Agnès Sorel (v. 1422-1450) a été la favorite de Charles VII et la première maîtresse officielle d’un roi de France. Originaire de la région de Tours et issue de la petite noblesse, elle fait ses premiers pas dans le grand monde en devenant demoiselle d’honneur d’Isabelle de Lorraine, reine de Sicile. Sa rencontre avec Charles VII en 1444 va changer le cours de sa vie. Devenue la favorite du roi, Agnès Sorel va être source d'inspiration pour les artistes de l'époque. Ainsi le célèbre tableau de Jean Fouquet, la Vierge à l’Enfant entourée d’anges, qui a été inspiré par la figure de la maîtresse royale.
Agnès Sorel rencontre Charles VII
Depuis son sacre à Reims en 1429, la vie de Charles VII est émaillée de victoire sur les anglais et la France peu à peu reconquise en cette fin de guerre qui dura cent ans (1348-1453). Le roi, qui jusque là était confiné à Bourges avec sa cour, rongé par le doute et la légitimité de sa naissance, a repris confiance en sa destinée. Pour fêter ces victoires, une grande fête fut organisée au château narbonnais de Toulouse en 1444. Charles VII, accompagné de son épouse Marie d’ Anjou et des gens de sa cour, recevait les hommages de ses invités. Il ne se doutait pas que ce serait le lieu d’une rencontre qui allait bouleverser sa vie. Tourangelle originaire de Fromenteau, Agnès Sorel, future dame de beauté, va entrer en scène.
Dans la grande salle du château, Isabelle d’Anjou, belle-sœur du roi, présente à Charles ses dames de compagnie, toutes plus belles les unes que les autres. Le regard du roi est attiré par l’une d’entre elles, blonde comme une gerbe, se détachant par son éclat du groupe de ses compagnes.
« Sire, dit Isabelle, permettez-moi de vous présenter la plus jeune de mes demoiselles, Agnès Sorel ». Celle-ci leva vers le roi un visage clair, de grands yeux en amande, une bouche bien dessinée, une taille de guêpe, ployant dans une profonde révérence. Charles VII est ébloui : « Plus que belle, murmure-t-il, la plus belle de toutes ! ». Il se tourne vers son épouse, une personne sans attrait et douée de peu d’esprit. Bonne et indulgente, elle remarque son expression et s’en réjouit, sans en connaître la cause.
La fête prit alors pour Charles un sens particulier. Agnès Sorel ne tarda pas à se rendre compte de l’émoi qu’elle avait suscité, ce qui la troubla d’autant plus, qu’elle-même se découvrit une attirance pour cet homme de vingt ans son aîné. Le roi, malgré un physique ingrat et sans prestance, ne manquait pas de charme lorsque ses yeux vifs s’animaient, révélant ses qualités de finesse, de sensibilité et d’intelligence.
Isabelle d’Anjou, à qui cela n’avait pas échappé, mis tout en œuvre pour favoriser cette rencontre, allant jusqu’à installer Agnès dans une chambre seule garnie de meubles précieux (les demoiselles d’honneur logeaient habituellement dans des dortoirs), lui offrant des robes somptueuses. Un soir, messire Etienne Chevalier, secrétaire particulier du roi vint lui remettre, de la part de son maître, un bijou précieux en forme de fleur de lys. Ne pouvait-il y avoir plus clair message ?
Agnès Sorel à la cour du roi
Au cours d’une entrevue ménagée par ses proches, Charles déclara courtoisement ses sentiments à la belle jeune fille, dont les scrupules fondirent comme neige au soleil, car elle se rendit compte, à son grand émoi, qu’elle était amoureuse. Plus tard, les deux amants se retrouveront, émerveillés l’un de l’autre, dans la chambre d’Agnès. Nul ne sait encore rien de cette idylle, sauf bien sûr, les complices d’un roi fou d’amour.
Découvrant l’entourage du roi, Agnès remarque rapidement l’animosité qui règne entre le monarque et le dauphin, futur Louis XI, ce dernier ne cessant d’intriguer et de comploter contre un père qu’il déteste depuis l’enfance, et trouve là encore dans cette liaison une occasion de lui nuire. Charles est fort heureusement assisté de quelques hommes sûrs, tels qu’ Etienne Chevalier, le sénéchal Pierre de Brézé et surtout le grand argentier du roi, Jacques cœur.
