Le terme de « Grande Armée » est donné par l'empereurNapoléon Ier à l’armée qu’il a réunie en 1805 au camp de Boulogne pour envahir le Royaume-Uni. C’est cette armée qui est réorientée vers l’Autriche dès la fin de l’année et qui remporte les fulgurantes victoires d’Ulm et d’Austerlitz. Dès lors, le terme de « Grande Armée » est associé à l’armée impériale jusqu’en 1815, cette armée considérée comme la meilleure du monde qui entre dans Madrid, Berlin, Rome, Vienne, Moscou… L’infanterie, reine des batailles, forme l’épine dorsale de cette machine de guerre.
La Grande Armée : le recrutement
Napoléon a hérité des guerres révolutionnaires des soldats aguerris et un système de conscription qui lui permet de combler rapidement les rangs dans les régiments épurés sur les champs de bataille. La conscription oblige tout citoyen de 20 à 25 ans à faire un service militaire pour une durée indéterminée. Autrement dit, tout jeune homme entrant dans cette fourchette d’âge peut être appelé pour intégrer les rangs de l’armée. Cette perspective est loin d’enchanter la majorité des conscrits, le plus souvent la fin du service ne se justifie que quand le soldat est mutilé… Ou mort… Lorsqu’une levée est décidée, le préfet du département est informé du nombre d’hommes à fournir, et chaque sous-préfet organise la levée. On organise alors une revue des conscrits pour vérifier les éventuelles inaptitudes liées à la taille ou à un handicap, on note également les exemptés (fils de veuves, ainés d’orphelins…) puis on effectue un tirage au sort. Quand les familles sont suffisamment riches, elles peuvent parfois payer un remplaçant qui va échanger son bon numéro contre celui de leur fils. Dans de tels cas bien évidemment tout se fait moyennant finance et la famille paye en plus une somme pour l’équipement.
Si cette conscription passe assez bien dans les régions du Nord-Est, plus directement menacées par les invasions, il n’en est pas de même des régions comme le Massif Central. Là les réfractaires sont nombreux, ils se cachent dans les fermes, dans les granges, le plus souvent avec le soutien de la population locale. On va jusqu’à organiser des colonnes mobiles pour les traquer, on joue aussi beaucoup sur la culpabilité de ceux qui se cachent, obligeant l’État à faire appel à d’autres pour faire à leur place leur service citoyen.
Les conscrits sont ensuite théoriquement envoyés au dépôt, le cinquième bataillon des régiments, pour y recevoir une instruction militaire de base précédent leur incorporation dans un bataillon de combat. Mais cela prend du temps, pour combler plus rapidement ses bataillons de guerre en soldats formés Napoléon pioche parfois directement dans les compagnies de réserve départementales. Ces compagnies, de l’ordre d’une par département (sauf la Seine qui en a deux et la Corse qui n’en a pas), sont composées de conscrits qui font un service actif, mais local : garde de bâtiments publics, escorte de réfractaires ou de prisonniers… Elles sont composées d’hommes formés et rompus à la vie militaire et à l’exercice, des hommes qui peuvent être rapidement utilisés au combat. À charge pour les compagnies de réserve de reformer elles-mêmes de nouveaux soldats jusqu’à la prochaine levée.
L’organisation militaire, de l’escouade au régiment
En décembre 1807 Napoléon envisagea de remplacer les régiments par des légions, des corps plus importants de huit ou neuf bataillons. Mais cette réforme resta au stade de projet et ne se concrétisa que dans le cas de quelques légions de réserve en Espagne. En 1808 par contre, l’Empereur réforme ses régiments : 140 hommes par compagnie, 3.970 hommes par régiments, ces derniers étant à présent composés de cinq bataillons. Même si dans les faits ces chiffres ne furent pas toujours atteints… En 1809 la prise des arsenaux de Vienne, la capitale autrichienne, permit à Napoléon d’augmenter la puissance de feu de son infanterie en équipant de deux canons légers de 3 ou 4 livres tous les régiments déployés dans cette campagne ! Ces compagnies d’artilleries au sein des régiments d’infanterie furent dissoutes à la fin de la campagne, mais réapparurent l’année suivante dans le Corps d’Observation de l’Elbe. Enfin vers la fin de l’Empire on augmenta encore le nombre de bataillons par régiment à six et 1811 et jusqu’à sept en 1813…
Les régiments d’infanterie sont divisés en deux grandes catégories : les régiments d’infanterie de ligne (135) et les régiments d’infanterie légère (35). Les soldats de l’infanterie de ligne sont des fusiliers et ceux de l’infanterie légère des chasseurs. Pourtant, mis à part l’uniforme et le nom, rien ne permet de différencier les deux types de régiment en ce qui concerne l’armement et l’utilisation tactique. Les régiments d’infanterie légère sont utilisés de la même façon que les régiments de l’infanterie de ligne. Par contre, là où l’on note une différence entre types de soldats, c’est bel et bien au sein même des bataillons où l’on trouve des compagnies d’élites.
