Chon du Barry, de son vrai nom Françoise-Claire du Barry, fille de la province, eut un destin hors du commun, vivant à la Cour grâce à sa belle-sœur Jeanne Bécu, la comtesse du Barry, maîtresse du roi Louis XV. Ces deux femmes voient leur vie liée, à tel point que l'on disait « le duo Jeanne et Chon formait deux moitiés de Pompadour » ! Et Son Altesse la princesse Adélaïde écrivait « la comtesse du Barry n'aurait rien été sans sa belle-sœur, qui n'était rien sans elle ».
Son arrivée dans la capitale
Chon du Barry née dans les environs de Toulouse vers 1730, est appelée à Paris à l'âge de 36 ans, par son frère Jean-Baptiste qui veut marier Jeanne Bécu à Guillaume, le presque frère jumeau de Chon. Cette provinciale pas jolie, qualifiée même de laide, petite, claudicante, célibataire, presque vierge, doit servir de chaperon à sa future belle-sœur.
Chon débarque ainsi dans la capitale, est présentée à la future mariée âgée de 25 ans, assiste à la signature du contrat de mariage chez le notaire. Etant témoin, elle va de surprises en surprises, est même dégoutée, voire horrifiée...Elle juge dès les premiers instants la comtesse : une jeune femme pas très maline, mais jolie.
Chon à la Cour du roi
Après la présentation de Jeanne à la Cour en avril 1769, Chon et sa sœur Bischi sont installées dans un appartement, certes modeste mais à côté de celui de Jeanne. Pour ces provinciales à l'accent gascon, il leur est difficile de supporter les quolibets et la méchanceté des courtisans, de faire face aux commérages et à la raillerie de certains ainsi que de se plier aux us et coutumes. Elle décrit malgré elle, les gens entourant le roi, comme ce portrait prémonitoire du futur Louis XVI « portant le malheur sur sa figure, on le croirait destiné à finir en place publique »...
Heureusement pour elles, le Roi les aime bien, les trouve agréables et amusantes et fait souvent sauter Chon sur ses genoux. « Petite Chon, disait-il à tout propos, grande Chon, faites ceci, allez là ! Et l'autre de se multiplier, de lui dire des strophes qu'elle rimaillait ou qu'elle se faisait envoyer par la Beaumelle, une de ses plus tendres amis ». Ainsi, personne n'ose plus se moquer d'elles à haute voix ! Surtout qu'avec son franc-parler, Chon remet souvent les courtisans à leur place.
Au plus près du Roi, elles ont l'occasion de rencontrer de grands personnages, comme Gustave de Suède, qui se prend d'amitié pour ces deux femmes, car elles ne sont pas surfaites.
En tant que « chaperon », Chon réceptionne les petits mots doux de sa Majesté et formule les réponses, pour que personne ne se rende compte de la naïveté et de la bêtise de Jeanne. Il faut dire que la provinciale a beaucoup d'esprit, de finesse et de malice. Intelligente, elle guide Jeanne, sait manœuvrer pour se faire accepter, et réussit à faire limoger le ministre Choiseul. Elle en profite aussi pour marier ses frères.
Tout va pour le mieux jusqu'au jour où Jeanne tombe sur l'Almanach annonçant des malheurs et des prédictions en décembre 1773. Les décès se succèdent dans l'entourage royal jusqu'en avril 1774 et le roi lui-même commence à sentir les premiers malaises : maux divers et mauvaises odeurs, jusqu'à sa mort.
Et comme toujours, à partir de là, les courtisans se détournent d'elles, les rumeurs vont bon train, elles sont accusées de tous les malheurs, reçoivent leur lettre d'exil, sont éloignées de la cour mais emportent des bijoux et l'argent conservé précieusement, la disgrâce s'abat sur tous les du Barry. Elles ont pourtant une petite consolation : les filles du roi mort sont aussi exilées et poussées en dehors du château.
L'exil des deux belles-sœurs
Chon et Jeanne se retrouvent donc exilées à l'abbaye de Pont-aux-Dames. Les nonnes et la mère supérieure apprécient beaucoup Jeanne pour sa gentillesse, son respect des règles et sa modestie. Mais Chon est prise de mélancolie « Je n'ai plus de soupirants, ils se sont aperçus que je n'étais pas jolie le lendemain de la mort du Roi » et Jeanne répond « Que cela ne vous étonne pas ! Il y a des gens qui, à la même époque, se sont avisés de remarquer mes imperfections ».
