Le règne de Charlemagne correspond à un réveil intellectuel de l’Occident, début d'une période communément appelée « Renaissance Carolingienne ». Lorsque l’on évoque habituellement le terme de « Renaissance » en histoire, on pense tout de suite à Léonard de Vinci, l’Italie, Florence ou encore la découverte de l’Amérique. Mais cette période de l’histoire est une renaissance parmi d’autres. L’Humanité est un phénix, elle meurt et renaît de ses cendres. La redécouverte de la civilisation antique et des auteurs anciens est l’âme de cette présente résurrection.
La renaissance carolingienne
Les Carolingiens forment une dynastie de rois francs. Ils sont les héritiers directs du Charles Martel (690-741) qui restaura l’unité franque. Cependant, son œuvre resta inachevée. Bien qu’ayant propagé la foi chrétienne, Charles Martel a spolié l’Eglise en lui retirant ses moyens d’accomplir sa mission. Le premier des rois carolingiens est le fils de Charles Martel, Pépin le Bref (715-768). Il monta sur le trône en 751. Mais c’est surtout entre 768 et 814, sous le règne de son fils Charlemagne [1] (742-814), que les Carolingiens atteindront l’apogée de leur rayonnement culturel et territorial.
A la mort de Charlemagne, l’Empire carolingien s’étend de la Saxe jusqu’en Navarre et de la Neustrie (Nord-ouest de la France) jusqu’en Carinthie (Sud del’Autriche actuelle). Après de nombreuses difficultés à maintenir l’empire partagé, la dynastie carolingienne disparaît à la fin du Xe siècle après la mort de Louis V. La dynastie carolingienne s’inscrit en plein dans le Haut Moyen Âge. D’ailleurs, lorsque disparaît la dynastie, le Haut Moyen Âge s’efface et laisse place au Moyen Âge central. Si de nos jours le terme de « Moyen Âge » évoque au plus grand nombre une période sombre de l’histoire, la réalité est tout autre, en particulier sous le règne des Carolingiens. On assiste à la renaissance d’un empire hégémonique en Europe.
Eduquer avant toute chose
La diffusion de la foi chrétienne est primordiale pour les rois carolingiens. Pour ce faire, une politique scolaire d’envergure sera rudement menée, en particulier sous le règne de Charlemagne. Le but premier des écoles est de former un clergé qui, à son tour, sera capable d’encadrer au mieux les fidèles. Cette politique se traduira par une importante multiplication des livres et des écoles. Le résultat sera rapidement visible et formera une culture européenne unifiée mais surtout brillante. En 789, Charlemagne édicte un texte de loi, l’Admonitio generalis [2] , dans lequel il est inscrit :
« [...] que les prêtres attirent vers eux non seulement les enfants de conditions servile, mais aussi les fils d'hommes libres. Nous voulons que soient fondées des écoles où les enfants puissent [apprendre à] lire »
Le texte exige également de chaque évêque qu’il ouvre une école. Les monastères fleurissent un peu partout et délivrent deux sortes d’enseignements distincts. Une partie du monastère forme les futurs moines et l’autre partie forme les jeunes laïcs désireux de s’initier à la langue latine. Le modèle éducationnel s’inspire directement de l’Antiquité. On y retrouve deux niveaux d’enseignements : le trivium se compose de grammaire latine et de rhétorique, le quadrivium est un niveau supérieur qui enseigne les mathématiques, l’arithmétique et la musique. Toute cette formation repose sur les sept arts libéraux [3] qui constitueront la base de la culture scolaire et universitaire durant tout le Moyen Âge.
Cet enseignement dynamique nécessite une production accrue d’ouvrages, ainsi les ateliers de production se multiplieront-ils essentiellement au nord de la Loire et en Bourgogne. Au VIIIe siècle, apparaîtra la minuscule caroline qui est plus facile à lire et à écrire que la minuscule mérovingienne. Elle sera d’ailleurs reprise au XVe siècle par les humanistes qui la préfèreront à la minuscule gothique.