Les compagnies d’élites dans la Grande Armée
La troisième compagnie de chaque bataillon d’infanterie de ligne est une compagnie de Voltigeurs, formée d’hommes sélectionnés pour leur plus petite taille, leur agilité et pour leur valeur au combat. Napoléon offre ainsi aux soldats de petite taille une occasion de se distinguer ailleurs que dans les compagnies de Grenadiers auxquelles ils n’avaient pas accès. Ils finiront d’ailleurs par obtenir la même paye que les Grenadiers et, placés sur la gauche de la formation, ils ne cesseront d’entretenir la concurrence avec les Grenadiers placés à droite.
Chacune de ces compagnies est formée d’un capitaine, un lieutenant, un sergent-major, quatre sergents, un fourrier, huit caporaux, cent-quatre voltigeurs et deux instruments, des cornets, qui remplacent les tambours qui servent dans le reste de l’infanterie. C’est à ces hommes que l’on confie réellement toutes les missions d’une infanterie légère : le déploiement en tirailleur, les coups de force éclairs, les reconnaissances, les patrouilles… Comme les Grenadiers, les Voltigeurs sont équipés du sabre-briquet. Cependant en 1807 Napoléon leur supprime ce sabre, mais dans les faits beaucoup le garde au moins jusqu’en 1809. Les voltigeurs sont des soldats aguerris, de grande qualité, et le capitaine Desboeufs écrivit dans ses mémoires qu’il préférait largement commander à 300 voltigeurs qu’a 500 hommes de la Garde…
La Garde Impériale
« La Garde était mon trésor d’homme » écrit Napoléon à Sainte-Hélène, elle est devenue un véritable mythe du vieux soldat imbattable, fidèle à l’Empereur jusqu’à la mort, refusant de se rendre à Waterloo. La Garde est une armée dans l’armée, composée d’hommes aguerris choisis dans les autres régiments. Ils portent généralement le sabre-briquet, ont une solde supérieure aux autres soldats et bénéficie d’un prestige sans borne. Pourtant, la Garde est aussi admirée que mal vue par le reste de l’armée. En effet ce corps d’élite est tellement préservé par Napoléon qu’il refuse parfois de l’employer. Ainsi lors de la campagne de Prusse en 1806 la Garde reste en réserve. Mais il ne faut pas croire que les hommes de la Garde étaient des planqués, loin de là, ils furent mis à rude épreuve en Espagne, mais aussi durant la campagne d’Allemagne (1809), à Essling, à Wagram, durant la campagne de Russie (1812), durant la campagne de Saxe (1813), celle de France (1814) et bien entendu à Waterloo quand elle sera reconstituée lors des Cent-Jours.
L’infanterie de la Garde évolue constamment durant la période. En 1810 on trouvait dans l’infanterie de la Vieille Garde un régiment de Grenadiers à pied et un régiment de Chasseurs à pied. Dans la Moyenne Garde deux régiments de Grenadiers à pied, autant de régiments de Chasseurs à pied, et deux bataillons de vélites. Dans la Jeune Garde un régiment de Pupilles, un régiment de la Garde Nationale, des régiments de Voltigeurs, de Tirailleurs, de Flanqueurs…
Les autres fantassins
La Garde, l’infanterie de ligne et la légère forment le cœur, l’âme, de l’armée française. Nous ne sommes pas rentrés ici dans les détails des nombreux cas particuliers, des régiments provisoires, des régiments de marche et autres unités atypiques… Mais il convient tout de même de signaler qu’à l’occasion Napoléon pouvait disposer d’autres types d’infanterie, comme des Gardes Nationaux, des Compagnies de Réserve, la Garde Municipale de Paris, ou même des compagnies de Garde d’Honneur formées de volontaires dans les grandes villes, chargés d’accueillir les personnalités, mais qui firent parfois, exceptionnellement, un service actif.
Enfin, n’oublions pas que l’armée de Napoléon n’est pas uniquement composée de régiments français, mais que la Grande Armée fédère en son sein une multitude de nationalités alliées de gré ou de force et appelées à participer aux campagnes militaires de l’Empire. Parmi les unités étrangères, notons la Légion de la Vistule (rattachée à la Jeune Garde).
