Né vers 1140 en Île-de-France avec la construction de l’abbatiale de Saint-Denis, l’art gothique rayonne vite au-delà des frontières françaises. Succédant à l’art roman, le gothique se définit en premier lieu comme une démultiplication inédite de l’espace : ouverture visuelle des volumes qui confère un rôle primordial au vitrail, traitement en légèreté des murs et autres supports, nouvelle conception de la travée par le recours généralisé à l’arc brisé, la voûte d’ogive et à l’arc-boutant : un parti pris de verticalité qui trouvera son aboutissement avec le gothique flamboyant, qui, à partir du XIVe siècle, pénètre dans toutes les capitales européennes par le biais du mécénat.
La naissance de l’art gothique
Les humanistes de la Renaissance attribuent le nom de « gothique » à l’art qui fleurit en Europe depuis le milieu du XIIe siècle. La découverte du raffinement antique les mène à mépriser le Moyen ge, période barbare à leurs yeux. À tort, ils établissent un lien entre l’art médiéval et les Goths. L’art gothique fascine par contre les romantiques du XIXe siècle. Le positiviste Viollet-le-Duc donne une interprétation technique et sociologique de cette forme d’expression dans son Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle sur lequel il travaille de 1854 à 1859. Bien que dépassé, cet ouvrage jette la base des études récentes.
C’est en Île-de-France, alors paisible et prospère, que naît une expression artistique nouvelle sous l’impulsion de Suger. L’abbé de Saint-Denis s’inspire du Pseudo-Denys. Cet auteur grec du VIe siècle exalte la hiérarchie des formes et la lumière, censée accroître la spiritualité du spectateur et le lever vers l’immatériel. En 1140, Suger entreprend la reconstruction de l’église abbatiale dans une esthétique nouvelle, caractérisée par l’arc brisé et une recherche de verticalité. Alors que la lumière pénètre de manière indirecte dans les églises romanes, elle est dirigée cette fois vers le chœur qui arbore les couleurs des vitraux. Le savoir technique des architectes se développe et permet la voûte en croisée d’ogives, dont le poids ne repose plus sur les murs, mais sur des nervures qui poussent l’arche vers le haut.
Suger et la volonté de centralisation
En Normandie, on connaît déjà la voûte d’ogives avant 1140. L’arc brisé, quant à lui, trouve son origine en Bourgogne. Une esthétique nouvelle combine ces deux éléments et se développe timidement en Île-de-France vers 1130.
L’architecte de Saint-Denis synthétise ces tendances dans sa région et crée un modèle pour les futurs édifices. L’île-de-France correspond à cette époque au domaine royal des Capétiens, seul territoire où cette dynastie exerce un réel contrôle. Or, même là, les souverains rencontrent des difficultés pour asseoir leur pouvoir. Vers 1140, ils commencent seulement à s’établir fermement dans cette région riche économiquement et intellectuellement.
L’abbaye de Saint-Denis symbolise la royauté depuis les Carolingiens. A début du XIIe siècle, elle demeure sous l'emprise des barons locaux. La reprise en main du monastère par les Capétiens coïncide avec l’abbatiat de Suger. Ce personnage brillant s’avère également conseiller de Louis VI et de Louis VII. Il diffuse ses idées de centralisation de l’État autour du monarque. La construction de l’église abbatiale, modèle d’une nouvelle esthétique, répond à de fins mobiles politiques. Elle donne une certaine visibilité au rôle civilisateur que Suger veut attribuer au roi.
Le temps des cathédrales
L’art gothique connaît un succès inespéré et s’étend bien au-delà de l’île-de-France, grâce à l’ordre monastique des cisterciens. De grands travaux de construction sont entamés sur le territoire français, ainsi qu’en Angleterre, en Italie et en Espagne. Les cathédrales de Paris, de Chartres et d’Amiens, témoins exceptionnels de l’art gothique, sont terminées au cours du XIIIe siècle.
Grand « livre de pierre » construit sur l'île de la Cité, la cathédrale Notre-Dame, chef-d'œuvre de l'architecture gothique, est le plus grand édifice religieux jamais réalisé à Paris. Sa construction a duré 87 ans, de 1163 à 1250. Au milieu du XIXe siècle, l'architecte Viollet-le-Duc dirigea une importante campagne de restauration (1845-1864) et fit rétablir la flèche centrale, d'une hauteur de 90 m. Des arcs-boutants, de 15 m de volée, encadrent le chevet de la cathédrale.
Débutée vers 1220, la construction de la cathédrale de Reims, qui témoigne de l'apogée de l'architecture gothique en France, se poursuivit tout au long du xiiie siècle. Sa façade occidentale, dont les gables augmentent l'impressionnante verticalité, évoque avec ses trois portails la disposition intérieure de l'édifice, doté d'une nef à trois vaisseaux. Ornée d'une rosace et munie de deux tours datant des XIVe et XVe siècles, la façade est en outre décorée d'une profusion de sculptures, notamment le célèbre groupe de la Visitation. Elle était le lieu du sacre des rois de France.
La cathédrale Notre-Dame de Chartres se caractérise par son unité de style, son ampleur et ses innovations architecturales, notamment l'abandon de la tribune pour le triforium. Elle se distingue également par la beauté de ses reliefs et offre l'une des plus riches collections de vitraux de France (la Belle Verrière, XIIIe siècle). La statue de la Vierge donne lieu à un pèlerinage annuel, le 15 août.
Dans l’Empire germanique, cette expression artistique va connaître un rayonnement tel que les Allemands s’en approprient l’invention au XIXe siècle. Les architectes, toujours plus ambitieux, ne cessent d’élever la hauteur des églises. Ainsi, à Beauvais, les voûtes du chœur s’effondrent en 1284.
Pour aller plus loin
- L'art gothique, d' A. Erlande Brandenburg. Citadelles, 2004.
- Cathédrales - Le temps de l'oeuvre, l'oeuvre du temps, de Francois Icher. La Martinière, 2019.
- Le Temps des cathédrales, de Georges Duby. Gallimard, 1976.