En 1775, avec les bijoux emportés par Jeanne et les placements effectués par Chon, elles peuvent acheter un château en ruine à Saint Vrain, assez loin de Versailles où elles sont autorisées à séjourner. La « ruine » est revendue avec un profit, et Louis XVI leur accorde le retour à Louveciennes.
Elles mènent une vie calme et apprécient les visites de Joseph II empereur d'Autriche, venu voir « la comtesse tant haïe par sa sœur Marie Antoinette », le comte Don Olivadès ancien introducteur des ambassadeurs, Mr de Brissac, Mme Vigée Le Brun. Jeanne se croit toujours à Versailles, fait la coquette, voulant paraître 18 ans alors qu'elle en a maintenant 43.
La Révolution
A partir de 1789, les rares visiteurs les poussent à quitter la France ; Jeanne s'obstine, ne croit pas au malheur même lorsqu'elle entend des canonnades. Elle va même jusqu'à recueillir deux pauvres gardes Suisses qui errent à Versailles après le 6 octobre 1789... Chon, qui pressent bien que le monde est en pleine révolution, pousse Jeanne à cacher des bijoux et des pierres en novembre 1790, avant que le château ne soit fouillé, saccagé et de belles pièces dérobées en janvier 1791.
Lorsque les cambrioleurs sont retrouvés à Londres à l'hiver 1792, les deux femmes partent en Angleterre et retrouvent là-bas, non seulement une partie des bijoux, mais aussi tous les exilés de Versailles : Jeanne respire et retrouve l'atmosphère du château. Ne pouvant pas comprendre et n'imaginant pas la terreur qui règne en France, Jeanne décide de rentrer dans son domaine de Louveciennes, accompagné de Chon.
L'emprisonnement
En juillet 1793, le Comité de Salut Public installe une garde dans leur château. Elles vont être accusées, emprisonnées, puis relâchées jusqu'à ce que Jeanne soit définitivement arrêtée pour « incivisme et aristocratie » en réussissant auparavant à faire évader Chon qui rejoint Toulouse en octobre 1793, alors que ses frères sont arrêtés à Paris.
A Toulouse, tous les du Barry, y compris Chon et sa sœur Bischi sont recherchés et emprisonnés par la police révolutionnaire le 10 octobre 1793, comme on peut le lire « Citoyens, Nous continuons à prendre des mesures révolutionnaires ; 1500 personnes suspectes ont été arrêtées par nos perquisitions dans l'Ariège et la Haute Garonne. Nous tenons en notre pouvoir tout le Parlement de Toulouse ; la famille du Barry est entre nos mains, nous avons pensé qu'une simple arrestation ne suffisait pas pour les membres de cette famille déprédatrice ... »
Chon est mise sous les verrous pour le même motif d'incivisme « Françoise-Claire, âgée de cinquante-neuf ans, célibataire, ayant un revenu de vingt et un mille trois cents livres et une fortune de deux cent quatre mille livres en biens, plus quelques contrats ; d'un caractère suspect et immoral, ayant manifesté des sentiments inciviques dans toutes les circonstances ; regrettant fort l'ancien régime... »
Chon, Bischi et leur belle-sœur Magdelaine, en détention, doivent filer du chanvre, fabriquer de la charpie pour les hôpitaux, nettoyer les couloirs, les escaliers et les toilettes (pire que les corvées de caserne) jusqu'au jour où Chon voit arriver une fausse baronne qui se pâme en apprenant leur nom de famille. Elle vient de comprendre que Jeanne est morte. Il lui reste la seule consolation de jouer sur un clavecin abandonné, chez les religieuses de Saint-Vincent de Paul.
La liberté retrouvée
Les du Barry disparaissent un à un ; le 26 septembre 1794, l'appel des condamnées est suspendu, les prisonnières sont libérées sauf celles portant le fameux nom de du Barry. Chon et sa sœur ne le seront que deux mois plus tard. Récupérant tous les papiers de famille, Chon part pour le domaine de Louveciennes où elle déterre la cassette de bijoux. Elle découvre, non sans une grande émotion, les médaillons de Louis XV et les boucles d'oreilles en diamant de Jeanne. Elle échappe à la guillotine et s'éteint en 1809 à l'âge de 75 ans.
D'après Frédéric Lenormand « Mademoiselle Chon du Barry »