L’infanterie au combat dans la Grande Armée
Nous n’entrerons pas ici dans la description des conditions de vie du soldat, déjà largement détaillées dans un autre article du site. Mais intéressons-nous à l’utilisation de l’infanterie dans la bataille. Le fantassin est équipé d’un fusil à silex modèle 1777, modifié an IX. Une arme d’ 1,52m (sans sa baïonnette), de 4,6kg et d’un calibre de 17,5mm, projetant une balle sphérique en plomb de 23g. Pour faire feu, le chargement de l’arme se fait en douze temps :
- Chargement de l’arme : positionner le fusil perpendiculairement soit, platine vers l’extérieur
- Ouvrir le bassinet et la giberne contenant les cartouches
- Prendre la cartouche (enveloppe en papier contenant la poudre et la balle)
- Déchirer la cartouche
- Amorcer : remplir le bassinet de poudre
- Fermer le bassinet
- Passer l’arme à gauche
- Verser le reste de poudre dans le canon puis y introduire le reste du papier avec la balle
- Tirer la baguette du fusil
- Bourrer la balle avec la baguette
- Ranger la baguette
- Se mettre en position du « porter arme »
Une fois les armes chargées trois ordres déclenchent la salve :
- « Apprêtez vos armes ! » : le fusil est porté en avant, le pouce armant chien.
- « Joue ! » : les soldats mettent en joue et vise la cible avec leur pouce (le fusil n’est pas équipé d’organes de visée)
En faisant ainsi un soldat napoléonien pouvait tirer environ deux ou trois coups de feu à la minute. Cette cadence est bien entendu variable selon l’entrainement, et l’état de stress du combattant. Dans la mesure du possible on essaye d’effectuer un tir de salve, qui a un effet psychologique plus important. Il est généralement inutile d’ouvrir le feu à plus de 200m, et vaut mieux attendre des distances beaucoup plus courtes pour une meilleure efficacité. Ce fusil avait un canon lisse, pourtant des armes rayées, des carabines, existaient déjà. Cependant, le chargement d’une carabine nécessitait un maillé et n’était efficace que si le chargement était parfaitement réussi avec un petit chiffon gras, autant d’éléments qui deviennent difficiles dans le stress du combat et avec l’encrassement de l’arme causé par la poudre noire. Par conséquent, l’infanterie napoléonienne ne fut pas grande consommatrice de carabines…
En termes de règlement tactique, l’armée napoléonienne n’innova pas et le règlement resta celui de 1791. Si Napoléon fit mieux que ses prédécesseurs ce ne fut pas en déployant ses troupes autrement, ce fut en les déployant au bon endroit et au bon moment…
Les soldats avançaient généralement en ligne serrée, chaque soldat occupant un espace d’environ un pas et touchant légèrement les coudes de ses voisins. La ligne de derrière n’était pas éloignée de plus d’un pied. Le bataillon était généralement déployé sur trois lignes où étaient alignés les pelotons (les compagnies). Quand le nombre de soldats par peloton n’était pas forcément égal, on les répartissait pour former des pelotons tactiques. La formation du bataillon en bataille, en rangs serrés et sur trois rangs, est la principale formation utilisée par les armées napoléoniennes.
Quand elle se met en marche, la ligne avance au pas cadencé à un rythme assez lent de 76 pas à la minute. Une lenteur obligatoire pour tenter de garder une ligne droite de 100 à 120 mètres de long en sachant qu’à certains endroits les soldats risquent de rencontrer des obstacles (pierres, buissons…). On pouvait également ordonner un pas oblique de manière à déplacer la ligne un peu plus d’un côté ou de l’autre, tout en la gardant parfaitement aligné face à l’ennemi.
Si elle avait besoin de se déplacer rapidement, la ligne pouvait faire un demi-tour droite pour se retrouver en colonne de marche. Là le pas cadencé était plus rapide, environ 100 pas à la minute. En cas de nécessité on pouvait aussi progresser au pas de charge, soit environ 120 pas à la minute. Enfin, lors des longs déplacements, le bataillon était mis au pas de route, qui n’est pas cadencé. C’est une marche plus libre avec un rythme de 85 à 90 pas minute environ, les soldats pouvaient alors porter l’arme à leur guise, discuter entre eux, chanter…
Une troisième formation était courante au niveau des bataillons : le carré. Cette formation, qui avait était particulièrement efficace lors de la bataille des Pyramides, permet principalement de se prémunir des attaques de la cavalerie. Le bataillon se forme alors selon une forme de carré avec deux pelotons par côtés disposés sur six rangs, les officiers, les drapeaux et les tambours au centre. Les angles des carrés étaient les plus vulnérables, et il fallait si possible les protéger avec des fourgons comme le préconisait Davout. Enfin, il fallait faire attention au positionnement des différents carrés pour qu’ils puissent se soutenir les uns les autres sans risquer de tirs fratricides.