Au cœur de l’empire, entre la Loire et le Rhin ainsi qu’au nord de l’Italie, apparaîtront d’impressionnants centres d’études vers le IXe siècle. De grands monastères ou cathédrales regroupent écoles, scriptorium et bibliothèques. La Cour royale est également un important vecteur de culture. Charlemagne a rassemblé à Aix les plus grands lettrés de l’époque, tous venus des quatre coins de l’Europe. Ainsi un savant mélange de cultures et d’influences s’opère-t-il. Le latin est la langue d’usage à la Cour, on y fait de la poésie, on rédige les réformes de l’empire…
La production culturelle
L’un des principaux objectifs pour les Carolingiens est avant tout de remettre le latin au premier plan. Pour ce faire, il est nécessaire de lui rendre sa forme la plus classique en le débarrassant des fautes accumulées au fil du temps. Les lettrés de la Cour œuvrent nuit et jour à cette tâche ambitieuse. Les textes liturgiques sont traduits ou retraduits. On redécouvre la culture gréco-latine et sauve des pans entiers de la culture antique. Du coup, à mesure que l’on traduit, on devient rapidement capable à son tour de créer en s’inspirant des textes de l’antiquité.
Vont apparaître de nombreuses poésies, biographies, traités de morale, comme par exemple le célèbre De rerum naturis de Raban Maur. Toute cette culture commune, fondée sur la redécouverte et la mise en pratique de la culture latine, est mise au service de la foi chrétienne et vise à assurer sa diffusion. On assiste à la véritable naissance d’une culture européenne unifiée.
L’art carolingien
La diffusion du christianisme et l’importance croissante de la religion au sein de la société a provoqué un véritable épanouissement sur le plan des arts, en particulier de l’architecture. Sous le seul règne de Charlemagne, les monastères poussent comme des champignons, on en dénombre plus de deux-cents ainsi que de très nombreuses églises. De nouvelles formes architecturales apparaissent telles que les cryptes ou les tours. On se met aussi à décorer plus richement les intérieurs. Les techniques byzantines rencontrées en Italie donnent de nouvelles idées aux artisans qui vont se mettre à produire de nombreuses fresques et autres mosaïques à fond d’or. L’orfèvrerie se met au service des objets religieux, les bibles sont recouvertes d’or et d’argent. D’une manière générale, les livres sont désormais parés de magnifiques enluminures dorées.
Les Carolingiens ont redécouvert un monde ancien tout en se le réappropriant pour mieux servir la foi chrétienne. La renaissance carolingienne aura marqué son temps mais aussi l’histoire, au sens large. Au XVe siècle, des humanistes comme Erasme s’inspireront des carolingiens et de leur faculté à découvrir. Ainsi les renaissances inspirent les renaissances…
[1] Charlemagne (742/814) : Fils de Pépin le Bref, il régna sur l’empire carolingien de 768 jusqu’à sa mort en 814. Couronné empereur à Rome en 800, il est le membre le plus éminent de la dynastie franque à laquelle il a donné son nom, bien qu’il n’en soit pas le fondateur : les Carolingiens.
[2] Admonitio Généralis : Capitulaire formé par Charlemagne en 789, il se compose de 82 articles concernant les domaines religieux, intellectuel et moral. Charlemagne s’adresse à tous ses sujets et prescrit à chacun ses devoirs.
[3] Les sept arts libéraux : Enseignés depuis l’Antiquité, Charlemagne les remet en lumière et les qualifie ainsi « La Grammaire parle, La dialectique enseigne, la Rhétorique colore les mots, La Musique chante, l'Arithmétique compte, la Géométrie pèse, l'Astronomie s'occupe des astres ».
Bibliographie
- Les Carolingiens: Une famille qui fit l'Europe, de Pierre Riché. Pluriel, 2012.
- Ambitions et limites des réformes culturelles à l'époque carolingienne, de Philippe Depeux. PUF, 2002.