Industriel, armateur, banquier, ambassadeur, et amateur d’art, Jacques Cœur est un homme très influent à la cour. Il se nouera une belle amitié entre lui et Agnès Sorel, qui lui commandera moult marchandises de toutes sortes. Le grand argentier de la France projette de faire de la belle jeune fille une muse, symbole d’un renouveau pour la France qui a beaucoup souffert durant cette interminable période de guerre.
Alors qu’Agnès attend son premier enfant, Charles tombe gravement malade à Tours, terrassé par un mal inexplicable. Agnès tremble, la France tremble… On parle d’empoisonnement, peut-être d'un acte criminel du dauphin Louis qui convoite le trône. Tout est mis en œuvre pour le salut du roi qui se remettra miraculeusement grâce aux potions, prières, lavements et autres remèdes de l’époque. À la naissance de sa première fille en 1444 nommée Marie de France, Agnès devient officiellement favorite royale, titre qui n’existait pas auparavant, les maîtresses des rois devant rester dans l’ombre.
Première favorite officielle de l'histoire de France
Commence alors pour Agnès Sorel une vie fastueuse. C’est une femme rayonnante de vie, heureuse de se sentir belle et de le montrer. Elle inaugura la mode des décolletés qui dévoilent entièrement les seins qu’elle a fort beaux. Le roi lui fera don du manoir de Beauté-sur-Marne. Il la couvre de bijoux, de robes, de pièces d’argenterie, de fourrures et de parfums rares, et la fait entrer à la maison de la reine pour l’avoir près de lui. Il l’intéressera aux affaires du royaume, l’intégrant à son conseil tenant compte de ses avis. Auprès d’elle, Charles VII se transforme, retrouvant une joie de vivre qui lui a tant fait défaut.
Son épouse Marie d’Anjou souffre de cette trahison étalée aux yeux de tous sous son propre toit, outrage qui choque sa pudeur et heurte sa tendresse envers son époux. Elle doit supporter parmi ses dames d’honneur cette femme trop belle, trop voyante, plus entourée qu’elle-même ! Le luxe, les dépenses, le train de vie, les provocations d’Agnès, en font la femme la plus critiquée et jalousée de France, mais certains admireront sa force de vie, sa beauté intérieure autant qu’extérieure, son esprit fin et brillant, sa gaieté communicative.
Louis quant à lui ne cesse de l’outrager, voire de l’insulter, la méprise au regard de tous, rongé par cette haine vis-à-vis de son père et de sa maîtresse, ces deux derniers faisant obstacle à ses ambitions de règne. Un jour il finit par donner libre cours à sa rancœur et poursuit la belle dans les couloirs d’un château royal, la menaçant de son épée. Agnès doit se réfugier dans la chambre du roi, et ce dernier, excédé, l’exile en Dauphiné.
Alors qu’Agnès attend son second enfant, Charles accomplit la poursuite des réformes de son royaume, remaniant l’armée et nommant des agents chargés de la collecte des impôts. Installée à l’hôtel du faubourg de Loches, bordé de forêts, champs et pièces d’eau, elle est heureuse dans cet endroit champêtre. Le roi s’établit à proximité de sa belle, au château de Razilly, loin des commérages et des calomnies de la cour, donnant libre cours à ses occupations préférées, chasse, promenade en forêt, tir à l’arbalète, jeu de paume et d’échecs, danses et joutes amoureuses avec sa bien-aimée.
Par un jour neigeux de janvier 1446, naîtra charlotte de Valois seconde fille d’Agnès. Le roi, fou de joie la comble de présents et de titres dans le Rouergue et le Berry. Elle portera d’ailleurs à son cou le premier diamant taillé d’occident, cadeau inestimable de la part de Charles. Outre la mode des décolletés vertigineux, elle lancera celles des traines interminables et des atours de tête d’une hauteur de ruche. En cette époque peu portée sur l’hygiène, elle popularise auprès de la cour les soins du corps très raffinés, massages, bains et parfums, selon la mode orientale.