« On va leur percer le flanc!
ran tan plan tire lire lan plan
On va leur percer le flanc!
ran tan plan tire lire lan plan
ah c'que nous allons rire
ran plan tire lire
On va leur percer le flanc!
ran tan plan tire lire lan plan
On va leur percer le flanc!
ran tan plan tire lire lan plan
le p'tit tondu s'ra content ? (bis)
ran tan plan tire lire lan plan »
Et enfin, que dire de ce fameux chant de marche :
« J'aime l'oignon frit à l'huile
J'aime l'oignon quand il est bon.
Refrain:
Au pas camarade, au pas camarade
Au pas, au pas, au pas.
Un seul oignon frit à l'huile
Un seul oignon nous change en lion.
Refrain:
Mais pas d'oignon aux Autrichiens
Non pas d'oignon à tous ces chiens. »
Quand le bataillon se déplace en colonne les voltigeurs peuvent être déployés en tirailleur à l’avant de la colonne pour prévenir toute embuscade. Ce sont eux qui fouillent les maisons, inspectent les bosquets, reconnaissent les ravins… En fait seuls les 2/3 se dispersaient en tirailleurs, les autres restaient groupés tant est si bien qu’en cas d’attaque de la cavalerie ennemie le tiers resté groupé pouvait faire face et les hommes déployés en tirailleurs pouvaient venir se réfugier auprès d’eux. Quand le reste de l’armée est en ligne les tirailleurs (des Voltigeurs, mais ce travail peu revenir à n’importe quel autre soldat si les circonstances l’imposent) peuvent être déployés pour harceler l’ennemi : ils se déploient, se cache si possible derrière le moindre obstacle, tirent sans cesse, et doivent être en mesure de se mettre à l’abri ou de se replier prestement si la cavalerie ennemie les prend en chasse.
En règle générale il convient de limiter au maximum les manœuvres compliquées, surtout quand se trouvent dans le bataillon des jeunes soldats qui n’ont pas ou peu été formés et risquent de briser la formation, offrant à l’ennemi l’occasion d’attaquer et de semer la panique. Néanmoins comme nous l’avons vu les mouvements d’infanterie napoléonienne ne consistent pas simplement à aligner des soldats en rang serrés et à les faire avancer contre la ligne adverse. Les fantassins ne cessent de manœuvrer, de la ligne à la colonne, de la colonne au carré… Progressant au pas cadencé, au pas oblique, ou se dispersant en tirailleur, s’adaptant au terrain, harcelant l’ennemi, dans des modes de combats beaucoup plus proches de celles des siècles suivants.
Une Grande Armée de plus en plus jeune
Si en 1804 Napoléon dispose de la meilleure armée avec les soldats les plus aguerris d’Europe, les lourdes pertes des multiples campagnes, et notamment le bourbier espagnol où il engagea son armée dès 1808, obligèrent à incorporer une part de plus en plus importante de jeunes recrues plus ou moins bien formées selon le temps qui s’écoulait entre leur enrôlement et leur premier engagement. Néanmoins, la machine impériale fonctionne pour le mieux jusqu’à la désastreuse campagne de 1812, en Russie, où Napoléon perd l’essentiel des forces vives de son armée.
Les troupes levées en 1813, qu’on appelle les « Marie-Louise », ne sont que des adolescents que l’on n’a pas le temps de former comme il se doit et qui s’aguerrissent à même le feu. Ils feront néanmoins preuve d’héroïsme inouï dans ces conditions particulières où la France était menacée et où tout un chacun croyait revivre les grandes heures de 1792 et 1793. Paradoxalement, on nota localement une augmentation des enrôlements volontaires dans ces dernières heures de l’Empire, comme la guerre avait changé de nature en se portant sur le territoire national.
À la fin de l’Empire, la nostalgie romantique, alimentée par les mémoires des vieux soldats et le désarroi des demi-soldes, va faire du fantassin de Napoléon une figure mythique et de la Grande Armée un idéal. Dès lors, tous les militaires et tous les chefs d’État rêveront d’avoir à leur disposition ces baroudeurs qui grognaient, mais marchaient toujours, ces « grognards », formant cette Grande Armée qui porta ses Aigles triomphalement aux quatre coins de l’Europe.
Pour aller plus loin sur la grande armée
- PIGEARD Alain, Dictionnaire de la Grande Armée, Editions Tallandier, 2002.
- PIGEARD Alain, « L’infanterie napoléonienne 1791 – 1815 », Tradition Magazine HS n°19, 2001.
- SOKOLOV Oleg, L’armée de Napoléon, Editions Commios, 2003.