Vivandières, cantinières, blanchisseuses, prostituées... Les femmes font pleinement partie de la Grande Armée. Incorporées dans les unités ou proposant leurs services aux troupes de passage, ces femmes améliorent le bien-être du soldat parti bien loin de sa famille. Certaines d'entre elles deviennent même de grandes figures de l'épopée napoléonienne, pour leur héroïsme, leur courage, voire pour certaines par leur singulière carrière comme soldat !
Cantinières, vivandières et blanchisseuses
Le cantinier est un homme, généralement un sous-officier, toutefois on lui tolère généralement la présence d'une femme pour l'aider à la cuisine (une par bataillon). Ces femmes ont pour seule mission de faire à manger, même si dans les faits il peut leur arriver de faire de la concurrence aux vivandières...
Deux sortes de femmes sont autorisées à suivre l'armée impériale : les blanchisseuses et les vivandières. Leur nombre est strictement réglementé à maximum quatre par bataillon, deux par escadron, par quartier général d'armée ou de division. Les blanchisseuses s'occupent du linge des soldats, pour faire suivre leur matériel elles sont autorisées par le règlement de 1809 à avoir un cheval de bât. Ce sont généralement des femmes de soldat et en tant que personnel militaire non combattant elles ont droit à une carte de sécurité (qui justifie de leur fonction), au logement et au pain. Elles portent également une médaille réglementaire.
La vivandière quant à elle vend à manger, à boire, éventuellement quelques ustensiles aux soldats. Elles sont autorisées à avoir une voiture tirée par deux chevaux. Par parallèle avec l'armée actuelle, elles tiennent pour ainsi dire un foyer ambulant... Le nombre est limité sur le même principe que les blanchisseuses. Elles n'ont droit à aucune solde, mais font quand même officiellement partie du personnel militaire : elles doivent avoir une carte de sûreté délivrée par les autorités militaires, elles ont droit à l'hôpital militaire en temps de guerre, et doivent être présentes quand les commandants de colonne font l'appel.
La discipline est assez stricte, les blanchisseuses et vivandières qui ne sont pas présentes lors de l'appel du commandant de la colonne risquent une amende la première fois, une peine de prison la seconde fois et la confiscation de leurs chevaux et voiture la troisième fois. Pire, si l'une d'elles est accusée d'avoir pillé ou d'avoir favorisé le pillage (notamment les vivandières qui recelaient des objets volés pour les revendre à leur compte), sa voiture doit être brulée avec tous ces effets et la femme vêtue de noir est promenée dans le camp et chassée. Mais ce n'est pas la plus humiliante des sanctions... Pendant la campagne d'Espagne, la sanction pour une femme qui suit l'armée sans autorisation est très dure : elle doit être déshabillée, rasée partout, passée au cirage, forcée à défiler devant les troupes et chassée à l'arrière...
Néanmoins, les vivandières font parties des grandes figures de la Grande Armée, lors des marches elles sont relativement protégées, leur voiture étant placée à la queue des équipages, entre la colonne et l'arrière garde. La vivandière est devenue une icône de l'historiographie de l'armée impériale, améliorant le quotidien des soldats avec ses produits et son petit tonnelet d'eau de vie, venant parfois au secours des blessés sur le champ de bataille, la vivandière est une des rares figures féminines dans une institution massivement virile. Elle apparait aussi, dans l'imaginaire romanesque du XIXe, comme une sorte de mère de substitution pour les plus jeunes conscrits...
Parmi les vivandières les plus connues se trouve celle qu'on surnommait Marie Tête-de-Bois. Marie épousa en 1805 un grenadier qui se fit tuer à Paris en 1814, la même année leur fils se faisait tuer à la bataille de Montmirail et elle-même était blessée en allant chercher son cadavre. Marie Tête-de-Bois, qui totalise dix-sept campagnes, se retrouve dans la Garde pendant les Cent Jours en 1815. C'est dans cette dernière campagne de l'Empire qu'elle trouve la mort, frappée par un biscayen qui transperce son tonnelet. Alors qu'elle rampe parmi les cadavres, une seconde l'aurait frappée au visage et un grenadier agonisant lui aurait fait remarquer avec humour qu'elle n'était pas belle ainsi, ce à quoi elle aurait rétorqué qu'elle pouvait quand même se vanter d'être fille, femme, mère et veuve de troupier.
Catherine Balland, du 95e de ligne, fut honorée par le peintre Lejeune qui la représenta sur son tableau de la bataille de Chiclana. Elle reçut la Légion d'honneur en 1813.