Complots et intrigues
Son bonheur n’est entaché que par les incessants complots du dauphin qui visent à l’écarter du roi, et le fait qu’elle n’ait pas donné à ce dernier de fils : « Que ne puis-je donner au roi de mon cœur ce fils qu’il aurait tant aimé » soupire t’elle. De son côté, le dauphin cherche par tous les moyens à faire tomber les deux personnages qu’elle estime et qu’elle protège, le sénéchal Pierre de Brézé et le grand argentier Jacques Cœur. Un vent de conspirations et de sombres trahisons souffle sur l’entourage du roi.
Le sénéchal, que l’on soupçonnait, entre autres, d’avoir une liaison avec Agnès Sorel, dut intenter un procès pour défendre son honneur. La « dame de beauté » tentera maladroitement d’intercéder en faveur de son ami, se rendant en grand apparat à Paris, dans un équipage digne d’une reine. Le résultat fut contraire à celui escompté : huée, insultée, et traitée de « putain du roi » par le peuple, elle en fut très blessée et regrettera amèrement son initiative. Le roi, furieux et désolé de l’accueil fait à sa précieuse bien aimée organisera des fêtes en son honneur pour lui faire oublier cet affront.
Après cinq années de paix, Charles VII, poussé par Agnès et son entourage, repartira en guerre pour reprendre les quelques villes du royaume encore aux mains des anglais. Cette campagne sera couronnée de succès et il ne restera bientôt plus à ces derniers que Calais. Alors qu’Agnès attend un quatrième enfant, elle est informée d’un énième complot du dauphin visant à livrer le roi aux anglais. Folle d’angoisse, elle veut prévenir le monarque du danger qui le guette, malgré sa grossesse difficile.
La mort tragique d'Agnès Sorel
Après un éprouvant voyage en plein hiver, elle rejoint le roi à Jumièges. Ce dernier est plus alarmé par l’état de son aimée que par la nouvelle qu’elle lui apporte : « Reposez vous au manoir du Mesnil, ma mie, les moines bénédictins vous y accueilleront » lui dit-il. Le roi, suivi par Jacques Cœur et Etienne Chevalier viendront lui rendre visite. Ils constateront au fil des jours une grande faiblesse et un manque de vitalité qui ne ressemble guère à Agnès.
L’accouchement se déclare un mois avant terme, alors que la jeune femme, épuisée, ne peut en supporter l’épreuve. Naît une petite fille frêle qui ne survivra pas, laissant sa mère anéantie en proie aux fièvres et aux douleurs abdominales consécutives aux accouchements longs et difficiles. Commence alors pour Agnès, atteinte du « mal des accouchées », une rapide agonie, ponctuée de souffrances et de sanies. Charles VII est atterré, oubliant sa guerre presque terminée pour se tenir au chevet de celle qui est l’essence de sa vie et qui est en danger de mort.
Agnès ne veut pas offrir le spectacle de sa déchéance physique. Elle condamnera sa porte, son corps souillé, vidé, lui faisant horreur. Sentant sa fin proche, elle fait venir son confesseur et son ami et excécuteur testamentaire Jacques Coeur. Ils seront témoins des dernières paroles de la « dame de beauté » : « C’est peu de choses, et vile et fétide, que notre fragilité ». Agnès Sorel s’éteint en février 1450, à l’âge de 28 ans, peut-être victime d’un empoisonnement (*). Éploré, le roi commande deux magnifiques tombeaux de marbre, l’un contenant son cœur à l'abbaye de Jumièges, l’autre son corps dans la collégiale Saint Ours à Loches.
Aisni se termine une grande histoire d’amour, entre un roi au parcours chaotique et la plus « belle des belles » de son temps. Sa gloire ne durera que sept années pendant lesquelles cette femme exceptionnelle à plus d’un titre ne laissa personne indifférent, imposant son mode de vie, associant son nom à celui de Charles VII dans l’histoire de France.
(*) En 2005, le médecin légiste Philippe Charlier suggère qu'Agnès Sorel aurait été victime d'une intoxication aiguë au mercure.
Bibliographie
- Agnès Sorel : La première favorite de Françoise Kermina. Perrin, 2005.
- Agnes Sorel, la colombe de Charles VII, de Mireille Lesage. Télémaque, 2016.
- Les Femmes des rois : D'Agnès Sorel à Marie Antoinette, de Guy Chaussinand-Nogaret. Texto, 2012.