henriette-Anne d'Angleterre, épouse du frère de Louis XIV a-telle été comme elle le croyait, empoisonnée ?
L'histoire des poisons et des empoisonneurs semble aussi ancienne que la recherche du crime parfait. Le poison idéal est une arme qui présente trois atouts essentiels : il tue de façon sûre, il est indétectable et donne l'illusion d'une mort naturelle. L'histoire de l'humanité fourmille d'exemples d'empoisonnements volontaires visant à se débarrasser d'un ennemi, d'un conjoint, d'un rival politique ou de toutes personnes dont les biens suscitent la convoitise. On utilise encore le poison pour exécuter les condamnés à mort.
Pour aller plus loin
- Histoire des poisons, des empoisonnements et des empoisonneurs, d'Eric Birlouez. Ed Ouest-France, juin 2016.
- Poisons: L'histoire des poisons, des poudres et des empoisonneurs, de Ben Hubbard. EPA, 2020.
- L'affaire des poisons, de Claude Quetel. Tallandier Texto, 2021.