Prostituées et amours de campagne
La Grande Armée n'a jamais disposé de bordel plus ou moins officiel comme ce fut le cas plus tard dans l'armée française. Néanmoins, les prostituées (que l'on surnomme les « grisettes ») suivent les troupes de près afin de proposer leurs services, elles sont immanquablement, les principaux vecteurs de maladies vénériennes qui occupent grandement les médecins militaires. Certaines viennent directement à la rencontre des soldats comme en témoigne l'ordre du général Friant du 18 septembre 1811 ordonnant « d'arrêter les coureuses qui s'introduisent dans les camps ».
Les Grognards profitent également des services des prostituées des villes traversées, en France comme à l'étranger. Ces femmes sont soit des professionnelles, soit de pauvres hères poussées à la prostitution par la misère qu'engendre la guerre. Ainsi en 1806 des Berlinoises se prostituent pour un peu de pain, en 1812 des Moscovites de bonne condition sont poussées à la prostitution par la faim et vont jusqu'à proposer leurs filles aux soldats français.
Outre ces professionnelles du sexe, les soldats de la Grande Armée fréquentent aussi quelques filles des pays traversées, pour des relations plus ou moins éphémères. Au départ de l'armée impériale de Berlin en 1806, on estime que 2.000 femmes étaient enceintes...
Toutefois, quelques-unes de ces relations de campagne aboutirent à des mariages. À partir de 1808, le soldat doit obtenir du conseil d'administration de son régiment le droit d'épouser sa Dulcinée (les officiers doivent obtenir une autorisation du Ministre de la Guerre). Toutefois, ce nouveau statut ne change absolument rien à leur situation militaire. En 1810, un décret subventionne même le mariage du soldat avec « une fille sage ».
Les femmes soldates
Officiellement, la Grande Armée de Napoléon ne devait pas avoir de femmes soldates. Déjà pendant la Révolution on avait refusé le métier des armes aux femmes, car le service armé est idéologiquement associé à la citoyenneté (et par extension au vote). Toutefois, il existe quelques exceptions qui confirment la règle, comme Marie-Thérèse Figueur (1774 – 1861). Orpheline, placée chez une marchande de drap en Avignon, elle supplie et obtient de son oncle d'endosser l'uniforme en 1792. Ce dernier, qui commande une compagnie de canonniers, la place dans une troupe fédéraliste contre-révolutionnaire. Elle est capturée avec son oncle par la Légion des Allobroges et le général Carteaux leur propose de changer de camps, ce qu'ils acceptent. La jeune Figueur participe avec la Légion des Allobroges au siège de Toulon en 1793, puis elle change d'unité, incorporant le 9e et enfin le 15e régiment de Dragons. On la surnomme « Sans-Gêne » (elle inspirera par la suite la pièce de Victorien Sardou et d'Emile Moreau).
Avec ce régiment de cavalerie, elle participe à plusieurs campagnes : Pyrénées-Orientales, Allemagne, Armée du Rhin, campagne d'Helvétie, campagne d'Italie...
Le 4 novembre 1799 son cheval est tué sous elle, elle est blessée et capturée à la bataille de Savigliano (Piémont). Elle est conduite devant le Prince de Ligne qui l'autorise à rejoindre son armée.
Sous le Consulat, en 1800, elle est mise en retraite. Mais elle parvient à réintégrer le 9e Dragon avec lequel elle participe à la campagne de 1805 : Ulm, Austerlitz... En 1806, elle participe à la bataille d'Iéna mais elle tombe malade et est rapatriée en France. Remise sur pied, elle est intégrée dans la Jeune Garde et part combattre en Espagne où elle est à nouveau faite prisonnière à Burgos. Elle est livrée en 1812 à un régiment écossais qui la remet aux Portugais. Figueur est alors transférée dans une prison pour femmes avant d'être transférée à Southampton où elle reste écrouée jusqu'à la fin de l'Empire. De retour en France à la Restauration, Marie-Thérèse ouvre une table d'hôte pour les officiers et épouse tardivement un ancien camarade de combat le maréchal des logis Sutter.
Bien qu'elles soient anecdotiques, nous connaissons d'autres exemples de femmes soldates, comme Marie Angélique Duchemin qui s'illustra pendant les campagnes de la Révolution et pour qui le Maréchal Sérurier tenta d'obtenir la Légion d'honneur sous l'Empire. Les autres armées européennes ne sont pas en reste, ainsi dans l'armée prussienne ce n'est que lorsqu'il est mortellement blessé à Dannenberg (1813) que le soldat Renz avoue être une femme... Il s'agissait d'Éléonore Pochaska, engagée lors de la guerre de libération de la Prusse comme tambour puis soldat de ligne, elle était parvenue à cacher sa véritable identité.
Pour aller plus loin
• DAMAMME Jean-Claude, Les soldats de la Grande Armée, Perrin, 2002.
• PIGEARD Alain, Dictionnaire de la Grande Armée, Tallandier, 2002.
• PIGEARD Alain, " Amours et cotillons à la Grande Armée " dans Tradition Magazine n°109